L’analyse critique à laquelle nous allons procéder porte sur l’histoire coloniale de la France entre 1870 et 1962.
Un petit flash back historique nécessaire
Comme au cinéma, puisque nous sommes aussi dans le domaine des images, procédons à un rapide flash back historique que le lecteur conservera utilement dans sa mémoire pour se faire une opinion, à chacune des époques considérées, sur les discours du collectif de chercheurs dont nous allons critiquer les travaux.
Années 1880-1914 : la période des grandes conquêtes coloniales de la Troisième République, dans le sillage de la défaite de 1870 et de la perte de l’Alsace Lorraine.
Première guerre mondiale 1914-1918, la boucherie : la France fit appel aux troupes indigènes de l’Empire. Cette guerre miten péril les forces vives de la nation beaucoup plus mobilisées, dans les quelques vingt années qui la séparèrent de la deuxième guerre mondiale :
- par la reconstruction du pays.
- par la lutte contre les effets de la grande crise
économique de 1929,
- et enfin, par la menace de l’Allemagne hitlérienne
et du communisme soviétique,
quepar la consolidation d’un empire colonial.
Deuxième guerre mondiale – 1939-1945 une période trèsambigüe avec l’affrontement entre de Gaulle et Pétain, et le rôle stratégique que se trouva jouer l’Empire, un Empire disputé par les deux camps. La France fit à nouveau appel aux troupes de l’Empire.
Après la Libération de son territoire, la France fut une fois de plus occupée à se reconstruire, àse refaire une santé nationale, et fut dans l’incapacité de faire évoluer l’Empire vers une Union Française toujours introuvable, et de plus en plus introuvable avec les insurrections encore circonstanciées deSétif, puis beaucoup plus graves de Madagascar et d’Indochine, et enfin par la guerre d’Algérie, conflit de toutes les ambiguïtés de la France.
Nous veillerons donc à mener notre analyse toujours dans le respect de ces temps historiques, car ilest impossible de mettre sur le même plan les images et les textes de ces différentes époques.
Comment comparer en effet la propagande par images de Vichy, pendant l’occupation allemande, alors que l’Empire était devenu lechamp clos de toutes les luttes franco-françaises et alliées, avec celle des années. 1900, 1930 ou 1950, à supposer, ce qui est loin d’être démontré, comme nous le verrons, qu’il y ait eu alors une véritable propagande ?
Les ouvrages en question
Notre analyse porte sur les ouvrages suivants, car il faut bien appeler un chat un chat. Chaque fois qu’ils feront l’objet d’une citation, ils seront rappelés par les lettres en gras qui figurent entre parenthèse.
Actes du Colloque Images et Colonies
des 20 au 22 janvier 1993 ; ……………………………………………….. (C),
Images et Colonies ; fin 1993……………………………………………….. (IC),
Thèse Blanchard ; Sorbonne, 1994……………………………………… (TB),
Culture Coloniale ; 2003 ……………………………………………………. (CC),
La République Coloniale ; 2003 …………………………………………. (RC),
Culture Impériale ; 2004 …………………………………………………….. (CI),
La Fracture Coloniale ; 2005 …………………………………………….. (FC),
L’Illusion Coloniale ; 2006 ……………………………………………….. (ILC).
Trois historiens ont largement contribué à la conception et à la rédaction de ces ouvrages et développé la thèse que nous contestons, Pascal Blanchard, le principal animateur et rédacteur, Nicolas Bancel, et Sandrine Lemaire.
Françoise Vergés (docteur en sciences politiques et professeur à l’Université de Londres) a été associée à la rédaction de La République Coloniale.
Les Actes du Colloque (janvier 1993)
L’ambiguïté des propos et donc, de l’objet des études, marque dès le départ l’introduction des Actes du Colloque (Blanchard et Chatelier). Alors que ses rédacteurs indiquent que l’examen n’a porté que sur une quarantaine d’illustrations (p.13), alors que la production iconographique du XXème siècle révèle un volume très important d’images dont l’estimation exacte reste à faire (p.13), tout en veillant à ne présenter que des images dont on peut évaluer la diffusion (p.14), les auteurs n’hésitent pas à écrire que « le temps colonial se réapproprie le présent, que l’image fut l’allié puissant du colonialisme », et que « cette multiplication des images coloniales et la variété de leurs supports, évoquent un véritable bain colonial… » (p.14).
Et nous voilà plongés, en dépit de ces incertitudes et de ces approximations, dans le bain colonial, dont les enjeux ne sont pas aussi limpides que ceux du célèbre bain biblique de la chaste Suzanne.
Nous verrons au fur et à mesure de notre analyse ce qu’il convient de penser de ces affirmations audacieuses, tout en montrant, qu’au cours de ce fameux colloque, toutes les contributions se rapportant aux différents supports d’information ou de culture, et, tant s’en faut, n’ont pas fait preuve de la même belle et imprudente assurance historique.
Le deuxième ouvrage passé au crible est Images et Colonies (fin 1993). Beau travail de collecte d’images coloniales, mais la question qu’il pose est de savoir si son contenu apporte la preuve du discours tenu par ses responsables.
Images et Colonies
L’avant propos annonce la couleur, haut et fort (Blanchard). D’abord dans son titre : « Il est temps de décoloniser les images » (p.8).
Et dans le texte une succession d’affirmations péremptoires sur l’importance des images coloniales et sur leur influence.
« Nous avons travaillé sur les images vues par un large public français à l’époque coloniale de la fin du XIXe siècle aux indépendances… à force de diffusion et de matraquage, un message de propagande… Aujourd’hui encore ces images restent présentes dans la production iconographique… comment les Français ont pu être séduits et/ou trompés par ce qui fut pendant près d’un siècle une véritable propagande… pour comprendre les phénomènes contemporains… son groupe de recherches a recensé plus d’un million d’images qui ont été analysées au sein de son séminaire et présentées au cours d’un colloque international organisé par l’ACHAC à la Bibliothèque Nationale en janvier 1993. »
Il s’agit du Colloque évoqué plus haut.
La thèse Blanchard intitulée Nationalisme
et Colonialisme (Sorbonne 1994)
Idéologie coloniale, Discours sur l’Afrique et les Africains de la droite nationaliste française des années 30 à la Révolution Nationale.
Le lecteur aura remarqué que la recherche historique est très limitée dans son champ idéologique et chronologique, et qu’il n’est pas du tout question d’images coloniales. L’auteur a fait porter ses efforts sur la presse, et nous reviendrons sur le contenu de cette thèse à l’occasion du chapitre que nous consacrons à l’analyse du support d’information et de culture qu’est la presse.
Culture Coloniale (2003)
Cet ouvrage a la prétention de démontrer que la France a eu et a encore une culture coloniale. L’avant-propos (Blanchard et Lemaire), intitulé La constitution d’une culture coloniale en France, énonce tout un ensemble d’affirmations et de postulats.
« Cette culture devient un corps de doctrine cohérent où les différents savoirs sont assemblés… On distingue trois moments dans cette lente pénétration de la culture coloniale dans la société française le temps de l’imprégnation (de la défaite de Sedan à la pacification du Maroc), le temps de la fixation (de la Grande Guerre à la guerre du Rif) et le temps de l’apogée (de l’Exposition des Arts décoratifs à l’Exposition coloniale internationale de 1931). » (p. 7)
« Comment les Français sont devenus coloniaux sans même le vouloir, sans même le savoir… mais coloniaux au sens identitaire, culturel et charnel (p. 8) l’instrumentalisation étatique de la culture coloniale. Très vite le cinéma et l’image fixe renforcent et diffusent le bain colonial auprès de l’ensemble des populations… » (p.13)
« Une culture coloniale invisible (p.16)… un tabou (p.17)… l’amnésie coloniale (p.19). Dès les années 1880 : une iconographie univoque, multiple et omniprésente. Ces images véhiculées par les médias de masse… » (p.23)
« La colonisation outre-mer n’est donc pas en rupture avec le passé, elle s’inscrit au contraire dans un continuum consubstantiel à la construction de la nation française. » (p.25)
« Pour autant la culture coloniale aura fait son œuvre, aura tissé sa toile, aura touché les consciences et marqué les esprits. Elle aura surtout contribué à faire la France des Trente glorieuses et celle des générations suivantes. » (p.32)
« L’indigène au cœur de la culture coloniale. » (p.33)
« 1931 ou l’acmé de la culture coloniale… dans le pays. Celle-ci est maintenant établie, omniprésente, diffuse, et a sans aucun doute trouvé son rythme de croisière au moment où l’empire semble basculer vers un autre destin. » (p.35)
« La France semble s’être imprégnée alors en profondeur de l’idée coloniale. » (p.36)
« Loin d’être des aventures lointaines, les conquêtes coloniales sont un des ciments de la société française. » (p.39)
L’ensemble de ces affirmations montre que leurs auteurs n’ont décidément pas froid aux yeux en leur qualité d’historiens, d’autant plus qu’ils se sont refusés au départ à proposer une définition de leur objet d’étude :
« Pourtant essayer de donner une définition de la culture coloniale c’est entrer dans un champ théorique et abstrait qui n’est pas l’objet de notre démarche tant la notion de culture de masse est complexe, comme le montre un ouvrage récent. » (p.8)
Dans de telles conditions, de quoi allons-nous parler exactement, cher lecteur ?
La République Coloniale (2003)
(Blanchard, Bancel, Vergés – Une écriture à trois p.9). Tel que décrit dans la préface de la nouvelle édition, l’objet de l’ouvrage dérive par rapport aux livres que nous venons de citer. Nous passons de la culture coloniale àla République Coloniale, mais très précisément au pourquoi, d’après les trois auteurs, de la situation actuelle de la France dans son rapport avec les populations d’origine coloniale.
La situation qu’ils décrivent : « Présence de la colonisation pour des centaines des milliers de jeunes Français qui subissent inégalités et discriminations (p.II)… ce retour du refoulé (p.III) … il existe un impensé dans la République (p,IV). En n’écoutant pas les oubliés de l’histoire, on prend le risque de voir tous les révisionnismes, toutes les manipulations (p. V) les liens intimes entre République et colonie… Pour déconstruire le récit de la République coloniale (p.V). »
Ces quelques citations montrent que l’ouvrage esquisse une analyse qui dépasse le champ proprement historique et nous nous poserons la question de savoir si ces chercheurs ont été au-delà de l’incantation idéologique.
Des livres examinés à la loupe, c’est incontestablement celui dont l’outrance verbale et intellectuelle est la plus forte, celui qui développe toute la thématique d’idéologie historique de notre triade, le bain colonial des images, le matraquage de la propagande coloniale, l’omniprésence de l’Algérie, la généalogie existant entre culture coloniale et crise des banlieues, et pour finir, la mise en parallèle de la période de Vichy et de celle des colonies, le même type d’amnésie existant aujourd’hui pour la période coloniale, comme elle a existé pour Vichy et la collaboration.
Culture Impériale (2004)
Un discours également péremptoire sur les effets de la culture impériale.
« Trois quarts de siècles plus tard, la nostalgie de cette grandeur… reste encore vivante, même si elle prend des formes ambivalentes. (p.7). La France s’immerge… imbibée naturellement (p.9)… C’est une véritable culture impériale multiforme qui s’impose au cours des années 1931-1961… » Et les auteurs de renvoyer le lecteur, comme ils le font souvent dans leurs écrits, à leurs autres écrits, ici le livre Culture Coloniale, et la boucle est bouclée, sinon le cercle vicieux…
« Les processus par lesquels les Français sont devenus des coloniaux. Non pas des coloniaux fanatiques, ou simplement très au fait, ou encore particulièrement concernés par l’empire… mais pénétrés, imprégnés de cette culture impériale sans souvent en avoir une conscience claire et qui, sans manifester une volonté farouche de le défendre ou sans en connaître la géographie exacte, n’en témoignent pas moins de leur attachement à son égard. » (p.14).
Donc, le tout et son contraire, et heureusement pour nos bons auteurs, les Français imbibés consciemment ou pas de culture impériale (p.26),vont devoir s’en remettre aux bons soins du docteur Freud !
La Fracture Coloniale (2006)
Sous la direction de la triade Blanchard, Bancel et Lemaire)
Le lecteur est invité à présent à quitter les rivages d’une culture coloniale qui aurait imprégné la France en profondeur, qui produirait encore aujourd’hui ses effets, pour aborder les rives de la fracture coloniale.
« Retour du refoulé… qui font de la fracture coloniale une réalité multiforme impossible à ignorer (p.10)… la colonisation a imprégné en profondeur les sociétés des métropoles colonisatrices, à la fois dans la culture populaire et savante (ce que l’on nommera ici une culture coloniale) (p.13). De ce champ de bataille mémoriel (p.23)… la banlieue est devenue un théâtre colonial. » (p.23).
Et nous y voilà, le tour est joué !
L’Illusion Coloniale (2006)
(Illustré par Deroo avec des commentaires de Lemaire) L’introduction commente :
« Mais en histoire les mythes sont des réalités, ils s’intègrent et en sont moteurs ou facteurs, lui donnent une autre résonance tout en lui octroyant une dimension supplémentaire. De la sorte, si la colonisation s’est insérée dans la vie quotidienne des Français – bien que la majorité d’entre eux ne soit jamais allée et n’ira jamais outre-mer – elle ne représente qu’un rêve, certes basé sur le concret de l’acte colonial, mais élaboré par des images flatteuses de l’action nationale aux colonies. » (p.1)
Ce texte confus reprend l’idée d’une colonisation… insérée dans la vie quotidienne, et énonce l’existence d’un rêve… élaboré par des images flatteuses.
« C’est la mise en place progressive de cette perception, de cette illusion que nous nous sommes attachés à restituer dans cet album… iconographies et extraits de documents variés révèlent un imaginaire qui n’en finit pas de ressurgir quotidiennement à travers le tourisme… Les interrogations sur l’avenir de celle qui se proclama longtemps : la « Plus grande France » et de ceux qui se revendiquent amèrement les « indigènes de la République ». »
La thématique essentielle est là, un imaginaire qui sommeille et qui ressurgit pour produire encore des effets sur la situation intérieure française. Sommes-nous en présence d’un travail historique ou d’une construction idéologique qui surfe sur la vague médiatique des images d’un ouvrage de luxe, qui est un beau livre d’images ?
Nous verrons au fur et à mesurede notre analyse ce qu’il faut penser de ces théories historiques et idéologiques, mais le lecteur adéjà conscience de la généalogie de ces travaux, terme que ces historiens aiment bien utiliser pour expliquer la généalogie clandestine des phénomènes examinés, les travaux passant successivement, à partir des images, et des sources que nous avons citées, essentiellement le Colloque, le livre Images et Colonies, et la thèse Blanchard, d’une culture coloniale indéfinie, invisible mais en même temps prégnante, impensée mais en même temps bien présente, sans doute « faite chair », comme nous aurons l’occasion de le constater, à ce que l’on appelle communément la crise des banlieues, en fournissant des aliments pseudo-scientifiques aux animateurs des mouvements qui se revendiquent comme les indigènes de notre République.
Le choix des titres de plusieurs de ces ouvrages est en lui-même le symbole de l’ambiguïté et de l’audace des discours pseudo historiques qu’ils développent. Arrêtons-nous-y un instant :
Des titres attrape-mouches ou attrape-nigauds ? Avec quelle terminologie ?
Des titres coups de feu, sans points d’interrogation !
Culture, qu’est-ce à dire ? Herriot écrivait : « La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié », et si cette définition est la bonne, il aurait donc fallu que notre trio de chercheurs fonde sa recherche sur le présent de la France, et que par l’utilisation de méthodes statistiques éprouvées, ces dernières nous en apprennent plus sur le sujet. Des sondages, il en pleut chaque jour !
Et nos auteurs se sont bien gardés d’analyser en détail les différents sondages qui ont été faits sur ces sujets, les premiers datant des années 1938-1939.
Une culture constituée de quelles connaissances, partagée par qui, où, quand ?
Fracture coloniale ? « Une fracture est une rupture, une lésion osseuse formée par une solution de continuité avec ou sans déplacement de fragments », définition du Petit Robert. Comment appliquer cette définition à notre sujet, cassure entre quoi et quoi ?
Et à partir de quel continuum qui existerait ? Dans Culture Coloniale (p.25), ils écrivent :
La colonisation outre-mer n’est donc pas en rupture avec le passé, elle s’inscrit au contraire dans un continuum consubstantiel de la construction de la nation française…
Mais alors, continuité ou fracture, tout en notant que le propos frôle allégrement les mystères du christianisme !
Fracture politique, économique, humaine, linguistique ‘ ? Nous avons fait le recensement des différents sens donnés au titre Fracture coloniale dans le livre qui lui est consacré, et chacun peut y trouver son bonheur. La moitié des contributions n’apportent aucune lumière sur la nature de la fameuse fracture.
Dans son introduction, le trio écrit :
Pour autant, définir la fracture coloniale dans toutes ses dimensions n’est pas chose aisée (p.13) – effectivement – après avoir écrit (p.11), Autant de signes qui font de la fracture coloniale une réalité multiforme impossible à ignorer.
Et plus loin, la fracture coloniale est née de la persistance et de l’application de schémas coloniaux à certaines catégories de population (p.24).
Prenons quelques cas de figure Une fracture politique dans le cas de la Françafrique ? Une fracture linguistique ? Alors que la continuité linguistique est un des facteurs de l’immigration légale ou clandestine ? Une fracture coloniale ? Alors que beaucoup d’habitants des anciennes colonies, notamment de l’Algérie, mère de tous les phantasmes, émigreraient volontiers dans la patrie du colonialisme.
Il convient donc d’aller à présent au cœur de notre sujet et d’analyser le fameux corpus d’images el de textes, ou tout simplement les sources, qui ont été l’objet de leurs études, beaucoup plus d’images que de textes, semble-t-il.
Il s’agit des supports d’information et de culture que nous allons analyser, support par support, et à chacune des grandes périodes historiques que nous avons rappelées dans notre flash-back. Nous verrons s’ils existaient ou non, quelle était leur diffusion, et quels ont été leurs effets sur l’opinion publique à chacune des époques considérées, pour autant qu’ils aient pu être mesurés.
Il conviendra de comparer les résultats de cette analyse avec la thèse de ces historiens. Leur analyse des images et de leurs supports est-elle crédible ou non ? Pourquoi oui ou pourquoi non ? Et des textes examinés ? Avec quelle méthodologie d’évaluation, car dans ce champ de recherche, la méthode choisie est bien souvent le préalable nécessaire du sérieux de l’analyse.
Images ou textes, images avec ou sans textes, textes avec ou sans images, des matériaux d’analyse historique qu’il sera nécessaire d’inscrire dans une chaîne méthodologique d’interprétation : nature de l’image ou du texte, origine, date, contexte, cible choisie, tirage et diffusion, effets supposés ou mesurés sur un public, lequel ? Toutes questions qui appellent des réponses souvent difficiles, d’autant plus que cette interprétation risque le plus souvent, dans le cas des images, d’empiéter sur le domaine des sémiologues, dont le métier est précisément celui de l’interprétation des signes.
Nous examinerons successivement :
Chapitre 1 Les livres de la jeunesse, livres scolaires et illustrés
Chapitre 2 La presse des adultes
Chapitre 3 Les villages noirs, les zoos humains (avant 1914),
et les expositions coloniales (avant et après 1914)
Chapitre 4 Les cartes postales
Chapitre 5 Le cinéma
Chapitre 6 Les affiches
Chapitre 7 La propagande coloniale
Chapitre 8 Les sondages comme mesure de l’effet colonial sur l’opinion
Chapitre 9 Le « ça » colonial
Remarquons pour le moment que le seul support d’information et de culture, qui a été constant tout au long de la période coloniale est la presse nationale et provinciale. On en connaît les tirages et la diffusion, et il est possible d’en analyser les contenus. Avec la littérature, mais c’est là un sujet d’analyse et d’évaluation beaucoup plus difficile.
Et pour guide de notre lecture critique, une recommandation de Montaigne : « Choisir un conducteur qui ait une tête bien faite plutôt que bien pleine. »
Car nous n’avons pas l’ambition de nous substituer à l’historien, au sociologue, au psychanalyste ou au sémiologue, mais de soumettre la thèse que défendent ces historiens, leurs affirmations, les sources qu’ils avancent, les raisonnements mis en œuvre, à la critique d’un bon sens formé aux meilleures disciplines de la pensée.
Et nous n’hésiterons pas à appliquer le sage précepte des historiens, la citation des sources, quitte à citer nos propres sources, celles que nous avons été consulter dans les services d’archives.
Car il serait grave d’avancer, avec des preuves et une analyse insuffisantes, une nouvelle thèse de l’histoire, qui s’autoproclame comme scientifique, et dont les propagandistes s’autorisent à délivrer des ordonnances de bonne gouvernance sociale etculturelle.
Avec cetteméthode de travail, nous avons un gros avantage sur les spécialistes, une liberté complète d’analyse etde propos.
Avec l’idée que la fameuse guerre des mémoires coloniales est une affaire montée de toutes pièces par des groupuscules dont la méthodologie n’a pas grand-chose à voir avec la science historique, s’il en existe une.
Dans le livre d’entretien que l’historien Stora vient de commettre, intitulé La guerre des mémoires, ce dernier se range sous la bannière de cette phalange d’historiens (p.33). Il s’y déclare un historien engagé (p.89), mais comment oser mettre sur le même plan un historien de cette pseudo guerre des mémoires, 45 ans après les indépendances et les accords d’Evian, avec d’autres figures du passé, Michelet au XIXe siècle, ou celle de l’historien Vidal-Naquet réagissant à chaud, comme intellectuel, contre les violences et les tortures de la guerre d’Algérie ? Et pourquoi ne pas citer une autre grande figure, celle de Marc Bloch, entré dans la Résistance pendant la deuxième guerre mondiale et fusillé par les Allemands.
Quoi de commun entre ces historiens ?
Et comment interpréter enfin les récents propos de l’historienne Coquery Vidrovitch sur l’historien Blanchard, surnommé historien entrepreneur : qu’est-ce à dire ? Il y aurait à présent des historiens du marché et donc une histoire du marché ? Avec l’Achac, association de recherche historique, soutenue par des fonds publics, et l’agence de communication toute privée Les bâtisseurs de mémoire ?
Comment distinguer entre l’histoire scientifique et l’histoire marchandise, celle des produits culturels qui surfent sur la mode médiatique des mémoires ?
Nous avons donc l’ambition d’aider le lecteur à ne pas prendre des vessies pour des lanternes historiques.
Et pour une mise en bouche historique,
une boulette de riz !
Outrances de pensée et de langage, grandiloquence, l’historienne Lemaire ne fait pas dans le détail pour décrire une propagande coloniale qui aurait fabriqué du colonial, tissé sa toile, éduqué, manipulé les citoyens français, grâce notamment à l’action de l’Agence des Colonies.
Nous verrons ce qu’il en est exactement dans le chapitre 7 consacré à la propagande coloniale, au risque de dégonfler la baudruche.
Pour l’instant, un mot bref sur une de ses trouvailles historiques à propos du riz indochinois et de son rôle dans la fabrication du colonial.
Dans le livre La culture impériale, elle intitule une de ses analyses : Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits (CI/82)
Une formule magique ! Un vrai slogan de propagande, car l’analyse de l’historienne ne repose sur aucun fondement sérieux, comme nous le démontrerons.
Il aurait vraiment été difficile pour les Français d’avoir du riz dans leurs assiettes, alors que le riz importé, de mauvaise qualité, était destiné, pour 95%, à l’alimentation de la volaille et du bétail, et que les groupes de pression agricoles tentèrent, dans les années 30, sans succès, de limiter l’importation d’une céréale qui venait concurrencer leur blé.
Plutôt que du riz dans les assiettes, une boulette de riz historique !
Le lecteur aura le loisir de constater que lecas du riz indochinois est typique de la méthode de travail de ce cercle de chercheurs : insuffisance d’analyse, absence d’évaluation des faits décrits, grossissement avec une grosse loupe de telle ou telle considération, laquelle, comme par hasard, vient au secours d’une démonstration creuse, et idéologiquement orientée.
D’aucuns évoqueraient sans doute à ce propos lefaux historique et la contrefaçon.