Les primaires de la droite ou de la gauche
Les « vieilles choses » de Lyautey
Rien n’a véritablement changé depuis la Troisième République !
Experts en tout genre et politologues dissertent sur les raisons de la crise politique qui mine notre société en profondeur depuis de nombreuses années.
Les crises de représentativité de nos institutions parlementaires, – ils vont tous au contact du peuple, le redécouvrent, – ou celles des partis politiques qui s’en remettent à des élections primaires pour désigner leurs hérauts présidentiels, en sont les illustrations principales, mais quelles en sont les raisons ?
La Croix du 11 janvier fait sa première page sous le titre « La gauche en quête d’idées » et publie un éditorial sous le titre « En morceaux », il s’agit de la gauche, avec en finale cette réflexion et référence :
« Cet éclatement d’une famille de pensée qui a longtemps eu la haute main sur « l’imagination de l’avenir » pour reprendre une formule du philosophe Marcel Gauchet, n’est plus une bonne nouvelle pour personne. »
Je suis loin d’être assuré que cette appréciation soit fondée, car on ne peut pas dire que la gauche ait bien imaginé l’avenir tout au long des années qui ont suivi la Libération, qu’il s’agisse de la décolonisation, de la guerre d’Algérie avec Guy Mollet, ou enfin du Programme commun de Messieurs Mitterrand et Chevènement en 1981, pour ne pas citer la gauche moribonde de Monsieur Hollande, en tout cas du Parti Socialiste dont il a été le Secrétaire pendant plus de dix ans.
Un mot tout d’abord sur ces primaires qui mettent le pays dans un état de transe politique permanente dans les milieux dirigeants et qui montrent que les partis politiques dont le rôle est reconnu dans l’article 4 du Préambule de la Constitution de 1958, ont mis eux-mêmes la clé sous la porte en laissant le soin aux citoyens, quels qu’ils soient, de désigner à leur place, les hommes ou les femmes qui sont censées incarner leur « imagination de l’avenir ».
Débauche de com’, lutte au couteau entre egos, politique du spectacle à gogo ! La France est un pays formidable, car à voir certaines candidatures, on va finir par croire que la Présidence de notre République peut être exercée par n’importe quel citoyen « normal ».
Les primaires sont à mes yeux la caractéristique de la perversité actuelle de notre démocratie politique, ou en d’autres termes, une médecine à la Molière, un laxatif tellement puissant qu’il est de nature à ruiner la démocratie.
A voir ce qui se passe dans le Parti socialiste, la médication politique que cette formation a promue va effectivement mettre le malade au tapis.
Je vous propose donc de revenir à une analyse plus terre à terre de notre situation nationale.
Les élites, qui nous ont gouverné et qui nous gouvernent encore, ont conservé une conception franchouillarde de la politique, ce qui veut dire qu’elles sont obnubilées par leur nombril, leur canton, leur commune, leur département, leur région, sans s’occuper de ce qui se passe dans « l’ailleurs » de l’Europe et du monde : à l’évidence, le destin de notre nation dépend plus de ce qui se passe dans l’Union européenne, aux Etats-Unis, en Chine, en Inde, ou encore en Russie.
Il est d’ailleurs curieux, pour revenir à l’imagination socialiste, que les partis qui sont censés la représenter ne parlent jamais de cette justice sociale internationale souvent imparfaite, qui est en cours de réalisation avec une nouvelle distribution des richesses du monde, la mondialisation en cours.
Notre élite politique n’a pas encore pris le vent du large, et elle a d’autant plus de mal à le faire qu’elle est entortillée dans un millefeuille obsolète de structures nationales ou locales, politico-sociales, intermédiaires, qu’elle trouve encore confortable.
Les deux exemples de Bayrou et de Juppé illustrent bien cette situation, Pau ou Bordeaux, au lieu de Strasbourg et de Bruxelles, avec des discours mais pas d’actes.
Combien de nos politiques ont acquis une vraie expérience des affaires internationales ?
Notre élite politique a une longue tradition de franchouillardise en même temps qu’elle s’adonne toujours, comme par le passé, à son goût cocardier de vouloir mettre son grain de sel dans toutes les affaires du monde.
Les initiatives, postures, et interventions extérieures de la Présidence actuelle en donnent une bonne illustration.
J’ai déjà écrit quelque part que les initiatives internationales de la République actuelle, la Cinquième, étaient en définitive très proches de celles de la Troisième République de Jules Ferry.
Dans une de ses lettres du Sud de Madagascar que le colonel Lyautey adressait de Fianarantsoa à Max Leclerc, le 3 juin 1901 ;
« Or l’état d’âme mondial, la libération de l’ « otium cum dignitate » que vous rapportiez d’Amérique, je crois m’en être largement imprégné au cours de cette campagne de sept ans à travers le monde et je fais tout ce que je puis, par la fréquentation des étrangers, par ma libération de l’uniforme et du bouton, pour m’y maintenir. Seulement cette conception mondiale des choses me rend certainement plus pessimiste que vous au sujet de nos choses intérieures. Je trouve justement que nous nous soyons dans les systèmes spéculatifs, que la majorité chez nous attache trop d’importance aux « vieilles choses » qui selon vous, barrent la route et dont il faut avant tout se débarrasser, parce qu’il me semble qu’elles ne barrent pas grand ’chose…. Je trouve justement que notre Parlement, nos hommes d’Etat ne sont pas assez « mondiaux », et que notre rôle en Chine, au Siam, en Afrique, le développement de nos débouchés, la prospérité de nos ports, la révision étudiée et sérieuse de notre protectionnisme meurtrier, la résurrection de notre flotte marchande devraient passer au premier plan des préoccupations de nos hommes politiques, enlisés dans leurs soucis électoraux, dans leurs querelles contre tant de choses « si tellement » moins redoutables que la concurrence étrangère et que le commerce allemand. …. Ma civilisation « mondiale » me fait chaque jour toucher du doigt l’affaiblissement de notre force économique, la timidité de nos capitaux, la timidité de toute affaire, de toute entreprise dans l’incertitude du lendemain, et c’est pourquoi je nous crois très mal gouvernés. L’Amérique, aussi démocratique que nous, a une suite, un programme, une volonté, un « gouvernement et des institutions » : il me semble que nous n’avons plus ni l’un ni l’autre.
Mais voilà bien trop de politique, je m’étais interdit d’en faire. C’est vous qui m’y avez provoqué. Excusez m’en donc. » (Lettres du Sud de Madagascar, p,90,91,92)
Je précise que le général Gallieni avait confié le Commandement Supérieur du Sud de Madagascar au colonel Lyautey en vue de sa pacification et de sa modernisation, un commandement que le « colonialiste » exerça dans de très bonnes conditions dans les conditions de vie précaire qui étaient alors celles de cette région. Il l’avait beaucoup apprécié au Tonkin.
Ces paroles ne sonnent-elles pas toujours aussi juste plus d’un siècle après, quitte à les transposer ?
En résumé, notre pays ne sortira de ses ornières qu’en se projetant au dehors, dans un ailleurs qui ne peut être, dans les rapports de force internationaux actuels et prévisibles, qu’un ailleurs européen, en rejetant le dedans des conforts franchouillards, des fausses souverainetés, et des cocoricos.
J’ajouterai qu’en plus des « vieilles choses », beaucoup de « nouvelles choses », en particulier la mode des tweets de toute nature, pervertissent le pays que nous aimons.
Les chefs d’Etat seraient donc condamnés à se parler par tweet ?
Jean Pierre Renaud