XIXème et XXème siècles: Empire colonial anglais et Empire colonial français

XIXème et XXème siècles : Empire colonial britannique et Empire colonial français

Esquisse de tableau comparatif à grands traits : deux empires semblables ou différents ?

Quels héritages ?

Lilliput face à Gulliver !

Rêve ou réalisme ?

Empirisme ou théorie ?

            Je remercie mon vieil et fidèle ami Michel Auchère, ancien diplomate, qui m’a fait bénéficier de ses commentaires toujours éclairés, nourris à la fois par sa culture « coloniale » et par son expérience approfondie du monde post-colonial.

            Je remercie également mon épouse pour son aide efficace dans la traduction de quelques-uns des textes publiés par Der Spiegel Geschichte, et dans la lecture critique de mes propres textes.

             Les caractères gras des textes ci-après sont de ma responsabilité

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            Il s’agit d’un domaine historique, celui de l’histoire coloniale et postcoloniale,  qui nourrit les interprétations les plus contrastées, relevant très souvent de la théorie des idées, ou tout simplement de l’émotion, plus que de l’examen des faits, de leur évaluation et donc de leur mesure statistique.

            Pourquoi ne pas noter à cet égard qu’il est plus facile de fréquenter le premier domaine de recherche que le second ? Et de nos jours, certaines publications à la mode se complaisent dans un discours de type anachronique et humanitaire, comme si l’histoire du monde n’avait pas été une succession de dominations, quel qu’en soit le motif, religieux, militaire, ou politique.

            Je m’interroge depuis longtemps sur le passé colonial du Royaume Uni et de la France, sur les comparaisons qui pourraient être faites, en raison notamment du crédit ou du discrédit qui parait entourer le passé de l’une ou l’autre des deux puissances coloniales.

            Il n’est pas dans mes intentions de me lancer dans des comparaisons plus larges avec d’autres puissances coloniales de la même époque, sur lesquelles on fait généralement l’impasse, celles d’Europe, la Russie puis l’URSS, l’Italie, le Portugal, l’Espagne, les Pays Bas, ou l’Allemagne, ou celle des Etats Unis.

            Je me propose donc de procéder à une récapitulation historique et comparative entre les deux empires coloniaux en question, une récapitulation qui nous permettra d’examiner successivement 1) les évolutions impériales comparées sur la période 1870-1960, les processus de conquête et de décolonisation, 2) les caractéristiques comparées des deux empires en ce qui concerne l’organisation, les méthodes, la philosophie coloniale,  et les hommes, 3) les legs coloniaux avec le regard d’historiens dits de la « périphérie » ou de « l’histoire connectée », notamment l’historien Adu Boahen pour l’Afrique, 4) le legs colonial britannique en Asie d’après l’historien indien Panikkar et français pour l’Indochine avec l’historien Brocheux, 5) le legs de l’empire britannique avec le regard de deux historiens allemands interviewés par la revue « Der Spiegel Geschichte », 6) enfin une problématique comparée des legs français et britanniques.

            Je n’ai pas l’intention non plus d’évoquer le cas de l’Irlande qui fut la colonie anglaise la plus proche de nous. De mauvais esprits ont d’ailleurs dit que l’Algérie était « une sorte d’Irlande française »

            Il ne conviendrait naturellement pas de se méprendre sur l’ambition de ces réflexions qui n’ont d’autre but que de comparer à grands traits les deux empires coloniaux en question.

 Première partie

A grands traits, une évolution historique comparée

            Au terme des conquêtes des deux pays, l’empire anglais couvrait 33 millions de kilomètres carrés, et l’empire français, 12 millions de kilomètres carrés, trois fois moins, mais ce rapport des surfaces ne traduisait  absolument pas les rapports de forces humaines et économiques coloniales respectives, alors que les nombreuses taches de couleur rouge sur la planisphère, pouvaient faire illusion. L’Empire anglais comptait 450 millions d’habitants et l’Empire français 69 millions d’habitants. (Source Encyclopédie Universalis)

            A – Un bref rappel

         Sans revenir longuement sur la longue rivalité coloniale qui opposa la France à la Grande Bretagne au Canada et en Inde, au cours des siècles qui ont précédé la période examinée, il convient au minimum de rappeler que la Grande Bretagne a alors pris possession de ce qu’on a appelé l’Empire des Indes, confié à la Compagnie des Indes, et laissé à la France quelques comptoirs du format timbre-poste. L’Inde était un territoire très riche, aux dimensions d’un continent, à la grande différence de l’Algérie, nouvelle terre de conquête pour la France.

            La domination anglaise aux Indes semblait assurée quand les Anglais durent faire face, en 1857, à la fameuse révolte des Cipayes, qui se solda par des dizaines de milliers de morts.

            Il n’est peut-être pas inutile de signaler que dans une partie proche de ce continent, et au cours de la même période, une guerre civile chinoise, celle des Taiping, mit le feu à l’Empire de Chine : elle dura de 1851 à 1864. La répression y fut également féroce et se solda par un chiffre de victimes que l’on situe entre 20 et 30 millions de personnes.

            Il convient de noter à cet égard que, dans les années 1880-1890, lors de la conquête du Tonkin, les troupes coloniales françaises eurent maille à partir avec des résidus d’anciennes unités combattantes Taiping qui avaient rallié le camp des pirates annamites.

            On rappellera que le général Gordon, tué par les Mahdistes à Khartoum, avait apporté son concours à l’Empereur de Chine pour réprimer cette révolte.

        Après une période de flottement incontestable, la France se mit en tête de conquérir l’Algérie, et de difficiles opérations de conquête militaire se sont échelonnées de 1830 à 1872, lesquelles se sont également soldées par des dizaines de milliers de morts. L’historien Fremeaux a évalué le chiffre des victimes à 400.000 personnes environ.

           La répression de la révolte des Cipayes fut féroce, et des horreurs furent commises dans les deux camps. En Algérie, la conquête militaire fut également féroce, mais également dans les deux camps, sauf tout de même à rappeler que dans les deux cas, les envahisseurs furent les Anglais et les Français.

            Très tôt, et pour de multiples raisons, l’Inde bénéficia d’une attention tout particulière de la part des gouvernements anglais, et dès l’année 1858, un Secrétaire d’Etat pour l’Inde fut nommé, une des raisons étant que le gouvernement de Londres y vit l’occasion de faire porter la responsabilité de la répression sur la Compagnie des Indes, qui bénéficiait alors d’une charte de concession. 

          En Algérie,  tout était à faire, et la colonisation ne disposait pas des atouts et des richesses d’une Inde qui était dotée des moyens de développer son propre réseau de communications, ses lignes de chemin de fer et sa flotte, et commençait à jouer un rôle d’impérialisme secondaire, en Asie, au profit des Anglais.

            Parallèlement, les Anglais avaient pris possession de Hong Kong (1842) de l’Australie (1851) et de la Nouvelle Zélande (1852), dès le début du 19ème siècle, et les Français de la Cochinchine, résultat du « fait accompli » d’un amiral, du Sénégal, de la Nouvelle Calédonie, et d’une partie de la Polynésie.

            En Australie, les Anglais chassèrent les aborigènes de leurs terres, de même qu’ils le firent aussi, mais moins massivement, en Nouvelle Zélande. Les Français firent en partie de même dans une Nouvelle Calédonie aux dimensions beaucoup plus modestes. Anglais et Français avaient respectivement fait de l’Australie et de la Nouvelle Calédonie des colonies pénitentiaires.

            Il convient de noter que dès 1867, le Canada, une colonie de peuplement différente des autres, compte tenu de la présence de Canadiens Français, bénéficia d’un premier statut de Dominion de la Couronne britannique, première illustration d’une des caractéristiques futures de l’Empire britannique qui se transforma en Commonwealth, avec une évolution politique et statutaire différente entre les colonies de peuplement et les autres.

            Le Canada fut le prototype des Dominions, à population blanche, qui constituèrent le Commonwealth.

            Au début de la grande période d’expansion coloniale de la fin du siècle, la Grande Bretagne bénéficiait incontestablement d’une longueur d’avance sur la France, compte tenu de l’intérêt de ses prises coloniales, qu’il  s’agisse de ses colonies de peuplement ou de ses colonies d’exploitation.

B – L’explosion coloniale

 Rétroactivement, et pour un observateur de notre siècle, il est difficile de ne pas être surpris par la fringale coloniale que les deux puissances manifestèrent entre 1870 et 1914 pour conquérir des terres nouvelles, des ressources réelles ou supposées, de nouveaux marchés, et pourquoi ne pas le dire aussi ? dans certains cas, une illusion !

            Vers l’Afrique

      Les nouveaux conquérants virent dans le continent africain, effectivement et encore largement inconnu, une « terra incognita » qui justifiait à leurs yeux la « course au clocher » de toutes les puissances européennes, Allemagne comprise, venue tardivement  sur le « marché » des colonies.

         Le Congrès de Berlin en 1885 avait lancé la course aux « traités de papier » signés par tel ou tel chef africain local qui n’en connaissait le plus souvent pas la valeur que les occidentaux lui accordaient, mais aussi par quelques grands chefs africains, souvent islamiques, qui en connaissaient la valeur, tels Ahmadou ou Samory, en Afrique occidentale.

      Le partage entre puissances devait en effet s’effectuer sur la base de ces « traités de papier » que les acteurs du terrain, le plus souvent des officiers, tentaient de faire signer par les chefs indigènes.

       Le roi des Belges s’y illustra par la conquête « privative » de l’immense territoire du Congo, et accomplit l’exploit de faire reconnaitre ses droits sur « un Etat du Congo », avant même ce Congrès.

        Tous les motifs furent bons pour justifier ces conquêtes, la civilisation, le prestige national, l’évangélisation, le progrès du monde, ou plus simplement, le business, c’est-à-dire the money, l’argent.

            A cette fin, et plus encore que la France, la Grande Bretagne y fit plusieurs guerres, et y déploya de grandes expéditions militaires.

            Ces guerres furent généralement inégales, compte tenu de la grande différence d’armement qui existait alors entre les adversaires, armement à tir rapide et canons contre flèches ou lances, mais ce ne fut pas toujours le cas, avec les exemples de Samory, dans le bassin du Niger, dans les années 1890, de Béhanzin, au Dahomey, ou des Boers en Afrique du Sud, à la fin du siècle.

            J’ai envie de dire à ce sujet que, quelles qu’aient pu être les époques de l’histoire du monde, et entre puissances conquérantes et peuples dominés, les guerres furent le plus souvent inégales, quelle qu’en ait pu être la raison, armement supérieur ou non.

         En Afrique du Sud, l’Angleterre avait déjà annexé le Natal en 1844, pour y créer une colonie, au nord de sa colonie du Cap, poste de contrôle de la grande voie de navigation entre l’Atlantique et l’Océan Indien, avant la construction du canal de Suez en 1869.

      L’historien Grimal « De l’Empire britannique au Commonwealth » donne la justification de cette annexion :

        « … une donnée fondamentale de la politique impériale : l’exclusion de toute présence ou de toute influence étrangère sur la côte orientale d’Afrique, jugée dangereuse pour la sécurité des relations avec l’Inde. » (page,113)

      Les Anglais eurent successivement maille à partir avec la population autochtone, le royaume Zoulou, notamment, mais surtout avec les premiers colons de la région, les Boers. 

La puissance anglaise y fit une première guerre de type inégal avec les Zoulous, en 1879, puis une deuxième, en 1889,  au cours de laquelle le fils de Napoléon III fut tué, et à la suite de laquelle le territoire Zoulou fut annexé à la colonie du Natal (Afrique du Sud).

       Ces guerres mobilisèrent entre 16 000 et 23 000 hommes du côté anglais, et de l’ordre de 35 000 hommes chez les Zoulous. Les deux conflits firent un peu plus de 1 700 morts dans les troupes anglaises et plus de 8 000 chez les combattants Zoulous, mais naturellement beaucoup plus dans les populations civiles.

      Comparativement, la conquête française du Soudan qui se poursuivit entre 1880 et 1900,  ne mobilisa pas les mêmes effectifs, de même que les expéditions coloniales françaises du Dahomey, en 1892, de Madagascar en 1895, lesquelles ne soutiendraient pas la comparaison, en moyens déployés et en victimes, avec les guerres anglo-boers, pour ne pas citer l’expédition gigantesque de Kitchener au Soudan dans les années 1896-1898. Le même Kitchener s’illustra par ailleurs dans la deuxième guerre des Boers.

       Les Anglais firent une première guerre contre les Boers dans les années 1880-1881, afin de mettre au pas les deux républiques indépendantes du Transvaal et d’Orange, mais surtout une deuxième guerre très violente, féroce, au cours des années 1889-1902, motivées avant tout par la course vers l’or du Transvaal.

       La deuxième guerre mobilisa des dizaines de milliers d’hommes

      La Grande Bretagne se livra à une répression incontestablement inhumaine, en envoyant dans ce qu’il faut bien appeler des « camps de concentration », plus de 116 000 boers et plus de 120 000 africains noirs. On estime que cette guerre fit plus de 20 000 victimes, respectivement  dans la population boer et dans la population noire.

      L’historien Grimal écrivait :

     « Pendant trois ans, 60 000 Afrikaners luttant pour leur indépendance mirent au défi la puissance de l’’Empire. Leurs succès du début (« semaine noire ») semèrent la panique en Angleterre. Pour venir à bout des Boers, 400 000 hommes (y compris les contingents du Canada, Australie, Nouvelle Zélande, Inde) furent nécessaires, sans compter les méthodes inhumaines de la « terre brûlée » et des camps de « protection » dans lesquels moururent des milliers de femmes et d’enfants ; tandis que les élégantes dames de Londres venaient faire du tourisme sur le champ de bataille. » (page 194)

        Dans la même zone géographique, dans le Sud -Ouest Africain, l’Allemagne, toute nouvelle puissance coloniale, imitait à sa façon les Anglais en combattant la population Herero et en mettant en œuvre des méthodes de pacification « de type génocidaire ».

       Un mot sur l’expédition Kitchener au Soudan, une opération gigantesque de reconquête coloniale, organisée de façon industrielle, avec la construction d’une ligne de chemin de fer vers Khartoum, l’utilisation de canonnières sur le Nil, une expédition qui n’avait rien à voir avec la toute petite « expédition  boy-scout » du commandant Marchand, à Fachoda, un des épisodes les plus célèbres des conquêtes coloniales de la France.

      L’épisode en disait long sur l’écart qui existait alors non seulement entre les moyens de la Grande Bretagne et ceux de la France, mais entre les rêves de grandeur de la Troisième République et la réalité.

            Les deux puissances menèrent chacune de leur côté des opérations dites de pacification pour assurer leur domination, la Grande Bretagne en Gold Coast, contre les Ashantis, en Nigéria ( charte de la  Royal Niger Company en 1886), ou en Sierra Leone, mais plus encore en Afrique Orientale, où les Anglais mirent la main sur les territoires du Kenya et de Rhodésie, en chassant purement et simplement de leurs terres les indigènes, la France du Sénégal vers le Niger, contre les Almamys musulmans du bassin du Niger, en Guinée, en Côte d’Ivoire, et en Afrique centrale.

            A noter qu’en Gold- Coast, et contre les Ashantis,  les Anglais y firent quatre guerres successives tout au long du siècle, la dernière dans les années 1894-1896, qui mobilisa 2 500 soldats britanniques, plus évidemment les auxiliaires.

            La France consolida par ailleurs son domaine en imposant un protectorat à la Tunisie et au Maroc.

            Vers l’Asie

 Les Anglais étaient Incontestablement en avance sur les Français dans la conquête de nouveaux territoires en Asie, mais ils avaient la chance de pouvoir s’appuyer sur les ressources d’un deuxième empire, l’empire secondaire indien, clé de la puissance anglaise en Orient, capable, dès la fin du dix-neuvième siècle de mobiliser une flotte et une armée capable de soutenir l’expansion anglaise sur le glacis indien, avec Ceylan, la Birmanie (1886), la Malaisie, et en se frottant militairement, mais sans succès, et pour la première fois, aux résistances des montagnards d’Afghanistan.

            Grâce au contrôle de l’Egypte (1882), « véritable chef d’œuvre de l’impérialisme britannique », comme l’a écrit l’historien Grimal, du canal de Suez, de l’entrée du Golfe Persique, de Colombo, Singapour, Hong Kong, les Anglais furent les maîtres de la voie stratégique entre l’Europe et l’Asie.

            Pourquoi « chef d’œuvre » ? Parce qu’à la suite de manœuvres directes ou indirectes continues, l’Angleterre réussit à supplanter la France dans un pays où cette dernière avait également des intérêts.

            En 1882, lord Milner, théoriquement Consul de Grande Bretagne, mais en fait véritable proconsul anglais institua en Egypte un régime sans précédent qui fut qualifié plus tard  « d’aussi indéfinissable qu’indéfini ». (p, 168)

      Il convient de noter par ailleurs qu’ils contrôlèrent longtemps le réseau câblé des communications télégraphiques qui leur appartenait entre l’Asie et l’Europe, et qu’à l’occasion de la conquête du Tonkin, et plus tard de Madagascar, les troupes françaises furent, dans une première phase, dans l’obligation d’utiliser le câble anglais pour correspondre avec Paris.

            En comparaison, l’expansion coloniale française fut modeste avec la conquête de l’Indochine dans les années 1880-1890, même s’il est possible de comparer les caractéristiques des expéditions militaires françaises à celles des anglais en Birmanie.

            A noter qu’au cours de cette période, l’Australie, en 1901, et la Nouvelle Zélande, en 1907, bénéficièrent du statut de Dominion de la Couronne, un statut qui correspondait à la situation de ces territoires qui étaient des colonies de peuplement blanc, la population indigène étant peu nombreuse, et chassée de ses terres naturelles.

            Car, dans un certain nombre de territoires, les deux puissances coloniales s’approprièrent des terres réputées vacantes pour de bonnes ou mauvaises raisons, le plus souvent mauvaises.

            Dans ce domaine, la France ne soutenait pas la comparaison avec l’Angleterre, sauf peut- être pour l’Algérie, au regard des appropriations de terres en Afrique du Sud, au Kenya, en Rhodésie, en Australie ou en Nouvelle Zélande.

        En 1914, les contours géographiques des deux empires étaient à peu près définitifs, mais deux différences capitales les distinguait, la quasi-absence de colonie de peuplement dans l’empire français, mis à part l’Algérie, et la grande diversité des statuts coloniaux anglais par rapport aux statuts coloniaux français, où il n’était pas question que les colonies ne marchent pas sur le même pas administratif, c’est à dire un statut standard, sur le modèle napoléonien.

       Les grands coloniaux que furent Gallieni et Lyautey se plaignirent à de multiples reprises de cette situation, de l’absurdité de ce prêt à porter métropolitain standard, mais sans aucun succès, mis à part celui tardif du Maroc.

C – Première guerre mondiale 1914-1918

     Les nouvelles colonies furent mises à contribution pour aider les métropoles à soutenir leur effort de guerre, en rencontrant ici ou là des résistances, mais globalement,  les choses se sont plutôt bien passées, et la victoire finale consacra celle des deux nations coloniales, sans minorer toutefois l’appoint capital de l’armée américaine en 1917.

     Il convient de noter qu’en dépit de la violente répression de la révolte des Cipayes en 1857, et de ses dizaines de milliers de morts, l’Inde ne répugna pas à apporter son secours à la puissance coloniale anglaise, bien au contraire, ce qui ne fut pas le cas pour la deuxième guerre mondiale,  en raison de l’évolution politique du sous-continent indien et de ses revendications en faveur de son indépendance.

D – 1919-1939

      La victoire des Etats coloniaux redistribua les cartes entre les deux empires à la suite de la disparition de l’Empire Ottoman au Moyen Orient.

       En 1939, et selon l’historien Grimal :

    «  Les troupes britanniques ou celles au service de l’Angleterre occupaient tous les territoires (à l’exception de la Syrie) des bords de la Méditerranée aux bords de la Caspienne et aux confins du Caucase. Entre le Béloutchistan et la Mésopotamie, aucune partie de territoire n’échappait à son contrôle. » (page 274)

      Dans le même livre, il évoque à ce sujet : « L’impérialisme du pétrole : le Moyen Orient » (page 271)

      « La Grande Bretagne avait inlassablement travaillé à se rendre maîtresse de la route Méditerranée-Golfe Persique, complément de la route de Suez. » (p,271)

      La guerre a en effet complètement redistribué les cartes impériales au Moyen Orient, avec la disparition de l’Empire Ottoman, et faute d’y trouver des « cadres de type national », avec la création ou la reconnaissance d’anciennes ou de nouvelles entités de caractère plus ou moins national, telles que le Liban, la Syrie, dont le mandat fut confié à la France, la Palestine, la Jordanie, l’Irak, et l’Iran, à l’exception de l’Arabie saoudite, tous territoires d’obédience impériale britannique.

      L’Angleterre encouragea la création ou la consolidation de royaumes arabes en Syrie, en Jordanie, en Irak, la Palestine étant réservée à la création d’un nouveau foyer pour l’émigration juive.

      La France reçut de son côté un mandat de la SDN pour administrer la Syrie et le Liban, ainsi que dans une partie du Togo et du Cameroun, et dut faire face, de même que l’Espagne, à une importante révolte au Maroc, dans le massif du Rif, qui fut d’abord une révolte contre les Espagnols.

     Au cours de la période de l’entre-deux guerres, les deux puissances commencèrent à faire face à des revendications de type national, avant tout dans les colonies les plus évoluées, telles que l’Egypte, les Indes ou l’Indochine.

    Ailleurs, le temps d’une prise de conscience nationale n’était pas encore venu, faute le plus souvent de trouver précisément un cadre national dans ce qui n’était que constructions administratives récentes et artificielles, celles des colonies.

     Aux Indes, la première guerre mondiale avait créé des espoirs de reconnaissance nationale dans l’élite politique indienne, favorables à une évolution vers le statut de dominion, mais faute de réponse positive, le parti du Congrès, sous l’impulsion de Gandhi, s’orienta de plus en plus vers des revendications d’indépendance, et l’immobilisme britannique conduisit le parti du Congrès à ne pas s’associer à la politique de défense britannique au cours du deuxième conflit mondial, ce qui n’avait pas été le cas en 1914-1918.

   En Indochine, mais dans une moindre mesure, des revendications nationalistes se développaient également.

     Pour compléter le tableau, il convient de noter qu’à la suite de la première guerre mondiale, la Société des Nations confia le mandat de gestion des colonies allemandes aux anglais, en ce qui concerne le Sud-Ouest Africain, et le Tanganyika, et aux Français, pour ce qui concerne le Togo et le Cameroun.

     Il convient de souligner enfin que la montée en puissance des Etats Unis et de l’URSS ont évidemment complètement changé la donne internationale.

E – La deuxième guerre mondiale et la décolonisation

     La défaite de la France, l’affaiblissement de la Grande Bretagne, la nouvelle puissance des Etats-Unis et de l’URSS, puis la révolution communiste en Chine, allaient ouvrir largement la voie à la décolonisation, fondée notamment sur le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

      En 1955, la Conférence de Bandoeng, dite des pays non alignés sur l’Ouest ou sur l’Est, donna une accélération supplémentaire au mouvement de décolonisation.

    Au bilan et en dépit de politiques impériales très différentes, que nous examinerons plus loin, on ne peut pas dire que les résultats de cette décolonisation furent très différents dans chacun des deux empires, des résultats très contrastés de décolonisation pacifique ou violente.

     En Asie, la Grande Bretagne eut la sagesse de donner l’indépendance à l’Inde en 1947, mais dans des conditions telles que cette indépendance entraina à la fois beaucoup de violences entre communautés différentes, notamment hindoues et musulmanes, et des transferts massifs de populations entre le Pakistan occidental et le Pakistan oriental d’un côté, et l’Inde de l’autre, de l’ordre de plusieurs dizaines de millions de personnes.

     Dans la même Asie, elle accorda son indépendance à la Birmanie en 1948, mais elle dut  faire face à un soulèvement communiste en Malaisie qu’elle mit longtemps à réprimer, entre 1948 et 1961, après avoir accordé son indépendance à ce territoire en 1957. Les pertes furent de l’ordre de 1 500 morts, côté anglais, et 6 700 morts, côté rebelle, des pertes qui n’eurent rien à voir avec celles du premier conflit indochinois, celui des Français.

    La population y était composée de Chinois et de Malais, et les Anglais se sont appuyés sur les Malais pour combattre les Chinois.

     A la différence de l’Indochine, la Malaisie n’avait par ailleurs pas de frontière commune avec la Chine, et la répression anglaise y fut donc beaucoup moins difficile.

      Ceylan devint indépendante en 1948.

     En ce qui concerne Singapour : « Après avoir reçu le self-government en 1957, l’Etat de Singapour s’intégra à la Malaisie en 1963, mais s’en retira en 1965, pour devenir un Etat-cité dans le Commonwealth. Il est un exemple parfait des anomalies politiques créées par l’impérialisme. » (Grimal, p,310)

   Comme me l’a fait remarquer mon vieil ami Auchère: « Qu’est-ce qui est normal en politique, s’agissant des créations de l’histoire ? » 

    Ne conviendrait-il pas d’ajouter au mot impérialisme le qualificatif de britannique, en notant l’extraordinaire créativité institutionnelle des autorités britanniques qui furent le plus souvent capables de s’adapter à n’importe quelle situation et de trouver la solution favorable à leurs intérêts.

    En 1945, la France s’engagea dans la guerre d’Indochine contre un adversaire largement contrôlé par les communistes, et au fur et à mesure des années, son corps expéditionnaire épuisa ses forces face à un adversaire de plus en plus épaulé par la Chine communiste, celle de Mao Tsé Toung.

     En 1954, la chute de Dien Bien Phu mit fin à ce conflit, en tout cas dans le Vietnam nord. La France y engagea des forces beaucoup plus importantes que celles des Anglais en Malaisie.

Pour le corps expéditionnaire, le conflit franco-indochinois se solda par 50 000 morts et 70 000 blessés, mais avec un bilan beaucoup plus lourd chez l’adversaire vietminh et dans la population civile.

     Il convient de souligner que la Grande Bretagne installée à Hong Kong depuis 1842, passa le cap des décolonisations mondiales jusqu’à la fin du vingtième siècle (en 1998), avec en face d’elle une Chine communiste qui pratiquait elle-même et en définitive le même jeu du business qu’elle.

     En Afrique, s’il n’y avait eu « la guerre d’indépendance de l’Algérie », dont une des causes fut similaire à celle existant dans la décolonisation des colonies anglaises à peuplement européen, c’est-à-dire un peuplement européen important, la décolonisation des colonies africaines françaises se déroula de façon relativement pacifique.  Le Cameroun fit toutefois exception, mais plus encore Madagascar, où la répression d’une révolte populaire fit, en 1947, de l’ordre de 80.000 victimes.

     Le bilan de la guerre d’Algérie fut lourd : plusieurs dizaines de milliers de soldats français et musulmans tués, de l’ordre de 150 à 200 000 rebelles tués, mais en parallèle un nombre de victimes civiles considérable causé à la fois par la guerre elle-même, et par l’autre guerre « civile » qui doublait la guerre officielle.

    En Afrique Australe et en Afrique Orientale, la décolonisation anglaise ne fut pas non plus celle d’un long fleuve tranquille, en raison notamment de la présence d’un peuplement blanc important.

     Nous reviendrons plus loin sur la distinction qu’il convient de faire à l’occasion de l’évolution historique de l’empire britannique, entre colonies de peuplement et autres territoires britanniques, avec les conséquences que cette distinction eut sur l’évolution du Commonwealth, fruit d’une coopération institutionnelle entre métropole et anciennes colonies de peuplement.

    Au Kenya, les Anglais durent faire face à la révolte des Mau-Mau entre 1952 et 1955 en mobilisant une troupe de l’ordre de 50 000 soldats, et le Kenya eut droit à son indépendance en 1963.

    La décolonisation de l’Afrique anglaise orientale ne se fit pas dans des conditions pacifiques, loin de là !

    L’historien Grimal a fort bien analysé les processus suivis. Après la première guerre mondiale :

    «.La Rhodésie du Sud (actuel Zimbabwe) devint une « self-governing colony », sorte de dominion sans le nom…. Le pouvoir politique permit aux Blancs de disposer à leur gré de la terre et des habitants noirs. Toute la législation foncière tendit à favoriser l’extension de la propriété des colons. Dès 1920, les Africains avaient été privés du droit d’acheter des terres et de résider en zone européenne. Cette ségrégation ne cessa de s’aggraver… Les Blancs n‘étaient que 64 000 en 1945… En 1953 les chiffres donnaient respectivement 157 000 et 1 750 000. » (p,332)

     En Rhodésie du Nord (l’actuelle Zambie) et au Nyassaland (l’actuel Malawi), la situation était différente, compte tenu du petit nombre de blancs. En 1953, fut créée la Fédération de l’Afrique centrale qui fut rapidement un échec. Le Nyassaland et la Rhodésie du Nord obtinrent leur indépendance en 1964.

     De son côté, et à partir de 1965, la Rhodésie du Sud entrait dans des convulsions de guerre interethnique qui ne prirent fin qu’en 1990, tout en soulignant que le Royaume Uni a toutefois contribué par son action aux Nations Unies à la fin de la « dictature blanche »..

     Les autres colonies bénéficièrent de l’indépendance aux dates suivantes : , en 1956, le Soudan, en 1957, la Gold- Coast, devenue le Ghana, en 1960, la Nigéria, en 1961, la République Sud-Africaine et la Sierra Leone, en 1962, le Tanganyika et l’Ouganda, en 1964.

Comme on le sait la décolonisation opérée en Afrique Australe y laissa un régime d’apartheid, et en Rhodésie, une dictature blanche, deux puissants germes des violences qui ont embrasé ces territoires jusqu’à la restitution de leurs droits aux autochtones qui en avaient été dépossédés.

    La Rhodésie du Sud devint indépendante en 1980, sous le nom de Zimbabwe.

   En Afrique du Sud, ce ne fut qu’en 1994, que le pouvoir revint aux noirs avec la fin de l’apartheid, et l’arrivée au pouvoir de Nelson Mandela que tout le monde connait de nos jours.

   Un dernier mot au sujet de la décolonisation portugaise qui fut longue et violente aussi bien en Angola qu’au Mozambique, devenus des Etats indépendants en 1975, et au sujet de la décolonisation du Congo Belge qui sombra rapidement dans la violence, en 1960.

F – Le Commonwealth

     Un mot sur le Commonwealth, dont l’historien Grimal a décortiqué le processus historique, une évolution qu’il est difficile de résumer, mais dont la logique était tout à fait claire, quasiment dès l’origine, avec la création des colonies de peuplement.

     L’Empire britannique avait en effet deux composantes, les colonies de peuplement blanc, et toutes les autres, dont les statuts des plus variés résultaient de la créativité pragmatique de l’impérialisme britannique.

    Car, dès l’origine, et comme l’indique le même historien :

   « Tous les responsables du Colonial Office de 1835 à 1868, hauts fonctionnaires ou secrétaires successifs, avaient la conviction que le « câble serait coupé » avec les colonies de peuplement » (p,83)

     La doctrine anglaise du « responsible government » fut rapidement suivie de celle du « self-government » et le Canada, dès l’année 1847 devint le prototype de cette évolution dont bénéficièrent ensuite les autres colonies de peuplement, l’Australie 1901), la Nouvelle Zélande (1907), et l’Union Sud- Africaine (1910).

    La première guerre mondiale vit naître le Commonwealth britannique, en mettant en évidence tout à la fois la cohésion de l’Empire britannique, et l’ambigüité des relations qui existait entre Londres et ses nouveaux partenaires.

    Ce fut le statut de Westminster qui, en 1931, reconnut que les grands dominions avaient atteint leur majorité.

     Le texte les décrivait comme des « communautés ayant une existence autonome au sein de l’Empire britannique, nullement subordonnées les unes aux autres dans leurs affaires intérieures et extérieures, bien qu’unies par leur loyalisme commun à la couronne, et librement associées dans la communauté des nations britanniques. »

    Il n’exista rien de commun dans l’évolution de l’empire français, étant donné qu’à l’exception de l’Algérie dont le peuplement européen n’a jamais eu l’ampleur de celui des dominions, les éléments de cet empire ressemblaient étrangement à ceux que l’on trouvait dans le reste de l’empire britannique, c’est-à-dire un empire colonial de couleur.

    Après 1945, l’Union Française fut une pâle imitation du Commonwealth et sa courte vie fut le symbole de l’ambigüité continue d’une politique française coupée des réalités, l’habillage juridique de situations diverses, plus ou moins claires.

Jean Pierre Renaud

Annonce de publication: Empire colonial anglais et Empire colonial français aux XIXème et XXème siècles

Annonce de publication

Empire colonial anglais et Empire colonial français aux XIXème et XXème siècles 

Esquisse de tableau comparatif : Empires semblables ou différents ? Quels héritages ?

            Ainsi que je l’ai déjà annoncé il y a plusieurs mois, je me propose de publier sur ce blog, au cours des prochains mois, une série de contributions sur les thèmes d’analyse et de réflexion que j’ai choisis.

Le plan de publication retenu est le suivant :

1 – A grands traits, une évolution historique comparée

2 – A Londres ou à Paris, des stratégies et politiques impériales semblables ou différentes ?

3 – Les legs des deux empires avec le regard d’historiens de la périphérie ( Histoire générale de l’Afrique VII – UNESCO)

4 – Les legs de l’Empire britannique en Asie avec le regard d’un historien indien : K.M.Panikkar, et de l’Indochine française avec celui de l’historien Pierre Brocheux

5 – Les legs de l’Empire britannique avec le regard d’historiens allemands –Der Spiegel Geschichte NR.1  – 2013 Peter Wende et Jürgend Osterhammel

6 – Essai de conclusion comparative

Jean Pierre Renaud

Guerre d’Algérie ou LCP entre mémoire et histoire! « Le Schirch… »

Guerre d’Algérie ou LCP entre mémoire et histoire !

« Instituteur pendant la guerre d’Algérie » (la Croix du 23/12/2013) ou « Le Schirch, celui qui sait… ou l’aventure hors du commun de Guy Beaujard,(Le Monde Télévisions des 22,23/12/2013) un documentaire sur LCP, le 23 décembre 2013.

               Dans son analyse critique, Alain Constant, dans Le Monde, conclut « ce documentaire inédit est une belle leçon d’histoire », après avoir décrit l’itinéraire du héros de ce documentaire, un jeune instructeur civil venu en Algérie, pendant la guerre d’Algérie, en 1959.

        Si j’ai bien compris le commentaire, le poste militaire d’affectation de ce jeune instructeur, était à Tifrit n-Aït Ou Malek, en Grande Kabylie.

          Le même documentaire nous conte la rencontre pour le moins surprenante entre le jeune instructeur et le colonel Si Mohamed Ou el Hadj, à l’époque chef de la Willaya III.

            Belle leçon d’histoire, ou plutôt belle leçon de désinformation historique, comme je l’ai fait connaitre à la chaîne LCP par le message que je lui ai adressé le 24 décembre 2013, dont le contenu est le suivant :

        « Bonjour, ce documentaire est à ranger dans la catégorie des documents de désinformation historique pour quelques-unes des raisons ci-après :
     

      1) Un curriculum étrange ? M.Beaujard était sursitaire ? Avait refusé de porter les armes et se retrouvait dans le poste de Tifrit ? A effectué son service une fois la guerre terminée ? Etait menacé de mort par le FLN alors qu’il avait collaboré avec le parti en question ?

     2) Comment ne pas être choqué par l’absence de cadrage historique de ce documentaire, et pourquoi ne pas avoir eu le courage de donner la parole à des soldats, sous-officiers ou officiers du contingent qui ont servi dans le même secteur militaire ?

     3) Le documentaire a fait l’impasse sur l’opération Jumelles, mais l’instit en question n’aurait pas pu exercer ses fonctions si cette opération n’avait pas eu lieu, en ramenant la paix civile en Kabylie, où il était, et en Petite Kabylie où je servais la France en tant qu’officier SAS, précisément sur le versant Soummam du même massif.

     4) Comment ne pas éprouver un malaise et beaucoup de mécontentement en regardant ce type de documentaire qui a été tourné à la gloire de Si Mohand, chef de la Willaya III, et tout autant de l’instit, lorsqu’on a cru servir son pays, tout en étant convaincu que l’Algérie devait aller à l’indépendance ?

         Il s’agit à proprement parler à la fois de propagande et de falsification historique. Je puis vous dire que dans ma SAS, le FLN avait brûlé de très belles écoles construites en dur, bien avant la guerre de 54, que j’ai reconstruites, et que de bons instituteurs, sans doute en nombre très insuffisant dans la vallée de la Soummam y exerçaient depuis longtemps leur mission du savoir. Il y aurait tellement de choses à dire sur ce type de sujet qu’il est effectivement possible de raconter aujourd’hui n’importe quoi, et c’est bien le cas de ce documentaire que la chaine publique LCP accueille sans vergogne et sans cadrage historique. La France est décidément dans un triste état. Salutation distinguées. »

            La chaine Publique LCP est-elle dans son rôle d’information libre et pluraliste en diffusant un documentaire soi-disant historique sur la guerre d’Algérie propre à éloigner tout espoir de réconciliation entre les deux peuples  conditionnée par un exercice exigeant de vérité, dans les deux camps ?

            Pendant la guerre d’Algérie, nombreux ont été les « petits gars du contingent » qui ont rempli leur devoir de citoyen français, et aimé cette Algérie qui n’était pas leur pays, ainsi que ses habitants !

Jean Pierre Renaud

« Ghosts of Empire » par Kwasi Kwarteng, lecture 3ème partie

« Ghosts of Empire »

Par Kwasi Kwarteng

3ème et dernière partie, les 1ère et 2ème parties ont été publiées les 13 et 28 novembre 2013

 Esquisse de comparaison entre les administrations coloniales anglaise et française

          Notre esquisse  est tirée en partie du livre intitulé « Empereurs sans sceptre » de William Cohen, et en partie de l’exploitation de livres d’histoire coloniale, de récits, de compte rendus d’expériences d’administrateurs eux-mêmes, et enfin de notre formation universitaire.

         En deçà, et en arrière-plan, de la scène coloniale sur laquelle les acteurs anglais et français de la politique coloniale mise en œuvre par les deux pays, trois facteurs d’explication capitale doivent être cités pour bien comprendre la problématique analysée et présentée :

        Le facteur géographique : rien de comparable entre les colonies anglaises riches et accessibles, assez bien desservies par la mer ou les fleuves, et les colonies françaises. Seule l’Indochine pouvait alors rivaliser avec les autres colonies anglaises d’Asie, et encore dans une tout autre catégorie que l’Empire des Indes.

       Le facteur culturel : contrairement à la légende que tentent de répandre dans l’opinion publique certains cercles de chercheurs, la France n’a jamais eu la fibre coloniale (1), pas plus d’ailleurs que la fibre commerciale, alors que les Anglais dominaient le commerce maritime depuis des siècles, et que coulait dans les veines d’une grande partie de leur élite le sang des affaires, du business, beaucoup plus que celui de la gloire ou de la révolution, comme chez nous.

 Même dans la période impérialiste anglaise la plus active, à la fin du dix-neuvième siècle, la politique coloniale eut toujours comme premier souci, celui de se mêler le moins possible de politique locale.

         Les portraits que trace M.Kwasi Kwarteng le montrent parfaitement.

       Ce même facteur culturel éclaire la façon dont la politique coloniale, pour autant qu’elle exista, fut définie par les deux pays, car en Grande Bretagne, et à lire, entre autres le texte de l’auteur, elle se résumait à sa plus simple expression, c’est-à-dire favoriser le business.

      Dans le livre « Supercherie Coloniale », il me semble avoir apporté la démonstration que la thèse  d’une « Culture coloniale » ou « impériale » dans laquelle la France aurait « baigné » souffrait d’un manque d’évaluation sérieuse des outils de la fameuse culture et de ses effets.

      Avec des ambitions différentes, la politique coloniale française se résuma souvent à sa plus simple expression, c’est-à-dire l’aveuglement.

     En France, on se piquait officiellement,  d’exporter dans les colonies civilisation et assimilation, mais paradoxalement sans que le gouvernement y mette les moyens nécessaires, dans le désintérêt des Français.

        Les gouvernements valsaient, et donc les ministres ; le ministère des Colonies n’était pas recherché,  et c’était un mauvais signe. Les acteurs, à la base, tentaient de promouvoir une politique coloniale qui n’existait pas, et pourtant ils continuaient à croire qu’ils étaient porteurs de cette fameuse civilisation du progrès, d’un idéal d’assimilation que les réalités coloniales rendaient impossible.

       Du fait de leur choix stratégique, les Anglais n’ont pas eu autant de difficultés à mettre en place leur système d’administration coloniale, étant donné que leur objectif était moins de diffuser la civilisation occidentale qu’à favoriser le business. Il suffisait donc de laisser le plus souvent possible les autorités indigènes locales administrer leur territoire, pour autant que l’ordre public soit assuré.

      La chronologie : dans le cas de la France, et en ce qui concerne les acteurs de sa politique coloniale, il est difficile de ne pas distinguer une première phase de la « colonisation », en gros jusqu’en 1914, phase de tâtonnements et de mise en place d’une administration, et souvent de  paix civile non assurée, dans une chronologie coloniale totale qui n’a duré guère plus d’une soixantaine d’années, la dernière période de 1945 à 1962, étant une sorte de période de liquidation coloniale.

        En ce qui concerne la chronologie et son domaine d’application, la seule comparaison qui parait avoir du sens comme nous le verrons dans notre travail de comparaison entre les deux empires anglais et français concerne l’Afrique noire.

.Les acteurs de la colonisation à la française

        Recrutement comparé

       Jusqu’en 1914, une administration coloniale française médiocre, très médiocre ;

Au cours de cette première période, le recrutement des administrateurs coloniaux commença à se normaliser lentement, avec la venue d’éléments formés par la nouvelle Ecole Coloniale (création 1887), c’est-à-dire recrutés par concours, avec un recrutement exclusif du corps par l’Ecole à partir de 1905.

       Les administrations coloniales des différents territoires étaient alors constituées de bric et de broc, d’abord d’officiers de qualité inégale, souvent de fils de famille venant s’y refaire une « santé », d’aventuriers, et d’une minorité d’administrateurs recrutés par concours.

        William Cohen cite plusieurs témoignages à ce sujet :

      «  Un colon français (A.H.Canu, dans « La pétaudière coloniale ») décrivait les colonies en 1894 comme : « le refugium peccatorum de tous nos ratés, le dépotoir où vient aboutir les excréta de notre organisme politique et social.

       En 1909, Lucien Hubert, qui était favorable à l’administration coloniale, juge nécessaire de réfuter : « l’odieuse légende qui représente le fonctionnaire colonial tenant d’une main une bouteille et de l’autre la cravache ».

      Aussi récemment qu’en 1929, Georges Hardy, directeur de l’Ecole coloniale, déplorait que lorsqu’un jeune homme partait pour les colonies, ses amis se demandaient : « Quel crime a-t-il pu commettre ? De quel cadavre veut-il s’éloigner ? » Même durant la décade suivante et en dépit des améliorations sensibles apportées dans le recrutement du corps, l’image négative de la vocation coloniale semblait demeurer. On pouvait lire, en 1931, dans un article de journal (L’Echo de Paris) :

     « Quitter la métropole, aller s’enfoncer dans la brousse africaine ou indochinoise, signifiait qu’on avait quelque chose à se reprocher. »

         Le même auteur rapporte le propos d’Hubert Deschamps, ancien gouverneur, qui, en 1931, écrivait que l’administrateur colonial était toujours considéré comme « un peu le mauvais garçon de jadis, le gentilhomme d’aventure… »

            Henri Brunschwig, le grand historien colonial écrivait dans son livre  « Noirs et blancs dans l’Afrique noire française » :

        « En 1914 encore, les deux tiers des administrateurs des colonies n’avaient pas, dans leurs études, dépassé le niveau du baccalauréat. 12 % seulement, entre 1910 et 1914, étaient passés par l’Ecole coloniale dont le concours n’était pourtant pas difficile  » (page 24)          

         La description des membres de ce corps qu’en fait l’auteur à l’époque considérée,  ne manque pas de réalisme :

         « …Ils avaient tous un appétit de puissance, étaient tous plus ou moins attentifs à leurs intérêts matériels et jouissaient tous, contrairement aux autres Blancs ou aux Noirs, d’une certaine sécurité.

     Par appétit de puissance, nous entendons non seulement le besoin de s’affirmer, d’exercer une autorité, d’obtenir une promotion sociale, des honneurs et de la gloire, mais encore le goût de l’aventure, du risque, du jeu. Echapper aux cadres étriqués des bureaux ou des garnisons métropolitaines… se sentir « roi de la brousse », quelle exaltation dont tant de militaires et de fonctionnaires ont gardé la nostalgie ». (page 25)

     Pour mémoire, indiquons que les lettres de Gallieni et de Lyautey font effectivement état d’une des motivations des officiers qui partaient aux colonies, celle d’échapper aux routines de la métropole.

            Pierre Mille, journaliste et romancier colonial en vogue à son époque, dans son roman intitulé « L’Illustre Partonneau », brosse le portrait satirique du monde colonial de la première période, avec humour et férocité. L’administrateur colonial Partonneau incarne plusieurs personnages à la fois, en Afrique occidentale, à Madagascar, et en Indochine, dans leurs aventures, tribulations, et travers, par le moyen d’anecdotes souvent truculentes :

            « Sa prudence

            Je m’amusais parfois – et il était assez rare que je fisse une erreur – à deviner l’origine ou le corps d’où sont issus les administrateurs coloniaux, par la seule façon dont ils prononcent, devant leur chef suprême, cette phrase élémentaire : «  Oui, monsieur le Résident Général ! Ce brave Lefebvre, à qui l’on confiait toujours les postes les plus difficiles ou les plus déshérités, qui ne s’en offusquait nullement, qui même les sollicitaient, « parce que, disait-il, on y est plus à son aise que près des légumes, et que les inspecteurs y passent moins de temps » ne la pouvait sortir des lèvres sans y ajouter, dans son inexprimable émotion, un explétif blasphématoire : « Nom de Dieu ! Oui ! Monsieur le Résident Général ! Oui, sacré nom de Dieu ! » C’est que Lefebvre a été tout petit commis des affaires indigènes, et même auparavant, simple sergent de la vieille infanterie de marine, puis employé de factorerie… les anciens officiers de l’armée de terre émettaient la formule automatiquement et comme à cinq pas de distance…Ceux qui venaient de la marine, avec une courtoisie raffinée qui dissimule un dédain latent…

         Pour Partonneau, il disait d’un souffle raccourci : « Oui, m’sieur le Résident Général ! » J’en avais induit que, des bancs du lycée, il était entré tout droit à l’Ecole coloniale ; il continuait à répondre au pion… » (page 162)

        Comme l’explique William Cohen, cette situation était sans doute inévitable :

       « Malgré les plaintes des gouverneurs formulées à l’égard de leurs subordonnés, il serait possible de soutenir qu’en fait ces rudes aventuriers étaient probablement bel et bien le genre d’hommes nécessaires pour briser les résistances locales et asseoir l’autorité française. » (p,59)

       A titre personnel, et pour avoir lu de nombreux récits des premières années de la conquête, je serais tenté de dire qu’il fallait avoir un petit grain de folie pour aller servir en brousse, compte tenu des conditions de vie de cette époque,  maladies, morts prématurées, isolement…

        Entre 1887 et 1912, et sur un effectif de 984 fonctionnaires, 16% sont morts outre-mer, et à cette époque on calculait qu’un fonctionnaire colonial mourait dix-sept années plus tôt qu’un fonctionnaire métropolitain.

      Au fur et à mesure des premières années de cette première période, et comme l’a relevé William Cohen :

      « L’aventurier disparut et fut remplacé par l’administrateur. (p,59)

Origine sociale

      La Grande Bretagne procéda de façon différente dans le recrutement de son personnel colonial supérieur, avec des formules de choix qui permettaient de s’assurer le concours de collaborateurs formés sur le même moule d’éducation, partageant le même idéal de société, et généralement convaincus tout à la fois de la supériorité de la race anglaise et de son mode de vie.

     Les administrateurs coloniaux français n’avaient pas du tout la même origine sociale que les Anglais, issus pour la plupart de la petite aristocratie, d’une gentry constituée de fils de pasteurs ou d’officiers. Ils venaient d’abord des classes moyennes supérieures, et pour un petit nombre d’entre eux des classes populaires.

     Les modes de recrutement ne se ressemblaient pas, du cas par cas, chez les Anglais avec des modalités différentes entre l’Empire des Indes, dont la sélection était la plus huppée, et les territoires africains moins exigeants, le concours, quand il existait, dans le cas de l’Inde, n’avait pas du tout le sens qu’on lui donnait en France.

    Les administrateurs recrutés par des concours à la française venaient généralement de la petit bourgeoisie.

Les modes de vie

      A lire les nombreux témoignages sur le sujet, il existait incontestablement une différence importante entre les deux catégories d’administrateurs, le mode de vie.

    Les Anglais avaient emporté dans leurs bagages les attributs de leur mode de vie aristocratique, les horaires de travail, la pratique de leurs sports favoris, polo ou cricket, le rite des réceptions mondaines habillées comme at home, la plupart de ces manifestations avaient lieu dans des clubs fermés aux indigènes.

   Le roman d’Orwell sur une certaine vie coloniale anglaise en Birmanie est tout à fait intéressant à ce sujet.

Motivations

Leurs motivations n’étaient non plus pas les mêmes. Venant d’une France agricole, une France des villages et des bourgs, tournée vers elle-même, et habitée à cette époque par un esprit de revanche contre l’Allemagne, ils manifestaient un goût certain pour l’aventure, le dépaysement, tout autant que le service d’une certaine France sûre de ses propres valeurs de civilisation, avec en tête la République, l’égalité, la laïcité, l’assimilation, tout idéaux qu’ils durent rapidement confronter aux dures réalités coloniales.

   Dans le même livre « L’illustre Partonneau », Pierre Mille livre une assez bonne description de ce type de motivations :

   « – Comment, lui dis-je, tu repars ?

–       Non, non, je m’en vais…

     Vous ne comprenez pas la différence ; cela doit vous paraître un propos d’imbécile. « Partir » ou « s’en aller » ont toujours passé pour des synonymes. Mais, j’avais tellement l’habitude de son esprit, et de l’entendre dire à demi-mot ! « Partir », pour lui, comme pour moi, cela signifiait l’aventure devenue naturelle, l’exercice du vieux métier, l’océan traversé, puis la « mission » quelque part , ou bien le poste n’importe où, la besogne administrative chez les noirs ou les jaunes, le proconsulat colonial, quoi ! avec sa monotonie, ses bâillements, mais aussi ses rudes plaisirs, que vous ignorerez toujours, vous les gens d’ici, vous les « éléphants ! S’en aller, ce n’est pas la même chose, c’est même le contraire : c’est abandonner. Partonneau abandonnait, voilà ce qu’il voulait dire à la fois Paris et les colonies (page 212)

    Je serais tenté de dire que dès le départ la tâche était impossible. Il suffit de lire les récits d’un Delafosse aux tout débuts d’une Côte d’Ivoire qui n’avait jamais existé, pour mesurer, rétroactivement en tout cas, l’absurdité des enjeux.

    Et pourtant, un des premiers directeurs de l’Ecole, Dislère, membre du Conseil d’Etat, directeur indéboulonnable pendant une quarantaine d’années, continuait à donner une imprégnation assimilationniste au contenu de la formation des futurs administrateurs coloniaux.

 Des politiques coloniales différentes ?

   Je jouerais volontiers à la provocation en avançant l’idée que les deux puissances coloniales de l’époque, n’avaient, ni l’une ni l’autre, de politique coloniale.

   En Grande Bretagne, parce que les ministres laissaient leurs gouverneurs ou résidents apprécier au cas par cas, et décider, sauf peut-être pendant la courte période du partage de l’Afrique, à la fin du dix-neuvième siècle.

Une politique coloniale existait-elle à Paris ?

    Il est permis d’en douter, en tout cas au cours de la première période de mise en place des structures de commandement françaises.

   En Indochine, les gouverneurs généraux ne savaient pas trop quelle doctrine il fallait appliquer, les uns penchant pour le protectorat, les autres pour l’administration directe, alors qu’une politique de commandement indirect, à l’anglaise aurait pu être appliquée.

    Sur ce blog, nous avons consacré une chronique tirée des lettres de Lyautey au Tonkin, qui montrait bien les hésitations des gouverneurs généraux : de Lanessan, qu’admirait Lyautey, était partisan de la solution de protectorat.

    A Madagascar, et après 1895, une fois la conquête effectuée, Hanotaux, le ministre des Affaires Etrangères lui-même n’avait pas l’air de bien savoir le régime colonial qu’il fallait mettre en place dans la grande île, protectorat ou colonie, c’est-à-dire l’annexion, et l’option de colonie fut largement le fruit du hasard, de l’ignorance du sujet, ou de l’indécision gouvernementale.

    Il convient toutefois de reconnaître que le concept de protectorat fut largement galvaudé en Afrique, les conquérants anglais ou français, pour ne citer qu’eux, faisant la course auprès des chefs indigènes pour qu’ils signent des textes de protectorat qu’ils ne comprenaient pas, en raison notamment de la doctrine « dite » du Congrès de Berlin, celui du partage de l’Afrique, d’après laquelle ces papiers serviraient de preuve d’appropriation coloniale par l’une ou l’autre des puissances coloniales.

     Etienne, qui fut Secrétaire d’Etat aux colonies, se gaussa un jour de ce type de papiers.

    William Cohen éclaire ce débat.

  « Les ministres des colonies étaient incapables, à la fois, d’être eux-mêmes bien informés, et de déterminer une politique. Leur ignorance les empêchait de formuler une politique intelligente. » (p, 93)

    Comment ne pas répéter une observation déjà faite plus haut, les ministres des Colonies défilaient au rythme des gouvernements de la Troisième République, de l’ordre de six mois pendant la première période ? Et de plus, ils avaient rarement une quelconque expérience de l’outre-mer?

    Comment ne pas noter aussi que le Colonial Office existait déjà avant 1850, alors que le ministère des Colonies ne datait que de 1894 ?

Le fonctionnement concret de l’administration coloniale française : un indirect rule déguisé ? La nécessité des truchements

    Confrontée aux réalités humaines et économiques de l’outre-mer, l’administration française ressemblait à la britannique, en s’appuyant sur les autorités traditionnelles, petits ou grands chefs, qu’elle tentait de contrôler.

    La France avait mis en place d’énormes structures coloniales de type bureaucratique, mais une grande partie des territoires coloniaux échappait d’une façon ou d’une autre, à leur emprise.

    M.Kwasi Kwarteng analyse longuement la politique de « l’indirect rule » de Lugard, mais les administrateurs français étaient bien obligés de les imiter, avec un indirect rule au petit pied.

   En comparant les grands territoires du Soudan anglais ou du Soudan français, le nombre des administrateurs était assez comparable, quelques dizaines, d’où la nécessité de trouver dans ces contrées des appuis, des relais de commandement, avec la place trop souvent ignorée du truchement, soit des anciennes autorités traditionnelles, soit des nouveaux « évolués ».

  L’administration coloniale anglaise avait fait, dès le départ un choix stratégique qui conditionnait l’efficacité de son système, celui d’un corps spécialisé par grande colonie, et ce fut le cas en Inde et au Soudan par exemple.

   Non seulement, les administrateurs recrutés y faisaient une grande partie de leur carrière, mais étaient astreints à parler les idiomes du pays, ce qui ne fut pas le cas des administrateurs français qui changeaient en permanence de colonies, au fur et à mesure des congés, et qui ne parlaient la langue de la colonie où ils étaient affectés que de façon tout à fait exceptionnelle.

 William Cohen notait :

    « La rotation constante de ces derniers les empêchait également de demeurer  en contact étroit avec la population. Il en était de même pour les gouverneurs, ce qui constituait également un obstacle dans la continuité de l’administration. Il arrivait souvent que ces derniers ne restent pas plus d’une année dans leurs fonctions. Le Dahomey connut six gouverneurs successifs entre 1928 et 1933, la Côte d’Ivoire en eut cinq entre 1924 et 1933 et la Guinée quatre. L’instabilité de l’administration était proverbiale : un ancien administrateur a noté que dans un cercle du Tchad, il y eut trente-trois commandants différents de 1910 à 1952 ; sept seulement restèrent en fonction deux ans ou davantage, et certains de quatre à six mois… Les postes faisaient l’objet de si fréquents changements que Cosnier déclara que cette instabilité (L’Ouest Africain français) était « le caractère » le plus évident de notre administration coloniale. » (p,179)

Une administration coloniale française par « truchement »

    Il est donc évident que le système dit d’administration  directe était très largement une fiction, et que son fonctionnement concret reposait sur les collaborateurs permanents de l’administration coloniale, les chefs naturels ou nommés, les commis lorsqu’ils existaient, et avant tout les interprètes.

    La supériorité du système colonial anglais paraissait donc manifeste, car les administrateurs français, pour bien « commander », étaient en effet le plus souvent entre les mains de leurs interprètes, et le livre d’Hampâté Bâ, « Wrangrin » décrit bien le fonctionnement concret de l’administration  coloniale française.

      Sauf que le plus souvent, les administrateurs coloniaux anglais, baptisés le plus souvent du nom de résidents, étaient eux aussi et d’une autre façon,  entre les mains de maharadjas, sultans, ou de rois locaux !

    Et pourquoi ne pas ajouter que la pratique des mariages de convenance de nombre d’administrateurs, jusqu’à ce que les conditions sanitaires furent suffisantes, représenta une solution d’intermédiation souvent efficace avec la société indigène ?

    La volonté française de plaquer dans ces pays les structures administratives de métropole trouvèrent rapidement leurs limites, faute de ressources, et William Cohen le note très justement :

   « L’établissement d’une administration centralisée se révéla ainsi impossible, même à l’intérieur de chaque colonie » (p,98)

     Faute au surplus du contrôle quasiment impossible des commandants de cercle sur le terrain, en pleine brousse, et ce ne sont pas les quelques tournées périodiques de brillants inspecteurs des colonies qui pouvaient avoir une quelconque efficacité sur le fonctionnement concret de l’administration.

     Les récits de vie coloniale de nombreux anciens administrateurs coloniaux évoquent souvent tel ou tel épisode d’inspection. Je pense notamment à celui de Pierre Hugot qui, dans « Suleïman, Chroniques Sahéliennes », en relate quelques-uns tout à fait facétieux.

    Le lecteur doit en effet tenter de se projeter rétroactivement dans l’univers colonial, géographique et ethnographique multiforme de cette époque, mettre en scène ces administrateurs, souvent coupés de tout pendant de longs mois, isolés en pleine brousse, pour réaliser qu’en définitive, leur pouvoir était plutôt ou théorique, ou abusif.

Conclusion

      Je serais tenté de dire que les deux administrations coloniales n’ont fait que projeter leur ambitions, leurs mythes, leurs contradictions dans l’outre-mer qu’ils ont conquis, car le recrutement de leur personnel, leurs carrières, la politique qu’ils ont tenté d’y mettre en œuvre, pour autant qu’il y ait eu politique, aussi bien dans le cas britannique que dans le cas français, constituaient une sorte d’incarnation souvent très imparfaite, surtout dans le cas français, de leur modèle de société.

      La Grande Bretagne n’avait pas l’ambition de révolutionner les sociétés locales où elle faisait régner un ordre public favorable à l’épanouissement de son commerce, et jouait le jeu des pouvoirs déjà en place.

     La France avait une autre ambition, théorique et abstraite, tout à fait à la française, celle de promouvoir son modèle d’égalité républicaine et d’assimilation, un modèle que les administrateurs coloniaux avaient bien de la peine à mettre en œuvre, tant la tâche était impossible, d’autant plus que le gouvernement de la métropole, dès le début du XXème siècle, avait décidé de laisser les colonies financer leur propre fonctionnement et développement.

       Concrètement, cela voulait dire que l’administration coloniale se débrouillait, d’autant plus difficilement  qu’elle gouvernait des colonies beaucoup moins riches que les anglaises.

    Cela voulait dire aussi que, compte tenu du petit nombre d’administrateurs dans des territoires immenses, par exemple de l’ordre d’une centaine de commandants de cercle dans l’ancienne AOF, de la mobilité décrite plus haut, l’administration coloniale était largement entre les mains des petits ou grands chef locaux, en concurrence avec les interprètes du système colonial.

     Il serait presque possible d’en tirer la conclusion qu’au fond, et dans leur fonctionnement concret, les deux administrations se ressemblaient beaucoup, sauf à relever que l’administration  coloniale française  projetait naïvement et hypocritement un modèle politique et social qui n’était pas viable, et qui précipita très normalement le processus de décolonisation.

     Les nouvelles élites locales avaient faim d’égalité, mais la métropole était bien incapable, faute de moyens, de l’établir. On sortait enfin de l’hypocrisie coloniale française.

    A voir les débats ouverts et entretenus par des cercles de chercheurs, et à constater les échos postcoloniaux qui ont succédé à la décolonisation, il parait évident que la politique coloniale anglaise, en ne faisant pas miroiter une situation politique et sociale d’égalité, a échappé aux procès permanents que l’on fait de nos jours à la France.

Jean Pierre Renaud, avec quelques éclairages de mon vieil et fidèle ami de promotion Michel Auchère

« Ghosts of Empire » par Kwasi Kwarteng – Lecture 2ème partie

« Ghosts of Empire »

par Kwasi Kwarteng

Première partie publiée sur le blog du 13 novembre 2013

2

 Une doctrine et une politique impériale ?

                A lire ce livre bien documenté, on en retire l’impression que la Grande Bretagne était dépourvue tout à la fois de doctrine et de politique coloniale, et qu’elle laissait les mains libres à ses administrateurs coloniaux.

                Ce n’est sans doute pas complètement faux, car on ne demandait pas aux officers de mettre en place des constructions administratives et bureaucratiques de type européen dans les territoires sous contrôle, comme aimaient le faire les Français, mais tout simplement de faire en sorte que le business britannique puisse se développer normalement, sans s’embarrasser de résoudre des problèmes de justice ou de mœurs locales.

              Un objectif, avant tout le business ! The money !

             Quelques citations proposées par l’auteur suffisent à éclairer les véritables objectifs de cette politique impériale :

            En Inde, “Sir Charles Napier (1) remarked that the British object “in ‘conquering India, the object of all cruelties, was money.” This was cynical, but there was a large element of truth in the claim.» (p,96)(KK)

            L’auteur écrit : “ The colonial mission in Africa according to the Prime Minister, was about money and commerce.” (p,378)(KK)

              En 1897, lord Salisbury, Prime Minister (2) déclarait :

            « The objects we have in our view are strictly business objects. We wish to extend the commerce, the trade, the industry and the civilization of mankind.” (p,378)

         Dans une telle perspective,  il n’était vraiment pas besoin d’avoir une politique d’ensemble,  et il suffisait de compter sur l’esprit d’initiative des administrateurs.

          « The role of history, of the British Empire, in all this is clear to see. Accidents and decisions made on a personal, almost whimsical, level have had a massive impact on international politics…” (p,140)(KK)

         (1)  Napier (1819-1898), en 1872, Vice-Roi des Indes

         (2)  Salisbury (1830-1903) Prime Minister : années 1885-1886 ; 1886-1892 ;: 1895-1902

         “The individual temper, character and interests of the people in charge determined policy almost entirely those ghosts the British Empire. There simply was non master plan. There were different moods, different styles of government. Individual have different interest, centralizing forces were often dissipated by individual on the ground, even where powerful character, sitting in Whitehall, were trying to shape events in the Empire. More often than not, there was very little central direction from London. The nature of parliamentary government ensured that ministers came and went; policies shifted and changed, often, thanks to the verdict of the ballot box, ,or even because of a minor Cabinet reshuffle.” (p,160)(KK)

            En ce qui concerne Cromer (1), l’auteur écrit :

           « In Cromer’s view, everything about the British pointing to individualism.”(p,232)(KK)

           Cromer:

          “Our habits of thought, our past history, and our national character all, therefore, point in the direction of allowing individualism as wide a scope as possible in the work of national expansion.” (p,232)

          Dans sa conclusion, M.Kwasi Kwarteng note:

         « The individualism was, I have noted, in that there was very often no policy coherence or strategic direction behind the imperial government as experienced in individual colonies… Individualism was a guiding principle of the British Empire.” (p, 395)(KK)

        J’ajouterais volontiers, et d’abord ce goût du business qui coule dans le sang britannique, et qui donnait sa cohérence à l’impérialisme britannique.

        Un gouvernement colonial indirect : le succès de l’indirect rule

     « Lugard (2) fut « a great theorist of imperialism and his greatest legacy the British Empire and to Nigeria was the doctrine of indirect rule. » (p,289)

        Lugard a fait connaître la théorie de « l’indirect rule » qu’il a mise en œuvre en Nigeria, mais ce type de pratique coloniale existait déjà en Inde, où,  depuis de très nombreuses années, le pouvoir anglais s’appuyait sur les maharajas et  les rajas, et c’était une tradition coloniale britannique dans l’Empire.

        (1)  Cromer (1841-1917) Contrôleur Général en Egypte (années 1883-1907)

        (2)  Lugard (1858-1945)  Haut- Commissaire de la Nigeria (années 1900-1906)

       Il est possible de se demander si cette publicité donnée à cette théorie, présentée comme une nouveauté, ne fut pas facilitée par le mariage que fit Lugard, avec une journaliste fort bien placée dans le milieu des journaux de l’époque, étant donné qu’elle faisait partie du Comité éditorial du Times.

       L’annexion de la Birmanie fut à cet égard une exception, mais elle fut le fruit de l’initiative individuelle de lord Churchill,  Secrétaire d’Etat pour l’Inde en 1885-1886, mais à considérer l’ensemble des territoires de l’Empire britannique, il est souvent difficile de distinguer entre les solutions d’administration  indirecte ou directe. Au sein même de l’Empire secondaire des Indes, ou en Afrique du Sud, les Britanniques recouraient aux deux formules.

        « The fate of Burma was decided as in so many cases in the empire, by chance and circumstances. » (p,165)(KK)

        Une sorte de « fait accompli », faute d’autre solution, car il ne s’agissait que de la dernière phase de la conquête, avec le constat que le souverain local manifestait trop d’insuffisance dans sa gouvernance pour le laisser en place, en conformité avec la pratique coloniale anglaise indirecte, et la crainte de voir les Français damer le pion aux Anglais dans l’occupation de cette voie stratégique vers la Chine.

          Dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » j’ai longuement analysé les opérations de conquête du Soudan, du Tonkin, et de Madagascar, afin d’examiner la validité de la théorie historique défendue par certains chercheurs, d’après laquelle, dans leurs opérations, les officiers français mettaient très souvent leur gouvernement devant le fait accompli, et conclu par la négative.

         La nouvelle colonie du Nigéria prit la suite d’une concession anglaise à la Royal Nigeria Society dont l’objectif était l’exploitation des ressources du fleuve Niger, dans son cours le plus favorable vers le delta.

        Avant que la concession ne fût reprise par le gouvernement, et avant qu’il ne se voie confier le Haut- Commissariat du Nord, Lugard fut un des officiers anglais mis à la disposition de cette compagnie.

         Ce vaste territoire comprenait trois grandes régions peuplées au nord par les musulmans du Sultan du Sokoto, et au sud, par les peuples animistes Yoruba à l’est, et Ibo, à l’ouest.

       Lugard mit en pratique sa théorie dans le nord du territoire, mais sa mise en application était naturellement facilitée par l’organisation de ce sultanat puissant et respecté, et qui plus est, Lugard s’y sentait en milieu familier, au contact d’une sorte d’aristocratie locale.

      L’auteur note en effet :

      «The ideal of the gentleman was a cardinal concept of Empire. Behind indirect rule was the notion that the natural rulers of society, if they could be educated as gentlemen, formed the best type of ruling class.” (p, 293) (KK)

      L’auteur note plus loin :

    « Perhaps no other country in the modern world is more a creature of empire than Nigeria. » (p, 371)(KK)

      Il convient d’observer que la même démarche gouvernementale appliquée, plus tard, par le même Lugard sur l’ensemble du territoire de la Nigeria trouva ses limites chez les « natives » du sud qui n’avaient pas les mêmes traditions de hiérarchie théocratique et aristocratique que dans le nord.

      L’indirect rule à Hong Kong ?

      Le cas de Hong Kong montre de façon caricaturale le mode de fonctionnement de l’empire britannique, deux mondes, deux hiérarchies économiques et sociales, poursuivant, côte à côte, l’anglaise et la chinoise, le même objectif du business, les officers britanniques ressemblant à s’y méprendre aux mandarins chinois.

      Hong Kong était  sous la loi des marchands.

    « Hong Kong’s history goes in the heart of the nature of the British Empire. » (p, 389)(KK)

         La démocratie absente de l’Empire britannique!

         Le cas de Hong Kong est à cet égard exemplaire :

         « There would be no elections in Hong Kong for 150 ans” (p334/KK) :

         C’est-à-dire jusqu’à sa restitution à la Chine, en 1998.

        « Some astute observers had always of the central irony of British rule in Hong Kong, that the British civil servants were even more « Chinese » in their philosophy of government than the Chinese themselves.” (p,385/KK)

         “Hong Kong’s history goes to the heart of the nature of the British Empire. Its reversion to China under a regime “of benign authoritarianism” the term Chris Patten used to describe British rule, shows a remarkable continuity. Hierarchy, deference, government by elite administrators, united by education in the same institutions, were all features of imperial rule which were also characteristic of official in imperial China. The story of Hong Kong also confirms the enormous power  wielded by colonial governors.” (p,389/KK)

         Patten fut le dernier gouverneur de la colonie.

       Mais comment ne pas remarquer aussi que cette situation coloniale devint, avec le retour de cette place forte dans la Chine communiste, le refuge de libertés inconnues au sein de cette ancienne nation.

Et en conclusion :

     «The British Empire had nothing to do with democracy and, particularly in Hong Kong, was administered along lines much closer to the ideals of Confucius that the vivid, impassioned rhetoric of Sir Winston Churchill, or even Shakespeare. » (p,390)(KK)

       Cette citation  est tout à fait appropriée pour ouvrir le chemin de l’esquisse de comparaison que nous proposerons au lecteur entre l’administration coloniale anglaise et l’administration coloniale française dont le ciel n’était pas celui de Confucius, mais de la République ou de la civilisation, avec un grand C. 

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

La troisième partie sera publiée dans la première quinzaine de décembre 2013

« Ghosts of Empire » de Kwasi Kwarteng – lecture critique: première partie

« Ghosts of Empire »

« Britain’s Legacies in the Modern World »

Kwasi Kwarteng

(Editions Bloomsbury)

Lecture critique

                 Un titre qui pourrait être en français “ Histoires d’Empire – Héritage britannique dans le monde moderne », mais j’opterais volontiers pour une autre traduction liée celle-là aux fantômes d’un Empire qui ne dit pas son nom.

          Un gros pavé à lire (447 pages), pour le moment en anglais, mais plein d’enseignements sur l’histoire de l’Empire Britannique et sur son fonctionnement concret, avec le regard d’un Britannique aux racines familiales ghanéennes, anciennement la Gold Coast, dont le passé colonial anglais n’est d’ailleurs pas évoqué dans ce livre.

            L’auteur est député conservateur depuis 2010.

             A partir d’un certain nombre de cas coloniaux, l’objet du livre porte sur l’histoire entrecroisée des évènements et du rôle des grands acteurs de cette « saga » coloniale anglaise, les gouverneurs, les résidents, et les administrateurs des Indes, de Birmanie, d’Irak, du Soudan Egyptien, de Nigeria, et de Hong- Kong, les Cromer, Kitchener, Churchill, le père de Winston Churchill, Lugard, pour ne citer que quelques noms parmi les plus connus.

        La colonie de Hong-Kong représente une sorte de  concentré de la problématique impériale anglaise, mais paradoxal, comme nous le verrons plus loin.

        La période étudiée est en gros celle de la deuxième moitié du dix-neuvième  siècle et  de la première moitié du vingtième siècle.

            Et nécessairement, au-delà du portrait de ces grands acteurs coloniaux, cette analyse retrace la conception anglaise de cet empire, sa doctrine, et la politique choisie.

            Je dois dire que j’ai entrepris la lecture de ce livre pour tenter de comprendre pourquoi le passé de l’Empire britannique ne soulevait pas, semble-t-il, le même type de passion, pour ne pas dire d’opprobre, que le passé de l’Empire français, et je dois avouer que cela reste, en dépit de ce livre, encore une énigme, car la construction de cet empire a suscité au moins autant de violences, sinon plus, que celle de l’Empire français.

            Les deux raisons principales pourraient en être, qu’à la différence de la France :

  – 1°) la Grande Bretagne n’a jamais eu l’ambition « d’assimiler » les peuples colonisés, mais de faire des affaires, c’est-à-dire de gagner de l’argent.

–       2°) que la même puissance coloniale a toujours mis la main sur des territoires riches, facilement accessibles, l’exception étant peut-être celle de l’ancien Soudan Egyptien, mais il ne s’agissait que d’un condominium avec l’Egypte. La Grande Bretagne  avait mis en effet la main sur l’Egypte, le canal de Suez, la voie stratégique de l’Asie, et poursuivi avec une belle continuité le contrôle des voies d’accès à ses riches colonies du Moyen-Orient et d’Asie.

Le livre comprend 6 chapitres :

1-    Iraq Oil and Power

2-    Kashmir : Maharadjas’ Choice

3-     Burma : Lost Kingdom

4-    Sudan : Blacks and Blues

5-    Nigéria : « The Centre Cannot Hold »

6-    Hong Kong: Money et Democracy

       Deux observations liminaires :

     1-    Comme déjà indiqué, le livre fait curieusement l’impasse sur le Ghana, pays d’origine de la famille de l’auteur

      2-    Le livre analyse de façon indirecte l’Empire des Indes, un véritable Empire à lui tout seul.

            Nous proposerons aux lecteurs de commenter ces textes en trois parties et de les publier successivement sur mon blog :

–     la première sera consacrée à l’évocation de ceux qui firent la « grandeur » de l’Empire britannique : qui étaient ces acteurs coloniaux?

–  la deuxième, à l’analyse du comment l’Empire britannique fonctionnait concrètement, quelle politique ces acteurs étaient chargés de mettre en œuvre ?

–      la troisième portera sur une esquisse de comparaison entre les  administrations coloniales des deux empires anglais et français, différences ou similitudes.

     Note de lecture : les citations des textes proprement dits de l’auteur seront suivies de la parenthèse (KK)

1

Les acteurs de l’Empire britannique

 Les modalités du recrutement des administrateurs de l’Empire étaient, dès l’origine, de nature à modeler les caractéristiques de l’administration impériale anglaise.

        D’après ce livre, on recrutait les futurs résidents ou administrateurs, parmi les les candidats issus des grandes écoles militaires, ou des meilleures universités anglaises, telles que celles d’Oxford ou de Cambridge.

          Et ces recrues ne venaient pas de toutes les classes, mais de la classe de la petite aristocratie, ce qu’on appelle souvent la gentry.

      Le recrutement était très sélectif, et les agents recrutés faisaient, pour la plupart d’entre eux, toute leur carrière dans la colonie pour laquelle ils avaient été recrutés.

      La qualité ainsi que la primauté du Civil Service des Indes étaient reconnues, mais le « Sudan Political Service », créé en 1901, eut rapidement l’ambition de devenir le meilleur service civil d’Afrique :

          « The Sudan Political Service was regarded as the elite of the African service end enjoyed a prestige comparable with the Indian Service… Of the fifty-six recruits taken on between 1902 and 1914, twenty-seven had a Blue from Oxford or Cambridge… In an analysis of the 500 or so men who made up the service between 1902 and 1956, it was found that over 70 per cent were from Oxford and Cambridge. » (p, 237,238) (KK)

          Par ailleurs, un tiers de ces recrues du même service venait de familles de clergymen.

       Dans cet immense territoire grand comme cinq fois la France, avec une moitié nord désertique, centrée sur Khartoum qui avait pris place dans l’imaginaire colonial anglais avec la mort de Gordon, celle du Madhi battu en 1898 par l’armée anglaise de Kitchener (1), les administrateurs anglais pouvaient laisser libre cours à leur goût du commandement et de la grandeur de leur mission.

        En face d’une véritable expédition militaire anglaise conduite par Kitchener, la France, avec la petite escorte de Marchand à Fachoda n’avait effectivement pas fait le poids.

      Dans la conception anglaise, et comme la mention en a déjà été faite, les agents effectuaient toute leur carrière dans la colonie pour laquelle ils avaient accepté de servir, et étaient astreints à parler au moins la langue principale du territoire. Kitchener par exemple parlait arabe.

       Ces administrateurs étaient recrutés pour avoir de fortes personnalités, et le livre en donne de multiples exemples, qui se traduisent d’ailleurs dans la conception même de l’Empire, et dans sa mise en œuvre concrète.

    La plupart de ces administrateurs de la base au sommet de leur hiérarchie ont projeté leur modèle aristocratique de vie et du commandement dans les colonies où ils étaient affectés.

    La description des modes de vie et d’exercice du pouvoir qu’en fait l’auteur frise la caricature dans les pages qu’il consacre aux Indes et à Hong Kong.

    Aux Indes:

     » In India, the British official transplanted the status, the petty snobberies and the fine gradations of rank and privilege which prevailed in Britain itself. » (p, 97) (KK)

     « This eccentric, even crazy atmosphere was a feature of the British Empire in India which has often been overlooked.” (p,111)(KK)

   A Hong-Kong:

   “The traditions of British imperial rule were much more akin to Chinese, Confucian concepts of law and order, social hierarchy and deference than to any idea of liberal democracy… the British civil servants were even more “Chinese” in their philosophy of government than the Chinese themselves.”(p,385)(KK)

    En résumé, un modèle de recrutement qui était de nature à doter l’Empire Britannique d’un corps de serviteurs d’élite, et qui allait lui donner ses caractéristiques, sa doctrine et ses contours politiques, c’est-à-dire ceux d’un gouvernement de type aristocratique conservant toujours une certaine distance, pour ne pas dire plus, avec leurs administrés indigènes.

(1) Kitchener (1850-1916)  1896: Gouverneur du Soudan;  1899-1902: Guerre des Boers; 1902-1909 : Consul Général d’Egypte

« Natural hierarchy » (p,391), condescendance, ou discrimination ?

     “Perhaps the key to understanding the British Empire is the idea of natural hierarchy. Class and status were absolutely integral to the empire, and notions of class were important in forming alliances with local elites, the chiefs, the petty kings and maharajas who crowded the colonial empire. The dominance of ideas of class and status made it easy for the British to establish local chiefs as hereditary rulers.” (p,391) (KK)

     Les officers britanniques n’auraient donc fait que projeter en Inde, en Asie, ou en Afrique, leur modèle de classe, les rapports hiérarchiques naturels de classe qui existaient chez eux.

    Il est exact que cette conception tout britannique des rapports sociaux les conduisait, comme nous le verrons, à ne pas bousculer, sauf circonstance majeure,  les hiérarchies « naturelles » qui existaient dans leur empire, en Afrique de l’ouest, au sultanat du Sokoto par exemple, ou dans les nombreux royaumes de l’Inde.

     Il n’empêche que  cette conception d’une gouvernance coloniale imbue de sa supériorité de classe et de modèle social n’a pas manqué d’être interprétée comme une forme manifeste de discrimination, de ségrégation, pour ne pas dire de racisme, dans le sillage de la mission de civilisation des races inférieures, du fardeau de l’homme blanc, cher à Kipling.

    L’auteur note en ce qui concerne la Birmanie :

     « The racial attitudes of the British were not based on any scientific reasoning. British imperialists were not systematic racists like the Nazis. The racism and social ostracism were reflected in crude ways such as by “colour bars” at clubs, where only Europeans could join or be served.” (p,190)(KK)

      A de multiples reprises, l’auteur donne des exemples de cette discrimination britannique, et le cas de la colonie de Hong Kong se situe sans doute à la limite de ce type de relations coloniales:

    « In its first hundred years as a Crown colony, Hong Kong was an incredibly divided society. There were obvious racial divisions between the English and the Chinese, which were not merely a matter of class and money, since, as already noted, some of the richest people on the island were Chinese.  As early as 1881, all but three of the twenty highest taxpayers in Hong Kong were Chinese. Despite their wealth, the rich Chinese businessmen did not socialize with their European counterparts and commercial attainments. On top of racial divisions, there were divisions the British themselves, the most obvious of which was the split between the official class, with their elite culture, their Classical education and their competence in the Chinese language, and the class of wealthy expatriate merchants. “ (p,338)…

    “Perhaps the most sensitive racial issue for the wealthier Chinese residents was the difficult question of where to live. The most fashionable district of Hong Kong, the Peak, was effectively barred to Chinese until after the Second  World War” .(p,340)(KK)

    Après la première guerre mondiale, de retour d’un voyage en Asie, et au Japon, et de passage dans les Indes, le grand reporter Albert Londres notait :

    « Cela se sentait : Samul avait une confidence à me faire. Mais, chaque jour, il hésitait. Il la garda au fond de lui au moins une semaine, puis un soir :

–    Monsieur, je dois vous dire quelque chose : quand je sortirai avec vous, je ne marcherai pas sur le même plan, mais derrière.

–     Eh Samul, vous marcherez comme vous voudrez !

–    Et je ne prendrai pas l’ascenseur avec vous.

–   Qu’est-ce que je vous ai fait, Samul ?

–   C’est moi qui vous fais du tort, monsieur. Je suis cause que les Anglais vous méprisent. Ainsi, tout à l’heure, quand, ensemble, nous avons traversé le hall  de l’hôtel, ils se sont moqués de vous. Je vous fais perdre votre situation.

–    Je n’en ai pas, Samul, je ne puis pas la perdre.

–    Si, monsieur, ainsi, aujourd’hui, on ne vous recevrait pas au Bengal Club…

–      Pourquoi ?

–    Parce que je suis de couleur

–    Samul était un native. Quelqu’un qui n’a pas entendu ce mot, native, de la bouche d’un Anglais n’a pas la moindre idée de l’intonation de mépris. On dirait que pour l’Anglais, d’abord il y a l’Anglais, ensuite le cheval, ensuite le Blanc en général, ensuite les poux, les puces et les moustiques, et enfin le native ou indigène. »

       Dans “Visions orientales”  Edition Motifs, pages 222 et 223

Jean Pierre Renaud

 Deuxième partie dans une quinzaine de jours

Les Sociétés Coloniales résultat des courses au 1er octobre 2013

Les Sociétés Coloniales

Agrégation CAPES 2013

Résultat des courses au 1er octobre 2013

            J’ai publié une série de textes sur ce blog qui contenaient mes analyses, critiques, et réflexions sur le thème retenu cette année pour les concours d’Agrégation et du CAPES. (6 contributions d’un total de 11 414 mots) (1)

            J’avais en effet relevé l’inscription de ce sujet dans les épreuves de ces concours, un thème qui nourrit mes lectures, mes réflexions, et mes expériences de vie depuis mes études à l’Ecole Nationale de la France d’Outre- Mer.

            La carrière préfectorale m’avait éloigné, presque définitivement, des mondes de l’outre-mer, mais à partir de ma retraite, du temps qu’elle me laissait, et des lectures que je pouvais faire, ou des émissions de télévision que je regardais, une question me taraudait de plus en plus, celle de la puissance de certains groupes de chercheurs, le plus souvent sollicités ou soutenus par des médias d’information ou d’édition, qui produisaient un discours et des images ne correspondant pas à la connaissance que j’avais moi-même des sujets traités, trop souvent en termes de propagande.

            Telle a été la raison de cette publication, et je remercie tous les lecteurs et toutes les lectrices qui, depuis le début de cette publication,  ont bien voulu consulter ces textes depuis le mois de mars.

            Le 2 juillet dernier, j’avais donné un  premier résultat des courses, un total de consultations identifiées comme telles par le site Over-Blog.com, de 1 035, dont 506 en juin.

               A la date du 1er octobre 2013, ce chiffre a atteint 1 428 consultations (135 en juillet, 102 en août, et 156 en septembre), une sorte de récompense du travail effectué, quel qu’ait pu être l’accueil critique fait à ces lectures, car les commentaires ont été aussi rares que discrets.

              Une récompense dont je me félicite d’autant plus, que comme certains le savent, je ne suis pas un historien « patenté » mais de l’espèce d’un électron entièrement libre dans ses analyses, ses questions, et ses réflexions.

            Avec le regret toutefois d’avoir bénéficié le plus souvent de commentaires de nature presque subliminale !

         Sur le théâtre et en scène, toujours « l’inconscient collectif colonial » cher à certains historiens et historiennes ?

Jean Pierre Renaud

(1)  Le 18/01/13 : le sujet – 11/02/13 : le puzzle géant – le 5/03/13 : les citations – le 20/03/13 : les ethnies – les 10 et 15/05/13 : problématique et conclusions

Gallieni et Lyautey: fin de parcours documentaire -Haro sur la métropole!

Gallieni et Lyautey, ces inconnus !

Eclats de vie coloniale

Fin du parcours documentaire annoncé sur mon blog, le 5 avril 2012 !

            J’avais alors fait part de mon intention de publier successivement une série de morceaux choisis de témoignages rédigés par les deux « inconnus » qui relataient leurs expériences coloniales en Indochine et à Madagascar, à l’époque des grandes conquêtes coloniales de la Troisième République

            Gallieni servit au Tonkin entre 1892 et 1896, et à Madagascar de 1896 à 1906. Lyautey servit au Tonkin entre 1894 et 1896, et à Madagascar entre 1897 et 1902.

 J’introduisais mon propos en citant un extrait d’une lettre de Lyautey rapportant une de ses conversations avec le colonel Gallieni, à « l’occasion » d’une des colonnes de pacification  qu’il commanda aux frontières de Chine, celle du Ké-Tuong,  la conversation du 3 mai 1895.

            Au commandant Lyautey que le bon « déroulement » de la colonnepréoccupait, le colonel Gallieni lui recommandait d’adopter sa méthode du « bain de cerveau », en s’entretenant de livres reçus, concernant deux auteurs encore plus « inconnus » de nos jours, Stuart Mill et d’Annunzio.

            A travers ces témoignages, le lecteur aura pu se faire une idée de ce que fut l’ expérience coloniale de ces deux personnages coloniaux de légende, telle qu’ils la racontaient avec leur belle écriture, Lyautey y ajoutant la marque personnelle et talentueuse de ses croquis.

            Gallieni et Lyautey formaient un couple d’officiers paradoxal : Lyautey  était profondément marqué par la grande tradition française d’un conservatisme mâtiné de christianisme, alors que Gallieni était un pur produit de l’immigration de l’époque, républicain et laïc dans l’âme.

               Les extraits que nous avons cités des lettres du Tonkin de Lyautey montrent un Lyautey soucieux de ne pas trop toucher aux structures politiques et religieuses traditionnelles de l’Annam, et clair  partisan du maintien des pouvoirs de la Cour d’Annam de Hué.

           Comme chacun sait, ou ne sait pas, en Indochine, la France n’a pas suivi cette ligne politique que Lyautey sut plus tard faire adopter au Maroc.

              Lorsqu’il arriva à Madagascar, Gallieni avait déjà détrôné la reine Rananavolona III, et il n’est pas certain que le même Lyautey aurait  fait le même choix : les destinées de la Grande Ile auraient alors été, et vraisemblablement, différentes.

Car à lire ses lettres, le lecteur en retire l’idée que sa conception de l’empire colonial était proche de celle de l’empire anglais, le pragmatisme et le traitement des « situations coloniales » au cas par cas.

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            Ainsi que je l’ai annoncé sur ce blog, avant l’été, le lecteur trouvera ci-après la dernière publication de la série « Gallieni et Lyautey, ces inconnus !  Eclats de vie coloniale – Morceaux choisis – Tonkin et Madagascar – Haro sur la métropole ! »

 Leurs auteurs condamnaient à leur façon, la ou les conceptions coloniales d’une métropole, qui n’avait  aucune connaissance des « situations coloniales » que rencontraient les acteurs de la colonisation sur le terrain : tout le monde sur le même modèle, et au même pas, que l’on soit à Hanoï, à Tananarive, ou à Guéret !

           Comme rappelé plus haut, Lyautey avait une doctrine coloniale proche de la britannique, modernisation d’un pays, en tenant compte de leurs pouvoirs établis et de leurs coutumes.

              Les extraits des correspondances relatives à la politique coloniale française du Tonkin  et de  l’Indochine l’annonçaient.

Gallieni et Lyautey, ces inconnus !

Eclats de vie coloniale

Morceaux choisis

Tonkin et Madagascar

Lyautey et Gallieni : haro sur la métropole !

20

            Une métropole, tout à la fois incompétente et avare de ses sous !

            Comme nous l’avons vu, le commandant Lyautey était fort bien placé pour donner son avis et son jugement sur les relations qui existaient entre la métropole et la colonie du Tonkin, et Gallieni, fut à son tour, dans le même type de position, en qualité de Gouverneur général de Madagascar pendant presque dix années, pour juger du même type de relation.

            Et leur jugement ne fut pas tendre !    

            Les colonies ne devaient rien coûter à la métropole

            Une remarque préalable capitale, relative au régime financier des colonies, capitale parce qu’elle a conditionné la mise en application de la politique coloniale française, pour autant qu’il y en ait eu toujours une, hors son uniformité tout française.

Les gouvernements de la Troisième République avaient décrété que les colonies ne devaient rien coûter à la métropole, et donc financer leurs dépenses sur les recettes à créer.

         La loi du 13 avril 1900 fixa définitivement ce principe dont l’application dura jusqu’à la deuxième guerre mondiale.

            Les colonies ne devaient rien coûter au pays, mais en même temps le pouvoir central n’avait de cesse, par l’intermédiaire de ses bureaux, de vouloir tout régenter dans les colonies, et donc de passer au rouleau compresseur des standards métropolitains des sociétés et des territoires qui avaient très peu de points communs entre eux, et encore moins avec la métropole.

            Lyautey, à Hanoï, le 20 janvier 1895, à mon frère,

            « Le Ministère par terre, Casimir-Périer par terre, Félix Faure Président. Vous êtes tous fous, vous ne pouvez pas nous laisser fabriquer notre Tonkin sans venir troubler tous nos projets de labeur par cette mortelle et constante instabilité ? Les mandarins rigolent, eux, les tempérés et les sages. » (LTM/p110)

            En 1896, à Hanoï, le commandant Lyautey écrivait à son ami Béranger :

            « …Les deux ans que je viens de passer aux affaires, successivement comme Chef d’Etat-Major du corps d’occupation et comme chef du cabinet militaire du Gouverneur, tenant directement la correspondance avec les ministres métropolitains et recevant la leur, me laisse la stupeur de ce par quoi nous sommes gouvernés. Incompétence, ignorance crasse et prétentieuse, formalisme aveugle, observations de pions aigris, négation dédaigneuse des compétences sur place et des besoins locaux, voilà tout ce qu’en deux ans j’ai pu voir de la métropole ; et cela se résume d’un mot : obstruction. Si le devoir professionnel ne me m’interdisait pas, j’aurais voulu pouvoir faire un recueil des documents sur lesquels j’appuie mon dire et vous le montrer… » (LTM /p148)

      Et dans son nouveau poste, le commandement du sud de Madagascar, le colonel écrivait encore de Fort Dauphin, le 30 décembre 1901, à M.Chailley :

            « …C’est d’abord la maladie de l’Uniformité. C’est peut-être là le plus grave péril et, ici du moins, je le vois grandir plutôt que diminuer. Il vient essentiellement de la métropole : des rouages centraux, du Ministère, des partis pris parlementaires, de l’emballement sur des clichés faussement humanitaires et des fonctionnaires formés dans cette atmosphère et qu’on nous envoie tout faits, au lieu de les envoyer à faire. C’est dans le domaine de la justice que le mal vient de sévir de la façon la plus nocive. Vous l’avez fortement signalé dans Quinzaine du 25 août. Ici ce problème de la justice, déjà faussée par une introduction prématurée, inopportune et exagérée de la magistrature française et de nos codes se pose d’une manière très grave. Mais ce mal de l’uniformité s’étend à toutes les branches. L’application par exemple des règles les plus minutieuses de la comptabilité métropolitaine, étendue aux districts les plus reculés, aux administrations qu’il serait le plus indispensable de simplifier, aboutit à de véritables contre-sens…

Les « règlements » sont des dogmes et ceux mêmes qu’ils fabriquent leur apparaissent au bout de quelques mois comme aussi intangibles que des documents issus d’une « Révélation surnaturelle ». » (LSM/p212)

              Un bref commentaire : rien de comparable entre la politique coloniale anglaise et la française ! La Grande Bretagne laissait une très grande liberté de manœuvre à ses représentants et faisait, sur le plan institutionnel, du cas par cas.

          En fin d’année, nous publierons sur ce blog un essai d’analyse comparative entre les deux « empires » britannique et français.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

La culture coloniale des Français sous la 4ème République, par Mme Bidault, épouse de Georges Bidault

La culture coloniale des Français sous la 4ème République avec l’épouse de Georges Bidault, ancien Président du Conseil National de la Résistance, succédant à Jean Moulin, et ancien Président du Gouvernement Provisoire de la 4ème République

              Dans son livre « Souvenirs » (1), Suzanne Bidault, épouse de Georges Bidault, évoque, à propos de la guerre d’Algérie, qui vit son mari se lancer dans la cause perdue de l’Algérie Française, l’indifférence des Français à l’égard du fameux « Empire colonial ».

         Indiquons que Suzanne Bidault fut la première femme admise dans le corps diplomatique avant la deuxième guerre mondiale, où elle fit la connaissance de Georges Bidault au Quai, qu’elle l’épousa.

        Georges Bidault fit une carrière politique à la fois brillante et malheureuse : comme rappelé plus haut, il joua un rôle important dans la Résistance, fut le fondateur du Mouvement Républicain Populaire, le MRP, et fut Président du Conseil du 28/10/1949 au 2/07/1950, et à plusieurs reprises, ministre des Affaires Etrangères.

       Georges Bidault illustre bien, et à sa manière, c’est-à-dire jusqu’au bout, les contradictions d’une partie des hommes politiques de la 4ème République, face aux enjeux de la décolonisation.

      Il combattit, sans espoir, la politique algérienne du Général de Gaulle, et ce fut la fin de sa brillante carrière politique.

Les réflexions de Suzanne Bidault :

      « A la prise de pouvoir de Mendès, Georges quitta le gouvernement et n’y revint jamais. Il n’était plus qu’un député parmi les autres, mais bien différent des autres. Il regardait, au-delà des limites de sa circonscription, la France des cinq continents qui se délitait.

     Je me suis souvent demandée comment, dans sa solitude de Colombey, le général voyait à ce moment cette France des cinq continents et je crois avoir compris : ce n’était pas un homme de l’outre-mer, c’était un continental, comme la plupart des officiers métropolitains (1) de sa génération qui n’avaient d’autre horizon que la ligne bleue des Vosges. Brazzaville et Alger avaient été pour lui des lieux commodes. Pas plus. Aucun sentiment profond ne le liait à ces terres africaines.

      C’est sans regret qu’il a réduit l’Empire aux dimensions de l’hexagone ; « Il l’aurait réduit à celles de l’île Saint Louis, disait plaisamment mon mari, s’il y avait été sûr d’y présider une conférence au sommet.

      L’œuvre de destruction est la sienne. Mais il a été puissamment aidé par les Français.

    Les Français sont aussi des continentaux. Ils l’étaient déjà du temps de Voltaire. Les arpents de sable ne les tentent pas plus que les arpents de neige. Quelques hommes exceptionnels, Montcalm, Dupleix, Lyautey par exemple, ont pu en entrainer un petit nombre sur les routes de l’aventure coloniale. Mais l’immense majorité est restée dans son trou. Il y a longtemps que Pierre Mille a écrit : « Le français qui va aux colonies est un enfant qui fait pleurer sa mère ». On s’est attaché depuis la dernière guerre à sécher les larmes des mères, on a agité devant les yeux du peuple le plus intelligent de la terre, l’épouvantail du colonialisme. On voit les résultats : les gens crèvent de faim là où ils mangeaient, et raniment entre eux les luttes tribales que l’ordre français avait apaisées. Le mot colonie est un terme maudit. On est allé jusqu’à l’appliquer à trois départements français pour mieux les perdre. Ils avaient le grand tort d’être situés au-delà de l’eau. Les Français n’aiment pas çà.

Heureux les pays comme l’URSS dont les colonies s’accrochent au territoire national. Personne ne songe à en contester la propriété à ceux qui les occupent – et pourtant à Khiva et à Boukara on est musulman comme à Tlemcen… »

Commentaire :

        J’ai retenu cette citation, parce qu’elle illustre bien, à mon avis, l’aveuglement d’une partie de notre haut personnel politique de la 4ème République – mais on pourrait dire la même chose pour la 3ème République – sur les objectifs de la colonisation, des colonies qui constituaient ce qu’on appelait l’Empire, avec un grand E : tout à la fois une grande ignorance, un mélange d’intérêt et d’idéalisme, un rêve d’assimilation irréalisable, comme le reconnaissaient les esprits les plus lucides.

      On était tout à la fois tout près des rêves de la Résistance et d’une France coloniale qui n’existait le plus souvent que dans la tête et les ambitions d’un petit groupe d’hommes politiques ou économiques influents.

      Il suffit de rappeler que les trois partis politiques qui gouvernaient la France après 1945, le Parti Communiste, la SFIO, et le MRP, ne surent pas prendre le virage nécessaire de la décolonisation. A titre d’exemple, Marius Moutet, le ministre socialiste grand teint (SFIO) fut une des chevilles ouvrières de la répression sanglante de la révolte malgache en 1947.

     Comme certains lecteurs le savent, ma thèse personnelle est que la France dite coloniale, ne l’a jamais été, sauf, peut-être dans des circonstances très exceptionnelles, à Fachoda, ou pendant  les deux guerres, que le mythe colonial ne s’est jamais incrusté dans la culture française, contrairement à ce que certains chercheurs, plus idéologues qu’historiens, voudraient nous faire croire.

     Au risque de provoquer, je serais tenté de dire que la France est devenue de plus en plus « coloniale » avec les flux d’immigration des années 1990 et suivantes.

    Et quant au rapprochement colonial que Mme Bidault fait entre la France et l’URSS, l’histoire en a fait litière, comme chacun sait.

Jean Pierre Renaud

(1)  Fille d’un officier des troupes coloniales qui servit à Madagascar sous le proconsulat de Gallieni, Madame Bidault avait une certaine connaissance de l’outre-mer.

Nous avons évoqué l’anecdote dans nos morceaux choisis intitulés « Gallieni et Lyautey, ces inconnus » sur le blog du 12 juillet 2013

(2)  Pages 104 et 105 du livre « Souvenirs » de Suzanne Bidault-

Ouest France 1987