Carnets Buron – 4 – 1958-1959 Vers l’autodétermination

Carnets Buron – 4 – 1958-1959

DEUXIEME PARTIE

VERS L’AUTODETERMINATION

I – De Gaulle et le problème algérien (p,97)

Juin 1958-Décembre 1959

  « 2 juin 1958 A la suite d’un complot préparé de longue date, l’Assemblée a cédé dimanche dernier à la pression sur elle par moins d’un millier d’européens d’Algérie. L’appel à de Gaulle n’avait peut-être pas été prévu par les instigateurs du complot, il est dû sans doute à l’initiative de quelques chefs en situation fausse et désireux de canaliser le courant qui les emportait. Il reste que la partie a fait céder le tout… Partout dominent confusion et contradiction, contradiction surtout :…Dans cette confusion – et au milieu de ces contradictions – je me suis résolu à voter pour l’investiture… » (p,97)

         « Monsieur Buron, j’ai pensé à vous pour mon Gouvernement. J’en ai parlé tout à l’heure à M. Pflimlin. Acceptez-vous ?

     Mon Général, avant de vous répondre, je voudrais dissiper toute équivoque sur mes positions  personnelles et sur ce que je représente. Témoignage Chrétien vient de publier…

          Je sais, je sais, mais que vous représentiez ce que vous appelez la gauche, la gauche du MRP en tout cas, ne me gêne pas… au contraire…. Au revoir, Monsieur le Ministre ; nous aurons conseil de cabinet demain.

        Ministre une fois de plus, je sors de Matignon abasourdi et comme tant d’autres séduit, non sans me demander toutefois si je suis bien en accord avec moi-même ou si je viens d’être entraîné malgré moi… » (p99)

      Commentaire

      Vous noterez que Robert Buron n’évoque pas du tout l’épisode historique tant commenté du « Je vous ai compris » du Général, à Alger, le 4 juin 1958, lequel prenait donc le risque d’engager notre politique dans une ambiguïté qui a duré jusqu’au bout du processus de négociation avec le FLN.

         Sur le terrain, nous nous demandions ce que de Gaulle avait bien voulu dire, et la phrase prononcée a évidemment fait naître toutes sortes d’interprétations contradictoires.

         Dimanche 22 juin

       … La remise en ordre est loin d’être effectuée. Le Général s’en rend compte ; il agit lentement, par pressions successives… et par mutations.

       Vendredi 18 juillet

       Depuis dix jours réunions de Conseil et entretiens nombreux avec le général de Gaulle.

     Mercredi 9, c’était le premier conseil de cabinet après la désignation de Jacques Soustelle à l’Information. Le Président du Conseil l’ouvre en ces termes : Messieurs, voici enfin achevée la formation de ce gouvernement, pour autant que ces choses-là ne soient jamais achevées. Pour que l’Unité Nationale soit pleinement réalisée, il ne nous manque plus que Maurice Thorez, Pierre Poujade et Ferhat Abbas… Qui sait d’ailleurs si quelque jour ? …(p,102)

            Dimanche 31 août

      Quatre jours passés à Alger où je n’étais pas revenu depuis cette soirée chez Soustelle au Palais d’Eté en mars 1955. Que d’impressions à ordonner… »

            Buron n’aime pas Salan, le « chinois » et semble effectivement éprouver de grandes difficultés à apprécier la situation.

            « … A lire l’Echo d’Alger et ses confrères, il est clair que le monde tel qu’il est n’a pas d’existence substantielle ici où ne règne qu’une seul réalité : l’Algérie.

         La France leur apparait comme un pays fantasmagorique et lointain qu’on aime bien mais dont on s’exaspère que les habitants ne veuillent rien comprendre à ce qui se passe au sud de la Méditerranée. Quant au reste du monde, il s’exprime à travers quelques brèves dépêches d’agence… que personne n’a le courage ni l’envie de lire…

      L’après-midi, comme prévu, nous accueillons à Maison-Blanche le général de Gaulle en grand apparat… puis deux heures après, les officiels se pressent dans le patio du Palais d’Eté, attendant leur tour d’audience. » (p,105)

Commentaire

Situation militaire dans le douar des Béni-Oughlis (Journal de marche et des opérations du 28ème Bataillon de Chasseurs Alpins – 2ème semestre 1958 -1er semestre 1959) :   

        L’insécurité y est totale, avec des accrochages fréquents et meurtriers entre chasseurs alpins, rebelles des katibas de la Willaya III ou de l’OPA qui quadrille le douar.

       Faute de pouvoir contrôler militairement la partie du djebel au-delà de la crête de Chemini, en limite de la forêt d’Akfadou, une partie des villages a été évacuée, et une zone interdite instituée. Dans cette zone, la présence de tout être humain est présumée être celle d’un rebelle à éliminer.

        Parmi les épisodes les plus meurtriers :

  • le 20/08/1958 : embuscade, un officier et cinq chasseurs tués, neuf chasseurs blessés,
  • le 11/10/1958 : opération  dans la forêt d’Akfadou, un officier, quatre chasseurs et un harki tués,
  •  en janvier, février, mars, et avril 1959, accrochages à  Chemini, Tessira, Djenane, et dans la forêt d’Akfadou,
  • le 30/04/59 : accrochage avec une bande d’une cinquantaine de rebelles  armés de fusils mitrailleurs et d’armes de guerre, un mort chez les rebelles
  • le 7/06/59 : embuscade près de Takrietz, dans la vallée, avec une quarantaine de rebelles armés de deux fusils mitrailleurs et une dizaine de pistolets mitrailleurs,  trois chasseurs tués et deux blessés.
  •  Le 23 juillet 1959, en pleine nuit, l’opération Jumelles, démarre avec de très gros moyens : au bout de quelques mois, la situation a changé du tout au tout. J’ai la possibilité de me déplacer dans chaque village, avec quelques précautions bien sûr, accompagné le plus souvent d’un seul garde du corps, ancien rebelle rallié et homme remarquable.

            Fin octobre 1958 (p,109)

        « En définitive, je crois que j’avais raison ! la solution libérale en Algérie, que j’attends avec une telle impatience, de Gaulle l’apportera…

        De Gaulle a lancé un appel à la « paix des braves » dans sa dernière conférence de presse, mais :

            « D’où l’équivoque sur le sens profond de l’expression : « la paix des braves » dont la proclamation n’a fait sortir du maquis aucun mandataire chargé de négocier les conditions d’un abandon des armes.

          Mais si la déception est grande pour mes amis comme pour moi, l’espoir qui s’est allumé ne s’éteindra plus. En dépit d’immenses difficultés c’est bien vers la paix que nous allons. » (p,109)

      « Décembre 1959  

         Il y a plus d’un an que je n’ai rien noté dans ce cahier. La vie harassante de ministre en exercice ne me laisse aucun loisir pour écrire, pour réfléchir, pour méditer à propos de ce qui n’est pas en relation directe avec ma fonction ministérielle….

          Pourtant, la fin  de l’année approche et je veux essayer de faire le point sur les problèmes les plus importants… tout d’abord sur l’issue du drame algérien.
            Ce que pense le Chef de l’Etat, nul ne peut en douter maintenant. En prononçant le 16 septembre dernier le mot « autodétermination », il a enfin ouvert une voie dont la finalité est encore imprécise. Bien des alternatives peuvent s’offrir. Depuis la sécession, la rupture de tous liens entre l’Algérie et la France d’un côté, jusqu’à l’intégration, la fusion de l’autre, il y a une infinité de possibilités. Dans les mois, les années à venir, les événements commanderont, imposant tel choix sur tel point à tel moment. L’évolution au reste se poursuivra… mais un chemin est désormais tracé et je me sens soulagé après tant d’inquiétudes et d’hésitations

         Depuis août 1958, je suis retourné plusieurs fois en Algérie.

         J’ai vu la guerre dans ce bourg d’El Milia notamment où quelques dizaines de civils européens vivent avec 3 ou 4 000 musulmans sur 6 kilomètres carrés, protégés par plusieurs compagnies et de nombreuses batteries…. Oui, j’ai vu la guerre, mais si nous sommes réduits à ce point à la défensive, quelle chance avons-nous donc de la gagner ?

        J’ai senti les Européens inquiets et crispés, méfiants à l’égard du gouvernement, doutant d’eux-mêmes, malheureux avant tout.

          J’ai discuté avec Paul Delouvrier « le plus bel animal de sang que de Gaulle ait jamais pris au lasso », selon l’expression de Bloch-Lainé…

        Chez mon ami Chaulet enfin, j’ai rencontré des dirigeants FLN plus ou moins avoués, des kabyles pour la plupart ; parmi eux Ben Khedache, un des lieutenants de Ferhat Abbas, et que la Commission de sauvegarde venait de faire libérer après plusieurs années passés dans des camps ;…

         « C’était un spectacle éprouvant que celui de ces dignités blessées, étalées sous nos yeux comme autant d’ulcères à vif.

      L’indépendance pour tous ces hommes c’est d’abord cela et cela seulement ; retrouver et affirmer leur dignité d’hommes… » (p,112)

       Commentaire

Voix détonante,aussi ? Robert Buron concluait par le mot de la fin, la « dignité », en tout cas à mes yeux, mais il ne semblait pas connaître, ou en faisait semblant, l’état de la pacification de l’Algérie, après le déroulement du Plan Challe et des opérations successives qui avaient démantelé la rébellion.

       Dans mon livre sur la guerre d’Algérie, j’avais intitulé une de mes chroniques « Le Vide presque parfait » (d’après Lao Tseu) (page 121)

          « Un bruit insistant courait dans les popotes du secteur de Sidi Aïch depuis plusieurs semaines. On ne parlait plus que du rouleau compresseur depuis plusieurs semaines. On ne parlait plus que de « ça », un autre « ça » freudien ! Le rouleau compresseur de l’armée française allait passer sur la Kabylie, comme il venait de la faire dans l’Ouarsenis.

        La nouvelle était excitante. Elle laissait espérer une fin rapide de la guerre, et un retour non moins rapide des soldats du contingent en métropole. Personne ici ne souhaitait vraiment s’attarder en Algérie…

    Le 22 juillet, au cours d’une belle nuit de l’été 1959, l’opération démarra en Petite Kabylie.

       La nuit était  tombée depuis une heure environ, quand le lieutenant Marçot entendit le bruit d’un convoi monter vers le douar des Béni-Oughlis. Il empruntait une route qu’il connaissait dans le détail de ses épingles  à cheveu et de ses moindres virages entre Sidi Aïch et Aït Chemini. Une compagnie de Chasseurs Alpins y tenait le poste et contrôlait les premiers escarpements du massif du Djurdjura, le long de la vallée de la Soummam… Le convoi venait de franchir la crête, il le savait uniquement au bruit, mais chose tout à fait nouvelle, il apercevait les premiers véhicules tous feux allumés. Les camions militaires roulaient comme en plein jour et formaient un cordon lumineux interminable.

        Il n’avait jamais assisté à un tel spectacle ! La nuit tombée, on n’osait pas défier les rebelles. Un spectacle incroyable !

      La nuit était douce et le ciel étoilé…. Le grand cirque allait démarrer,  et le rouleau compresseur, tant attendu,  tout écraser chez les fels…

       En Kabylie et en Petite Kabylie, onze secteurs militaires étaient concernés par l’opération « Jumelles », dans un vaste périmètre allant de Tizi-Ouzou à Lafayette et à Bougie…

          Ce n’était pas sa guerre, et ce n’était pas non plus celle des troupes de son secteur…. La radio militaire l’informait du déroulement des opérations, mais surtout la radio popote des soldats qui rentraient des opérations… Cette guerre-là, il la vit un peu comme au cinéma… Les seigneurs de la guerre avaient fait irruption dans son douar. Ils venaient d’une autre planète…

       L’armée française ne savait plus pourquoi elle combattait. Elle combattait toujours le FLN mais dans quel but ? une Algérie française ? une Algérie autonome ? une Algérie algérienne, une Algérie indépendante ?…

       Le mauvais temps s’était solidement installé dans la vallée et dans la montagne. L’hiver arrivait…. Dans les apparences, rien n’avait changé. Les troupes d’élite campaient toujours dans le djebel. L’adversaire avait disparu, se cachait, en attendant qu’elles quittent les lieux. Après ses parties de crapahut, l’armée française avait en effet l’habitude de rentrer à la maison.

         Il suffisait d’être patient, mais cette fois-ci, il n’en était pas question. Les paras et les légionnaires allaient passer l’hiver dans le Djurdjura…

        Les fels s’étaient bien battus…. L’armée française avait gagné la partie sur le terrain. Elle n’avait plus d’adversaire militaire.

       Elle avait fait le vide, le vide presque parfait, car si beaucoup d’hommes avaient disparu, l’idée d’indépendance demeurait toujours vivante » (p134)

       Une voix détonante car si la déclaration qu’avait faite le Général le 16 septembre 1959 en faveur d’un processus d’autodétermination, le commandement militaire éprouvait un doute sur les choix du général.

        N’avait-il pas  déclaré au cours d’une tournée des popotes entre le 27 et 31 août « Moi vivant, le drapeau FLN ne flottera jamais sur l’Algérie », à l’occasion précisément de l’opération Jumelles, et de sa visite au PC de la cote 1621.

      Comme nous l’avons vu par ailleurs avec la réussite militaire du Plan Challe, il était évident que nombre de généraux, de colonels, de commandants, de capitaines et de lieutenants, estimaient que les cartes avaient été redistribuées.

         Et c’était effectivement tout le problème !

Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés

« Carnets politiques de la guerre d’Algérie » Robert Buron- Citations et commentaires

Jour anniversaire de mon fils Hugues

 « Carnets politiques de la guerre d’Algérie » (Plon 1965)

Robert Buron

Ancien ministre du Général de Gaulle, et signataire des accords d’Evian »

Citations et commentaires de Jean Pierre Renaud, ancien combattant appelé de la guerre d’Algérie – Tous droits réservés

Prologue

            Ainsi que je l’ai déjà écrit, après avoir quitté l’Algérie, à la fin de l’année 1960, j’ai tiré un trait sur cette période sans doute inutile de ma vie.

         Je suis revenu bien longtemps après sur ce passé, après avoir lu quelques livres de souvenirs, participé à quelques réunions d’anciens combattants, notamment ceux du 28ème Bataillon de Chasseurs Alpins, et publié une sorte de version de « ma guerre à moi », sorte de compte rendu de mon expérience d’officier SAS en Petite Kabylie dans les années 1959-1960.

        Ce livre, publié en 2002, était intitulé « Guerre d’Algérie – Années 1958-1959-1960 –Vallée de la Soummam ». Plus de trente années avant, j’avais rédigé des brouillons, et dans l’un dans d’entre eux, j’avais eu la curieuse ambition de tenter de donner la parole à quelques-uns de nos adversaires.

            Les sources de mon récit étaient avant tout celles de mes notes et souvenirs, des lettres qui ont été publiées dans les Bulletins de la promotion  Communauté, et surtout des lettres que j’avais adressées à mon épouse.

            Je n’accorde en effet pas une grande confiance à tous les récits, et il y en a beaucoup,  fondés uniquement sur la mémoire, que leurs auteurs proposent  plusieurs dizaines d’années  après les faits.

            Il y a en effet pléthore de récits mémoriels, cédant à une certaine mode historique encore en vogue, le mémoriel se substituant très largement à l’historique, ou encore tout simplement le romanesque.

            C’est d’ailleurs à l’occasion de la lecture du livre de M.Ferrari « Le sermon sur la chute de Rome », qu’il m’est arrivé de réagir sur les interprétations idéologiques de cette guerre, plus de cinquante après, sans rien connaître de l’expérience d’une guerre.

            Il y a quelques années, je suis tombé sur les « Carnets politiques de la guerre d’Algérie »  de Robert Buron, un homme politique que j’estimais. J’ai lu ce livre pour avoir une version que je qualifierais d’honnête sur les tenants et aboutissants de la négociation des Accords d’Evian, en 1962.

            J’ai lu ces carnets pour tenter de comprendre par quel processus « diplomatique » la France s’était résolue à reconnaître l’indépendance de l’Algérie.

            Les extraits de carnets et mes commentaires seront présentés en deux parties : la première, détaillée,  correspond à mon vécu algérien (avril 1959 -décembre 1960) ; la deuxième esquisse une synthèse des notes de Robert Buron consacrées aux négociations qui ont abouti, après la fin de l’année 1959, terme d’un plan Challe qui avait pacifié militairement le territoire algérien,  aux accords d’Evian de 1962.

        J’invite les lecteurs qui souhaitent aller plus loin dans la compréhension de cette période historique à se reporter aux carnets eux-mêmes, ou au livre que l’historien Guy Pervillé a consacré aux mêmes  accords d’Evian.

         Le lecteur trouvera donc dans la première partie quelques extraits des carnets qui me paraissent bien illustrer les positions successives de la France sur le dossier algérien, jusqu’aux barricades d’Alger de janvier 1961, juste après mon départ d’Algérie.

        En parallèle de ce  récit, j’ai cru bon de rappeler quelques extraits de mon propre récit, effectué souvent au jour le jour,  dans l’état d’esprit qui était le mien à cette l’époque. Cette démarche s’inspirerait de celle d’un Fabrice del Dongo : dans la Chartreuse de Parme, Stendhal, décrit le même type d’expérience décalée de la guerre, dans un contexte naturellement très différent, à Waterloo, en 1815.

         La situation de beaucoup de jeunes appelés du contingent envoyés faire la guerre en Algérie, entre 1954 et 1962, ressembla beaucoup, naturellement transposée, un siècle et demi plus tard, à celle de Fabrice à Waterloo.

      Il s’agira donc quelquefois, mais de façon anecdotique, d’une sorte de dialogue  historique à deux voix, avec une voix d’en haut, celle de Robert Buron, le ministre et celle d’en bas, un soldat du contingent.

       A la fin de l’année 1960, date de ma libération militaire, ne seront citées que les quelques notes qui ont l’ambition de résumer les extraits de ce carnet relatifs aux négociations qui débouchèrent sur les accords  d’Evian

     J’ai beaucoup hésité à revenir sur ces sujets, car l’histoire de la guerre d’Algérie reste à mes yeux un dossier pourri par tout un ensemble de groupes de pression dont la vérité n’est pas le premier des soucis, des deux côtés de la mer Méditerranée.

      Rappellerais-je simplement qu’à partir de 1956, date de l’entrée en scène du contingent, les centaines de milliers de bons petits soldats ne connaissaient quasiment rien du passé de l’Algérie, et qu’au-delà de la côte européanisée, ils réalisaient vite qu’ils débarquaient dans un pays pauvre qui n’était pas la France, sauf peut-être, et encore, sur la côte ?

&

            Rien de mieux pour le citoyen d’aujourd’hui dont l’ambition est de mieux comprendre le pourquoi, le comment, et la « fin » de la guerre d’Algérie, que de lire ces carnets d’un homme politique qui fut, auprès du Général de Gaulle, un des acteurs majeurs des Accords d’Evian en 1962.

            Robert Buron n’était pas un perdreau de l’année dans le monde politique : chrétien de gauche, et alors MRP, il avait déjà exercé des responsabilités ministérielles, notamment dans le gouvernement Mendès-France qui avait mis « fin » à la guerre d’Indochine. Cet engagement hors norme lui avait valu des inimitiés.

     Robert Buron faisait partie  d’une petite cohorte d’esprits libres, relativement bien informés, ouverts au processus d’une décolonisation pacifique construite sur les indépendances et la coopération technique.

     Le livre de Guy Pervillé « Les Accords d’Evian (1962) » en propose par ailleurs une version historique de référence, rigoureuse, complète, et bien documentée.

      Mes études avaient été complètement perturbées par les questions de décolonisation, la guerre d’Indochine, le début de la guerre d’Algérie, et la perspective d’y aller, étant donné la décision qu’avait prise l’Assemblée Nationale, en 1956, sur la proposition de Guy Mollet, Président du Conseil SFIO, d’y envoyer le contingent.

      En ce qui me concerne, après une formation de six mois à Ecole Militaire de Saint Maixent, je fus affecté en 1959-1960 dans une SAS de Petite Kabylie, dans la belle vallée de la Soummam.

     Les carnets rendent bien compte de l’état d’esprit des gouvernements de la Quatrième République, que, nous, étudiants jugions alors complètement dépassés par les événements, et bien incapables d’engager la France et l’Algérie dans une voie nouvelle.

      Les Carnets font un peu plus de 260 pages, avec trois parties : I Le drame algérien et la fin de la IVème République (p, 9-97) – II Vers l’autodétermination (p, 97-175) – III Les Rousses et Evian (p, 175-267)

       Je n’ai pas l’intention d’en faire un commentaire détaillé et je me contenterai de proposer les quelques extraits de texte qui me paraissent bien éclairer les tenants et les aboutissants de cette guerre absurde, mais tout à fait représentative du fonctionnement de la détestable gouvernance politique de la IVème République et des cheminements tortueux de la Vème République pour aboutir à une certaine paix.

      Robert Buron avait su nouer de nombreuses relations amicales au Maghreb et en Afrique noire qui lui donnaient la possibilité de prendre le pouls de ces pays.

     Le procédé d’écriture que je vous propose donc consiste à illustrer  et commenter en parallèle, lorsqu’une source est disponible, – voix d’en haut, le ministre, et voix d’en bas, le soldat projeté dans le douar des Béni Oughlis, dans la vallée de la Soummam.

     Ce douar était considéré comme pourri sur le plan militaire et politique, en raison notamment de l’évolution culturelle de sa population, de sa position dans la willaya III, en bordure de la forêt d’Akfadou et du massif Djurdjura.

        Afin de mettre un peu de clarté dans les dates, j’ai souligné les années.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Carnets Buron – 1 – 1954-1956

Carnets Buron – 1-1954-1956

Première partie

I – Inconscience… 1954-1955 (page 9)

           2 novembre 1954, 5 heures du matin …

           « Voilà ce que je connaissais de l’Algérie en 1939. (c’est-à-dire pas grand-chose !)

         Durant la guerre, Alger a pris pour moi une valeur abstraite, sans lien avec son passé ou avec son avenir, ni sans doute simplement la réalité du moment…. L’armistice signé, l’Algérie a reculé dans l’ombre, loin du devant de la scène où je faisais mes premiers pas…

        Je me rappelle maintenant – avec quelque effort – la rébellion de 1945 et surtout la répression brutale qu’elle a entrainée, dénoncée discrètement par de rares hebdomadaires car la guerre n’était pas encore terminée…

      J’ai voté le statut de 1947 sans trouble de conscience et malgré les protestations de quelques radicaux et indépendants. Ma seule inquiétude concernait la complication du système imaginé et le caractère qui me paraissait quelques peu rétrograde de plusieurs de ses dispositions ; mais je n’étais pas un expert !

          Depuis que je siège dans les conseils du Gouvernement on a bien peu parlé de l’Algérie le mercredi matin ; à quatre reprises tout au plus en deux années – 1950 et 1951 – trois fois au sujet du renouvellement de la mission spéciale de six mois confiée à notre collègue Naegelen et la dernière pour commenter le résultat des élections.

           La presse, sinon le ministère de l’Intérieur, m’a appris qu’elles étaient scandaleusement truquées… Pierre Elain, mon colistier, parti soutenir la campagne de Ben Taïeb dans l’Algérois, en est revenu écœuré des mœurs administratives régnant en Algérie…

      En décembre 1951 je me suis arrêté à Alger. J’étais alors ministre de l’Information – en route vers Brazzaville. Invoquant ma fatigue supposée, le Gouverneur m’avait invité au dîner que des hauts fonctionnaires, corses pour la plupart et s’intéressant exclusivement aux problèmes concernant les Français d’Algérie dont la prospérité paraissait être le seul objectif proposé à leur administration.

      Les responsables de l’Information, de la Radio en particulier, étaient franchement réactionnaires, tous ces braves gens s’employant davantage à critiquer la politique de la métropole qu’à penser à l’évolution algérienne…

      J’aurais pu bénéficier davantage de ces contacts rapides, mais j’étais déjà très préoccupé de l’Afrique Noire et Alger n’était pour moi qu’une simple escale. Ainsi vont les choses !

      Et depuis ?

      Depuis, l’Algérie est sortie à nouveau de mon champ de conscience…

       Depuis la formation du Cabinet Mendès-France, le problème algérien a été évoqué en Conseil des ministres, parfois sur le plan économique, rarement sur le plan politique et François Mitterrand jusqu’à présent ne nous a rien appris de sensationnel à ce propos… (p,14,15)

       Evidemment, il faut convaincre les français d’Algérie ou leur forcer la main. Vichystes pendant la guerre, puis giraudistes et antigaullistes, ils refusent tout ce qui incarne la République en France et Mendès-France par-dessus tout. Pourtant, ils ont du cœur, et les jeunes ont fait plus que leur devoir pendant la campagne d’Italie. Le problème est de savoir les gouverner.

       Hélas, Pierre Mendès-France le saura-t-il, le pourra-t-il ? Radical de toujours, il a de vieilles amitiés avec les leaders algériens les plus conservateurs sur le plan économique et, quant à l’aile du RPF, de la majorité,  ce n’est pas elle qui soutiendra une politique courageuse et progressiste. » (p,16)

         Samedi 5 février, 6 heures du matin- 1954 (page 22)

       Fin du Gouvernement Mendès-France et fin sans doute de ma propre carrière ! Par 319 voix contre 278, nous venons d’être renversés. Je suis trop fatigué pour philosopher à ce sujet. Je peux seulement noter des impressions.

       Hier discours de Mitterrand, excellent quant à la forme, déplorable quant au fond, déplorable au sens propre du terme. Entendre Mendès et son ministre de l’Intérieur rivaliser de nationalisme cocardier pour tenter de retenir les éléments RPF ou indépendants qui nous avaient soutenus jusque-là, puis les voir en fin de compte, abandonnés même par les radicaux sympathisants et mes amis MRP qui, dans leur hâte de procéder à la mise à mort, ne se préoccupent même plus des motifs invoqués… C’était à pleurer.

       J’ai peine à penser que cette question algérienne ait l’importance que lui accorde la presse de gauche et qu’une nouvelle affaire indochinoise se prépare. Un Cabinet Mendès aurait dû, de toute façon, la traiter autrement que les cabinets Ramadier avant-hier ou encore hier Laniel n’ont traité la première…

     Mercredi 16 mars, dans l’avion vers Aoulef, Niamey et Garoua.

       Nous nous sommes arrêtés hier soir à Alger pour une courte escale de nuit. Ma femme m’accompagne dans cette tournée au Cameroun où nous nous rendons à l’invitation de Roland Pré que j’y ai nommé haut-commissaire il y a six mois…

       Dîner avec Jacques Soustelle, Gouverneur général :

       « Tout serait facile, dit-il, si les colons voulaient admettre qu’il est possible de gagner de l’argent sans pour autant exercer, à travers une administration docile, leur domination politique et sociale sur les musulmans et si les administrateurs venus de la métropole n’acceptaient trop vite les uns après les autres de fermer les yeux sur la vérité algérienne…

      Soustelle a compris tout de suite pourquoi le problème algérien n’était qu’incidemment policier et militaire et sa solution nécessairement politique. » (p,25)

         Mon commentaire

      Je faisais alors partie d’une des dernières promotions de l’Ecole Nationale de la France d’Outre-Mer, complètement inconsciente, sans doute trop optimiste, car elle croyait qu’elle était destinée à servir une Communauté franco-africaine encore à construire et à faire vivre.

      A titre personnel, je m’étais engagé dans cette voie universitaire sur le conseil d’un aumônier qui m’avait encouragé à aller servir l’Afrique.

      La façon catastrophique dont la IVème République gérait les dossiers de la décolonisation, et en premier lieu celui de l’Algérie, nous inquiétait beaucoup, et encore plus, la perspective d’effectuer un service militaire de presque trois ans en Algérie.

     Nous suivions donc avec la plus grande attention l’actualité politique du moment.

II – Prise de conscience 1956 (page 26)

      Jeudi 26 janvier

      … Diner chez les Ardant où je retrouve Bouabid, le ministre d’Etat chérifien …. Il m’expose les revendications immédiates de l’Istiqlal… Nous parlons de l’Algérie. Visiblement – et c’est naturel – il est en relations suivies avec les dirigeants des maquis algériens. Sans complexe, malgré la situation assez particulière du nouveau gouvernement chérifien, il défend les thèses des révoltés. Il n’imagine pas de solution autre qu’une République algérienne indépendante au sein d’une communauté interdépendante…

        Mercredi 8 février (p,27)

     Que de souvenirs se lèvent à l’occasion de la réception réservée à Guy Mollet avant-hier à Alger par les jeunes fascistes du cru, les colons venus de la Mitidja pour l’accueillir à leur manière, mais aussi les cheminots, les électriciens et les traminots ! Cet accueil, m’a confié tout à l’heure Alexandre Verret, qui dirige son Cabinet, a profondément ébranlé Guy et pesé sur sa décision…

     Robert Lacoste va partir pour l’Algérie. Je le plains. Que pourra-t-il y faire vraiment ?

     Mercredi 29 février (p,28)

     Le problème algérien domine la vie politique. Un véritable sentiment d’angoisse s’empare de tous les Français. Le régime se délite peu à peu. Comment agir ?

… Que nous sommes mal informés ! Je dis nous car mes collègues sauf exception paraissent partager mon sort à cet égard.

… En métropole, une large majorité de l’opinion, qui, devant l’hésitation du pouvoir, est sur le point de choisir les voies de l’indiscipline, de l’individualisme, de la spéculation et de la « combinazzione » aux divers échelons, parait cependant prête à suivre un gouvernement qui réagirait avec énergie et mobiliserait ce qui reste en France de ce sentiment national dont les français ne se déprennent pas sans regrets, enverrait deux ou trois classes au-delà de la Méditerranée et inonderait de troupes (pour reprendre l’expression de Mendès-France au sujet de la Tunisie) les trois départements algériens, rassurant non seulement les « colons » mais les musulmans fidèles dont 37 ont été assassinés par les fellaghas…

        Les lettres que m’envoient d’Algérie les jeunes mayennais, en particulier mes propres cousins, laissent l’impression qu’ils se sentent victimes de l’ignorance, de l’irréalisme et de la confusion intellectuelle de ceux qu’ils désignent de ce terme malheureusement imprécis « les chefs »…

      Que représente vraiment pour nous le maintien de l’Algérie dans la France ? » (p,31)

       Vendredi 16 mars (p,31)

      « Guy Mollet a recueilli une majorité écrasante… mais a-telle une signification pratique ? Comment usera-t-il de ces pouvoirs spéciaux que nous lui avons concédés, C’est l’essentiel du problème… »

        En somme si la plupart des élus ne veulent songer qu’à la politique intérieure et à la vie quotidienne du Parlement, les plus lucides se convainquent qu’il n’y a pas d’issue concevable au drame algérien et voient l’avenir en noir… »  (p,33)

Robert Buron est de plus en plus perplexe sur le dossier algérien.

      « Mais alors, où est mon devoir ? Les français ne semblent pas voir la situation telle qu’elle est là-bas – sauf certains peut-être, tels mes petits mayennais appelés ou rappelés.

       Faut-il tenter de leur ouvrir les yeux et comment y parvenir ? » (p,40)

       Mon commentaire

      A cette date, j’avais fait ma première expérience de l’Afrique au nord du Togo et au sud, pendant un stage de six mois. A Sansanné-Mango, j’y avais rencontré Robert Buron qui s’acquittait d’une mission parlementaire aux côtés d’un député communiste et d’un député radical-socialiste.

     J’avais participé en cours du dîner à une conversation très ouverte sur l’évolution du continent africain et sur la décolonisation annoncée, dans une optique de coopération ouverte avec les nouveaux Etats en gestation.

        Du fait du mandat international de tutelle que la France y exerçait encore, la République du Togo expérimentait en quelque sorte les outils institutionnels des nouveaux Etats indépendants.

     Comme j’en fis à nouveau l’’expérience ailleurs, en Algérie, ou à Madagascar, ça n’était pas la France !

        Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

Annonce de publication Comme déjà annoncé; Les Carnets politiques de la guerre d’Algérie de Robert Buron

Annonce de publication

Comme déjà annoncé

Demain, 14 février 2018, jour anniversaire de mon fils Hugues, je commencerai à publier une chronique sur les « Carnets Politiques de la Guerre d’Algérie » de Robert Buron.

Au cours du deuxième trimestre 2018, je publierai une longue chronique critique du « modèle de propagande postcoloniale » du collectif Blanchard and Co : pourquoi ?

Pour avoir servi la France, mon pays, tout au long de ma vie, j’estime que ce collectif, après avoir surfé, entre autres,  sur une « fracture coloniale » née de leur imaginaire idéologique, sème depuis trop d’années un poison de fracture nationale.

Jean Pierre Renaud

Premier semestre 2018: mon projet de publication,

Je publierai au cours des prochains mois, des extraits du livre de Robert Buron « Carnets politiques de la guerre d’Algérie »  par un signataire des accords d’Evian (Plon 1965), accompagnés de quelques commentaires pour la période de mon service militaire en Algérie, dans la vallée de la Soummam, dans les années 1959-1960.

            En conclusion, je renverrai à la lecture du roman d’Alice Zeniter « L’art de perdre » et de sa conclusion.

            Au cours des mois suivants, je publierai une réflexion sur le discours idéologique du collectif de chercheurs Blanchard and Co, avec pour intitulé  « Une Subversion postcoloniale ordinaire » le « modèle de propagande » Blanchard and Co.

            Les lecteurs pourront consulter sur mon blog (Subversion et Pouvoir, à compter du 17 septembre 2017) le sens de cette expression lancée par Noam Chomsky, en 1988, dans son livre « La Fabrique de l’Opinion publique ».

         Ils pourront vérifier que le modèle de propagande Blanchard and Co s’inscrit parfaitement dans cette définition, en concurrence avec les modèles de propagande des Raisins Verts de Benjamin Stora (Algérie, plus Algérie, et toujours Algérie !), ou celui de Médiapart, avec son arborescence idéologique, et sa nouvelle trouvaille, faute de prolétaire, le musulman.

        Le business du modèle de propagande Blanchard and Co a la particularité de pratiquer un mélange des genres efficace entre secteur associatif, public, et privé, l’agence de Com’ BDM.

       A mes yeux, et compte tenu d’une analyse approfondie de ces discours, notre pays doit faire face à une véritable entreprise d’intoxication historique et politique dont les bases scientifiques sont on ne peut plus fragiles, pour ne pas dire biaisées, tant sur le plan du dénombrement des vecteurs de culture, que de leurs effets sur l’opinion publique et de leur interprétation. (Voir le livre « Supercherie coloniale », bientôt en édition numérique.)

     Entre 1880 et 1962, la France n’a pas eu de « culture coloniale », contrairement à leurs dires !

        Il s’agit donc d’une forme de subversion nationale fondée avant tout sur une complète inversion des faits  historiques, faire croire que la France a été coloniale, qu’elle a été imprégnée par des flux d’images et de propagande jamais évalués : grâce à un inconscient collectif colonial non identifié et non identifiable, ni plus qu’une mémoire collective coloniale chantée par le mémorialiste Stora. Les Français et les Françaises d’aujourd’hui porteraient  encore dans leur mémoire les stigmates de cette maladie, le collectif préfère le mot de stéréotypes.

       En quelque sorte, le nouveau roman historique postcolonial, sans qu’il soit possible de distinguer entre le « vrai » et le « faux, comme chez Jean d’Aillon!

       En 1985, Umberto Eco avait publié un livre intitulé « La Guerre du Faux », et nous avons là un exemple de ce type de guerre décrit dans le chapitre IV « Chronique du village global » (page 125) – « Pour une guérilla sémiologique » (pages 127 à 136).

       A  les lire, je me suis souvent posé la question de savoir 1) s’ils avaient beaucoup fréquenté les récits de l’histoire coloniale, celle du terrain, 2) s’ils avaient beaucoup fréquenté les cours de statistique, celle de l’histoire quantitative.

     A mes yeux, il s’agit tout simplement d’une sorte de falsification de l’histoire.

&

En amuse-bouche critique de l’analyse du «  modèle de propagande Blanchard and Co » 

        Un premier éclairage tiré du début d’un article de Laurence De Cock intitulé : «  L’Achac, de la transmission du passé colonial : stratégies entrepreneuriales et culturalisation de la question immigrée dans la mémoire nationale. » dans la revue Cultures&Conflits, numéro 107, sous le titre « La production officielle des différences culturelles » (pages 105 à 121), chez L’Harmattan.

       Dans ce type de lecture, pourquoi ne pas s’attacher à comprendre le sens des mots utilisés, car ils en disent déjà long sur le discours du modèle de propagande qui sera décrit et critiqué ?

      « passé colonial » ou passé supposé et construit d’une France métropolitaine ?

       « stratégies entrepreneuriales », l’expression annonce clairement la couleur, et la présentation de l’auteure illustre bien les caractéristiques de la méthode historique mise en œuvre par ce collectif de chercheurs.

       Sommes-nous encore dans l’histoire, ou même dans la mémoire, ou dans le business mémoriel ?

      « L’Achac a réussi à se bâtir une position d’incontournable pivot à la fois dans la détermination de diagnostic et dans la prestation de services en direction de différentes institutions et collectivités… 

     La transmission de l’histoire coloniale est au cœur de sa démarche… (p,105)

       Les mots soulignés par mes soins sont à la source des critiques de base qu’appelle le discours de ce collectif : 1) le diagnostic n’a pas été effectué, 2) et n’a de toute façon pas porté sur l’histoire coloniale, mais sur des représentations métropolitaines des mondes coloniaux, dont le dénombrement et l’interprétation ne sont pas fiables.

      Plus loin, l’auteure écrit :

    « En ce sens, la stratégie de l’Achac participe d’une culturalisation de la question immigrée, avec ceci de particulier que, par sa configuration, les acteurs qui y sont impliqués, ainsi que les actions mises en place, elle ajoute une dimension entrepreneuriale tendant à faire du passé colonial un véritable marché…

     Ainsi, la démarche de l’Achac introduit une nouvelle coordonnée dans les usages sociaux du passé et de la mémoire qui jusque-là privilégiaient les circuits associatifs, familiaux ou politiques sans que n’intervienne  de façon ostensible la question de la rentabilité. » (p,106)

        « marché », « rentabilité » ? Sommes-nous encore dans le domaine de l’histoire ou même de la mémoire, celui des usages académiques et savants de ce type de discipline, ou dirais-je dans celui de la marchandisation, c’est-à-dire du fric.

       L’auteure propose ensuite une analyse fort intéressante dont les paragraphes sont les suivants : « A l’origine de l’Achac, un entrepreneur bâtisseur : Pascal Blanchard » (p, 106 à 108) – « Multipositionnalité de l’Achac » (p,209 à 111) – « Les partenariats institutionnels » (p,11 à 113) – « L’usage de la culture coloniale et du continuum comme instrument de catégorisation culturelle » « p,113 à 115) – « Le marché de l’histoire scolaire » (p,115 à 120) – « Essentialisation et déshistoricisation de la question immigrée » (p, 120,121)

     Nous reviendrons évidemment sur cette analyse éclairante de la problématique que soulèvent les « productions » du modèle de propagande que nous décrirons, et le fonctionnement du moteur entrepreneurial du modèle de propagande, incarné par Pascal Blanchard, dans cette entreprise de falsification historique labellisée par certaines institutions publiques, une entreprise de manipulation idéologique.

      Je recommande vivement cette analyse des origines et du fonctionnement de ce modèle entrepreneurial de propagande postcoloniale.

&

Et pourquoi pas une petite mise en bouche historique signée JPR, avec quelques perles postcoloniales de choix ?

        « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits » (Culture Impériale, page 82, Mme Sandrine Lemaire) : sauf que ce riz indochinois allait dans nos poulaillers !

      «… la persistance d’une figure de l’indigène logée dans leur corps » (Fracture Coloniale, page 200, Mme Nacira Guénif-Souilamas) : qu’est-ce à dire ?

        « La Mauresque aux seins nus : l’Imaginaire érotique colonial dans la carte postale » (Actes du Colloque, page 93, M.Gilles Boëtsch : « la thèse soutenue par Gilles Boëtsch suscita de nombreuses réactions » (Arts et Séductions, page 87), avec la critique pertinente de M. Guy Mandery dans la note 6.

        Et enfin, pour dessert, le sondage de M.Nicolas Bancel  sur les anciens Colos dont je fis partie : son ambition était de déterminer une corrélation entre la participation à des mouvements de jeunesse, « avant ou au cours du cursus à l’ENFOM » et leurs choix de carrière.

       L’historien a adressé un questionnaire à 297 anciens Colos, reçu 55 réponses, dont 23 témoignaient d’avoir effectivement participé à de tels mouvements, soit 23 sur 297, sans déjà tenir compte de la base de données réelle, beaucoup plus importante.

      Ce qui n’a pas empêché pas l’historien d’écrire : « Le très fort taux d’anciens membres de mouvement de jeunesse est remarquable… Par ailleurs, l’idée d’une fonction de préparation de la pédagogie active aux aventures Outre- Mer… est massivement confirmée par ces réponses. » (Culture Coloniale, pages 188,189, et Culture Impériale, page 103) : 23 sur 297, soit 7,7 %= « un très fort taux », = massivement confirmée » : est-ce bien sérieux ?

             Jen Pierre Renaud

Actualités du blog: premier semestre 2017

Les statistiques produites par le site permettent de bien identifier les flux de lecture importants, mais mal les autres.

            Le flux de lecture le plus important a bénéficié à ma chronique de comparaison critique entre les deux empires coloniaux anglais et français des 19 ème- 20ème siècles, dont la publication a commencé le 21 janvier 2014.

        Cette chronique continue de susciter de l’intérêt de la part des lecteurs : près de 3 000 pages ont été lues au cours du seul premier semestre 2017.

         Quelques autres flux de lecture ont attiré mon attention : ils concernent deux articles et l’analyse détaillée d’une thèse d’histoire économique coloniale :

  1. Le 4 mai 2016, j’ai publié ma lecture critique du livre « Le sermon sur la chute de Rome » de Jérôme Ferrari, prix Goncourt, ainsi que de son article dans le journal La Croix sur la « repentance » (4/05/2016).

Il s’agissait évidemment toujours de l’Algérie, avec des histoires entrecroisées évoquant le grand Saint Augustin, le rappel de saloperies « coloniales » familiales, mais avant tout, celle d’une histoire familiale corse souvent grivoise.

J’ai donc cru de mon devoir de suggérer à ce journal d’en recommander l’achat aux bibliothèques de nos églises, tout en proposant que ce livre reçoive un Prix d’Histoire Corse.

  1. Le 20 janvier 2016, j’ai publié ma « Lettre aux Psy, docteurs en histoire coloniale, postcoloniale, ou en journalisme » (20/01/2016), lettre dans laquelle je dénonçais l’usage « immodéré » que faisaient beaucoup d’entre eux de  « l’inconscient collectif », du « ça » colonial ou postcolonial, au choix : l’usage de ces concepts imposés comme clés de démonstration historique, mais en réalité idéologique, est d’autant plus facile que personne n’a le courage de les mesurer, pour autant que la chose soit possible.
  2. Le 27 septembre 2014, j’ai commencé à publier mon analyse critique de la thèse d’histoire économique postcoloniale de Mme Huillery, selon laquelle l’Afrique Occidentale Française aurait été une bonne affaire pour la France.

                J’ai démontré qu’en dépit d’un important travail d’utilisation d’outils    statistiques et économétriques de corrélations très sophistiquées, cette thèse souffrait d’un manque de pertinence scientifique, en raison de plusieurs biais, de type anachronique, statistique, technique, et pourquoi ne pas le dire ? Idéologique.

                Triste constat, étant donné les carences quantitatives dont souffrent la plupart des travaux d’histoire postcoloniale, notamment ceux du collectif Blanchard and Co

               Est-ce que par ailleurs, ce type de thèse ne pose pas le problème de la transparence et de la scientificité des thèses, un sujet que j’ai évoqué à plusieurs reprises sur le blog : absence de publication des avis, du ou des rapports des membres du jury, du procès-verbal de délibération, et rôle du directeur de thèse ?

             Tout est secret ?

             Jean Pierre Renaud

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren – Synthèse critique

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Synthèse critique

            J’ai lu ce livre avec beaucoup d’intérêt, un livre vivant, riche d’ouvertures historiques, d’appréciations souvent convaincantes, quelquefois aussi d’éclairages de vérités dérangeantes.

        L’intitulé des trois parties parait justifié, sauf à dire qu’il manque peut-être une partie consacrée à la France coloniale de métropole, ses animateurs, ses outils de propagande, ses effets sur l’opinion publique, notamment à travers une presse qui n’a jamais fait l’objet, sauf erreur, d’une évaluation de l’écho qu’elle donnait aux affaires dites « coloniales ».

       Mes lecteurs savent qu’il s’agit de la critique fondamentale que j’ai formulée, avec démonstration à l’appui, à l’encontre du travail d’un collectif de chercheurs qui ont prétendu que la France avait « baigné » dans une culture coloniale, puis impériale.

         La France coloniale a toujours eu les yeux plus gros que le ventre, et la France postcoloniale au moins autant, à voir le nombre de ses interventions internationales tous azimuts.

        Les analyses de la troisième partie militent en ce sens. Je ne citerai qu’une phrase de la conclusion à ce sujet : « L’empire colonial a été une affaire d’élites. » (p322)

          L’auteur intitule sa première partie « Le fiasco des décolonisations » et je partage ce jugement, mais pouvait-il en être autrement de l’avis de ceux qui ont la chance d’avoir une petite culture historique sur l’histoire coloniale elle-même, sur les situations coloniales des années 1960, de la situation internationale elle-même avec la guerre froide, la propagande de l’URSS, de celle des Etats-Unis en faveur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et du tiers-mondisme ?

          Pouvait-il en être autrement compte tenu du cours des choses en Afrique du Nord ou en Afrique noire, les deux cas de l’Indochine et de l’Algérie étant tout à fait particuliers ?

           Le risque de « balkanisation », alors dénoncé par Senghor, montrait bien que l’intéressé connaissait bien le sujet, une sorte de balkanisation ethnique et culturelle encore très prégnante, avec le constat que le découpage géographique et administratif effectué une soixantaine d’années auparavant entre les différentes colonies n’était pas de nature à donner naissance à ce qu’on appelait alors, et qu’on appelle encore de nos jours, des Etats-nations.

        De l’avis des bons connaisseurs de ces territoires, la décolonisation était inscrite dans l’histoire de ces pays, mais le processus de décolonisation ne pouvait qu’être difficile pour tout un ensemble de facteurs internes liés aux croyances de ces territoires, à leurs cultures, leurs mœurs, leurs coutumes, le nombre de leurs langues et de leurs peuples, pour ne pas dire ethnies, de leur manière d’être gouvernés avec l’importance du patriarcat que souligne l’auteur (p,147,148).

        Ajoutons à cette difficulté celle d’une recherche de modes de coopération avec un  islam très divers dans toutes les régions, au moins dans celles où cette religion bénéficiait d’une certaine cohésion religieuse.

        Dans son livre « La France en terre d’islam », le même historien décrit la situation de l’Algérie coloniale, en notant que le peuple algérien continuait à vivre dans une sorte de monde très largement musulman, parallèle à celui de l’Algérie française : « Une contre-société coupée de l’Algérie française ». (p,218)

      Dans les années 1959-1960, j’ai fait l’expérience concrète du parallélisme ainsi décrit en Petite Kabylie, plus d’un siècle après la conquête.

          Ce n’est pas tout à fait par hasard que la colonisation française, faute de pouvoir faire autrement, en tout cas en Afrique, faisait en sorte de respecter des statuts personnels très variés, avec le cas tout à fait particulier d’un l’islam qui y avait gagné beaucoup d’adeptes jusqu’à la décolonisation, un islam encore modéré.

         Les caractéristiques du statut personnel des musulmans rendaient difficiles sa compatibilité avec le statut personnel des français et des françaises, notamment après la grande loi sur la laïcité de 1905 ?

         Ce n’est pas par hasard, que de nos jours, notre pays rencontre des difficultés pour que l’islam de France joue le jeu de nos institutions fondée sur la laïcité et l’égalité entre les deux sexes ?

         La deuxième partie intitulée « Les anciens colonisés sous l’empire de leurs élites » (p,105 à 223) fait appel au terme d’élites, mais il aurait souvent été difficile de définir les élites auxquelles on avait à faire : les nouveaux citoyens, anciens ou nouveaux acculturés, les élites traditionnelles encore influentes dans leur ethnie d’origine ou leurs villages, les élites récemment formées dans nos universités, souvent formatées par le marxisme ? Des élites qui en tout état de cause étaient peu nombreuses et qui ne partageaient pas un consensus « national ».

          Pour citer deux exemples d’élites africaines du milieu « parisien » formatées par un marxisme international encore en vogue, à Paris et à Antananarivo : le premier celui des assemblées générales successives de la Maison de la France d’Outre-Mer qui accueillit beaucoup des jeunes élites de l’outre- mer dans les années 1950, au cours desquelles on pouvait entendre des discours interminables, jusqu’à point d’heure, sur la révolution prolétarienne, le marxisme international, l’anticolonialisme, l’exploitation des peuples d’Afrique, de jeunes élites qui arrivées au pouvoir s’adonnèrent rapidement aux dérives qui sont bien décrites dans l’ouvrage.

        Le deuxième, à Antananarivo, celui de l’amiral rouge Ratsiraka, lequel coule encore des jours paisibles en France, sorti de Navale, lancé dans une révolution populaire sur le modèle chinois, un mouvement sans lendemain « qui chante ». La grande île paye encore de nos jours les fruits de cette démagogie marxiste.

      Presque tous ces territoires ne disposaient donc pas des facteurs d’agrégation nationale suffisants pour que la décolonisation ne tourne pas au fiasco.

      La troisième partie intitulée « La France, les Français et leurs anciennes colonies « (p,223 à 321)

     Je ne suis pas sûr que beaucoup de Français soient capables encore de donner la liste de ces anciennes colonies, tout autant que les Français des années des indépendances aient été capables de faire mieux, et c’est toute l’ambiguïté qui pèse sur ce débat des histoires coloniales et postcoloniales.

     Il me semble que l’historien Ageron a montré dans une de ses études les limites de cette « culture métropolitaine », après la deuxième guerre mondiale.

     C’est la raison pour laquelle je pense qu’il aurait été intéressant de faire un bref rappel de la connaissance des mondes coloniaux qu’avaient les Français avant 1939 et entre 1945 et 1960, avec les premiers sondages que l’historien Ageron a cité dans une de ses études.

          Les analyses de l’’auteur font une large part au Maghreb, à l’Algérie, au Maroc qu’il connait bien, peut-être trop, sauf à dire, et c’est toute la question, que les années qui ont succédé aux indépendances, à celle de l’Algérie, a donné un  rôle central aux intellectuels sortis de la matrice algérienne, car c’est clairement ce qui en ressort.

         Avant la publication de cette  critique, les lecteurs ont pu consulter le texte que j’ai consacré à l’historien engagé politiquement Stora à travers l’ensemble des citations et prises de position qui ont  jalonné la période examinée, une sorte de fil « rouge » de lecture et d’interprétation de cette période qui a vu cet intellectuel occuper de multiples espaces médiatiques pour tenter de convaincre ses lecteurs et auditeurs que l’histoire de l’Algérie, et la guerre d’Algérie, constituent l’alpha et l’oméga de notre histoire coloniale et postcoloniale.

          Je ne crois pas que la propagande coloniale n’ait jamais disposé, dans le cadre historique qui fut le sien, d’un tel acteur et animateur.

         Les chapitres XIV « Les élites postcoloniales en métropole : entre revanche sociale, utopie et corruption » (p,239à256) et XVIII et le chapitre XVII « Mirages médiatiques » (p,289 à 303) ouvrent des perspectives fort intéressantes sur la composition et le rôle de ces élites et sur les manipulations de l’information, pour ne pas dire la propagande.

Révélations, analyses pertinentes ou éclairages intéressants :

     Le rôle des médias : cette question sensible est évoquée à de multiples reprises, et comme je l’ai dit, il est dommage que l’auteur n’en ait rien dit dans son ouvrage sur la période coloniale elle-même.

      Le livre donne quelques exemples de leurs manipulations qu’elles procèdent de l’Etat, des groupes de pression métropolitains ou africains, la guerre du Biafra ou le génocide du Cambodge, et son propos est plus précis sur la période récente :

     « Si la décolonisation crée une coupure entre la métropole et l’ancien monde colonial, les médias conditionnent et assurent le maintien de leurs rapports. Dans les années 1960 et 1970, coopérants et fonctionnaires européens font encore circuler connaissances et informations. Mais ce canal se tarit dans les années 1980. Le relai est ensuite pris par les entreprises, industrielles, financières ou de tourisme qui ne sont toutefois pas des médiateurs culturels : leur communication d’entreprise est déséquilibrée, car leur objectif n’est pas d’informer mais de communiquer. La médiation est aussi assurée par l’immigration postcoloniale qui s’intensifie dans les années 1980 avec le regroupement familial. Mais ce phénomène concerne surtout la société d’accueil, et peu sur celle d’origine. Les médias, la presse en particulier, jouent donc un grand rôle d’interface et d’interconnaissance des sociétés. Un petit groupe d’experts et de journalistes, informant le grand nombre, circule de part et d’autre. » (p,289)

        Au fil des pages, l’auteur constate que la presse est « aux mains des grands industriels » (p,291),  que les pays dépendants, souvent des dictatures, contrôlent et verrouillent les circuits d’information, comme on le voit bien dans les exemples fournis, le silence complet de l’Algérie sur la deuxième guerre civile des années 1990-2000, le contrôle qu’exerçait Ben Ali, ou de façon plus subtile, celui du Maroc, avec la collaboration de quelques journalistes de métropole patentés :

        « Faut-il ajouter que l’affaire Coleman leaks, un Wikileaks à la marocaine qui éclate au cours de l’automne 2014, tardivement dévoilée par la presse française avec une prudence homéopathique, révèle que de grands journalistes en charge des affaires internationales et du Maroc, ont  bénéficié de solides rémunérations marocaines en échange d’articles endossant la position du royaume sur le Sahara. » (p302)

      Le néocolonialisme – L’auteur en décrit maints aspects, la Françafrique, l’hypocrisie de la Conférence de La Baule, avec Mitterrand en 1990, le rôle tout à fait étrange du ministère de la Coopération chargé de distribuer des allocations à certains chefs d’Etat africains. (p,162)

      La deuxième guerre civile algérienne des années 1990, décrite notamment à la page 168, et à l’occasion d’autres analyses, nous donne quelques informations sur cette guerre dont les méthodes et les victimes font encore l’objet d’un black-out complet de la part de l’Algérie.

        Il serait évidemment très intéressant que les intellectuels sortis de la matrice algérienne mettent leur talent  au service de l’histoire postcoloniale de l’Algérie, comme ils ont su le faire pour la seule guerre d’Algérie qui a duré moins de 10 ans, de 1954 à 1962.

     En ce qui concerne notre pays, il aurait été intéressant de connaître le nombre d’Algériens et d’Algériennes qui sont venus se réfugier chez nous, car le même sujet fait l’objet du même black-out.

     L’auteur fait un sort particulier au Sénégal, un cas particulier : « L’exception sénégalaise, un allié modéré dans la guerre froide » (p,75), et au fil des pages, l’auteur revient sur cette situation particulière.

        Il convient de noter que le contexte de la guerre froide a beaucoup  pesé sur la décolonisation, et a été un des facteurs internationaux de ce choc, mais j’ajouterais que la situation coloniale du Sénégal n’a jamais été comparable à celles des autres colonies, pour au moins trois raisons, géographique en bordure de mer, historique avec une présence ancienne de la France sur ses côtes, religieuse et culturelle, évoquée d’ailleurs à la page 147, avec l’existence d’un islam modéré couvert par la grande confrérie mouride.

      Islam et choc des décolonisations

      Il s’agit d’un thème d’analyse et de réflexion qui court au fil des pages, notamment dans le chapitre XII (p,214,215,216,217), et c’est un sujet sensible que l’auteur connait bien, notamment en ce qui concerne l’islam du Maghreb.

      Le lecteur a la possibilité de mieux comprendre la fausse interprétation que nos gouvernements firent des « printemps arabes », notamment grâce à la manipulation des médias :

       « Les Français n’ont appris qu’en 2011 que la Tunisie de Ben Ali était une dictature policière, humiliant et pillant sa population… Amitié avec la France et ses dirigeants oblige. » (p297)

     J’ai évoqué ce sujet sur mon blog.

     On se souvient de l’épisode qui mit en cause Mme Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur.

     L’immigration

     L’auteur consacre le chapitre XVIII (p,305) à la question « immigration » et propose tout un ensemble d’éclairages et de données chiffrées sur les flux de l’immigration et leur évolution.

     L’historien note : « La guerre d’Algérie et l’intensification paradoxale de l’immigration impériale » (p,308), un mouvement effectivement très paradoxal, compte tenu des raisons qui avaient incité de Gaulle à larguer l’Algérie, alors que l’immigration d’origine algérienne a effectivement augmenté au cours des années qui ont suivi la guerre d’Algérie, et jusqu’à nos jours.

     Cette situation mériterait incontestablement plus d’explications.

      Quant à l’augmentation de l’immigration impériale en général, elle soulève également beaucoup de questions, notamment sur la nature de ces flux, compte tenu notamment :

      « Peu de statistiques existent sur le regroupement familial, car les pouvoirs publics communiquent peu sur la question. Entre 1975 et 1985, 147 938 femmes et enfants marocains se sont installés en France. Et depuis 1976, les Français d’origine étrangère par filiation directe ont beaucoup augmenté (6,7 millions en 2008, d’après l’Insee).

    .…En établissant que les immigrés représentent toujours 10% de la population, au lieu de reconnaître que l’immigration s’est accrue, et a changé de nature, l’Etat a causé de graves conséquences : un débat tabou et biaisé sur l’immigration, un ressentiment d’enfants d’immigrés comme dans les autres classes populaires françaises. L’actualité en porte quotidiennement les traces. » (p,314)

      « Avec 12 millions d’immigrés et leurs enfants (sans parler de la troisième génération), la population française des années 2000 est donc très différente de celle des années 1930 (ou cinquante ?), ce que la classe politique (droite et gauche confondues) peine à formuler. » (p,317)

      Le plus surprenant dans toute cette évolution est le rôle que les intellectuels « algériens » y ont joué :

       « Fin de l’assimilation et apologie de la diversité, le rôle des intellectuels « algériens ». (p,318,319)

      L’Algérie, toujours l’Algérie ! Historiquement, un slogan fit une fortune très relative, « L’Algérie, c’est la France ! », mais de nos jours, certains pourraient commencer à dire : « La France, c’est l’Algérie !

     Comment expliquer une évolution tout à fait paradoxale, partant d’une France qui n’a jamais été à proprement parler une France coloniale jusqu’aux indépendances, une France qui n’a jamais peuplé ses colonies, à la seule exception de l’Algérie (avec le concours des immigrations italiennes et espagnoles), laquelle, après « Le choc des décolonisations » se retrouve progressivement colonisée par des populations venues de l’outre-mer ?

     Je conclurai cette lecture en indiquant que ce livre permet de mieux comprendre pourquoi la question algérienne, avec son courant d’intellectuels issus de la matrice algérienne continue à occuper une place idéologique, politique, et médiatique qui correspond de moins en moins avec notre histoire coloniale et postcoloniale.

     Je regretterai toutefois que l’auteur n’ait pas accordé un peu de place à l’histoire quantitative, celle des ordres de grandeur, des échelles, des rapports de force existant entre tous les acteurs du fiasco décrit.

       Pourquoi ? Parce qu’il s’agit là, et à mon avis, d’une des grandes carences de l’histoire postcoloniale, l’oubli de l’histoire quantitative.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren Lecture critique Troisième Partie, suite et fin

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Troisième partie

Suite et fin (e)

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

        Chapitre XVII « Mirages médiatiques » (p,289)

        Un titre poétique pour un chapitre au contenu dérangeant, portant sur les nouvelles formes de propagande ou de contrôle de l’information qui touche l’ancien domaine colonial de la France.

       A l’heure actuelle : « Les acteurs et les pôles de pouvoir sont multiples. Entre la France et ses anciennes colonies, lobbys, groupes d’intérêt et de pression sont très divers : Etats, et services de renseignement, collectivités locales, médias (presse et télévision)…Or ces acteurs tentent peu ou prou d’influencer médias et auditeurs selon leurs intérêts. Fabriquer les opinions est un métier… L’information est une denrée que les régimes autoritaires veulent contrôler par tous les moyens. La présence durable et des contacts sur place sont irremplaçables : séjourner dans un grand hôtel avec les correspondants étrangers forge une information très différente. « (p,290)

        Une manipulation d’autant moins difficile avec une presse aux mains des grands groupes industriels que l’auteur décrit :

        « La plupart des médias français sont aux mains de 11 groupes privés… « Des médias audiovisuels très dépendants du service public » (p,292),avec pour résultat : « Pour toutes ces raisons, les régimes autoritaires contrôlent l’information diffusée en France et en langue française. Ce n’est pas pour eux une option, mais parfois une question de survie. Et certains médias français en profitent au passage pour renflouer leurs caisses. » (p,295)

      Comme le note l’auteur un peu plus loin et en ce qui concerne certains journalistes :

      « Faut-il ajouter que l’affaire Coleman leaks, un Wikileaks à la marocaine, qui éclate au cours de l’été 2014, tardivement dévoilée par la presse française avec une prudence homéopathique, révèle que de grands journalistes français en charge des affaires internationales et du Maroc, ont bénéficié de solides rémunérations marocaines en échange d’articles endossant la position du Maroc sur le Sahara ? » (p,302)

      « …. Les Français n’ont appris qu’en 2011 que la Tunisie de Ben Ali était une dictature policière, humiliant et pillant sa population… Amitié avec ses dirigeants oblige. » (p,297)

       Dans certaines affaires, les services de l’Etat ne sont pas en reste : « Du Biafra à la révolution tunisienne, la manipulation par les services de l’Etat français ? » (p,299)

Chapitre XVIII « L’immigration, porte ouverte sur le monde ou bonne conscience européenne ? » (p,305)

      L’auteur a eu raison de souligner à la page 306 une situation qui explique le peu d’intérêt des Français pour leurs colonies, hors leur exotisme :

        « Depuis 1830, la France colonise sans peupler : les paysans y sont riches et dotés de terres ; l’excédent démographique est capté par Paris et les régions industrielles ; et la Grande Guerre tue ou mutile 1 homme valide sur 4 »

           Riches ? Par rapport à qui, où et quand ? D’autres facteurs étaient en jeu.

          Je ne m’attarderai pas sur le contenu de ce chapitre, sauf à remarquer que l’auteur donne quelques informations sur des sujets tabous ou ignorés, par exemple,  en ce qui concerne les Antilles :

         « Le nombre des Antillais de métropole double entre 1954 et 1962, puis augmente de 50% entre 1962 et 1968. En 1968, on dénombre 61 000 personnes devenues 800 000 en fin de siècle…. » (p,312)

          L’auteur évoque également le regroupement familial et je fais partie de ceux qui s’étonnent de la prudence, pour ne pas dire du silence des autorités sur ces flux mal contrôlés :

        « Peu de statistiques existent sur le regroupement familial, car les pouvoirs publics communiquent peu sur la question… « (p,314)

        Des flux qui, à mes yeux, n’ont pas contribué à faciliter l’intégration de certains groupes de population qui habitent dans les quartiers sensibles.

         L’analyse consacrée  aux flux algériens est éclairante, mais conduit à se demander pourquoi la politique d’immigration algérienne a quasiment toujours bénéficié d’une mansuétude de la part de notre pays, pour ne pas dire d’un privilège à l’égard des ressortissants d’un pays qui n’a pas noué de saines relations avec la France, et alors qu’une des raisons légitimes de la politique du général de Gaulle, quant au largage de l’Algérie, était précisément la volonté que notre pays ne devienne pas un jour, compte tenu des mouvements démographiques prévisibles, la colonie de l’Algérie, une dynamique qui parait bien engagée, compte tenu notamment du rôle des intellectuels venus de la matrice algérienne, un rôle fort bien décrit par l’auteur.

        « L’histoire des migrations en France, a fortiori des Algériens, est souvent écrite par des intellectuels venus ou passés par Alger … Abdelmalek Sayad, assistant de Pierre Bourdieu… René Gallissot… Benjamin Stora… » (p,318)

         « Le discours de Français Hollande du 15 décembre 2014, dans une Cité nationale de l’histoire de l’immigration dirigée par Benjamin Stora, renvoie au premier acte de sa campagne présidentielle en 2011, la commémoration des cinquante ans du 17 octobre 1961, auquel l’historien de l’Algérie n’est pas étranger. La volonté affirmée de « réconcilier » Paris et Alger participe de ce mouvement complexe…

        Cette surreprésentation des intellectuels et hommes politiques liés à l’Algérie dans la sphère étroite de la politique multiculturelle française révèle le silence persistant des « sujets » de cette politique, les immigrés récents et leurs descendants, exception faite de plusieurs intellectuels originaires des DOM. Elle dit quelque chose de la volonté des générations marquées au fer rouge par l’Algérie française, et par sa désintégration, de reconstruire une cité idéale sur ses décombres. Avec le recul, l’Algérie française apparaît à ces intellectuels et hauts fonctionnaires comme une société ségrégative, injuste, inégalitaire, raciste et autoritaire, un anti modèle à dépasser. » (p320)

        J’ai souligné l’expression générations marquées au fer rouge par l’Algérie française, parce qu’elle ne traduit pas à mes yeux les réalités historiques, sauf à dire que depuis plusieurs dizaines d’années, les Français sont manipulés par une nouvelle propagande insidieuse et beaucoup plus importante que ne fut jamais la propagande coloniale elle-même, beaucoup plus limitée et inefficace, fondée sur les « mirages exotiques », alors que la propagande distillée par ces groupes de pression cherche à investir les consciences et à manipuler notre histoire de France.

          L’expression « générations marquées au fer rouge » à rapprocher d’une autre expression qui se veut historique alors qu’elle n’a jamais été mesurée, celle de « mémoire qui saigne ».

        L’historien politique Stora a la paternité de cette expression historiquement saignante, c’est le cas de le dire.

Conclusion « Le legs singulier de la France coloniale »

         L’auteur souligne bien la situation française des colonies avec toutes les contradictions dont la France d’aujourd’hui souffre encore : les conquêtes coloniales ont largement été le fruit d’une alliance entre le sabre et le goupillon, la franc-maçonnerie dans les superstructures des colonies, mâtinée de christianisme à ses bases, faites de coups politiques relevant du fait accompli montés par la gauche républicaine ou entérinés par elle, à l’exemple de Jules Ferry au Tonkin, en 1883, ou de Mahy, originaire de la Réunion, en 1883, à Madagascar, lequel fut un bref ministre de la Marine et des colonies du 29 janvier 1883 au 21 février 1883.

        La gauche des décolonisations n’a pas été à la hauteur des enjeux en Indochine, à Madagascar, et en Algérie : c’est le gouvernement de Guy Mollet qui fit voter l’envoi du contingent en Algérie, un contingent dont je fis partie.

         « L’empire colonial a été une affaire d’élites. Les élites françaises, royales, impériales et républicaines ont agi à destination des élites colonisées. De sorte que les Français, en tant que peuple, n’ont été concernés qu’à trois reprises par leur empire, l’exposition coloniale de 1931 demeurant un simple spectacle. Une première fois lors de la venue des troupes coloniales en métropole en 1914 et 1939 ; une seconde fois lors de la guerre d’Algérie, quand l’envoi de 2 millions de soldats et des attentats en métropole ont fait connaître l’Algérie; et une troisième fois par l’installation en métropole de millions de  ressortissants de l’ancien empire, la question n’ayant d’ailleurs jamais été débattue. Mais de l’empire et de ses sociétés, ils n’ont toujours su que ce que les élites, leur gouvernement et les médias voulaient bien en dire. » (p,323)

      Je partage cette conclusion : paradoxalement, notre pays est devenu une sorte de nouvelle colonie du monde moderne, et je ne pense pas que la France coloniale, celle décrite à grands coups de brosse idéologique, par certains chercheurs,  réduite à une petite  élite ait jamais pu imaginer que notre pays allait devenir lui, une colonie de peuplement, alors qu’en dehors de l’Algérie, la France n’avait jamais pratiqué la colonisation de peuplement.

Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren Troisième Partie « La France, les Français et leurs anciennes colonies » p,221 à 234)

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Tous droits réservés

Troisième Partie

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

        Après avoir décrit le fiasco des décolonisations (I), puis la situation des décolonisés sous l’empire de leurs élites (II), l’historien analyse la situation de la France, des Français, et des anciennes colonies. (III)

      Comme je l’ai indiqué la décolonisation était inscrite dans l’histoire qui s’est effectivement déroulée, celle du « cours des choses » que beaucoup de membres de l’élite coloniale avaient prédit, ne serait-ce déjà que l’africaniste connu des spécialistes, Delafosse, et des bons connaisseurs de l’Afrique, lesquels proposaient l’association au lieu de l’assimilation.

        Il n’était pas facile pour les officiers de la conquête de manifester leur scepticisme sur ses buts, mais il en fut qui l’osèrent, je pense au colonel Frey qui exprima plus que de l’hésitation sur le bien- fondé de la conquête du Soudan, de nos jours le Mali, dans les années 1886-1888, une conquête dont il fut un des acteurs, je pense aussi au capitaine Toutée à l’occasion de sa mission politique et géographique vers le Niger, dans les années 1894-1895..

       Plutôt que d’aller à Madagascar, Lyautey, en ce qui le concerne, aurait préféré que la France s’attache à l’Indochine, le « joyau », respecte les institutions séculaires de l’Annam, de son Empereur, fils du ciel, plutôt que de les chambouler en remplaçant les mandarins par des résidents coloniaux.

       Un « cours des choses » qui toucha tous les empires » coloniaux, et qui se conclut généralement par un fiasco, même pour l’Empire des Indes, la Chine, ou l’Afrique du Sud pour ne citer que quelques-unes des terres coloniales les mieux loties.

        En ce qui concerne l’Afrique noire, je crois avoir démontré que les analyses de Frédéric Cooper sont trop décalées, historiquement, par rapport aux situations coloniales concrètes de l’après deuxième guerre mondiale en Afrique noire.

        En ce qui concerne la deuxième partie (II), son contenu illustre bien la difficulté qu’il y avait, compte tenu des caractéristiques de ces mêmes situations coloniales, en tout cas en Afrique noire, en termes de géographie physique, humaine, politique, économique, religieuse, culturelle, ethnique.

      La description qu’en fit le géographe Richard-Molard après la deuxième guerre mondiale suffisait à en montrer la très grande complexité.

    L’historien décrit toutes les dérives qui ont suivi les décolonisations, lesquelles découlaient largement de ces situations coloniales et de leur héritage, en termes d’Etat, de populations et d’élites.

       Je choisirais volontiers comme symbole de l’échec d’une certaine élite, Senghor, sorti de Normale Sup, un catholique d’exception élu grâce au soutien de la Confrérie musulmane des Mourides.

        Il se convertit à la solution du parti unique, une sorte de symbole de l’écart gigantesque qui existait entre des peuples qui n’étaient pas des nations et leurs petites élites, ou celui d’Houphouët-Boigny qui réussit à réaliser une certaine coagulation ivoirienne fondée sur un réseau de planteurs de cacao, mais surtout sur l’ethnie puissante que constituait le peuple Baoulé, en surfant sur une idéologie marxiste alors à la mode en métropole.

     Ai-je besoin d’ajouter que Mitterrand joua un rôle important dans la  « récupération » de ce leader, alors qu’il fut un des artisans de l’échec meurtrier de la décolonisation en Algérie.

      La troisième partie contient des analyses tout à fait intéressantes, d’autant plus qu’elles n’hésitent pas à mettre le doigt sur des incongruités historiques trop souvent méconnues.

        Le chapitre XIII ouvre le bal, mais à mes yeux, son titre même « Amnésie coloniale, mauvaise conscience, et beaux discours » souffre d’un biais courant et ambigu dans ce type d’analyse, c’est-à-dire qu’elle parait fondée sur un postulat, celui d’une « culture coloniale » des Français qui n’a jamais existé, et qui n’a jamais été mesurée, ne serait-ce que dans la presse, et qu’en même temps pour avoir existé, elle aurait été l’objet d’une « amnésie ».

     « Amnésie » pour qui ? Pour quelle amnésie ? Sur quel terrain colonial ? L’Algérie ?

     Les pages que l’auteur consacre aux politiques et surtout aux milieux intellectuels, montrent bien que c’est essentiellement l’Algérie qui leur a servi de toile de fond, leur rôle très actif dans le réveil d’une mémoire française qui aurait été coloniale.

       L’historien Stora en est, me semble-t-il un bon représentant, et c’est d’ailleurs son évocation qui ouvre ce chapitre (p,223), avec la référence de son livre « La gangrène et l’oubli » (1991), mais l’auteur souligne plus loin :

      « Cependant, il faut cesser de penser qu’il y alors en France ni débat ni réflexion sur cette guerre coloniale… » et plus loin, en titre de paragraphe « L’histoire coloniale engloutie par la guerre d’Algérie ».(p,224)

      Tout à fait !

     Il s’agit de l’objection la plus importante qui peut être faite au travail médiatique de Stora, finir par faire croire aux jeunes Français, et cela n’a pas l’air de bien marcher de nos jours, que l’Algérie fut l’alpha et l’oméga de la colonisation française, et lorsque j’écris « l’Algérie », il conviendrait de lire la « guerre d’Algérie ».

        Plus loin, l’historien cite le nom d’un autre intellectuel qui fit partie de cette nouvelle vague de propagande, lequel nous a entraînés récemment dans la désastreuse guerre de Libye:

     « La France passe en quelques années du mythe de la France résistante, installé par de Gaulle, à celui de la France collaborationniste porté par la jeune génération d’intellectuels, comme Bernard Henry-Lévy. C’est sur fond de retournement idéologique lié à l’irruption sur la scène publique de la génération nées après la guerre (Celle de 68 ?), que la mémoire coloniale» qui continue de « saigner », selon les mots de Benjamin Stora, refait surface. Bernard Henry-Lévy et lui-même appartiennent d’ailleurs à la génération d’intellectuels issus d’Algérie. » (p,232)

    Si mes informations sont exactes, l’intéressé ou sa famille auraient encore des intérêts en Afrique du Nord.

       Question : mémoire « coloniale » ou mémoire « algérienne » ? Que personne n’a d’ailleurs eu le courage de tenter de mesurer.

          Une mémoire qui « saigne » ? Diable ! Celle de Stora ?

         L’auteur note « La France des années 1960 ne veut plus entendre parler des colonies, inconnues des nouvelles générations. » (p,231)

         Je ne suis pas sûr que les anciennes générations aient plus entendu    « parler des colonies » avant les années 1939-1945, ce qui n’est pas démontré, sauf à quelques grandes occasions qui ont fait la une des actualités de l’époque, Fachoda ou guerre 14-18, la grande Exposition Coloniale de 1931, s’étant inscrite beaucoup plus dans le cycle des Grandes Expositions alors à la mode en Europe.

         Ainsi que je l’ai déjà écrit, les histoires coloniales et postcoloniales, avant tout, souffrent d’une  grande carence d’analyse de la presse, seul grand vecteur de mesure de l’opinion publique de l’époque.

     Ce livre nous donne à maintes reprises l’occasion de constater le rôle important que la mouvance des intellectuels issus de la matrice algérienne a joué dans ce que j’appellerais volontiers une  propagande coloniale inversée, beaucoup plus importante et plus efficace que ne fut la propagande du « temps des colonies », celle « adorée » par le collectif Blanchard end Co.

Jean Pierre Renaud