Les Relations entre la France et l’Algérie (1962-2020) – « La guerre des mémoires » de Benjamin Stora

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Les Relations entre la France et l’Algérie (1962-2020)

Vive l’Indépendance de la France !

Avant tout commentaire, et avant de se forger une opinion, il est difficile de parler de mémoire collective,  sans faire référence à l’ouvrage « fondateur » un qualificatif goûté par certains chercheurs, « La Mémoire collective » de Maurice Halbwachs, mort en déportation, publié après sa mort.

J’en ai proposé un résumé sommaire sur le blog du 15 avril 2010.

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« La guerre des mémoires

La France face à son passé colonial »

par Benjamin Stora

            « Pourquoi ne pas avouer que j’ai éprouvé un malaise intellectuel à la lecture de beaucoup des pages de ce livre, crayon en mains, alors que j’ai  aimé l’article du même auteur à la mémoire de Camus (Etudes coloniales du 30 septembre 2007). Albert Camus a été un de mes maîtres à penser,  à agir, et à réagir,  avant, pendant la guerre d’Algérie, et après. J’y ai servi la France et l’Algérie, en qualité d’officier SAS, en 1959 et 1960, dans la vallée de la Soummam, entre Soummam et forêt d’Akfadou.

              Un historien sur le terrain mouvant des mémoires chaudes, pourquoi pas ? Mais est-ce bien son rôle ? Dès l’avant-propos, le journaliste cadre le sujet de l’interview de M.Stora : « La France est malade de son passé colonial », mais sur quel fondement scientifique, le journaliste se croit-il permis d’énoncer un tel jugement ?

            Il est vrai que tout au long de l’interview l’historien accrédite cette thèse et s’attache à démontrer l’exactitude de ce postulat : les personnes issues des anciennes colonies, première, deuxième, troisième génération (il faudrait les quantifier, et surtout les flux , les dates, et les origines) «  se heurtent inévitablement à l’histoire coloniale » (p.12), « la guerre des mémoires n’a jamais cessé » (p.18), la « fracture coloniale », « c’est une réalité » (p.33), « l’objectif est d’intégrer, dans l’histoire nationale, ces mémoires bafouées » (p.81), « saisir comment s’élaborent en permanence les retrouvailles avec un passé national impérial » (p.90)

            Et l’auteur de ces propos, qui se veut « un passeur entre les deux rives », incontestablement celles de la Méditerranée, accrédite le sérieux des écrits d’un collectif de chercheurs qui n’ont pas réussi, jusqu’à présent, par le sérieux et la rigueur de leurs travaux historiques, à démontrer la justesse de la thèse qu’ils défendent, fusse avec le concours bienveillant de certains médias, quant à l’existence d’une culture coloniale, puis impériale, qui expliquerait aujourd’hui la fameuse fracture coloniale. (1)

Et le même auteur de reprendre le discours surprenant, de la part d’historiens de métier, sur la dimension psychanalytique du sujet : « la perte de l’empire colonial a été une grande blessure narcissique du nationalisme français » (p.31), pourquoi pas ? Mais à partir de quelles preuves ? « Refoulement de la question coloniale » (p.32). « Pourtant la France a conservé dans sa mémoire collective, jusqu’à aujourd’hui, une culture d’empire qu’elle ne veut pas assumer » » (p.32). « Les enfants d’immigrés sont porteurs de la mémoire anticoloniale très puissante de leurs pères » (p.40).

            « Pourquoi cette sensation diffuse d’une condition postcoloniale qui perdure dans une république où les populations issues des anciens empires n’arrivent pas à se faire entendre ? » (p.90).

Comment ne pas souligner le manque de clarté des propos de l’auteur, lequel écrit page 11 que la population issue des anciennes colonies a doublé entre les années 1980 et 2007, et les propos qu’il tient parallèlement sur les « mémoires bafouées » : mais les colonies sont indépendantes depuis le début des années 60, et l’Algérie depuis 1962 ? (2)

            De quelles générations s’agit-il ? Des enfants d’immigrés du travail venus en France avant 1962 ? Ou pour l’Algérie, importante source d’immigration, des enfants de pieds noirs, de harkis, ou d’enfants de citoyens algériens venus en France après l’indépendance de leur pays, notamment en raison de ses échecs économiques, puis de sa guerre, à nouveau civile ? Pour ne citer que l’exemple de l’Algérie qui est le postulat de la plupart de ces réflexions.

            L’auteur cite le cas de Boudiaf, un des principaux fondateurs du FLN, lequel revenu d’exil dans son pays en 1992, était inconnu des jeunes Algériens : « Les jeunes Algériens ne connaissaient même pas son nom » (p.60). (3)

            Quant au propos tenu sur Madagascar, pays avec lequel j’entretiens des relations particulières, « Dans cette ancienne colonie française, les milliers de morts des massacres de 1947 restent dans toutes les mémoires ». (4)

            Je ne suis pas le seul  à dire que la repentance de Chirac, lors de son voyage de   2005,  est tombée à plat, parce que ce passé est méconnu des jeunes générations.

            L’auteur de ces lignes est-il en mesure de justifier son propos ?

            Les Malgaches ne connaissent pas mieux leur passé colonial que les Français, car pour ces derniers, ce n’est pas l’enquête de Toulouse, faite en 2003, par le collectif de chercheurs évoqué plus haut, qui peut le démontrer. Cette enquête va clairement dans un tout autre sens, celui de la plus grande confusion qui règne actuellement sur tout ce qui touche le passé colonial, la mémoire, et l’histoire coloniale elle-même, et la réduction de cette histoire à celle de l’Algérie. Cette enquête révélait en effet l’importance capitale de la guerre d’Algérie dans la mémoire urbaine de Toulouse et de son agglomération.

            Et ce constat avait au moins le mérite de corroborer deux des observations de l’auteur, celle relative à « l’immigration maghrébine » qui « renvoie à l’histoire coloniale », et l’autre quant à l’importance de la guerre d’Algérie dans cette « guerre des mémoires » : « Mais, c’est la guerre d’Algérie, qui est le nœud gordien de tous les retours forts de mémoire de ces dernières années. » (p.50)

            L’obsession de l’Algérie

            Et c’est sur ce point que le malaise est le plus grand, car comment ne pas voir, que pour des raisons par ailleurs très estimables, l’auteur de ces lignes a l’obsession de l’histoire de l’Algérie, et qu’il a tendance à analyser les phénomènes décrits avec le filtre de l’Algérie, pour ne pas dire la loupe, avec toujours en arrière-plan, le Maghreb.

            Le tiers des pages de ce livre se rapporte à l’Algérie, et beaucoup plus encore dans l’orientation des réflexions qui y sont contenues. Les autres situations coloniales ne sont évoquées qu’incidemment, alors que l’histoire coloniale n’est pas seulement celle de l’Algérie, quelle que soit aujourd’hui l’importance capitale de ce dossier.

            Un mot sur la mémoire ou les mémoires de l’Algérie et de la guerre d’Algérie. Pour en avoir été un des acteurs de terrain, je puis témoigner qu’il est très difficile d’avoir une image cohérente et représentative de la guerre d’Algérie vécue par le contingent. Chaque soldat, chaque sous-officier, et chaque officier, a fait une guerre différente selon les périodes, les secteurs, les postes militaires occupés, et les commandements effectifs à leurs différents niveaux (sous quartiers, quartiers, secteurs, et régions). Si beaucoup d’anciens soldats du contingent ont écrit leurs souvenirs, peu par rapport à leur nombre, mon appartenance à ce milieu me conduit à penser que beaucoup d’entre eux se réfugient toujours dans le silence, mais pas obligatoirement pour la raison qu’ils auraient commis des saloperies, ou assisté à des saloperies. Un silence qui pourrait s’expliquer par un fossé immense d’incompréhension entre leur vécu, l’attitude des autorités d’hier ou d’aujourd’hui, et celle du peuple français

            M.Rotman a parlé de guerre sans nom. Je dirais plus volontiers, guerre de l’absence, absence d’ennemi connu, absence du peuple dans cette guerre, sauf par le biais du contingent qui, à la fin de ce conflit, s’est trouvé tout naturellement en pleine communauté de pensée avec le cessez le feu du 19 mars 1962. Et c’est sans doute le sens profond de sa revendication mémorielle.

            Pour la grande majorité des appelés, l’Algérie n’était pas la France.

            Les appelés ne savent toujours pas quelle guerre on leur a fait faire : guerre de l’absence et du silence (5), et le remue-ménage qui agite en permanence, à ce sujet, certains milieux politiques ou intellectuels leur est étranger.

            Il convient de noter que pour un acteur de ce conflit, ou pour un chercheur marqué dans sa chair et dans son âme par celui-ci, c’est un immense défi à relever que de vouloir en faire l’histoire.

            Et sur au moins un des points évoqués dans le livre, je partage le constat qu’il fait sur l’effet des lois d’amnistie « personne ne se retrouvera devant un tribunal » (p.18), et personnellement je regrette qu’il en soit ainsi, parce qu’il s’agit là d’une des causes du silence du contingent, et de cette conscience d’une guerre de l’absence. A quoi servirait-il de dénoncer des exactions injustifiables si leurs responsables, c’est-à-dire les salauds inexcusables n’encourent  aucune poursuite judiciaire ? Cette amnistie n’a pas rendu service à la France que j’aime et à son histoire.

            Le métier d’historien

            Ma position de lecteur, amateur d’histoire, assez bon connaisseur de notre histoire coloniale, me donne au moins la liberté de dire et d’écrire ce que je pense des livres qui ont l’ambition de relater ce pan de notre histoire.

            Ce passage permanent de la mémoire à l’histoire  et inversement, est très troublant, sans que l’intelligence critique y trouve souvent son compte! Et beaucoup d’affirmations ne convainquent pas !

            Est-il possible d’affirmer, en ce qui concerne l’Assemblée Nationale et sa composition : « C’est d’ailleurs une photographie assez fidèle de cette génération qui a fait la guerre d’Algérie ou qui a été confrontée à elle. »

            Une analyse existe-t-elle à ce sujet ? Et si oui, serait-elle représentative de l’opinion du peuple français à date déterminée ?

            Tout est dans la deuxième partie de la phrase et le participe passé « confrontée » qui permet de tout dire, sans en apporter la preuve.

            La mise en doute du résultat des recherches qui ont été effectuées sur l’enrichissement de la métropole par les colonies : mais de quelle période parle l’auteur et de quelle colonie ? (p.20)

            L’affirmation d’après laquelle la fin de l’apartheid aurait été le  « coup d’envoi » mémoriel mondial (p.41) : à partir de quelles analyses sérieuses ?

            L’assimilation de l’histoire coloniale à celle de Vichy, longtemps frappée du même oubli. (p.21,50,96).  Non, les situations ne sont pas du tout les mêmes !

            Et ce flottement verbal et intellectuel entre mémoire et histoire, une mémoire partagée ou une histoire partagée ? (p.61,62, 63). Outre la question de savoir si une histoire peut être partagée.

             Et pour mettre fin à la guerre des mémoires, un appel à la reconnaissance et à la réparation (p.93), ou en d’autres termes, à la repentance, que l’historien récuse dans des termes peu clairs dans les pages précédentes (p.34), une récusation partielle répétée plus loin (p.95).

            Et d’affirmer qu’il est un historien engagé (p.88) et d’appeler en témoignage la tradition dans laquelle il inscrit ses travaux, celle des grands anciens que sont Michelet, Vidal-Naquet et Vernant. Pourquoi pas ? Mais il semble difficile de mettre sur le même plan, périodes de recherche et histoires professionnelles et personnelles des personnes citées.

            Le lecteur aura donc compris, en tout cas je l’espère, pourquoi le petit livre en question pose en définitive autant de questions sur l’historien et sur l’histoire coloniale que sur les mémoires blessées ou bafouées qui auraient été transmises par je ne sais quelle génération spontanée aux populations immigrées, issues des anciennes colonies.

            Pourquoi refuser de tester la validité « scientifique », et en tout cas statistique, de ce type de théorie historique ?

            Nous formons le vœu qu’une enquête complète et sérieuse soit menée par la puissance publique sur ces questions de mémoire et d’histoire, afin d’examiner, cas par cas, l’existence ou l’absence de clichés, des fameux stéréotypes qui ont la faveur de certains chercheurs qui s’adonnent volontiers à Freud ou à Jung, la connaissance ou l’ignorance de l’histoire des colonies, et donc de mesurer le bien fondé, ou non, des thèses mémorielles et historiques auxquelles l’historien a fait largement écho.

            Alors, histoire ou mémoire ?

            La nouvelle ère des « historiens entrepreneurs ».

             L’histoire est-elle entrée dans un nouvel âge, celui de l’Historien entrepreneur selon l’expression déconcertante de Mme Coquery-Vidrovitch (Etudes coloniales du 27/04/07), ou celui de l’histoire devenue bien culturel selon l’expression de l’auteur ? Mais en fin de compte, sommes-nous toujours dans l’histoire ?

            Et à ce propos, nous conclurons par deux citations de Marc Bloch, évoquant dans un cas Michelet et ses  hallucinatoires résurrections, et dans un autre cas,  le piège des sciences humaines :

            «  Le grand piège des sciences humaines, ce qui longtemps les a empêchées d’être des sciences, c’est précisément que l’objet de leurs études nous touche de si près, que nous avons peine à imposer silence au frémissement de nos fibres. » (Fustel de Coulanges-1930)

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Références

  1. Les œuvres  de l’équipe Blanchard-Lemaire-Bancel
  2. A la page 90, l’auteur écrit sur le travail des historiens : «  On peut se demander effectivement, si ces saignements de mémoire, ces désirs mémoriels exprimés par une partie de plus en plus importante de notre société, ne freinent pas le travail de l’historien. »
  3. Boudiaf a été assassiné par le FLN en
  4. Le discours de Chirac s’inscrivait dans ce climat généralisé d’ignorance d’une mémoire coloniale enfin mesurée.
  5. La plupart des soldats du contingent savaient ce qu’étaient les fels et les terroristes sur le terrain, mais ignoraient presque tout du contenu de la guerre contre-révolutionnaire qu’on leur faisait faire.

Quelques références de lecture sur le blog :

      Jeux de mémoire coloniale ou le Sexe des Anges coloniaux (15/04/2010-25/04/2010- 7/05/2010)

      Histoire ou mémoire ou subversion : Benjamin Stora (3/04/2017)

      Subversion et pouvoir (20/09/2017)

      Une subversion postcoloniale ordinaire (4/04/2018)

      Mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie : de quoi s’agit-il ? (16/08/2020)

Les Relations entre la France et l’Algérie (1962-2020) Vive l’Indépendance de la France !

Les Relations entre la France et l’Algérie (1962-2020)

Vive l’Indépendance de la France !

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Avant tout commentaire, et avant de se forger une opinion, il est difficile de parler de mémoire collective,  sans faire référence à l’ouvrage « fondateur », un qualificatif goûté par certains chercheurs, « La Mémoire collective » de Maurice Halbwachs, mort en déportation, publié après sa mort.

J’en ai proposé un résumé sommaire sur le blog du 15 avril 2010.

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« Initiatives mémorielles… organisationnelles… politiques…cet impensé… »

« Ventre Saint Gris » ! Comme aurait juré Henri IV !

 Presque 60 ans plus tard !

Vive enfin l’Indépendance de la France !

Les Confidences du Président à Arthur Berdah, journal du Figaro du 6 novembre 2020, page 8, sous le titre « Islamisme : ce que Macron a en tête »

Le Président a chargé Monsieur Stora, historien et mémorialiste de la Guerre d’Algérie  de lui faire un rapport sur le sujet en décembre prochain :

« Cette étape ouvrira ensuite la voie à des initiatives mémorielles, des initiatives organisationnelles pour la jeunesse et une série d’initiatives politiques »… « sur le sujet, toutes prévues entre 2021 et 2022. » (Comme parhasard !) « On n’a pas réglé le problème de la guerre d’Algérie parce qu’on n’a pas réglé cet impensé de l’histoire contemporaine française… »

            Pourquoi cette mission confiée à un historien-mémorialiste qui fait partie de la mouvance maghrébine des enfants dont les dents sont encore ou ont été « agacées » par Les Raisins Verts qu’ont mangé leurs parents en Algérie est une fois de plus incongrue ? Une mouvance intellectuelle qui ne pouvait qu’être placée sous le signe biblique des « Raisins Verts » : on récolte ce qu’on sème…

            Pour continuer à agiter un monde qui a très largement disparu et que des groupes de pression ont intérêt à manipuler pour des raisons qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’histoire ?

L’historien indien Sanjay Subrahmanyam introduit le chapitre IV « Nationalisme, identité et histoire universelle »,  dans le livre « Faut-il universaliser l’histoire ? (2020) »:

« La question de savoir pourquoi l’on choisit d’étudier l’histoire est bien trop souvent liée à celles concernant la personne qui a fait ce choix et son champ d’étude. » (page 89)

Propos d’un historien un brin dérangeant ! Son livre « Leçons indiennes » a fait l’objet d’une analyse critique le 3 juin 2016.

            L’historien Pierre Goubert confiait qu’il avait choisi d’étudier le Moyen Age afin d’éviter précisément ce mélange des genres entre histoire, mémoire et vécu.

            Il est évident que le Président a fait le choix d’un homme dont le parcours n’est pas de nature à faire naître la confiance dans l’ ensemble des initiatives qu’il lui recommandera : un historien qui depuis de longues années a ses petites et grandes entrées dans le microcosme politique parisien des princes, de préférence à gauche, qui nous gouvernent.

            Pour avoir été officier SAS du contingent pendant la guerre d’Algérie, sans que ma famille n’ait eu d’intérêt à défendre au Maghreb,  je ne suis pas du tout prêt à adhérer à ce type de manipulation politique : pourquoi me réconcilier et avec qui ? Avec la jeunesse algérienne qui manifeste depuis quelques années pour plus de liberté dans son pays, plus de 50 ans après l’indépendance de l’Algérie ?

Revenons au cœur de notre sujet : comment adhérer à la défense d’une thèse mémorielle, et non historique, ou même idéologique, à partir du moment où cette thèse n’a pas été fondée jusqu’à présent par une ou plusieurs enquêtes statistiques, comme il en pleut chaque jour dans les médias depuis plusieurs dizaines d’années ?

            Monsieur Stora a longuement exposé cette thèse mémorielle dans un petit livre intitulé « La Guerre des Mémoires », publié en 2007.

            J’ai analysé longuement les constats et raisonnements de son auteur, et publié à l’époque une critique de l’ouvrage sur le blog « Etudes coloniales » le 11/11/2007. Je l’ai publiée à nouveau sur ce blog le 20 janvier 2016 dans le cadre d’une synthèse sur le modèle de la propagande postcoloniale, celle développée notamment par les historiens Blanchard, Lemaire, et Bancel, laquelle souffre de la même carence  quantitative d’analyse des sources historiques et de leurs effets.

            Tout à fait curieusement, et sauf erreur, dans un livre truffé de chiffres et d’enquêtes sur « L’archipel français » de Jérôme Fourquet, le post-colonial est quasiment absent : la fameuse « Fracture coloniale » des trois historiens Blanchard-Bancel-Lemaire s’est évanouie, de même que les « saignements de mémoire ». de Monsieur Stora, page 90.

Je publie à nouveau cette analyse comme un des éléments de réponse à la décision tout à fait étrange et inacceptable de la désignation de l’historien mémorialiste à la tête d’une mission de réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie.

Je précise que cette analyse critique ne porte pas sur les travaux d’un historien en cette qualité, mais sur le rôle, pour ne pas dire la « mission » idéologique et politique qu’il s’est donnée sur le sujet.

Le lecteur est bien obligé de constater que l’auteur se répand en propos sur la ou les mémoires, sans avancer aucun chiffre les accréditant.

Le lecteur trouvera en postface un certain nombre de références de chroniques que j’ai publiées sur le sujet et sur ce blog.

L’Observatoire B2V des Mémoires a publié en 2019 un livre intitulé « La mémoire, entre sciences et sociétés », sous la direction de Francis Eustache, un ouvrage savant, volumineux, qui ne s’inscrit pas vraiment dans l’héritage scientifique de Maurice Halbwachs : ces travaux ne font pas beaucoup avancer, à mes yeux en tout cas, la méthodologie statistique et scientifique d’analyse de la mémoire collective dans le domaine de l’histoire.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Les nouveaux pouvoirs de la République, les associations et les réseaux sociaux

Avant-propos

Le texte ci-dessous a été publié il y a moins d’un an : n’est-il pas encore plus d’actualité ?

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Questionnaire Citoyen N°3

 Les pouvoirs de la République Française ? Qui les exerce vraiment ?

Révolution des réseaux sociaux et pandémie révolutionnaire de type planétaire ?

Les trois pouvoirs constitutionnels légaux

            Il existe en  France une grande confusion dans la compréhension et l’exercice du pouvoir politique, entre les pouvoirs publics, répertoriés d’après la Constitution en trois pouvoirs classiques, l’Exécutif, le Législatif, et leJudiciaire, et d’autres pouvoirs, récents ou non, pouvoirs qui ne figurent pas dans cette Constitution, les médias, les associations, ou les réseaux sociaux.

            Récemment, Président  des Etats Unis et Président de France se sont mis à « tweeter », c’est-à-dire à alimenter les réseaux sociaux.

            Il n’a pas toujours été facile historiquement de faire régner une bonne harmonie entre les trois pouvoirs constitutionnels, régis par le grand principe de la séparation des pouvoirs.

Tout au long des dernières années, l’Exécutif a toujours eu la plus grande peine à faire admettre qu’il en respectait le principe, alors même que les magistrats du Parquet relevaient toujours de cet Exécutif, en dépit des  déclarations, plutôt récentes, sur  le distinguo subtil qui serait fait entre instructions générales et instruction individuelle, au cas par cas.

En 2017, la violation du secret de l’instruction dans l’affaire Fillon, quelques jours seulement après le lancement d’une information judiciaire, en a fourni un  exemple récent.

La Cour de Cassation, élément important du pouvoir judiciaire, a manifesté par ailleurs son ambition d’être « créatrice de droit », et donc en concurrence avec le pouvoir législatif.

Enfin, l’imbrication actuelle entre le système juridique de l’Union européenne et celui de la France, sème un peu plus le trouble, sur le qui fait quoi, en matière de pouvoir et de décision juridique et politique.

A partir des années 2000, la représentativité de la démocratie républicaine a été fragilisée par deux facteurs :

Premier facteur, la présence d’une extrême droite relativement forte fausse les résultats des élections, en donnant l’avantage « artificiel » au candidat le mieux placé face à l’extrême droite, le cas de Chirac ou de Macron.

Deuxième facteur, le fossé qui s’est creusé entre élus et opinion publique, étant donné l’incapacité des partis politiques, reconnus par la Constitution, de proposer des doctrines, des solutions ou projets répondant aux inquiétudes nées d’une mondialisation sans borne.

Il existe enfin un mélange des genres souvent clandestin dans certains couples entre élus, juges, journalistes, ou grands chefs d’entreprises, un mélange des genres qui fragilise la mise en application du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs.

Autres pouvoirs : quatrième, cinquième, et sixième pouvoirs, médias, associations et réseaux sociaux

Médias, le quatrième pouvoir :

Traditionnellement, et avant que les réseaux internet ne submergent ceux de la presse écrite, verbale, ou télévisuelle, il s’agissait de la presse écrite, qui joua encore un rôle d’influence important sous la Quatrième République, à laquelle vinrent s’ajouter plus tard la radio, la télévision.

 Les structures et l’influence de ce quatrième pouvoir,  sont mieux connues aujourd’hui.

Journaux, radios, télévisions et infrastructures internet sont majoritairement entre les mains de grands groupes financiers. Il est donc souvent difficile d’accorder du crédit aux belles déclarations d’indépendance de leurs journalistes.

Je serais tenté de dire qu’ils diffusent une sorte de bruit de fond d’atténuation de l’actualité violente ou dérangeante, avec incontestablement une note dominante de foi libérale, multiculturelle, et en définitive mondialiste.

 Le journal Le Monde en est l’exemple le plus récent, contrôlé par un triumvirat de grands capitalistes de statut national et international. Le rachat d’une partie de la participation d’un des trois, décédé, par un grand capitaliste tchèque provoque évidemment un  grand scepticisme.

Quelques médias se sont faits une spécialité dans la dénonciation de scandales vrais ou supposés. Le Canard Enchaîné en est l’exemple le plus caractéristique, car il dispose traditionnellement d’informateurs quasiment professionnels dans la plupart des secteurs de la République.

Le mélange des genres qui semble se développer au sein des couples, entre journalistes ou élus, mettent aussi en cause le même principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs. Il semble que le cas soit de plus en plus fréquent.

Associations, le cinquième pouvoir

Tout au long du vingtième siècle, la loi de 1901 a fourni aux citoyens un formidable outil juridique pour lancer les initiatives les plus diverses dans beaucoup de domaines publics ou privés, sans que leur contrôle ait été le plus souvent à la hauteur de leur développement, notamment quant à l’obligation qui leur était faite de ne pas avoir de but lucratif.

Un certain nombre d’associations s’adonnaient aux activités lucratives, quitte à habiller leur activité de formules qui les masquait.

Au cours des années 80, les associations reconnues d’utilité publique, soumises à une procédure sérieuse d’instruction et  de contrôle théorique, n’avaient pas trop de soucis à se faire, la Préfecture de Paris, siège de beaucoup d’entre elles, ne disposait alors d’aucun moyen de contrôle financier.

Je citerai le cas d’une grande association nationale, disposant à son siège social de Paris, d’une entrée « privée », et d’une entrée « publique », donc deux faces d’activité.

Une défiscalisation au service du cinquième pouvoir

De très nombreuses associations, grandes ou petites, bénéficient de nos jours des dons effectués sur la base de 66% des montants versés (article 200 du CGI).

            Français et Françaises reçoivent en fin d’année toutes sortes de sollicitations de dons de la part d’associations qui poursuivent les buts les plus divers en France ou à l’étranger.

            Ces dons donnent aux associations un réel pouvoir d’influence sur les autres pouvoirs, et l’actualité récente en apporte la preuve quotidienne dans la lutte contre le réchauffement climatique.

            La mesure en question donne des moyens financiers à des associations dont le but n’est pas toujours celui de l’intérêt général, de la paix civile, de la laïcité, quand il ne s’agit pas de peser sur la politique étrangère de la France.

Théoriquement, les associations inscrites au Répertoire national des associations n’y figurent, après instruction, que dans la mesure où elles respectent trois critères, l’intérêt général, un mode de fonctionnement démocratique, et le respect de la transparence financière.

 Tout repose donc ensuite sur les capacités de contrôle des pouvoirs publics, de la Cour des Comptes, ou des administrations de l’Etat, alors qu’il s’agit d’une manne annuelle payée par les contribuables, dont le montant dépassait en 2017, un milliard quatre-cents mille euros.

La réglementation actuelle, sauf erreur,  n’impose pas ce type de contrôle pour les associations qui reçoivent moins de 153 000 euros de dons par année, une limite de versement qui laisse donc beaucoup d’espace de liberté aux petites associations.

A voir les nombreux courriers avec stylos, images, timbres, et brochures, que beaucoup d’associations diffusent et répètent, le quasi-harcèlement de certains bénéficiaires de dons, et à jeter un coup d’œil sur certains comptes, il apparait bien que les agences de communication tirent le meilleur parti du système actuel, en prélevant de 10 à 20 % des montants perçus grâce aux dons.

 Le nouveau pouvoir des associations soulève une question politique importante, à partir du moment où les contrôles d’objectifs et de résultats ne paraissent pas à la hauteur des enjeux de la République, au niveau de l’Etat et des collectivités locales. Les collectivités locales subventionnent un grand nombre d’associations de toute nature.

Il ne se passe pas de jour sans qu’on entende que telle ou telle association, souvent inconnue, a porté plainte auprès d’un tribunal, contre telle ou telle décision, sans que l’on sache si ces associations ont une activité conforme à la loi de 1901, ou aux obligations qui sont les leurs en cas d’inscription au Répertoire national des associations.

Réseaux Sociaux, le sixième et nouveau pouvoir : la révolution des réseaux sociaux avec son potentiel et son risque de pandémie révolutionnaire de type planétaire

Ce dernier pouvoir a incontestablement fait exploser notre vieux système de pouvoir, avec d’autant plus de force qu’il a tissé des réseaux dans tous les domaines et sur la planète toute entière : il est en capacité de faire circuler n’importe quelle rumeur, faux texte ou fausse image, comme les dernières années l’ont montré.

 Nombreux sont les politiques qui, à l’exemple de Trump ou de Macron, se sont mis à « tweeter » et à « retweeter », accordant crédit ou bénédictions à ce nouveau pouvoir incontrôlé.

Les réseaux sociaux constituent un nouveau pouvoir mis à la disposition de n’importe qui et pour n’importe quoi, pour de bonnes ou de mauvaises raisons , bonnes ou mauvaises causes, fric ou bien commun…

L’exemple de la jeune suédoise devenue une sorte d’icône de la lutte contre le réchauffement climatique est très symbolique de notre époque.

Le développement des réseaux sociaux soulève donc un redoutable problème de contrôle.

Il manque incontestablement une nouvelle instance de régulation et de contrôle des réseaux  sociaux et du contenu de leurs flux d’images et d’informations, au niveau de notre pays, de l’Union européenne, et du monde.

Gare à la pandémie révolutionnaire mondiale pour n’importe quelle cause et n’importe quelle lubie !

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Laïcité, séparatisme, que de temps perdu !

La nouvelle loi de Macron sur la laïcité ou le séparatisme ?

Que de temps perdu !

Une France de l’ « inversion » sous la figure du délinquant en lieu et place de la victime !

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Un moratoire et une espérance !

Que d’occasions manquées !

Les citoyens les plus curieux ou les plus soucieux de l’avenir de notre pays connaissent depuis longtemps les risques que la passivité des gouvernements de gauche comme de droite a fait prendre à notre nation.

            Dernière occasion manquée, soi-disant, d’après le Président, parce qu’elles étaient présentées par deux « hommes blancs », les propositions Borloo (début 2018) qui donnaient un cadre et un contenu à l’action globale et systématique du retour de la République dans les quartiers sensibles, terreau depuis longtemps identifié comme celui d’un islamisme de combat rampant : ces propositions tentaient de combler le gouffre existant entre la rénovation béton de l’ancien plan Borloo et la quasi-absence d’un plan de reconquête républicaine de ces territoires.

            Plus de trois années perdues, d’autant plus que la dernière a été bousculée par la pandémie !

            Le Président a décidé de lancer sa nouvelle guerre avec une nouvelle loi qui va soulever maints combats sous la bannière de tous les droits possibles et imaginables brandis par la kyrielle de groupes de pression et d’associations crées précisément pour contrecarrer la mise en application des lois existantes, précisément celle de 1905, et celle de décembre 2020 annoncée.

            Le livre récent de Bernard Rougier « Les Territoires conquis de l’Islamisme » a mis en lumière la liste des centres actuels du développement d’un islam qui n’est pas compatible avec notre manière de vivre, notre devise républicaine, et  une séparation  des pouvoirs entre le religieux et le civil à laquelle nous sommes attachés.

            Ce n’est sans doute pas par hasard que le Président a lancé sa campagne en choisissant Les Mureaux, un lieu tout à fait symbolique d’un des  territoires sensibles de l’Islam en France.

Une loi à l’avant-goût électoral

Le projet présidentiel a une résonnance tout à fait électorale en jouant une partition pour la galerie républicaine dont il aura besoin s’il veut être réélu.

            Vous ne trouvez pas que cela ressemble fort au Grand Débat, au « One Man Show » d’un Président, dont il n’est quasiment rien ressorti, sauf un gain de temps pour la majorité politique actuelle ?

Les engrenages mortels

Lorsqu’on a servi la République pendant de longues années, l’on sait que l’État disposait et dispose de nombreux moyens pour faire régner l’ordre public républicain et pour casser les engrenages multiples qui ont semé le trouble et la division dans notre pays : les accords diplomatiques généreux qui ont bénéficié aux pays du Maghreb, notamment à l’Algérie, le regroupement familial décidé par VGE  en 1976, mais jamais révisé, les flux démographiques de clandestins en partie régularisés,  une présence toujours renouvelée de clandestins faute de pouvoir les reconduire dans leur pays d’origine, très et trop souvent les mariages de complaisance, depuis 2015, la confusion entretenue entre un réfugié et un migrant, l’acceptation que des imams étrangers viennent prêcher chez nous en langue étrangère et sans contrôle, le laxisme qui règne dans le monde des associations de la loi 1901, lesquelles bénéficient du droit de tout faire, sans obligations républicaines et quasiment dispensées de tout contrôle, dont le rôle a encore été accru avec l’explosion du rôle des réseaux sociaux pas plus contrôlés, nouveau pouvoir médiatique dans notre République…

            Cette énumération est évidemment incomplète car la propagande « séparatiste » sait s’insinuer partout, d’autant plus facilement dans les régions françaises les plus réceptives à l’accueil des étrangers au sein desquelles s’est développée une contre société.

Un moratoire nécessaire d’une année de fermeture des frontières pour inventaire et bilan pays par pays

La pandémie actuelle peut illustrer le proverbe « A quelque chose malheur est bon », ou elle peut l’être, en suspendant pendant une période temporaire toute délivrance d’autorisation de séjour en France, ce qui veut dire « fermer le robinet » : en 2019, la France a délivré 276 576  titres de séjour, de même que toute décision de regroupement familial.

Il conviendrait d’ajouter à cette liste incomplète de facteurs le développement de la multi-nationalité qui accroit les difficultés des contrôles et autorisations nécessaires.

Il parait difficile de continuer à accepter les effets de la multi-nationalité quand elle concerne un pays avec lequel la France n’obtient pas, par exemple, le retour de ressortissants venus sans autorisation, d’autant moins quand il s’agit de grands élus (députés ou sénateurs) ou de hauts fonctionnaires : une sénatrice dispose de trois nationalités différentes.

Les gouvernements ont toujours eu les moyens de lutter contre toutes ces dérives suicidaires, mais la volonté leur a souvent manqué.

Nommer un Ministre Délégué à l’Union Républicaine

Il sera chargé uniquement et à plein temps de lutter contre le séparatisme, tous azimuts, en lui donnant tout pouvoir pour animer ce combat et le contrôler, au sein du Ministère de l’Intérieur, lequel a déjà en mains beaucoup des outils nécessaires pour mener à bien et réussir dans cette reconquête républicaine de certains territoires, en n’hésitant pas, si nécessaire, à en placer certains sous mandat de l’Exécutif ?

Quitte à proposer, si nécessité publique s’impose, un référendum pour approuver certaines mesures de sûreté républicaine, notamment en direction des anciens djihadistes et (complices.)

Une espérance pour l’Islam de France

Comme je l’ai déjà relevé, notamment dans la chronique que j’ai publiée le 30 avril 2018 sur ce blog, la laïcité lance un défi redoutable à la communauté musulmane, en tout cas à l’islam de France, c’est à dire déroger au principe musulman du non distinguo entre la vie civile et la vie religieuse, un principe que défendent les islamistes purs et durs.

Chez nous, il a fallu longtemps pour que la séparation des pouvoirs entre le civil et le religieux soit réalisée, mais la doctrine chrétienne, l’Evangile (Mathieu, Marc, Luc) ne constituaient pas un obstacle pour une religion de la liberté de conscience sous la bannière du principe « Ce qui est à Dieu est à Dieu, et ce qui est à César est à César ».

Tel n’est pas le cas de l’islam avec la confusion entre le religieux et le civil, mais pourquoi ne pas espérer qu’un jour une branche de l’Islam ou une école, car elles sont nombreuses et se combattent encore de nos jours les armes à la main, accomplisse la révolution attendue pour la paix civile ?

En 1985, la Revue Hérodote publiait un  excellent numéro sur les Centres de l’Islam, avec une préface de son fondateur, Yves Lacoste, intitulée « Les embrouillements géopolitiques de l’Islam », des « embrouillements » de nature à faciliter une telle évolution.

Pourquoi ne pas espérer  qu’un jour l’une ou l’autre de ces branches ou écoles fasse enfin sa révolution religieuse fondée avant tout sur l’amour de l’autre ?

Pourquoi ne pas avoir l’espoir de voir un jour chez nous des citoyens de religion musulmane condamner ces guerres de religion que nous avons connues il y a plus de cinq siècles, la distinction discriminatoire que l’Islam fait entre le musulman et le mécréant, les persécutions des chrétiens, les attentats islamistes qui se répètent …

Est-ce que la France persécute les musulmans ? Non !

Il ne faut jamais oublier que dans les années 1960-1970, les Français n’avaient pas encore fait connaissance avec la religion musulmane et un prosélytisme de plus en plus visible.

L’objectif, tout simplement la République Française et notre civilisation d’origine à laquelle nous sommes spirituellement et charnellement attachés !

En 1919, après le bain de sang de la Première Guerre Mondiale, Paul Valéry écrivait dans « la Crise de l’esprit » :

« Nous autres civilisations, nous savons que nous sommes mortels »

Plus d’un siècle après, notre civilisation court un risque encore plus mortel !

&

Islam, Christianisme, migrants ou réfugiés sans papiers ?

Dans la Franche Comté de mon enfance

Sous notre ancienne devise :

« COMTOIS RENDS TOI »

« NENNI MA FOI »

Un cas concret à Besançon, la capitale :

Le 17 août 2020, la famille musulmane d’une jeune fille d’origine bosniaque installée à Besançon l’a tondue et frappée pour avoir fréquenté un chrétien : « Nous sommes musulmans, tu ne te marieras pas avec un chrétien »

Ce cas est symbolique des mouvements religieux et culturels auxquels notre pays doit faire face depuis plusieurs dizaines d’années avec le refus que manifestent en permanence certaines communautés musulmanes de respecter  notre mode de vie et notre loi sur la laïcité, dont le fondement est la séparation entre le civil et le religieux.

ll est tout autant symbolique de l’anarchie démographique qui règne de plus en plus dans notre pays : la guerre du Kosovo s’est déroulée il y a plus de vingt ans, alors que la famille en question est arrivée en France en 2017

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Les Raisins Verts » La Question post-coloniale – Yves Lacoste- Troisième Partie Les conquêtes coloniales – Chapitre 8 Le Marocs

« Les Raisins Verts »

Troisième Partie

Chapitre 8

« Le Maroc, la dernière des conquêtes coloniales »

(p,373 à 397, soit 24 pages)

  L’objet de ce dernier chapitre est intéressant, entre autres et principalement à mes yeux, parce ce qu’il pose la question de la définition de la géopolitique, compte tenu de la place majeure qu’a occupé son environnement international  de politique étrangère.

            Comment comparer en effet des situations géopolitiques aussi différentes les unes des autres que celles du Maroc, de Madagascar ou du Bassin du Niger, entre Etats et tribus ?

            La lecture de ce chapitre fait naturellement apparaitre la force des liens qui attachent l’auteur à son pays natal.

            « Alors que la conquête de l’Algérie a été menée par des militaires qui ne connaissaient rien des populations de cette partie du monde musulman et qui furent des années durant laissés sans objectif par des gouvernements hésitants, la conquête de la Tunisie et plus encore celle du Maroc furent le fait d’hommes d’affaires qui « préparaient le terrain » et de militaires qui s’intéressaient désormais  à l’histoire de ces pays, à leurs organisations tribales et aux dispositifs de pouvoirs entre celles-ci et le souverain, qu’il  s’agisse du bey de Tunis ou du sultan marocain. La conquête de la Tunisie et surtout celle du Maroc fut  soutenue indirectement par de grands groupes financiers et elles s’inscrivaient dans des rivalités impérialistes évidentes.  On est bien au « stade de l’impérialisme » et la guerre mondiale menace. Celle-ci n’éclate pas tant à cause des problèmes coloniaux qu’en raison de rapports de force et surtout de prestige entre les Etats européens regroupés en deux grandes alliances antagoniques.

            Le Maroc fut la dernière des conquêtes coloniales. En effet, celle de l’Ethiopie par les Italiens de Mussolini, entreprise difficile commencée en 1935 à partir de l’Érythrée qu’ils avaient annexée à la fin du XIXème siècle ne dura guère puisqu’ils en furent chassés par les Britanniques en 1941.

            La conquête du Maroc apparait encore aujourd’hui comme relativement facile, surtout comparée à l’Algérie. Celle de la Tunisie, qui avait été facile, fit croire aux dirigeants français qu’il en serait de même au Maroc, car l’Empire chérifien était lourdement endetté à l’égard des banques françaises et nombre de grands notables, come l’avaient fait les Tunisiens, avaient demandé la protection des ambassades européennes. Ces dernières étaient tombées d’accord pour les laisser agir au Maroc, les Français pourraient sans doute avoir le soutien discret d’un grand nombre de notables locaux. »

Commentaire : l’auteur évoque un des aspects majeurs de la géopolitique coloniale, le rôle des banques dans la prise de contrôle de territoires qui valaient d’être convoités, l’engrenage des emprunts, à partir du moment où les pays emprunteurs disposaient déjà d’un minimum de ressources économiques pour rembourser : il s’agissait d’un bon critère de distinction entre les territoires anglais et français.

            Cette mécanique coloniale a fonctionné en Méditerranée, notamment en Egypte, Tunisie et Maroc, et beaucoup en Chine, laquelle vit ses douanes prises en mains par les Anglais et les Français pour s’assurer du remboursement des emprunts.

            « Un galop d’essai, la conquête de la Tunisie (p,374)

L’auteur décrit un deuxième procédé utilisé pour contrôler un pays, ce qu’il faut bien appeler la corruption, le mélange des genres, des procédés sans âge, mettre la main sur les notables, sorte de protectorat avant la lettre, par le biais des consuls, encore faut-il que cette géopolitique puisse être mise en œuvre dans un pays disposant d’un Etat et de ressources à exploiter.

            « Par ailleurs, la modernisation permit à de nombreux hauts fonctionnaires de transformer en propriétés privées les domaines ou biens de fonction dont ils avaient la jouissance passagère. Pour ne pas avoir à les restituer à un successeur, ces notables se placèrent sous la « protection » du représentant d’une puissance étrangère, et celui-ci obtint l’accord du bey en leur faveur, en échange de nouveaux prêts ou de délais de remboursement d’emprunts précédents. Ainsi le système du protectorat commença-t-il discrètement à titre individuel pour la plupart des notables, bien avant d’être instauré officiellement sur l’Etat tunisien. » (p,375)

« Le Maroc, un vieil empire selon le modèle Khaldounien » (p,375)

L’auteur consacre ces pages à un ancien historien trop méconnu du Maghreb, Ibn Kaldoun dont l’apport le plus intéressant est incontestablement le rôle des tribus.

            « En me référent au grand historien et sociologue maghrébin Ibd Kaldoun (Tunis,1332- Le Caire, 1406), contemporain des  Mérinides et dont l’œuvre a été traduite sur ordre de Napoléon III, je crois utile d’expliquer comment se formait et se disloquait un  royaume marocain et plus largement un royaume maghrébin. Cela permet de mieux comprendre comment s’est déroulée la conquête coloniale, en particulier dans le cas du Maroc, dénommé l’empire chérifien.

            Comme dans l’ensemble du Maghreb et du Machrek (sauf en Egypte), il s’agissait d’Etats fondés sur des sociétés tribales où chaque homme était armé, savait se battre et appartenait à un groupe formé par des liens de parenté, la tribu (ou la fraction de tribu). Celle-ci était un ensemble politique – en principe égalitaire – qui avait son territoire, le défendait et l’exploitait de façon plus ou moins collective par l’élevage et l’agriculture. Elle entretenait avec les tribus voisines des relations parfois conflictuelles, en fait géopolitiques. Celles-ci étaient un effet de la concurrence territoriale, mais aussi de la volonté d’entretenir les relations politiques et la valeur guerrière de ses membres. La tribu, groupe à base largement familiale, était une sorte de machine politique et une machine de guerre (sans volonté d’exterminer les adversaires ni de capturer des esclaves…

                        Tout pouvoir royal, au Maghreb et au Moyen Orient (à l’exception, il faut y insister de l’Egypte) avait donc une base tribale, et celle-ci était le fait d’une tribu qui en avait entrainé d’autres à se rebeller contre un pouvoir royal. Ce dernier était lui-même d’abord celui d’une tribu qui s’était soulevée et avait été victorieuse grâce à l’alliance d’autres tribus. Le ralliement d’un certain nombre de celles-ci était plus facile quand la tribu qui menait le mouvement pouvait se réclamer d’un innovateur religieux fondateur d’un confrérie hostile à celle dont se réclamait le pouvoir en place. » (p,377, 378)

Question : Yves Lacoste aborde ici l’un des points sensibles, et il y en  a beaucoup d’autres, pourquoi ?

            Parce qu’il aurait utile et intéressant qu’il nous donne au moins un exemple du phénomène décrit qui met en cause un facteur géopolitique majeur, celui de l’Islam et des confréries particulièrement puissantes du Maghreb, comme elles le furent et le sont encore en Afrique noire.

            C’est bien dommage car l’auteur a publié, dans le passé, dans la revue qu’il a fondée, « Hérodote », une analyse fort intéressante sur les principaux courants de l’Islam.

            « Au Maroc, souvenir des grandes dynasties et rôle des confréries » (p,379)

            Ce système, qui rend compte du mode de formation et de déclin rapide de royaumes à base tribale, a fonctionné sur l’ensemble du Maghreb plus ou moins longtemps selon les régions. A partir du XVIème siècle, l’afflux d’or d’Amérique en Espagne, l’essor de la piraterie en Méditerranée et la riposte espagnole conduisent les corsaires d’Alger et de Tunis à faire appel à l’Empire ottoman. Ce grand Etat qui n’est plus à base tribale mais qui repose sur une administration d’origine byzantine, établit pour plusieurs siècles son pouvoir sur les tribus des régences d’Alger et de Tunis. Le système kaldounien cesse de fonctionner dans une grande partie du Maghreb, du moins en ce qui concerne les affaires importantes. Il n’y a pas de nouvelle dynastie en Algérie depuis le XVIème, mais une dynastie se crée en Tunisie au XVIIIème siècle.

            En revanche, le système décrit par Ibn Kaldoun continue de fonctionner au Maroc où des dynasties se sont succédées jusqu’au XXème siècle…

            La dernière dynastie qui s’établit au Maroc et qui est toujours au pouvoir est celle des Alaouites (sans être chiites, ces chérifs se réclament d’Ali, le gendre du prophète). Ils sont eux aussi des Arabes arrivés au XVIème siècle dans le Sud marocain qui se sont établis dans la grande oasis du Tafilalet…

On pourrait dire que le système kaldounien s’est peu à peu assoupi, puisque du XVIème siècle au début du XXème siècle aucune tribu n’a été assez forte pour renverser la dynastie…

            « Les contrecoups de la conquête de l’Algérie » (p,381)

Ce passage décrit bien l’engrenage financier avec emprunt et remboursement d’emprunt, dans un territoire à potentiel économique, qui conduit à la dépendance coloniale ou impériale, comme l’on veut, une configuration géopolitique dont l’effectif a varié au cours du temps, mais dont ne faisaient alors pas partie, mise à part l’Indochine, les autres territoires ciblés par les Français.

             « Le principe de la « porte ouverte »  (p, 382)

L’auteur en décrit le mécanisme décidé à la Conférence d’Algésiras (1906),  puis la crise de 1908 avec l’intervention, à partir de l’Algérie, du général Lyautey, avec une nouvelle crise à Fès en 1911.

            « L’instauration du Protectorat et l’insurrection nationale de 1912 » (p,384)

            « A Fès assiégé par les tribus, le sultan fut traité comme quantité négligeable par les Français ; il apprit indirectement l’accord franco-allemand et par conséquent l’instauration imminente du protectorat français…

            Les événements que l’on a longtemps passé sous silence sont au contraire considérés par l’historien Daniel Rivet comme une véritable « insurrection nationale ». Il ne s’agit pas, selon lui, de la classique agitation des tribus lors des crises dynastiques, mais d’un soulèvement national contre le passage sous l’autorité d’un Etat étranger et chrétien… Daniel Rivet ne parle sans doute pas assez des confréries, mais il montre bien les enjeux nationaux du soulèvement des tribus, notamment leur opposition du départ du sultan pour Rabat. Cette ville n’était plus une capitale depuis longtemps, à la différence de Fès, de Meknès, ou de Marrakech, mais c’était une implantation sur la côte atlantique qui permettait aux Français d’assurer la protection du sultan…

« … à la mi-mai 1912, Lyautey débarquait à Casablanca » (p385)

L’auteur propose alors un résumé historique du conflit, des « Méthodes de Lyautey », qui fut dix ans au Maroc :

« Lyautey, qui sut s’entourer de géographes, d’historiens et d’ethnologues, a compris les formes d’organisation politique de la société marocaine. Par ces intellectuels, il connait l’œuvre d’Ibd Kaldoun, et on peut dire qu’il va appliquer le modèle kaldounien dans les rapports géopolitiques entre le bled maghzen et le bled siba. L’un et l’autre sont constitués de tribus dont les relations d’alliance ou de rébellion avec le sultan changent au gré des circonstances…

« A la différence de l’Algérie où les occupants ont systématiquement cherché à disloquer les structures tribales en réduisant leurs territoires, Lyautey a cherché au Maroc à maintenir les tribus qui pour beaucoup avaient conservé leurs terres, sauf celles qui étaient particulièrement intéressantes pour la colonisation, par exemple autour des villes…

« Dès le début du protectorat, des régiments de tirailleurs marocains ont été constitués dans l’armée française avec des volontaires qui partirent en France dès septembre 1914. Ces tribus du Moyen Atlas ont fourni une grande partie de l’armée coloniale puis de l’armée royale après 1956. Encore aujourd’hui les cadres de l’armée marocaine viennent pour une bonne part de ces tribus. »

« La formation ou le renforcement d’un féodalisme marocain »(p,391)

« … L’un des points forts de la politique de Lyautey est qu’au début du XXème siècle les milieux coloniaux s’intéressaient bien davantage aux ressources minières qu’aux terres agricoles… » (p391)

« La guerre du Rif et les contradictions coloniales » (p,392)

« … Fait étonnant, il ne semble pas qu’elle ait alors suscité dans l’opinion marocaine une grande émotion… »

Question : sur quelle base d’évaluation ? Dans la presse marocaine ? Quelle était-elle à l’époque ?

« La relative brièveté du mouvement national et royal marocain. » (p394)

« La politique de Lyautey continua dans l’ensemble d’être mise en œuvre après son départ. Mais la pénétration des idées nationalistes parmi les intellectuels marocains se faisait sentir dans les villes. Aussi, au sein des sphères coloniales, apparut l’idée de soustraire les Berbères des régions montagnardes à l’influence des milieux arabisés. »

Question ; « sphères coloniales », les « sphères coloniales » du pouvoir ou des pouvoirs ? De qui et de quoi s’agit-il ?

L’auteur décrit en détail le rôle géopolitique des tribus dans l’histoire du Maroc, fondé implicitement sur la confusion entre un pouvoir tribal et un territoire tribal

L’auteur conclut son analyse ainsi :

« Je crois que les Marocains ne gardent pas de l’époque coloniale un trop mauvais souvenir. Celle-ci a été relativement courte et la lutte pour l’indépendance a été brève. En revanche, pour les Algériens, c’est une el longue et vieille histoire et leurs souvenirs de la guerre d’indépendance sont tragiques.  Mais c’est avec la France que les relations de l’Algérie sont les plus étroites et les plus nombreuses. La question post-coloniale en France, notamment dans les « grands ensembles », est indissociable de tous ces « jeunes » français dont les grand-pères sont venus, il ya bientôt cinquante ans, après avoir combattu l’armée française. » (p,397)

Questions : toujours les « grands ensembles » ? Toujours l’Algérie ? Une histoire par trop caricaturale ? Et les années noires des années 1990 ? Et la nature et les dates des flux des « grands pères » qui sont venus en France ?

Pourquoi ne pas signaler à nouveau que la plupart des discours tenus de nos jours par des groupes de pression de propagande post-coloniale, le plus souvent accusateurs de notre pays, se gardent bien de nous fournir des enquêtes statistiques sérieuses sur la mémoire coloniale en métropole et dans les anciennes colonies : Yves Lacoste a-t-il à sa disposition une documentation statistique à ce sujet ?

Je confluerai cette analyse et ces questions en renvoyant le lecteur sur le livre « La colonisation française » d’Henri Brunschvig Chapitre VII « Le Maroc et les interférences de politique étrangère » et sur la chronique que j’ai publiée le 17/10/2018 à propos des Mémoires de Joseph Caillaux

A l’époque des tensions internationales relatives à la question marocaine, ce dernier était  alors Président du Conseil.

Il donna sa version des faits dans le livre  « Mes Mémoires » Tome 2 « Mes audaces. Agadir… »

Dans le fil des recherches que j’ai effectuées sur les processus de décision des conquêtes coloniales, ces Mémoires me donnaient l’occasion de comprendre qui prenait la décision coloniale dans le cas du Maroc : la façon de raisonner de l’auteur, telle qu’elle était décrite était tout à fait surprenante, étant donné :

 1) qu’il prenait une décision en considérant qu’hors les Etats reconnus sur le plan international, les autres territoires étaient considérés comme des biens sans maître,

2) qu’il avait tout pouvoir à ce sujet, alors que la France était dans un régime parlementaire.

Le livre en question nous documente par ailleurs sur un personnage qui fit un beau parcours politique sous la Troisième République, André Tardieu.

Il sut alors pratiquer un remarquable mélange des genres entre la presse, le Quai d’Orsay, et le monde politique.

De nos jours, André Tardieu n’aurait-il pas des héritiers qui ne disent pas leur nom ?

Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés

La Question Post-coloniale-Yves Lacoste – Pour conclure cette lecture critique

« La question post-coloniale »

« Une analyse géopolitique »

Yves Lacoste

&

Pour conclure cette lecture

 L’auteur ne concluant pas, je me risquerai à le faire après une lecture critique approfondie, en concluant sur un questionnement de synthèse.

Après avoir lu et relu ce livre, il s’agit donc de savoir si l’analyse géopolitique proposée est pertinente, dans le cadre de la définition fixée par l’auteur lui-même selon le triptyque « représentations » « pouvoir » et « territoire », à la fois dans l’analyse de la Question Post-Coloniale proprement dite, et en ce qui concerne le chemin d’analyse suivi, c’est-à-dire, la Question elle-même, puis les Luttes pour les indépendances, et enfin Les Conquêtes coloniales.

            Une première question s’impose, compte tenu de la place qu’occupent l’Algérie (une centaine de pages sur près de quatre cents) et le Maghreb dans les trois parties de l’ouvrage, est celle de savoir, comme je l’ai déjà noté s’il ne s’agirait pas plutôt de la question post-coloniale algérienne, pour ne pas dire maghrébine.

            Une deuxième question domine cette analyse, celle des représentations, pourquoi ne pas dire les « images coloniales », c’est-à-dire une des sources principales qui a donné la possibilité au groupe d’historiens auteurs d’une série d’ouvrages d’exploiter les travaux du Colloque Savant de 1993, animés par une palette d’historiens renommés, une source qui valait d’être citée par Yves Lacoste, notamment dans sa critique du contenu du livre « La Fracture coloniale » : une impasse qui parait surprenante dans ce milieu d’universitaires renommés où tout le monde se connait.

            Il est possible de s’interroger aussi sur la logique géopolitique qui a conduit l’auteur à analyser successivement, la question, les luttes, et enfin les conquêtes coloniales elles mêmes.

            Notre questionnement portera :

            1) sur l’analyse géopolitique « question » (première partie),

2) et sur la pertinence des analyses proposées en ce qui concerne les conquêtes coloniales dans le cadre méthodologique fixé par cette analyse géopolitique.

            Notre attention ne portera donc pas sur l’analyse des luttes pour l’indépendance elles-mêmes (p,123 à 217), sauf à proposer ci-après quelques réflexions sur le sujet .

            Question : à partir de 1947, la Guerre Froide entre l’Est et l’Ouest n’a-t-elle pas été un des grands facteurs de la géopolitique mondiale, Afrique et Asie y compris, avec l’aide que l’URSS assistée des partis communistes occidentaux a apportée aux mouvements d’indépendance du Tiers Monde ?

            Comme ce fut le cas en Indochine avec le soutien de plus en plus actif de la Chine communiste au Vietminh, et le jeu on ne peut plus trouble du Parti Communiste Français au cours de cet épisode de décolonisation violente    .

Question : en parallèle de cette poussée révolutionnaire, le colonialisme  n’avait-il pas  fait son temps, avec le début d’organisation du Tiers Monde, d’autant plus qu’en 1945, l’Europe de l’Ouest, divisée entre l’Est et l’Ouest,  avait été mise à terre, et qu’elle était bien incapable de faire face à d’autres conflits en Afrique ou en Extrême Orient ? Sans l’aide des Américains !

            L’Europe de l’Ouest était alors confrontée à la puissance militaire soviétique sous le parapluie de protection de l’OTAN, et ce fut sans doute un des facteurs géopolitiques majeurs qui conduisit de Gaulle à « larguer » l’Algérie, en donnant la priorité au théâtre d’opérations européen et à l’arme atomique.

            Aux yeux des meilleurs connaisseurs de ce monde africain, le système colonial avait déjà très largement fait son temps, même si les groupes de pression continuaient à s’activer à Paris ou au siège des différentes colonies, en tentant d’imposer leur vision coloniale.

Le cadre géopolitique fixé par Yves Lacoste à travers l’analyse proposée dans l’avant propos et dans les chapitres 1 et 2 :

 « Avant-propos général… qui mène à un paradoxe » « La question post-coloniale en France. (p, 7 à 123)

 Dans son avant propos, à la page 8, l’auteur esquisse une première définition :

« Il y a cinquante ans, le terme de géopolitique n’était pas utilisé, mais chacune de ces indépendances, qu’elle ait été obtenue à l’amiable ou arrachée par la guerre, était en vérité un grand changement géopolitique. Et plus encore, les luttes pour l’indépendance de chacun de ces peuples, luttes complexes en vérité et plus ou moins anciennes, furent évidemment géopolitiques. En effet la la géopolitique – telle que je l’entends – analyse toute rivalité de pouvoirs sur du territoire, que celui-ci soit de grandes ou de petites dimensions (notamment au sein des villes) et qu’il s’agisse de conflits entre des Etats ou de luttes au sein d’un même pays, ces conflits pouvant se répercuter à plus ou moins longue distance. Les différentes conquêtes coloniales et la colonisation qui imposa son organisation des territoires conquis furent fondamentalement des phénomènes géopolitiques. Aussi ne peut-on comprendre ce qu’on appelle la « question post-coloniale » qu’en tenant compte des catégories de lieux où elle se pose de la façon la plus grave, mais aussi des différences qu’elle présente selon les pays, et en analysant rétrospectivement les rivalités géopolitiques qui ont opposés différentes sortes de forces politiques : pas seulement le conflit colonial classique Européens/indigènes, mais aussi des conflits plus ou moins anciens qui ont opposé des forces autochtones entre elles. »

Le champ de cette définition est donc très vaste et porte son attention sur deux éléments du triptyque, le « pouvoir » et le « territoire », auxquels il conviendra d’ajouter les « représentations » traitées dans les deux chapitres de la première partie.

D’entrée de jeu, Indiquons qu’à l’époque des conquêtes coloniales, il était assez redoutable de vouloir et de pouvoir identifier les pouvoirs et les territoires les concernant, tellement ils étaient à la fois variés, complexes et changeants, géographiques, religieux, culturels, démographiques, sociaux, économiques, alors qu’on ignorait presque tout de l’Afrique noire…

En Afrique noire, les limites territoriales des nouvelles colonies ne respectaient pas, et ne pouvaient pas respecter, les « frontières », donc le « territoire » de nombreux peuples, tellement ils étaient de taille différente, nombreux, et difficiles à délimiter, pour autant que les peuples eux-mêmes aient pu les identifier, ce qui fut le cas par exemple sur la côte au Dahomey, et les défendre, ce que les roitelets locaux avaient bien de la peine à faire, par exemple face à Béhanzin, à la fin du dix-neuvième siècle.

Telles furent les situations coloniales de la période des conquêtes en Afrique noire, ce qui ne fut pas le cas en Indochine ou à Madagascar où il existait un pouvoir et un territoire.

Dans son analyse, l’auteur fait un sort à la problématique des « grands ensembles », mais il parait tout de même difficile de les faire entrer, compte tenu de leur taille et de leur histoire, dans un champ comparatif avec les autres territoires examinés par l’auteur.

Le chapitre premier (p,23 à 63) « Les paradoxes de la question post-coloniale » part en effet de l’hypothèse qu’elle est née dans « Les grands ensembles » donc un territoire très limité de métropole à la fois en superficie et en nombre d’habitants.

Pour éclairer la nature et les dimensions de ces rivalités de pouvoir, il aurait sans doute été intéressant de mettre en annexe des  statistiques démographiques de poids, de composition, et d’origine, de même que les études sans doute réalisées sur l’écho qu’ont eu les événements décrits par l’auteur dans l’opinion publique française ou étrangère ?

De même, comment traiter de ce sujet sans éclairer le lecteur sur la culture et la religion des immigrés, sur l’importance des flux de migrants liés à l’explosion démographique enregistrée en Afrique, sur une relation de pouvoirs on ne peut plus ambigüe entre la France et l’Algérie principalement, dont les gouvernements issus du FLN ont toujours été en quête de diminution de la pression politique, c’est-à-dire d’émigration, notamment de la part des jeunes en quête d’une meilleure destinée.

Evidemment dans le but de la démonstration proposée et dans le cadre scientifique fixé par l’auteur.

Après avoir étudié pendant des longues années les cultures africaines et en avoir eu l’expérience très concrète, j’estime que la confrontation des cultures et des religions constitue un des facteurs majeurs de la géopolitique, comme l’auteur de ce livre a pu le constater lui-même.

Il existe d’ailleurs un ouvrage intéressant à ce sujet « Le choc des cultures ».

Enfin, il parait difficile de procéder à ce type d’analyse sans s’attacher à la relation exigeante qu’elle ne peut manquer d’avoir avec la vérité historique, tout au moins dans sa recherche ?

Dans le chapitre 2, l’auteur s’intéresse à l’une trois composantes, les « représentations géopolitiques » : telles que l’auteur les identifie, en fait un répertoire de « représentations » classées et hiérarchisées, il parait difficile d’aller plus loin qu’une lecture de caractère général du sujet.

Chapitre 2 (p,63 à 119) – L’importance des représentations géopolitiques dans la question post-coloniale 

Il s’agit d’un des facteurs importants de la géopolitique proposée, en plus des deux autres, le pouvoir et le territoire.

L’auteur commence son analyse en partant à nouveau de l’exemple des grands ensembles en affirmant :

« Elle est ensuite devenue une donnée géopolitique majeure dans la question post-coloniale, dans la mesure où s’y déroulent de plus en plus souvent des affrontements entre la police et des « groupes de jeunes ». (p,63)

Je ne sais pas si tel était le cas, étant donné que l’auteur ne propose aucune enquête statistique d’opinion pour le justifier, alors que plus loin il utilise le qualificatif de « mesurable ».

« Dans tout raisonnement géopolitique, il ne faut pas seulement y tenir le plus grand compte des caractéristiques objectives, et mesurables des populations qui vivent sur le territoire où se livre une rivalité de pouvoirs. Il faut aussi tenir compte des idées, des représentations que chacun des groupes antagonistes (avec ses leaders) se fait, à tort ou à raison, de la réalité : de ses droits sur ce territoire comme de ce qui lui parait important dans tout ce qui l’entoure, y compris au niveau mondial. Ces représentations plus ou moins subjectives sont presque toujours « produites » par ce que l’on peut appeler au sens le plus large des intellectuels, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui réfléchissent, qui discourent, bref qui produisent des idées nouvelles et en reproduisent d’autres dont ils ne connaissent pas précisément l’histoire. » (p,64)

Puis-je faire remarquer que dans les années 1950-1960 le ou les pouvoirs, en métropole ou dans les colonies, n’avaient pas la chance de disposer de chiffres fiables sur la démographie des territoires coloniaux ?

Dans les pages qui suivent, l’auteur donne une liste de représentations sous le titre « La diffusion de représentations accusatrices du colonialisme » :

« Il est bien évident que l’Appel des indigènes de la République de janvier 2005 n’est pas la cause première de la propagation des émeutes dix mois plus tard… Pour schématiser, on peut dire que, malgré les effets de l’«absentéisme scolaire », un certain nombre de ces jeunes vont au collège et qu’ils s’intéressent particulièrement, même de façon brouillonne et agressive, à ce que disent les professeurs d’histoire-géographie sur la colonisation et la traite des esclaves. En effet depuis une dizaine d’années, les programmes scolaires prescrivent qu’un certain nombre d’heures soient consacrées à ces « problèmes » qui sont aussi de plus en plus présents dans les manuels. Les enseignants en font d’autant plus état que cela les intéresse personnellement et passionne les élèves. Il n’en reste pas moins que dans ces quartiers ou à proximité, la tâche des professeurs – qui sont désormais de plus en plus des femmes –est encor plus difficile qu’ailleurs. » (p,66)

L’auteur met donc l’accent sur le rôle des professeurs d’histoire géographie et sur les programmes et énumère ensuite un certain nombre de vecteurs des représentions qu’il vise :

 « Un consensus de rejet de la colonisation depuis qu’elle a disparu » (p,66) : un rejet  non démontré, en tout cas dans cette analyse,

         « d’où le succès d’un certain nombre de livres … « le Livre noir du colonialisme XVI° – XXI° siècle », ouvrage collectif dirigé par Marc Ferro… Par ailleurs, une guerre des mémoires oppose à présent les intellectuels… un livre d’Hannah Arendt, en lui faisant dire (comme le fait Marc Ferro…) que le communisme, le nazisme et le colonialisme sont la même chose, ce qui est pour le moins expéditif et contraire au raisonnement même d’Hannah Arendt… (p,68)      

Peut-on penser que des idées du genre nazisme = communisme = colonialisme ou colonialisme = génocide passent progressivement vers une partie des « jeunes » des « grands ensembles » ? Oui, si l’on tient compte du rôle des maisons des jeunes et de la culture où nombre d’animateurs sociaux, pour un bonne part nés dans ces quartiers, ont en charge, avec « Bac + », des associations et proposent diverses activités culturelles. Il faut tenir compte du rôle des enseignants « issus de l’immigration… (p,69)

« La fracture coloniale » Des historiens de gauche, Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Sandrine Lemaire ont publié en 2005 « La Fracture coloniale ». La société au prisme de l’héritage colonial. Et ce livre a trouvé une large audience, et pas seulement parmi les professeurs d’histoire géographie particulièrement intéressés par le courant d’idées qu’impulsent Blanchard et Bancel…(p,70)

Dans les collèges et les lycées, nombre d’enseignants d’histoire géographie (et pas seulement des petits enfants d’immigrés reprennent devant leurs élèves ce thème de la persistance du colonialisme en France et de la « fracture coloniale », et surtout si leurs classes comptent beaucoup de jeunes « issus de l’immigration ». (p,72)

Commentaire : l’auteur souligne le rôle important des professeurs d’histoire géographie dans la diffusion de ce qu’il dénomme les représentations.

L’auteur met le projecteur sur les publications de Pascal Blanchard et de ses collègues, mais en faisant l’impasse sur une catégorie  de représentations mises en lumière et exploitées par les trois historiens, les images coloniales,  qu’un Colloque Savant avec la participation d’éminents historiens et spécialistes, souvent d’ailleurs issus de la matrice coloniale,avait analysées en 1993 : les Actes du Colloque résumaient les conclusions très nuancées des examens effectués, quant à leur représentativité scientifique et à l’interprétation historique qu’il était possible d’accorder aux panels d’images coloniales diffusées en métropole et non dans les colonies.

Les trois historiens ont exploité ces travaux pour en faire un instrument de propagande postcoloniale autrement plus efficace, grâce aux associations, aux professeurs, et à l’effet immigration, que la propagande coloniale de la Troisième République, comme je l’ai démontré, chiffres en mains dans livre « Supercherie coloniale ».

Je me souviens d’un des propos tenus (archives) par l’un des thuriféraires de la colonisation regrettant le peu d’engagement du corps professoral à ce sujet, sous la Troisième République.

A lire le livre en question, comme des autres, « Culture coloniale », et « Culture impériale », il est difficile de ne pas être frappé par ses formules emphatiques, et presqu’évangéliques.

Ne conviendrait-t-il pas de rappeler :

1) si besoin était, que les conquêtes coloniales ont été très largement initiées par la gauche de la Troisième République,

 2) que cette gauche républicaine n’a jamais su trouver parmi ses défenseurs et pour diffuser sa propagande coloniale les cohortes de professeurs ou d’animateurs de toute catégorie qui paraissent disponibles aujourd’hui, pour diffuser les représentations de propagande post-coloniale passée et actuelle.

L’auteur accrédite le succès des auteurs cités, mais pourquoi ne pas avoir publié les chiffres de diffusion de ces ouvrages dans le circuit universitaire et hors circuit, car il s’agit d’une des grandes carences qui pèse sur ce type d’affirmation ou de constat, celle de l’histoire quantitative ?

Ces chiffres seraient d’autant plus intéressants que les publications de sciences humaines ne rencontrent pas un grand succès.

Il s’agit de la critique capitale qui doit être faite à l’endroit des travaux des trois historiens Blanchard-Bancel- Lemaire sur les images coloniales : l’auteur n’évoque pas la source principale de leurs publications, les Actes du Colloque savant de 1993 et le livre qui en a été tiré à l’initiative de Pascal Blanchard, intitulé « Images et Colonies ».

Ces deux ouvrages au contenu fort instructif ne permettent pas de conclure dans le sens des trois historiens, c’est le moins que l’on puisse dire.

Dans la suite des pages consacrées à cette thématique, et à partir de la page 84, l’auteur se livre à un exercice intellectuel difficile entre histoire et politique, en partant toujours des « grands ensembles » qu’il conviendrait donc de considérer comme représentatifs de la réalité des représentations  énoncées, en mettant à nouveau l’accent sur le rôle des professeurs d’histoire géographie.

3) et enfin, que la gauche de la Quatrième République, puissante de 1945 à 1958, a été dans l’incapacité de mettre en œuvre une décolonisation pacifique : l’auteur était bien placé pour en porter témoignage.

En résumé, le troisième pilier du triptyque géopolitique d’Yves Lacoste, les représentations aurait mérité d’être beaucoup mieux identifié par nature, par catégorie, et quantifié, en mettant en exergue les catégories de religion et de culture, et d’être dénommées sous l’appellation de  propagande post-colonlale, d’autant plus qu’il avait à sa disposition la collecte d’images colon iales effectuée en 1993 par le Colloque savant déjà évoqué.

Les conquêtes coloniales

La troisième partie est consacrée aux conquêtes coloniales (page 217 à 399) soit près de la moitié de l’ouvrage.

L’auteur propose un résumé historique relativement intéressant de cette phase qui se déroula en Afrique du Nord et en Afrique Noire, en privilégiant l’Algérie et le Maroc : s’agit-il de géopolitique ou d’histoire ?

Il n’est pas facile d’y retrouver la trace des trois éléments du triptyque proposé par l’auteur au début de l’ouvrage ?

En Algérie et au Maroc, l’auteur met en lumière, et c’est intéressant, le rôle souvent méconnu, en termes de pouvoir et de territoire, des tribus en marquant bien la différence de situation coloniale entre les deux pays, l’absence d’une forme d’Etat en Algérie.

En Afrique noire, l’auteur privilégie comme clé d’explication géopolitique l’esclavage, mais comme nous l’avons vu, c’est beaucoup moins évident.

Cette troisième partie soulève beaucoup de questions, ne serait-ce que la première relative à la mesure historique des temps coloniaux, courts ou longs, en respectant cette distinction chère aux historiens.

Un tel critère fait ressortir la distinction qu’il est nécessaire de faire entre deux sortes de colonies, l’Algérie, le Sénégal, la Cochinchine et l’Afrique noire en général.

En Indochine, Pierre Brocheux utilisait l’expression du « moment colonial », une expression qui vaudrait pour l’Afrique noire et Madagascar.

La colonisation a en définitive été courte, de l’ordre de 50 ans.

La Côte d’Ivoire n’a été crée qu’en 1895.

Les conquêtes coloniales ont balisé une période d’explorations et de découvertes, car l’Afrique noire constituait un continent ignoré.

Dans le cas français, à la différence de l’anglais ou du belge, il est possible de s’interroger sur les processus de pouvoir qui aboutirent à conquérir des pays pauvres en ressources économiques.

L’explosion des technologies, vapeur, câble et télégraphe, plus fusils à tir rapide et canons a évidemment facilité toutes ces conquêtes, comme l’a bien démontré l’historien Headricks.

Dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large », j’ai eu l’occasion de décrire les processus politiques et militaires de décision de la Troisième République, lesquels avaient pour résultat de laisser la main et la décision aux exécutants.

La France partait à la conquête coloniale par esprit de puissance, de gloire, et de rivalité avec les Anglais, comme ce fut le cas à Fachoda, ou entrainée à le faire par sa marine qui contrôla longtemps la politique coloniale.

Tel ne fut pas le cas de l’Indochine dont on connaissait les richesses et le potentiel avec son voisin chinois, et tel ne fut pas le cas aussi de l’Algérie et du Maghreb, proche de nos côtes, mieux connus compte tenu de l’histoire commune de la Méditerranée.

L’analyse de l’auteur ne me parait pas mettre assez l’accent sur le facteur « pouvoir » : le cas du Maroc constituerait un bon exemple du type de pouvoir qui prenait la décision en France, c’est-à-dire le gouvernement ou l’un de ses membres, de même que le cas de l’Algérie où un petit groupe d’élus et de colons français d’Algérie y firent longtemps la pluie et le beau temps, d’autant plus qu’ils servaient souvent d’appoint parlementaire aux majorités changeantes de la Quatrième République.

L’auteur fait un sort à Samory, un cas longuement examiné, avec le projecteur mis sur le rôle de l’esclavage. Comme je l’ai expliqué, cette géopolitique de l’esclavage constitue une des explications géopolitiques, mais elle n’apparait pas devoir être la principale.

Il me parait difficile de tirer des leçons géopolitiques sans les inscrire dans des cadres chronologiques et géographiques comparables : comment mettre sur le même pied de l’analyse une Afrique noire encore largement inconnue en 1880, fermée sur elle-même, faute de communications, et une Indochine déjà très largement ouverte sur le monde extérieur, sauf à dire que les enjeux de communications changèrent fondamentalement avec le canal de Suez, en 1969 ? Sauf à noter qu’un sérieux handicap de distance entre la France et l’Indochine existait encore, comme avec Madagascar.

Comment mettre sur le même pied de comparaison un territoire de la Mare Nostrum et tout autre situé dans des mers lointaines ?

Comment mettre sur le même pied de comparaison des territoires à conquérir devenus d’importants enjeux de politique étrangère tels que l’Indochine, l’Egypte ou le Maroc, avec les territoires encore inconnus du Bassin du Niger, sans cartes ni voies de communication ?

Enfin et pour conclure, un des trois thèmes retenus par l’auteur, le pouvoir, aurait mérité de faire l’objet d’une comparaison entre les différentes puissances coloniales, en s’attachant à décrire les processus de décision politique de conquête existant dans chacune des puissances concernées.

Dans le cas français que nous avons longuement examiné, il apparait bien que sauf dans les cas de l’Indochine, du Maroc, ou de Fachoda, le « fait accompli » était largement à la source des décisions politiques de conquête, tout autant qu’une grande ignorance de la géographie et des enjeux de pays concernés, tout autant que l’aveuglement et les illusions de puissance des gouvernements de l’époque.

Il aurait été particulièrement intéressant que l’auteur, grand connaisseur du dossier algérien, nous ait éclairé sur le qui était responsable dans le processus de décision de la politique algérienne de la France, notamment après 1945.

Le cas d’un homme politique radical-socialiste comme René Mayer, grand élu de l’Algérie Française, dans la période qui a précédé la guerre d’Algérie, membre d’une communauté influente en Algérie, avant même la conquête de l’Algérie, mériterait d’être analysé en détail afin de mieux  comprendre le processus décisionnel du pouvoir, l’une des trois composantes de la géopolitique de l’auteur au cours de cet épisode historique, qui continue à alimenter les polémiques.

René Mayer avait une stature politique nationale et internationale, notamment sur le plan européen.

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Notre questionnement final

  1. L’auteur a préféré ne pas conclure, compte tenu sans doute de la variété et de la complexité des sujets traités, mais il nous aurait permis de mieux comprendre ce qu’il entendait dans sa géopolitique du triptyque « Territoires, Pouvoir, Représentations », et dans sa mise œuvre sur le chemin choisi de la 1) Question-post-coloniale, 2) des Luttes, 3) des Représentations.
  2. Dans ses analyses, l’auteur a accordé une très large place au Maghreb, et principalement au Maroc, où il est né et en Algérie où il a vécu, et cette préférence donne évidement une couleur très maghrébine à sa « Question post-coloniale ».
  3. Dans son analyse des « représentations », l’auteur a fait un sort au livre « La Fracture coloniale », mais en faisant l’impasse sur la source historique de ce courant de représentations coloniales, le Colloque savant de 1993, animé par d’’éminents historiens qu’il n’a pu manqué de rencontrer au cours de sa carrière.
  4. L’auteur fait un sort aux « grands ensembles » où il a vécu, mais sans faire la démonstration de leur représentativité dans l’évolution décrite.
  5. L’auteur analyse longuement le cas et le rôle de Samory à l’époque des conquêtes de l’Afrique de l’Ouest, mais en s’appuyant sur des sources qui font question, par rapport aux nombreuses sources que j’ai moi-même consultées.

En résumé, la géopolitique telle qu’exposée dans l’ouvrage ne manque-t-elle pas à la fois de rigueur et de clarté, d’autant plus que le chemin d’analyse choisi par Yves Lacoste était beaucoup trop semé d’embûches.

Jean Pierre Renaud   –  Tous droits réservés

La Question post-coloniale- Yves Lacoste- Troisième partie- Lecture critique- chapitre 7 « Les conquêtes en Afrique noire à la fin du XIXème siècle »Les conquêtes coloniales »

Chapitre 7 (p,328 à 373)

Les conquêtes en Afrique noire à la fin du XIXème  siècle

(page 328-372, soit 56 pages)

Avant-propos

 Au cours de mes six années d’études, j’avais acquis une certaine culture historique dans le domaine colonial : j’avais bénéficié à l’ENFOM des enseignements du grand historien colonial Henri Brunschwig qui nous avait mis en garde contre les « mythes », et d’une palette de professeurs et de spécialistes très compétents, et non des « frères prêcheurs ».

            Je suis revenu à l’étude de ce domaine négligé en prenant connaissance de toute une littérature politique, culturelle, historique, ou médiatique qui développait avec un certain succès, semble-t-il, des thèses pseudo-historiques qui méconnaissaient à la fois notre histoire et celle des anciens « territoires » coloniaux. Je reprends ce mot cher à l’auteur aux yeux duquel est géopolitique tout ce qui est lutte de « pouvoir » sur un « territoire ».

La lecture des pages consacrées aux conquêtes en Afrique noire à la fin du XXème siècle devrait nous éclairer sur l’existence du triptyque géopolitique proposé par l’auteur, représentations, pouvoir, territoire.

            A titre personnel, j’ai tenté de comprendre le pourquoi, le comment, et qui dans la chaine de pouvoir, engageait notre pays dans ces aventures motivées par les motifs, les raisons, ou les illusions les plus variés.

            Ne s’agirait-il pas d’une recherche de type géopolitique à classer dans une des trois catégories de l’auteur? Tenter d’aller au cœur des «pouvoirs » qui décidaient ou ne décidaient pas de conquérir un « territoire » sous le sceau de la fameuse phrase du ministre Lebon : « les événements ont marché », souvent d’ailleurs parce qu’il ne pouvait en être autrement, par ignorance, en raison de l’impossibilité de dire oui ou non, compte tenu de l’absence ou de la grande difficulté qu’il y avait à communiquer entre un « pouvoir » et un exécutant, ou souvent dans l’engrenage d’un acteur de terrain, aventurier ou pas, comme ce fut le cas en Indochine avec le rôle majeur du commerçant Dupuis, ou d’un chef de guerre comme le colonel Archinard au Soudan.

            L’une de mes conclusions principales était souvent celle du « fait accompli », en l’absence d’un pouvoir capable d’initier, de contrôler,  et de rectifier une trajectoire de « pouvoir » sur un « territoire ».

            Quelques exemples de ces situations historiques : jusqu’en 1885, et sans évoquer l’absence de communications avec l’hinterland  du Haut Sénégal et du Niger, le gouverneur du Sénégal correspondait avec Paris, en envoyant un aviso de Saint Louis à l’île de San Thomé pour faire passer un message en utilisant un câble anglais qui reliait l’île au Portugal.

 A Madagascar, ce ne fut qu’en 1895, qu’un câble relia Majunga au Mozambique pour communiquer par le réseau du câble anglais. En 1884, en Indochine, les communications gouvernementales faisaient appel au câble anglais de Singapour vers Aden ou de Hong Kong par la Sibérie, des avisos de la Marine étant chargés du premier trajet.

C’est dire que les processus de décision étaient à la fois longs, périlleux, et souvent sous contrôle technique des réseaux anglais.

            Le résultat de ces recherches historiques a été publié dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large »

Le titre est tiré de plusieurs sources : le livre de Roland Dorgelès sur la conquête de l’Indochine, avec son propos sur « le vent des mots » prêté aux Moïs sur le télégraphe, « le vent des maux », tiré du récit des souffrances endurées par les explorateurs, souvent géographes, les officiers, les administrateurs, les médecins…, dont la durée de vie était courte, compte tenu des épidémies, encore non jugulées qui ravageaient ces territoires…

            En 1895, l’expédition de Madagascar, baptisée de « criminelle » fut un désastre humain, causé par les fièvres, une des deux protections naturelles du Royaume Hova, sur des plateaux alors inaccessibles.

            Enfin, pourquoi « le vent du large » ? Parce qu’à mes yeux, et compte tenu des bilans proposés, je concluais que le seul bénéfice procuré à la France me semblait être de l’avoir ouverte sur le grand large.

            Ces précisions éclaireront la lecture critique proposée, fondée sur la lecture et l’analyse de très nombreuses sources, avec l’objectif affiché de déterminer et de savoir quel « pouvoir » décidait,  ou ne décidait pas…

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            L’auteur aborde son sujet en rappelant : « La conquête de l’Afrique tropicale au XIX°siècle se situe dans la période que certains historiens de l’économie et des théoriciens plus ou moins marxistes appellent l’impérialisme… » (page 328)

            « L’impérialisme, nouvelle étape du développement du capitalisme (p,329)

            Appréciation d’un spécialiste ?

            « Telle est la vulgate marxiste, pour laquelle le développement du capitalisme est la cause fondamentale de l’expansion coloniale et des rivalités guerrières entre les Etats. » (p,329)

            « Des impérialismes européens assez différents.

            « L’impérialisme britannique, qui est à l’époque le plus puissant, s’appuie sur de grandes banques qui ont chacune un service d’informations économiques et géopolitiques (relié à des banques d’acceptation qui ont un réseau mondial d’informations pour fixer le niveau des taux des investissements qu’elles assurent en fonction des risques géopolitiques).» (p,330)

Commentaire : – à cette époque, seule la Banque d’Indochine pouvait jouer ce rôle dans les colonies françaises. (voir le livre de Marc Meulan « Histoire de la Banque d’Indochine » 1990)

  • en ce qui concerne l’impérialisme financier français, il fut très modeste, notamment en Afrique noire, le pouvoir politique étant à l’origine de la création de banques d’Etat, créatrices d’une monnaie et relais du Trésor : son potentiel économique n’avait rien à voir avec celui de l’Afrique noire anglaise. (voir les travaux de Jacques Marseille, notamment le livre « Empire colonial et capitalisme français : histoire d’un divorce » (1984)
  • le lecteur pourra utilement lire un ouvrage collectif et très documenté sur les réussites modestes de l’impérialisme français : « L’esprit économique impérial » (1830-1970) – Groupes de pression & réseaux du patronat colonial en France & dans l’empire » Hubert Bonin- Catherine Holdeir – Jean-François Klein

L’auteur note « Le contraste géopolitique entre les colonies au nord et au sud du Sahara » (p,331)

« La question de l’esclavage » (p,333)

Il s’agit d’une des analyses les plus intéressantes de l’ouvrage, parce qu’elle sort des tabous, des non-dits, des fausses vérités qui alimentent la propagande post-coloniale. L’association les Indigènes de la République n’a-t-elle pas choisi pour un de ses emblèmes l’esclavage ?

Une seule question : s’agit-il, compte tenu des longs développements de l’auteur sur ce sujet sensible, d’ajouter ce facteur clé au triptyque de facteurs « représentations- pouvoir – territoire » ?

« Les temps très longs de l’esclavage en Afrique » (p,335)

« Le terme et la notion d’esclave ont eu durant des siècles et dans le monde entier deux significations complexes et contrastées : les esclaves-marchandises, producteurs ou domestiques (dont l’achat coûte relativement cher dans bien des cas) et les esclaves-guerriers appartenant à un appareil d’Etat ou à un chef de guerre et en principe exclus de l’exercice symbolique du pouvoir. Selon Claude Maillassoux (Anthropologie de l’esclavage, 1986), ces deux aspects ont existé durant des siècles en Afrique comme ailleurs, et ils fonctionnaient l’un par rapport à l’autre, car dans bien des cas c’étaient des esclaves-guerriers qui capturaient les esclaves-marchandises. » (p,337)

L’auteur cite ensuite en référence « L’Histoire générale de l’Afrique » publiée par l’Unesco en huit volumes (1974-1986), laquelle accorde une grande importance à l’esclavage (Tome III du 7ème au 11ème siècle), en proposant une comparaison entre les œuvres artistiques du royaume d’Ife en Nigéria avec celles de la Grèce classique.

 « Ce n’est pas parce qu’on voit dans l’esclavage la base essentielle du système économique et social d’Ife qu’il faut décrier celui-ci. L’institution de l’esclavage fournissait l’assise de productions artistiques de la Grèce classique et nous ne les admirons pas moins ». (p,336)

« Le développement des économies de plantation en Amérique tropicale entraine un énorme accroissement du commerce esclavagiste en Afrique. (p,337)

« La traite des esclaves a existé depuis les VIIème –VIIIème  siècles vers les pays du Maghreb à travers le Sahara (avec relais dans les oasis), vers l’Egypte par la vallée du Nil et vers l’Arabie et le Golfe Persique depuis les côtes de l’Afrique orientale, à travers l’Océan Indien… A cette traite que les historiens appellent orientale s’ajoute à partir du XVI° siècle la traite occidentale par l’Océan Atlantique pour les besoins en main d’œuvre des Européens en Amérique où la population indigène a disparu sous l’effet des épidémies. » (p,337)

Le sens de la phrase que j’ai soulignée mériterait sans doute d’être explicitée.

 L’auteur fait référence au travail remarquable de l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau dans « Les Traites négrières », (2004) que la propagande post-coloniale a voué aux gémonies, pour avoir décrit la vérité.

L’auteur n’a pas évoqué l’absence de l’esclavage en métropole, tout au long des siècles, avec une phase coloniale aux Antilles, qui fut relativement courte, comparée, aux autres nations.

En ce qui concerne les travaux fort intéressants de l’Unesco, je les ai moi-même exploités, et leur tonalité historique faisait la part des choses, entre le blanc et le noir, dans les mêmes conditions qu’Hampâté Bâ dans ses livres.

« L’organisation par les souverains africains des chasses aux esclaves (p,338)

            « L’analyse des livres de comptes des compagnies montrerait que très peu d’esclaves (selon O.Pétré-Grenouilleau) auraient été capturés par des négriers européens. » (p,338)

Commentaire Il ne faut pas beaucoup de temps aux chercheurs qui consultent les récits des explorateurs ou des officiers des troupes coloniales pour croiser sur leur chemin, à la fin du XIXème siècle, des caravanes d’esclaves, ou découvrir les marchés d’esclaves du Bassin du Niger, avec le tarif en cauris des « marchandises » classées par ordre de prix sur le marché.

« L’Angleterre interdit soudain la traite » (p,340)

            « En 1807, en pleines guerres napoléoniennes (l’empereur des Français vient d’écraser la Prusse, et de décréter contre l’Angleterre le Blocus continental), le Premier ministre William Pitt promulgue un décret qui interdit à tout sujet britannique d’acheter ou de vendre des esclaves…. Après la défaite de Napoléon, les dirigeants britanniques imposèrent au Congrès de Vienne l’interdiction de la traite…. »

            « L’interdiction d’exporter des esclaves eut d’importantes conséquences géopolitiques. (p,342)

            « La plupart des discours et livres anticolonialistes passent sous silence l’interdiction faite par les Anglais de la traite ou la considèrent comme un simulacre sans grande conséquence, une simple hypocrisie. On soutint souvent que le travail forcé dans les colonies européennes d’Afrique sera l’équivalent de l’esclavage. Sur le plan humanitaire, la différence ne fut pas très grande, mais elle fut considérable du point de vue géopolitique : alors que durant trois siècles le système de « production » des esclaves, (leur capture et leur exportation) avait fonctionné sous la direction des souverains africains en relation d’affaires avec les négriers européens, l’interdiction de la traite à partir du XIXème siècle entrainera rapidement la conquête coloniale et le partage de l’Afrique entre puissances européennes et l’établissement par la force de l’autorité des Blancs sur les Noirs…. » (p,342)

Question :  la chaine causale des conquêtes proposée, l’enchainement décrit est à l’évidence par trop synthétique, mais il pose la question du rôle de l’esclavage dans le processus des conquêtes coloniales.

Facteur géopolitique majeur, avec la désagrégation des tribus, l’entrée en scène parallèle de nouvelles technologies de pouvoir et de communications entre les côtes et l’hinterland ?

En 1895, et à l’occasion des travaux de délimitation des frontières entre le Dahomey et la Nigéria et des nombreux contacts noués avec confiance avec les petits roitelets de l’hinterland, le commandant Toutée rapportait  les jugements péjoratifs qu’ils portaient sur les populations côtières gagnées par les licences de  la modernité. Les mêmes interlocuteurs étaient reconnaissants à la France de les avoir débarrassés des rafles d’esclaves commandées par le roi Béhanzin. (« Du Dahomé au Sahara » A.Colin-1899)

Les facteurs de désagrégation des tribus méritent effectivement un examen, car ils ont été nombreux, mais pas uniquement liés à l’esclavage.

En Afrique du Sud, encore pays d’apartheid en 1950, Alan Paton était bien placé pour décrire les dégâts causés par l’industrie minière et la concentration des mineurs dans des bidonvilles dans un roman superbe intitulé « Pleure, ô Pays bien aimé ».

Dans sa préface, il écrivait :

« … Mais l’industrialisation ne fut pas la seule cause de destruction des tribus. L’homme blanc n’apportait pas seulement des villes et des usines, mais aussi des alcools nouveaux, la lecture et l’écriture, des marchandises séduisantes, des fusils, des maladies inconnues et les idées et l’idéal chrétiens. L’élément le plus destructif pour les Noirs fut la constatation plus ou moins consciente, que le système des tribus était désormais un instrument  entre les mains des Blancs et non plus l’élément vital du peuple africain, fait de guerre, de tambours, de plaisir, de chasse, de danse et d’amour ; d’esprits et de présages ; de piété filiale et de graves discussions… »

N’en fut-il pas de même dans l’ancien Congo Belge ?

L’auteur poursuit son analyse avec l’exemple des quatre guerres menées par les Anglais contre le Royaume esclavagiste des Ashanti en Gold Coast (Ghana) à la fin du siècle (1806-1874) et poursuit :

            «…Tout cela contribua à ce que les milieux intellectuels et poltiques européens parlent de plus en plus de la « mission civilisatrice » de l’Europe, de la France ou du « fardeau de l’homme blanc », tiré du célèbre poème de Rudyard Kipling (1899). On peut dénoncer ce mélange de bons sentiments et de géopolitique, mais il se trouvait déjà dans les discours des « abolitionnistes » qui avaient lutté pour la fin de l’esclavage et qui servaient aussi à une sorte de règlement de comptes entre le gouvernement britannique et les Etats-Unis.

            L’instauration du travail forcé par les administrations coloniales dans la plupart des pays d’Afrique noire, bien qu’elle ait entraîné de nombreux abus et de graves conséquences sanitaires, n’eut absolument pas les conséquences géopolitiques qu’avait eues la chasse aux esclaves. » (p,344)

            Commentaire : il est exact que l’esclavage fut un facteur de destruction et de structuration sociale majeure et collective en Afrique noire, mais il était en même temps une des données constitutives des mœurs de la plupart de ses peuples, quasiment une sorte de trait de vie collective.

            Certains courants de pensée tentent de balancer la calamité de l’esclavage par celle du travail forcé, alors que la France interdit très rapidement l’esclavage en Afrique noire : il est exact que le travail forcé fut une source d’abus graves, notamment lorsqu’il était destiné à fournir de la main d’œuvre aux colons. Dans de nombreux cas de figure, il s’inscrivait dans l’héritage des « corvées », qui persistaient sous la Troisième République. Il s’agissait de suppléer à la somme des carences qui affectaient les premiers équipements collectifs de base.

            A Madagascar, l’abolition de l’esclavage, en 1896, fut une des premières décisions que prit le général Gallieni, laquelle déstabilisa complètement le système de travail local.

         Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés

La Question post-coloniale Les conquêtes en Afrique noire Lecture critique suite

« La Question post-coloniale »

Yves Lacoste

Lecture critique

« Les conquêtes coloniales en Afrique noire » (p,344)

Introduction

Afin de bien comprendre la géopolitique de l’Afrique noire de l’Ouest, au moment des explorations et des conquêtes, quoi de mieux que de citer, d’entrée de gamme, le propos « géopolitique » du géographe Richard-Molard sur les caractéristiques géographiques de cette partie du continent africain, un des facteurs clés de la géopolitique de l’Afrique de l’Ouest au XIXème siècle.

Dans son livre « L’Afrique Occidentale Française » (1950), le géographe Richard-Molard  notait en effet que cette partie du continent africain, je dirais capitale à l’époque des conquêtes coloniales, souffrait d’une « anémiante continentalité ».

&

            « En 1885 se tint la Conférence de Berlin… » (avec l’interdiction des ventes d’esclaves et d’armes à feu, en même temps que le partage de l’Afrique à l’initiative du roi des Belges Léopold II).

            Commentaire : le mot « partage » a été mis en italique, parce qu’Henri Brunschwig en a démontré les faux sens d’interprétation historique.

            « Les conséquences géopolitiques de la multiplication des chasses aux esclaves » (p,345)

            « Le fait que la chasse aux esclaves se soit en quelque sorte démultipliée au XIXème siècle après la fin progressive des « exportations humaines » vers l’Amérique a rendu conscients la quasi-totalité des peuples d’Afrique noire des dangers de la traite non pas comme une menace lointaine et abstraite, mais comme le risque d’être attaqués par des guerriers envoyés sur ordre des chefs d’un peuple voisin. La multiplication des captures d’esclaves par de multiples roitelets chez des peuples voisins banalisait les captifs ou les captives que l’on n’exportait plus au loin (sauf vers l’Egypte et l’Arabie). Leur valeur marchande était de plus en plus dévaluée comme moyen de paiement ou de gratification.

            Les peuples razzieurs savaient qu’ils risquaient désormais d’être attaqués par une expédition d’Européens venu d’ailleurs ayant su rassembler des peuples jusque là dominés.

            On dénonce de nos jours les effets du tribalisme en Afrique noire, comme s’il s’agissait de superstitions anciennes et sans fondement. D’abord il ne s’agit pas tant de tribus, mais de peuples différents qui se sont subdivisés en tribus. A la différence des tribus nord-africaines qui, au sein d’un vaste ensemble géopolitique dont elles sont conscientes, parlent une même langue et ont la même religion, le phénomène tribal en Afrique noire se subdivise de peuples très différents, la plupart peu nombreux, chacun ayant sa langue et ses croyances religieuses.

            Les chasses aux esclaves ont fait que la mosaïque ethnique en Afrique noire était constituée, au milieu du XIXème siècle, de peuples se redoutant les uns des autres. Une conception couramment répandue dans les écrits et les propos qui de nos jours dénoncent le colonialisme – qu’il s’agisse d’Amérique pré-colombienne ou d’Afrique noire – est somme tout qu’avant l’arrivée des Européen ces peuples n’étaient guère opprimés par quelque empire ou potentat. En fait, ces peuples voisins avaient entre eux de terribles problèmes dont leurs notables étaient très conscients. » (p,346)

Commentaire :

  • L’explication géopolitique que propose l’auteur sur le contexte ethnique de l’époque et sa constitution par l’esclavage, la prise de conscience des peuples en lice face à ce fait géopolitique majeur mériterait d’être documentée.

A la lecture de tous les récits consultés, il est difficile d’abonder dans un tel sens, d’autant plus que l’esclavage marchand et domestique imprégnait les mœurs de l’Afrique pré-coloniale.

  • les passages soulignés mériteraient d’être analysés et commentés par les historiens, car ils manquent de clarté, en tout cas à mes yeux : « les peuples razzieurs savaient » ? – « les effets du tribalisme » ? – « la mosaïque ethnique » ?

Par exemple, dans le bassin du Niger, et tout au long du XIXème siècle, deux facteurs n’ont-ils pas bousculé tout autant la mosaïque ethnique existante, les guerres de conquête de l’Islam contre les royaumes Bambaras et Mandingues, avec en parallèle les incursions fréquentes des tribus nomades du Nord dans les villages des paysans sédentaires, ou le rôle majeur des tribus Peuls éleveurs nomades que l’on retrouvait alors au Sénégal sous le nom de Toucouleurs.

La bataille très meurtrière de Toghou, en 1866, fut difficilement gagnée par le sultan Ahmadou, combattu plus tard par les Français, une bataille qui se solda par la mort de tous les prisonniers Bambaras.

« Les conquérants européens apprennent à analyser la géopolitique de l’esclavage » (p,346)

« En Afrique noire, ce que l’on pourrait appeler la géopolitique des chasses aux esclaves, la conscience angoissée des rapports de force entre tel peuple dominant et tels peuples dominés étaient à l’esprit de beaucoup, alors que dans la première partie du XIXème siècle arrivaient déjà sur les côtes les nouveaux conquérants européens. Ceux-ci n’avaient ni le désir ni le droit de faire fortune, comme cela se faisait au temps du commerce négrier sur la côte. Ces nouveaux venus – des militaires, des officiers de marine – voulaient étendre leur pouvoir sur des territoires qu’ils savaient tout autant convoités par d’autres conquérants européens. Chacun de ces petits groupes conquérants, qu’ils appartiennent à une armée nationale ou privée (en fait belge ou britannique), entendait étendre le plus possible son autorité sur un territoire dont on ne disait pas les ressources, afin que le concurrent les ignore.

Dans cette course impérialiste, ces hommes d’action vont comprendre assez vite que tous ces noirs, au premier abord assez semblables, forment non seulement des peuples différents les uns des autres, mais aussi des peuples rivaux qui ont peur les uns des autres. Les conquêtes coloniales en Afrique noire se feront en jouant assez habilement de ces rivalités géopolitiques.

Pour cela, les militaires qui établissaient les cartes des territoires où ils avançaient allaient se faire très empiriquement ethnographes et historiens, en faisant parler les « vieux » pour repérer quels étaient les protagonistes des conflits qui se déroulaient sous leurs yeux ou dans lesquels ils étaient souvent impliqués. En effet, à l’arrivée des militaires européens, les captures d’esclaves n’avaient pas cessé. Aujourd’hui, les ethnologues africanistes reprochent aux administrateurs coloniaux, qui étaient souvent des militaires, d’avoir inventé des ethnies ou de les voir considérées comme très anciennes alors qu’elles étaient relativement récentes et qu’elles résultaient de regroupements simplificatoires décidés pour des raisons stratégiques ou de commodité administrative dans des populations déracinées par les raids esclavagistes. Mais les ethnologues actuels, anticolonialistes, ne parlent guère du rôle des souverains africains dans la traite des esclaves. » (p,347)

Commentaire : il ne parait pas inutile de revenir sur les textes soulignés, étant donné les questions que pose leur sens.

« Les conquérants européens apprennent à analyser la géopolitique de l’esclavage » (p,346) :ne s’agit-il pas d’une interprétation par trop savante des découvertes souvent approximatives et empiriques faites sur le terrain?

« …la conscience angoissée des rapports de force entre tel peuple dominant et tels peuples dominés étaient à l’esprit de beaucoup… »

« Conscience angoissée » – « à l’esprit de beaucoup » : Au sein d’une population illettrée ? Un mot de science humaine ou de psychologie collective ?

« dont on ne disait pas les ressources, afin que le concurrent les ignore. » ? dans les quelques comptoirs côtiers sans doute, mais ils n’étaient pas nombreux.

Si vous lisez les premiers récits des blancs qui fréquentèrent par exemple les côtes de Grand Bassam avant 1900, ils vous informeront de la rareté des contacts sur la lagune encore fermée qui borde les côtes d’un « territoire », la Côte d’Ivoire, qui ne vint à l’existence coloniale qu’en 1895, et qui ne fut pacifiée que quelques années avant la Première Guerre Mondiale : le « temps colonial » dura moins d’un demi-siècle.

Par ailleurs explorateurs et officiers publiaient de très nombreux récits dans lesquels rien n’était caché, souvent par le biais de sociétés de géographie très dynamiques, notamment en Angleterre et en France.

Un exemple de récit d’officier (1), celui du colonel Frey sur la conquête du Soudan, dans lequel il ne cachait pas son scepticisme sur les ressources du Soudan (le Mali). (Campagne dans le Haut Sénégal et le Haut Niger (1888))

« les militaires qui établissaient les cartes des territoires où ils avançaient allaient se faire très empiriquement ethnographes et historiens, en faisant parler les « vieux. » 

Une observation fort intéressante : faute de cartes, ce sont les officiers coloniaux qui établirent les premières cartes, chaque première colonne pénétrant sur un territoire, disposait d’un officier topographe qui procédait au relevé du terrain avec ses cotes et caractéristiques.

 Ethnographie et histoire empiriques : j’ai largement exploré cette problématique sur mon blog, et noté qu’au moins dans l’ensemble de l’Afrique tropicale de civilisation orale, l’histoire était entre les mains des « griots », hommes et femmes de mémoire, remarquables parleurs, membres éminents des cours ou entourages de rois, de chef de tribus ou de villages : certains ou certaines furent célèbres.

Il est évident que leurs récits constituaient une version parallèle de nos « romans nationaux »

« Aujourd’hui, les ethnologues africanistes reprochent aux administrateurs coloniaux, qui étaient souvent des militaires, d’avoir inventé des ethnies ou de les voir considérées comme très anciennes »

Oral et écrit, les traditions, les lettrés, la mise au point ethnies, les dilalectes

Je propose au lecteur de se reporter à ce sujet à l’analyse de mon blog du 20/03/2013.

« Le rôle des soldats de métier indigènes et des porteurs » (p,347)

« Les conquêtes en Afrique noire ont été menées en lançant des colonnes depuis les côtes vers l’intérieur. Le terme classique de colonne, dans le domaine militaire, désignait en Afrique de très longues files de soldats indigènes encadrés par un petit nombre d’officiers blancs (ne serait-ce que par leur vêtement)  suivis par des files bien plus longues encore de porteurs, car à l’époque il n’y avait guère de route mais des pistes et des sentiers, et parce qu’il n’y avait  pas de chariots, car en Afrique, on ignorait la roue et les animaux de bât étaient plus rares et coûteux à acheter que les hommes à peine sortis de l’esclavage. (p,347)

« …Les maladies, notamment la terrible fièvre jaune (1), ont infecté les colonnes de soldats indigènes presqu’autant que leurs officiers ((bien qu’ils dorment sur les fameux lits Picot à l’abri de leurs moustiquaires). Les médecins coloniaux feront faire de très grands progrès à la médecine.

Les soldats indigènes – dans le cas français les fameux « tirailleurs sénégalais (qui seront bientôt des Mossis) – ont formé l’essentiel des forces qui, sous des commandements européens différents, ont mené la conquête des pays d’Afrique. C’étaient des soldats de métier engagés pour quelques années. Les Anglais, les Allemands, les Portugais et les Belges agirent plus ou moins de même. » (p,348)

Commentaire : (1) plus la fièvre bilieuse

Les « colonnes » ? J’ai expliqué dans une de mes chroniques que la « colonne » constituait un instrument de progression et de protection militaire conçu comme celui d’un vaisseau de guerre, alors que les colonies dépendaient encore d’un ministère de la Marine et des Colonies.

Nous reviendrons sur le sujet important des « tirailleurs », car ils jouèrent un rôle très important dans la phase des conquêtes, puis de la colonisation avec leur rôle majeur de « truchement » linguistique et culturel entre hommes de culture différentes, puis dans celle de la décolonisation violente ou pacifique en Indochine et en Afrique, avec ou contre nous en Indochine ou en Algérie.

Dans mes analyses des sociétés coloniales, j’ai longuement traité le thème du « truchement », sans lequel la colonisation n’aurait pu exister, de même et comme l’indiquait Brunschwig, que « sans télégraphe, pas de conquêtes coloniales ».

« Madagascar, un cas géopolitique très particulier. (p,349)

« … Mais surtout, Madagascar présente une originalité géopolitique majeure : lorsque la « Grande Ile » commence à subir au XIXème siècle la pression du colonialisme, il existe déjà un Etat aux allures de monarchie occidentale une large partie de sa population est christianisée et une langue autochtone commune à large diffusion, le malgache, presqu’une langue nationale, existe. Tout cela est d’autant plus étonnant que là vivent, comme en Afrique, des peuples différents.

Un peuplement qui n’est pas africain… Au XVIIème siècle, des Français créèrent quelques comptoirs pour y acheter des esclaves destinés aux plantations des îles que l’on appelait depuis le XIXème siècle Maurice et la Réunion – jadis île de France et île Bourbon – et qui furent longtemps désertes. Mais les Anglais étaient aussi déjà là, ainsi que leurs missionnaires anglicans. » p,350)

Questions : il aurait été intéressant de citer d’autres facteurs géopolitiques importants, en plus des deux caractères insulaire et étatique, le facteur d’escale pour la Marine sur la route des Indes et de l’Asie, avec sa dimension internationale, et peut-être le rôle majeur du groupe de pression des planteurs de la Réunion.

La première intervention armée en 1883 fut décidée par l’éphémère ministre de la Marine et des Colonies de Mahy, originaire de la Réunion (pendant quinze jours).

De nos jours, Françoise Vergès, la politologue bien connue pour ses analyses de propagande postcoloniale n’a-t-elle pas des ascendants réunionnais de la période considérée ?

« Les Anglais, pour lutter contre la traite, ont favorisé le renforcement et la modernisation de l’Etat malgache » (p,351)

« Les Anglais laissent Madagascar aux Français » (p,352)

Commentaire : Madagascar contre Zanzibar, ne sommes-nous pas dans une situation géopolitique très différente de celle des colonnes, dans une autre dimension internationale de la géopolitique coloniale, comparable à celle de Méditerranée (Afrique du Nord avec le cas très documenté du Maroc ou de l’Egypte) ?

« Madagascar encore très différent de l’Afrique noire » (p,353)

Commentaire :  1) l’auteur donne une explication sur l’esclavage qui aurait été supprimé au début du XIXème siècle : mais alors pourquoi Gallieni l’aurait-il supprimé en 1896 ?

2) l’auteur écrit en ce qui concerne la révolte de 1947, non évoquée dans la partie  « Les luttes pour l’indépendance » : « A Madagascar, à cause du christianisme, les communistes étaient beaucoup moins nombreux qu’au Vietnam et le soulèvement malgache fut vite étouffé. »

La lecture qui est proposée pour cet épisode historique serait-elle fondée ? Comparer par ailleurs le Vietnam et Madagascar, n’est-ce pas trop défier la compréhension comparative que l’on peut avoir de la géopolitique ? Méconnaître l’histoire de ces pays ?

« Mais, fait assez difficile à expliquer, l’émigration post-coloniale des Malgaches a été relativement faible. Est-ce seulement l’effet de la distance ? » (p,354)

Commentaire :  « la distance » n’a pas été un « effet de la distance » pour tous : une partie de l’intelligentsia formée en France y est restée  pour bénéficier d’un niveau de vie européen. Cette remarque vaut d’ailleurs pour beaucoup d’anciens pays coloniaux qui ont vu et qui voient leurs nouvelles élites déserter leur pays pour le même type de raison.

« Le Sénégal et la géopolitique de Faidherbe » (p,354)

D’entrée de jeu, au-delà du cas Faidherbe, ne s’agirait-il pas d’un cas de géopolitique sans doute exceptionnel, à la confluence de nombreux facteurs, le principal peut-être étant celui d’un point de départ stratégique presque naturel pour la conquête de l’hinterland, les bouches du fleuve Sénégal..

Je ne me lancerai pas dans l’analyse détaillée de ce cas très particulier de géopolitique africaine qui s’est articulé sur quelques facteurs géopolitiques clés, la capitalisme maritime de Bordeaux, le rôle majeur de Faidherbe, fort bien décrit, le rôle majeur de la géographie avec la voie d’accès saisonnière du fleuve Sénégal vers les territoires de conquêtes quasi-impossible au début des conquêtes (Haut Sénégal, Soudan, le bassin du Niger), et pour faire bonne mesure, la présence d’un islam modéré par de grandes confréries (notamment la Mouride) alors que cette région fut le théâtre de plusieurs djihads, notamment ceux d’El Hadj Omar Tall, et Ahmadou, menés par des peuples Peuhl, ici les Toucouleurs.

Il convient de citer au moins d’autres particularités de la période coloniale, l’exception des quatre communes de plein exercice, au début du XXème siècle comme en métropole, la participation très  active du Sénégal dans la guerre de 1914-1818, enfin l’élection comme député d’un chrétien, Léopold Senghor, après 1945, dans un territoire musulman.

N’oublions pas par ailleurs que son potentiel économique était plutôt limité, avec la gomme et l’arachide, et qu’il n’avait rien à voir avec celui de la Gold Coast (Ghana) et de la Nigéria, ou plus tard de la Guinée et Côte d’Ivoire.

Enfin, et compte tenu de l’ensemble de ces facteurs de la période coloniale, il n’est pas tout à fait surprenant que selon le classement que fit Hampaté Bâ, entre les différentes catégories d’Africains, les Africains de l’hinterland considéraient les Sénégalais comme des demi-blancs.

Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés

La Question post-coloniale- Yves Lacoste- Les conquêtes en Afrique – Samory- Suite et fin

Chapitre 7

Les conquêtes en Afrique noire

« La guerre contre Samory, grand héros de l’indépendance africaine » (p,359)

Ce sujet m’est familier compte tenu des recherches que j’ai effectuées sur la conquête de l’Afrique noire dont j’ai publié les résultats dans les deux livres « Le vent des mots, le vent des maux et le vent du large » et « Confessions d’un officier des troupes coloniales – Marie Etienne Péroz ».

Le récit de Péroz est intéressant, à la fois parce qu’il a approché  Samory de près, notamment à sa cour de Bissandougou, parce qu’il a négocié un traité de protectorat (mort-né), qu’il a convoyé son fils Karamoko dans un voyage insolite en France et à Paris, enfin qu’il faisait partie du très petit nombre d’officiers qui parlaient un dialecte africain, à la fois le malinké et le bambara.  Il avait d’ailleurs publié un petit lexique français- malinké.

L’auteur écrit :

«  El Hadj Omar, qui s’est appuyé pour former son empire sur la puissance révolutionnaire d’une grande confrérie religieuse, est de nos jours beaucoup moins connu et célébré que Samory Touré alors que celui-ci d’origine non musulmane, n’eut pas l’appui d’une confrérie religieuse mais celui de réseaux esclavagistes. Son empire disparut de son vivant dans une sanglante catastrophe. Les Français rencontrèrent beaucoup plus de difficultés avec Samory qu’avec tout autre souverain africain…. » (p,359)

« … Samory devient un guerrier réputé et se prétend chef musulman…

« … La création d’une armée de métier et de soldats-esclaves, base d’un Etat militaire et marchand. » p,360)

« … Selon Elikia M’Bokolo, qui reprend le grand livre d’Yves Person, « l’empire de Samory peut être défini come un Etat guerrier et marchand » : une commerçante devait pouvoir y circuler librement avec ses marchandises. Celles-ci étaient le plus souvent des esclaves, et ce n’était donc pas des femmes qui les menaient. Au sein du Wassoulou, l’empire de Samory, le commerce, comme dans bien d’autres royaumes africains, portait principalement sur les esclaves, les chevaux, les fusils et la poudre… »(p,361)

Commentaire : – une énumération des marchandises surprenante : des chevaux, des fusils, de la poudre, mais ni sel, ni kolas ?

L’auteur passe à la phase  suivante des guerres de Samory, celle de Sikasso, à l’est, mais celles des années 1880-1890, furent intéressantes sur le plan géopolitique, car elles se caractérisèrent, côté français, par la recherche d’une solution de protectorat avec Samory, avec Brière de l’Isle, Borgnis-  Desbordes, Gallieni, Frey et Péroz, le négociateur…

Il y eut bien alors une phase de conquête « intelligente », à l’anglaise, de gouvernance indirecte, comme l’avaient envisagé de Lanessan et Lyautey en Indochine.

Bloqué par les Français à l’ouest, Samory lança    ses Sofas à l’assaut de Sikasso, sans succès. L’auteur propose alors son explication sur la suite des événements, son projet d’attaque du royaume Baoulé au sud :

« Celui-ci veut attaquer au sud le puissant royaume Baoulé, célèbre pour son or et non musulman, réputé pour ses guerriers. Samory, dont les forgerons fabriquent des fusils, mais qui n’arrive pas à se fournir en bonne poudre, reprend langue en 1886 avec des officiers français venus de grand Bassam. Il leur confie un de ses fils pour qu’il aille en France. Il veut aussi que ses interlocuteurs lui donnent des fusils, de la poudre et des canons. Ils refusent évidemment, de même qu’ils ne veulent pas contraindre les populations qui ont fui Samory à retourner dans les territoires qu’il contrôle. » (p,364)

Commentaire : peut-être aurait-il intéressant que l’auteur cite la ou les sources de cette version historique qui ne correspond pas à l’autre version documentée que j’ai proposée dans mes livres, avec notamment la phase évoquée plus haut de la recherche de solutions du type protectorat.

Dans cette phase de 1886, il n’y avait pas trace d’officiers venus de Grand Bassam, sauf dans l’affaire de Kong, et de la colonne qui remontait, de la côte vers le nord pour diminuer la pression des Sofas de Samory sur les colonnes françaises venues du Niger.

Précisons qu’en février 1887, Louis Gustave Binger, futur gouverneur de la Côte d’Ivoire, officier des troupes coloniales, partait à la découverte, de Bamako, sur un bœuf, pour rejoindre le sud à Kong, qu’il atteint  le 20 février 1888.

« « La guerre du refus » contre Samory (p,362)

Commence contre Samory en 1889 et au sein même de son empire ce qui pour beaucoup d’Africains a été la « guerre du refus », car les animistes et nombre de musulmans ne supportaient plus les livraisons d’esclaves qu’il leur imposait. (pour acheter des armes en Sierra Leone)

Il y a donc besoin de s’emparer de nouveaux territoires à exploiter et où prendre des esclaves, mais les Français lui barrent les routes de l’ouest et du sud, et au nord il y a l’Empire mossi qui n’est pas musulman et dont les forces sont grandes… Il lui reste la route de l’est, mais les colonnes françaises y mènent la politique de la terre brûlée, détruisant villages et greniers, afin que l’armée de Samory ne puisse pas se ravitailler…Ses proches l’adjurent de négocier de nouveau. Samory s’y refuse et fait même tuer son fils rentré de France…

Le 29 septembre 1898, Samory est enfin fait prisonnier…. Déporté au Gabon, il mourra en 1900 après avoir tenté d se suicider. »

Commentaire : la « saga » de Samory est une source inépuisable d’interprétations religieuses, idéologiques, culturelles, politiques, coloniales, et militaires, un terreau d’autant plus fertile qu’il alimente les polémiques sur les histoires africaine, coloniale, et post-coloniale

Yves Person – Le texte qui suit mérite attention et commentaire car il pose toute la problématique de l’histoire africaine en cause, orale et non écrite, ce qu’on appelle la « tradition » avec l’authenticité des sources citées : Yves Person administrateur de la France d’Outre Mer d’origine, s’est lancé dans un travail titanesque de recueil des sources orales qui existaient encore, plus de soixante ans après,  chez les griots et les vieux du Bassin du Niger.

Il en a tiré une somme de plus de mille pages dont j’ai copie, et dont l’orientation est favorable à l’Almamy Samory.

Le choix du sujet par cet auteur dénote à l’évidence l’état d’esprit de nombreux chercheurs, souvent français, qui ont eu, ou ont encore, l’ambition de se  démarquer de la vision colonialiste qu’ils reprochent à d’autres collègues, une sorte de « repentance » avant la lettre, nourrie à un lait marxiste déclinant ou socialiste.

Le travail de l’auteur s’inspire donc d’une démarche paradoxale et originale, pour un historien européen de recueil systématique de sources orales, sur le continent africain, et non écrites, plus d’un demi-siècle après les faits, un vrai travail de bénédictin.

Il faut laisser évidemment le soin aux historiens de se prononcer sur ce choix méthodologique et sur ses résultats.

En ce qui me concerne et dans les recherches que j’ai effectuées sur ce sujet très sensible, je m’en suis rapporté aux sources écrites que j’ai répertoriées dans le livre « Confessions d’un officier des troupes coloniales –Marie Etienne Péroz ».

Je proposerai plus loin quelques précisions sur le témoignage de cet officier, acteur, interlocuteur, et témoin de la période Samory.

L’analyse proposée par Yves Lacoste détonne quelque peu dans le courant post-colonial qui anime aujourd’hui une grande partie des chercheurs, et c’est à mettre à son crédit, sauf à faire remarquer qu’il en fait un élément principal de sa démonstration géopolitique sur le rôle de l’esclavage dans l’histoire des conquêtes  :

« Malgré les razzias et ls massacres qu’il a fait subir à des peuples dont il a vendu une partie comme esclaves, Samory a aujourd’hui l’image d’un grand « homme d’Etat et résistant anticolonialiste » (Elikia M’Mbokolo). Dans l’énorme ouvrage qu’Yves Person lui a consacré, Samori, une révolution dioula (1968), il n’est guère porté attention aux grandes entreprises esclavagistes que Samory a mené sur les territoires dont il faisait la conquête. Certes, la pratique de l’esclavage y était devenue (était ou était devenue) banale, mais ce n’ était pas le cas de cette guerre du refus qu’ont finalement mené contre Samory les populations qu’il réduisit en esclavage et qu’il déportait. Cette « guerre du refus » a largement contribué à sa chute. Yves Person parle de Samory comme d’une « révolution dioula » mais on n voit pas en quoi cette entreprise a été « révolutionnaire ». Elle a créé une fois encore en Afrique noire un « Etat militaire et marchand » comme il y en a eu bien d’autres depuis des siècles (et au XIXème siècle en Afrique du Sud, l’Etat esclavagiste de Chaka, le « Napoléon zoulou »).

Ne serait-ce pas cette guerre du refus contre Samory qui était « révolutionnaire ». Elle a en effet été menée contre ses entreprises esclavagistes et elle fut une des actions antiesclavagistes les plus notables qui aient été menées en Afrique par des Africains. Sans doute fut-elle soutenue par les Français, mais Samory menait déjà de grandes razzias esclavagistes bien avant de se heurter à eux. Sans doute et géopolitiquement parlant tant sur le plan mondial que régional, la chute de Samory était-elle inévitable. Mais les Français surent tirer un avantage géopolitique en ne pratiquant pas l’esclavage ( et pas encore le « travail forcé ») et en prenant sous leur protection intéressée des peuples tentant de fuir les razzias esclavagistes de Samory. » (p,364)

Commentaire : il serait intéressant d’en savoir plus sur les acteurs et leaders de cette « guerre du refus ».

Est-ce qu’il ne s’agissait pas tout simplement du seul moyen qu’avait Samory pour financer ses achats d’armes en Sierra Léone ?

Je reviens sur le résultat de mes recherches et sur le livre cité plus haut : plus de cent pages concernent les guerres contre Samory, sous le titre Guerre et Paix avec Samory, après l’exploitation des sources ci-après : Péroz naturellement (Au Soudan, Par Vocation), Frey, Binger, Fofana avec le griot célèbre Dieli Kabou Soumama, Alpha Oumar (AOM), A.O.Konaré, Zerbo, la Revue Le Tour du Monde, la Société d’Emulation du Doubs, dont Péroz faisait partie, et enfin V.D. Hanson « Carnage et Culture »

Mon autre livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » propose un palette complémentaire de sources.

 « Le non-dit sur la géopolitique interne de l’esclavage (p, 364)

« Il est pour le moins fâcheux que soit présentée comme exemplaire la tentative impériale que Samory mena contre l’impérialisme ; c’était d’abord pour avoir beaucoup d’esclaves à vendre, et cela quasiment au XXème siècle ! Il est regrettable que la question de l’esclavage en Afrique soit toujours escamotée tant par les dirigeants africains que par la plupart des africanistes français. Les hommes politiques africains et les historiens qui dénoncent le « colonialisme esclavagiste » ne veulent pas se demander qui capturait les esclaves, ni se poser la question de la « traite intérieure » menée au XIXème siècle après que la traite atlantique en eut été interdite aux Européens.

Ces non-dits, ces questions le plus souvent interdites sont le fait de responsables politiques dont la « tribu » a jadis participé à la capture des esclaves et qui demeurent l’une des ethnies dominantes. C’est aussi pour ne pas aller à l’encontre du « sentiment d’unité nationale» qu’est imposé le non-dit, notamment sur la « traite intérieure » qui est celle dont on devrait se souvenir le mieux, car  elle est la plus récente. Mais c’est la plus compliquée du fait de la démultiplication des entreprises esclavagistes après l’interdiction de l’exportation outre-Atlantique.

Il ne s’agit pas d’encourager les mouvements séparatistes qui se sont développés dans de nombreux pays plusieurs décennies après l’indépendance, les espoirs qu’elle avait suscités ayant été souvent déçus.

 Certains de ces mouvements sont-ils géopolitiquement raisonnables (encore que…) dans de très, trop vastes Etats pour que le contrôle et la desserte des régions les plus lointaines soient possibles vu les moyens restreints dont ils  disposent ?

Ouvrir une réflexion sur la géopolitique intérieure de la traite de tel ou tel pas n’est sans doute pas sans risque, mais ce sont de toute façon des questions dont on discute sous le manteau ; mais elles se sont amplifiées et déformées par des rumeurs ou des représentations géopolitiques erronées. L’objectif serait que dans tel ou tel pays l’étude post-coloniale débouche sur la rencontre des représentants des différents peuples (dans certains Etats, plusieurs dizaines) qui se trouvent dans le cadre des frontières issues des partages impérialistes. Le souhait serait que de telles rencontres – une fois expliquée et éclaircie la géopolitique de la traite – débouchent sur de mutuels échanges…. » (p,365)

Commentaire : un Lacoste géopoliticien militant ou toujours militant, pourquoi ne pas se poser la question à la lecture des propos soulignés ?

Ne conviendrait-il pas d’ouvrir le débat de préférence sur la nature des facteurs géopolitiques recensés  et sur leur rôle principal ou secondaire, selon les époques et les territoires examinés, au-delà du seul esclavage ?

Est-il possible d’écrire « ces mouvements sont-ils géopolitiquement raisonnables… » ? Comme si la géopolitique avait pour mission de faire le tri entre ce qui est raisonnable et ce qui ne l’est pas…

Par ailleurs, l’expression « unité nationale » est dans beaucoup de cas trompeuse de même que le mot Etat dans la plupart de ces pays.

« La colonne infernale Voulet-Chanoine et la percée jusqu’à Fachoda » « (p,366)

Commentaire : il sera bref.

A mes yeux, la folle colonne infernale en question et la folle course de la mission Marchand vers Fachoda illustrent la folie de la plupart des conquêtes coloniales décidées par des gouvernements le plus souvent incompétents, mais qui savaient jouer à plein sur le sacrifice, l’esprit d’aventure ou de gloire d’une grande partie de ses acteurs.

Dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large », j’ai consacré quelques pages à l’affaire de Fachoda, qui fut avant tout le fruit d’une rivalité géopolitique en Egypte entre la France et le Royaume Uni, gagnée par ce dernier grâce à des opérations d’emprunt plus intelligentes de son système d’impérialisme financier.

Il fallait que le ministre Hanotaux, enseignant d’origine, fut doté d’une sacrée dose d’innocence coloniale pour lancer cette équipée géographique d’acteurs exceptionnels et courageux, pour aller à la rencontre d’une armée coloniale anglaise puissante, moderne, terrestre et fluviale sur le Nil, celle de Kitchener.

L’affaire de Fachoda ne devrait-elle pas à ranger dans un livre des records coloniaux ?

L’affaire de Fachoda conduit à poser la question de fond sur la logique du chemin géopolitique choisi par l’auteur, dans l’ordre des questions traitées, la question post-coloniale, puis les soulèvements, et enfin les conquêtes.

A la fin de notre lecture critique, et dans un chapitre spécial, nous reviendrons sur les questions méthodologiques que pose l’analyse proposée par Yves Lacoste, pour autant qu’elles ne soient pas devenues obsolètes, dix ans après leur publication.

Après analyse attentive du chapitre 7 consacré aux conquêtes coloniales en Afrique noire à la fin du XIXème siècle, le lecteur est bien obligé de constater qu’il lui a été impossible d’y trouver le cas concret d’application de la théorie géopolitique du triptyque « Représentations – Pouvoir – Territoire ».

Je terminerai mon exercice de lecture critique en citant à nouveau le géographe Richard-Molard, une citation de caractère géopolitique sur l’AOF coloniale :

« Elle subit une anémiante continentalité ; et l’AOF la subit pour trois raisons » : …1) la rareté des caps, 2) elle tourne le dos à la mer, 3) «  Enfin, l’AOF est particulièrement enfermée dans la continentalité pour des raisons historiques et politiques qui proviennent de la façon dont les Français l’ont acquise et dessinée… » (page XII)

« L’Afrique tournée vers le bassin du Niger, coupée de la côte, avec l’influence grandissante d’un islam venu du nord et de l’est, face à une myriade de royaumes et de chefferies de culture animiste, de dialectes, au sud, vers une côte que la barre rendait inaccessible. Le passage de la barre et la montée des fleuves vers le Niger ne fut possible qu’avec l’explosion des technologies  au milieu du XIXème siècle. »

Jean Pierre Renaud   –   Tous droits réservés

La Question post-coloniale- Yves Lacoste- Troisième partie Lecture critique « Les conquêtes coloniales »

Comme annoncé ces dernières semaines :

dans la rubrique « Les Raisins Verts »

Lecture critique : suite et fin

&

« La Question post-coloniale »

Yves Lacoste

Troisième Partie

Les conquêtes coloniales

(page 217 à 398)

 Chapitre 5 et 6

(page 217 à 262 = 45 pages)

« Pourquoi et comment furent d’abord conquis les deux plus grands empires ? »

&

Question préliminaire : il n’y aurait pas eu d’Empires auparavant ? Ni dominations ?

  L’auteur analyse dans ce chapitre deux empires, ceux d’Amérique Centrale et des Indes.

            « La conquête de l’Amérique ouvre l’ère planétaire du colonialisme » (p,219)

            « A la différence des empires en continuité territoriale, les empires d’outre-mer sont plus récents et sont essentiellement le fait d’Européens puisque l’Empire chinois a renoncé à son expansion navale et que l’impérialisme japonais est extrêmement tardif. Les empires d’outre-mer résultent de la projection, au delà de très vastes océans, de forces qui ne pouvaient être très nombreuses à embarquer sur des navires à voile… » (p,219)

Questions :

            « …ouvre l’ère planétaire du colonialisme » ?

Il aurait été intéressant que l’auteur explique pourquoi le colonialisme est distinct de l’impérialisme, alors que les deux concepts paraissent avoir la même racine, la domination, d’autant plus que, sauf erreur, le terme colonialisme est un terme anachronique ?

La distinction entre empires en continuité territoriale ou non aurait méritée d’être étoffée, car elle constitue un des traits majeurs de la géopolitique impériale de l’époque considérée et des suivantes avec l’explosion des nouvelles technologies de la Renaissance puis des XVIIIème et XIXème siècles.

La même distinction vaut toujours de nos jours qu’il s’agisse de l’Afrique, de l’Asie ou du continent européen.

            Page 221 : « … l’Afghanistan, qui eut le « privilège » d’être le seul Etat hors d’Europe à ne pas avoir connu une quelconque domination coloniale »

            « Etat » : Etat ou tribus ? Avec le même type de problématique que dans la montagne berbère ?

  • La raison principale ne serait-elle pas en effet, celle cumulée de la géographie et de la culture avec des massifs infranchissables où se sont enracinées de puissantes tribus qui existent toujours.

L’auteur n’a-t-il pas mis le facteur géopolitique majeur de sa démonstration les « tribus » en lumière ailleurs, notamment en Algérie ?

  • A la page 267, en effet, dans son analyse de la conquête de l’Algérie, l’auteur écrit : « Les caractéristiques politiques de l’Algérie sont comparables à celles d’Afghanistan d’alors », sauf que ce dernier « territoire » n’était pas géographiquement bordé par des les côtes de la Mare Nostrum, et à cette époque, avec la présence d’un Empire Ottoman encore puissant.

            Page 222 « Comportement intrinsèque de l’Occident ou la suite des croisades

            « Le discours philosophique post-colonial, notamment des postcolonial studies, prend argument de ces cinq siècles de conquêtes – auxquels on ajoute pour faire bonne meure les croisades, l’Empire romain et celui d’Alexandre le Grand (ce qui implique les Grecs) – pour affirmer que le colonialisme est intrinsèque à un Occident fondamentalement impérialiste, avant même que son hégémonie s’étende sur l’ensemble  d’un monde plus vaste qu’il ne l’imagina longtemps. » (p,222)

Commentaire : l’expression de « comportement intrinsèque de l’Occident » est-elle intelligible? 

            « Les géographes, Henri le Navigateur et la vuelta dans l’Atlantique » (la boucle) (p,224)

La géopolitique des « Grandes Découvertes » ?

            L’ensemble des pages (p,226 à 242) qui suit est intéressant, en regrettant toutefois qu’on n’en raccorde pas les caractéristiques géopolitiques avec celles d’Asie ou d’Afrique, en vue d’éclairer les conquêtes ultérieures.

            « La pénétration très progressive de l’Inde » (p,242)

            «  La conquête britannique du Bengale » (p,252)

Commentaire ;  un seul, pour avoir beaucoup analysé les deux empires anglais et français, et avoir publié mes réflexions sur le blog – très consultées depuis 2016 –  , je dirai simplement qu’Anglais et Français ne jouaient pas dans la même division, comme au foot (d’origine anglaise) : comment comparer l’Indochine, la colonie, le « joyau » d’après Lyautey, à l’Empire des Indes,  l’Inde des « nababs », des « cavernes d’Ali Baba », avec ses flottes et ses lignes de chemin de fer antérieures à 1900, avec l’Afrique de l’Ouest à la même date ? 

            Puis-je donner l’exemple du rail indien ? En 1880, le pays disposait déjà d’un réseau de 14 500 kilomètres de long ? Alors que l’Afrique occidentale noire était encore dans les limbes d’une modernité contestable ou contestée !

            Et pour le reste de l’empire anglais, doté de territoires riches ou à peupler, avec ceux, maigrichons de l’empire français ?

            « … On peut considérer que cette expérience de l’établissement progressif de la domination britannique en Inde, avec le concours intéressé de la classe dirigeante autochtone, est à l’origine des méthodes dites de colonisation indirecte que les Britanniques – en l’occurrence les employés des compagnies de commerce comme l’East India Company – mettront en œuvre dans les pays africains dont ils feront la conquête au XIXème siècle… » (p,260)

            Au contraire, dans la plupart des pays africains soumis par l’armée française au XIXème siècle (avec le soutien des missionnaires catholiques qui enseignaient en français), ce sont les méthodes de la colonisation directe qui furent la plupart du temps mises en œuvre après la conquête de l’Algérie. Cependant, au début du XXème siècle, des méthodes plus ou moins proches de celle de la colonisation indirecte furent mises en œuvre par les autorités françaises dans les pays sous protectorat (Tunisie, Maroc).Leur conquête fut beaucoup plus rapide moins difficile que celle de l’Algérie. » (p,261)

Commentaire : une interprétation comparative par trop caricaturale des deux systèmes coloniaux et du colonialisme anglais, comme le lecteur pourra le constater en consultant les analyses comparatives publiées en 2016, et toujours très consultées.

            De façon géopolitique et schématique, et pour rester sur les « territoires » de l’Afrique de l’Ouest, je proposerais – culture britannique du tout business (côtes riches et abordables), contre rêves de grandeur et laisser faire par des gouvernements francs-maçons ignorants –  présence de royaumes puissants,  Ashanti ou Bénin vers la côte, et Emirats également puissants au nord, au lieu de la myriade de royaumes, de tribus et de chefferies au-delà des côtes visées par les troupes coloniales françaises (indigènes pour au moins 90% de leurs effectifs).

            Convient-il de préciser qu’il n’y avait pas beaucoup de missionnaires catholiques qui parcouraient les pistes de la brousse au XIXème siècle…

            Enfin, question impertinente ! Dans quelle science humaine sommes-nous, l’histoire ou la géopolitique ?

      Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés

Chapitre 6

La très longue et très difficile conquête de l’Algérie

(pages 262 à 327 = 65 pages)

Soit 35% des pages consacrées aux conquêtes coloniales

  Incontestablement, un pays cher au cœur d’Yves Lacoste, avec un faible pour les Kabyles ! Peuple effectivement très intéressant d’après mon expérience d’officier SAS en Petite Kabylie.

            L’histoire de l’Algérie n’a jamais été ma spécialité, même s’il m’est arrivé à plusieurs reprises de me plonger dans la lecture de quelques ouvrages de témoignages ou d’histoires pour comprendre les raisons, sinon l’engrenage d’une conquête violente et meurtrière, de la révolte kabyle des années 1871, de la période 1940-1945 avec le rôle d’Alger, en prolongement des conflits politiques graves qui divisaient le pays, entre les deux camps gaulliste et pétainiste.

            Plusieurs événements avaient marqué  ma mémoire, le rôle des troupes venues d’Afrique du Nord, dans la libération de mon pays natal, Françaises, Algériennes, et Marocaines, le refus par les Français d’Algérie de toute évolution politique nécessaire et inévitable dans ce territoire, le livre « La Peste » de Camus, un de mes auteurs préférés de jeunesse…

            Une anecdote historique et familiale, le souvenir d’avoir rencontré, en 1945, à la table familiale un beau et grand tirailleur noir, un Sarah, d’après mes parents, le premier noir que je voyais de ma vie.

            J’avais toujours en tête la clé démographique de l’Algérie : au début du XXème siècle, la population européenne était composée en gros pour un tiers d’immigrés français pauvres et de proscrits (Révolution 1848, Commune, Alsace Lorraine), pour un tiers d’immigrés italiens pauvres, et pour un tiers d’immigrés espagnols pauvres, avec quelques noyaux de population juive dans les ports.

            Afin de situer ma perception, pour ne pas dire mon jugement sur la période des conquêtes coloniales, après voir effectué de très nombreuses recherches historiques sur le qui faisait quoi dans le processus de décision politique d’un conquêtepour autant qu’il puisse être effectif dans le contexte des communications de l’époque (voir le livre avec toutes ses références, « Le Vent des Mots, le Vent des Maux, le Vent du Large » qui va être publié en numérique), je me suis posé de multiples fois la question en résumant ma réponse au refrain :

« Il ne fallait pas qu’il y aille, il ne fallait pas y aller ! »

Dans le cas de l’Algérie, il aurait mieux valu rester en Egypte, un des « territoires » que les Anglais ont subtilisé à la France (une des clés géopolitiques de Fachoda), dont l’intérêt stratégique, économique, et humain, était autrement éminent avec le canal de Suez, la route de l’Asie.

« La situation géopolitique en Méditerranée vers 1830 » (page 269)

L’auteur analyse la nature des révoltes successives, la guerre contre Abd el Kader, et le rôle des tribus, comme déjà signalé, dont l’importance existe encore de nos jours, dans les pays arabes.

Il s’agit sans doute d’un des facteurs qui a induit l’Occident en erreur dans son interprétation des « Printemps arabes », notamment les Anglais et les Français, lors de l‘intervention militaire contre Kadhafi.

« Le débarquement sans projet stratégique » (page 279)

« Napoléon III fait traduire et publier la grande œuvre d’Ibn Khaldoun » (page 307)

« … Elle était presque totalement ignorée au Maghreb et dans l’ensemble du monde arabe et ne fut découverte que grâce à la minutie des inventaires systématiques que les orientalistes français menèrent pendant des décennies dans les bibliothèques de Tunis, du Caire ou d’Istanbul.

Il est de bon ton aujourd’hui dans le courant des postcolonial studies, d’accuser les orientalistes d’avoir délibérément propagé une vision fallacieuse et mystificatrice de l’Orient. C’est la thèse que développe Edward Said dans son livre « L’Orientalisme » (1978). Les orientalistes du début du XIXème siècle qui ont découvert l’œuvre d’ibn Kaldoun en ont plus ou moins perçu l’intérêt « géopolitique », car il s’est beaucoup demandé pourquoi les grands empres maghrébins, notamment celui des Almoravides (XIème siècle) et celui des Almohades (XIIème siècle) s’étaient disloqués eux-mêmes sans attaque extérieure, (à la différence des empires du Moyen Orient, frappés par les invasions turco-mongoles). Ibn Kaldoun montre par de nombreux exemples que les royaumes maghrébins se sont disloqués pour des raisons internes, par  perte de cohésion de la tribu fondatrice, le déclin de son « esprit de corps –nous y reviendrons à propos du Maroc. » (page 308)

Commentaire : j’ai consacré beaucoup de temps à analyser les ouvrages savants d’Edward Said, afin d’évaluer la pertinence de la thèse qu’il défendait sur l’existence de « structures d’attitudes » en Occident, susceptibles d’animer et de perpétuer les courants orientalistes des siècles passés.

J’ai publié ces analyses critiques sur le blog : d’une part l’ouvrage « Culture et impérialisme » le 01/12/2011, et d’autre part l’ouvrage « L’orientalisme », le 20/10/2010.

Le concept était intéressant, mais il souffrait d’une carence de définition et d’évaluation quantitative, et ne semblait pas susceptible d’être qualifié de pertinent.

Cette critique pourrait sans doute être faite à l’endroit de la plupart des études publiées sur l’histoire coloniale, sur l’histoire post – coloniale, et encore plus sur les théories post-coloniales en vogue, l’absence d’évaluation quantitative des faits et des « représentations »

Cette carence était patente pour les ouvrages du groupe de propagande post-coloniale Blanchard and Co, ou pour « La guerre des mémoires » de l’historien Stora.

Au contraire des travaux d’analyse historique quantitative de Jacques Marseille pour l’ensemble de l’Empire et ceux de Daniel Lefeuvre pour l’Algérie qui s’inscrivaient dans la tradition exigeante des Annales.

Comme nous l’avons souligné, il est légitime de se poser le même type de question et de critique, relativement au concept de « représentations » proposé par l’auteur, avec l’absence de définition et d’évaluation de ce concept géopolitique.

Il est frappant de constater que depuis 1945, le pays ne manque pas de savoir faire pour procéder à des sondages ou à des enquêtes statistiques sérieuses : de nos jours, le citoyen est pilonné de sondages.

« La conquête rapide et précise de la Grande Kabylie » (p,309)

L’auteur raconte les différents épisodes de la conquête de la Kabylie en 1857, puis en 1871.

« La chute d Napoléon III et l’insurrection de 1871 » (p,313)

« Le projet de « royaume arabe » avait suscité la mauvaise humeur de la plupart des militaires et la fureur des colons, car il impliquait que les droits fonciers des indigènes soient reconnus et que l’on rende aux tribus les territoires qui leur avaient été confisqués sous divers prétextes. Durant le voyage de cinq semaines que Napoléon III fit en Algérie, Mac Mahongouverneur de l’Algérie, veilla à réduire les contacts avec les indigènes qui voulaient le rencontrer, sous prétexte qu’il y avait encore des insurrections. A son retour, l’empereur écrivit à Mac Mahon : « Ce pays est à la fois un royaume arabe, une colonie européenne et un camp français ». Mais il entendait freiner l’extension des Européens, pour préserver les droits des Arabes.

Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait croire et à ce que l’on prétend parfois aujourd’hui, les rapports entre les colons et les militaires étaient extrêmement mauvais. Sans ces derniers, les Arabes n’auraient pourtant pas été vaincus et la colonisation n’aurait pu s’établir. Les officiers des « bureaux arabes » cherchaient à limiter l’extension des terres de colonisation pour garder leur contrôle sur les tribus sous leur surveillance. Les colons, dans leurs journaux, dénonçaient constamment ce qu’ils appelaient le « régime du sabre ».

La révolte des colons et la chute de l’Empire (p,314)

La nouvelle de l’effondrement du Second Empire en 1870 fut accueillie avec enthousiasme à Alger et fournit aux colons l’occasion de se débarrasser du pouvoir des militaires et surtout de celui des officiers des « bureaux arabes ». Ceux-ci furent pourchassés par les colons, non seulement à Alger, mais dans diverses villes. Parmi eux les déportés de l’été 1848 jouèrent un rôle important, célébrant la chute de l’empire et la proclamation de la République. Ils exigeaient que l’Algérie cesse d’être administrée comme une colonie. Ils entendaient surtout acquérir les terres des tribus que Napoléon avait placées sous sa protection.

Se disant républicains de gauche, mais surtout racistes et antisémites, ils furent mécontents du fameux « décret Crémieux » (24 octobre 1870) pris par la IIIème République qui décida que les Juifs d’Algérie étaient collectivement naturalisés français. L’agitation des Européens débouche au printemps sur la proclamation d’une « Commune d’Alger » qui, à la différence de celle de Paris, ne dura guère à la nouvelle des troubles qui éclataient dans diverses régions du pays. » (p, 315)

« Contradictions de la société coloniale sous la III° République (p,317)

« La répression de l’insurrection de Kabylie en 1871 marque la fin de la phase de conquête de l’Algérie par l’armée française. Ensuite, et jusqu’aux événements de Sétif de mai 1945, le maintien de l’ordre, qui est en fait l’ordre colonial, relève dans les villes de la police et à la campagne des opérations de gendarmerie ( ?) et de la surveillance des caïds nommés par les autorités. »

« La conquête par Elisée Reclus (p, 319)

« L’extension de la domination coloniale par le moyen d’accords avec les notables des tribus est beaucoup moins évoqué par les historiens et les contempteurs radicaux du colonialisme que l’acharnement des combats contre Abd el Kader. Cependant, Elisée Reclus, le grand géographe libertaire, accorde une importance majeure à ce genre d’accord. Il en fit grand cas dans la partie (500 pages) qu’il consacre à l’Algérie dans le Tome XI – Afrique septentrionale – de sa Géographie Universelle (1886). »

Autre constat dérangeant de ce « grand géographe libertaire » :

« La thèse que les indigènes en Algérie seraient en voie de disparition

« … récusant la thèse de Bodichon (médecin algérois), Reclus poursuit en 1886 : « Maintenant, personne ne répéterait plus ces paroles de haine, quoique de nombreuses injustices se commettent encore. (…)Si le refoulement des indigènes continue en maints endroits, la population mahométane s’accroit. » Certains pensent qu le tiers du peuplement de l’Algérie disparut dans les plaines cultivables, celles où put se développer la colonisation de peuplement. » (p,321)

« La conquête économique : l’essor de la viticulture, premier succès économique en Algérie » (p,322) :

Question : « premier succès » dans un pays musulman ?

« La reconstitution du vignoble en France fut une catastrophe pour les colons d’Algérie » (p,323)

« La prolétarisation des petits colons » (p, 324)

Question : est-ce que ce « premier succès » ne sonnait pas déjà le glas de la conquête de l’Algérie, où rapidement, la seule ressource fut alors celle de la main d’œuvre, c’est-à-dire l’émigration vers la France ? Alors sans le pétrole !

Le mieux est de renvoyer le lecteur vers le livre de Daniel Lefeuvre,   excellent historien de l’histoire économique de l’Algérie, et fondateur du site « Etudes Coloniales », « Chère Algérie : la France et sa colonie , 1930-1962 ».

« Quelle évolution démographique prévoyait-on pour la population indigène ? (p,326)

« Bien qu’Elisée Reclus  se soit élevé contre la thèse selon laquelle, dans la plupart des colonies, nombre de peuples indigènes étaient en voie d’extinction (elle ne s’appliquait évidemment pas à l’Inde ) le tableau qu’il fait en 1886 de l’évolution du peuplement arabe de l’Algérie n’est pas optimiste.

« … En fait, la lutte contre les grandes épidémies, d’abord pour protéger la population européenne, a eu pour effet de réduire les hécatombes qui frappaient périodiquement la population indigène. Celles-ci s’est peu à peu redressée avant de connaître au lendemain de la Seconde Guerre mondiale l’explosion qui se produisit dans la plupart des « pays sous-développés ». Cela explique dans une large mesure l’évolution politique de l’Algérie. » (p,327)

Commentaire ; 1) avec sans doute l’existence de la question post-coloniale algérienne que le pétrole du Sahara n’a pas réussi à faire disparaître !

2) Il aurait été intéressant et sans doute utile que l’analyse, avant tout historique cite un rapport que fit Tocqueville en 1847 sur la situation de l’Algérie.

3) Enfin, et pour revenir au cœur de la géopolitique, telle que définie par l’auteur, avec le triptyque – représentations – pouvoir – territoire – il aurait été non moins intéressant que l’analyse nous éclaire sur le rôle du « Pouvoir », le décideur ou les décideurs, le qui faisait quoi ?

Jean Pierre Renaud    –   Tous droits réservés