Carnets Buron – 7 – 1961-1962
Deuxième Partie : les négociations sinueuses
Robert Buron, ministre du Général, dans la gueule du loup !
III
« Le putsch de la Saint Georges (p,130)
Avril 1961
21 avril 1961, à minuit dans ma chambre du Palais d’Eté
A son arrivée à Alger, à 22 h 10,Robert Buron constatait que la situation y était très tendue.
22 avril, en fin d’après midi
Je n’avais pas éteint depuis plus de deux heures quand je fus réveillé par du bruit à ma porte.
Au premier éclair de conscience je me sens mal à l’aise, nauséeux et in quiet.
Quelqu’un est entré, se penche sur moi et mon cerveau encore flottant parvient, à enregistrer dans l’obscurité : « Excusez- moi, Monsieur le Ministre; et ne riez pas. Le palais est investi par les parachutistes. M.Morin pense que vous préférerez les recevoir debout plutôt que dans votre lit. Je vous assure, ce n’est pas une plaisanterie. »
J’allume et rassemble rapidement les éléments de mon être.
En face de moi, Planty, le chef de Cabinet du Délégué général me donne rapidement quelques précisions : « C’est un coup de force militaire. Il semble que Challe et Zeller soient dans le coup. Depuis un moment déjà les sections du 1er REP entourent le palais et occupent les jardins… » (p,132)
Je laisse le soin au lecteur curieux de cette période de l’histoire de l’Algérie encore française d’aller à la sorte de reportage des faits que proposait Robert Buron, victime et prisonnier de la conjuration. (p,132 à 161)
Le seul moyen de communication qui restait aux prisonniers fut le transistor, un petit appareil radio qui fit alors des merveilles pour aider de Gaulle à dénouer cette nouvelle crise, car il servit de caisse de résonnance formidable pour informer les soldats du contingent de la situation et de la menace qui pesait sur leur destin, alors que dans leur très grande majorité ils n’attendaient que « la quille », car la guerre d’Algérie n’était pas leur guerre.
Les généraux qui commandaient alors les troupes en Algérie étaient divisés, et beaucoup d’entre eux hésitaient à rallier le putsch. Beaucoup d’entre eux connaissaient bien l’état d’esprit du contingent.
« Ce 23 avril, 11 heures du matin
Réveil matinal ! Hier le temps était beau. Aujourd’hui, le vent fait rage.
Alger est calme. On n’entendait aucun klaxon… Depuis hier à l’aube, sans qu’un seul coup de feu ait été tiré, l’Armée assure tous les pouvoirs en Algérie. Arrivés à Alger, les généraux Challe, Zeller et Jouhaud sont à sa tête, en liaison avec le général Salan, pour tenir le serment du 13 mai : garder l’Algérie. »….
Ce même jour, 20 h 30
Le général vient de parler :
« Nous aussi avons senti en entendant le chef de l’Etat que l’échec du « quarteron » de généraux était acquis… Quelle différence entre la certitude exprimée par le président de la République et l’hésitation dont témoignent les rebelles qui après deux jours n’ont pas su décider encore que faire de nous ! » (p,145)
Ce 24 avril à In Salah, 13h30
Le ministre, les hauts fonctionnaires et les généraux arrêtés sont envoyés au Sahara, à In Salah :
… « Morin, Verger, Aubert, Planty, le procureur Jourdan, mes deux collaborateurs et moi-même ainsi que le général Gambiez (1) que je connais peu et le général de Saint Hélier que je ne connais pas du tout…(p,145)
Mardi 25 avril, 14 heures
« A l’aube, je suis réveillé en sursaut par un fort grondement mais me rendors très vite.
Quand je me lève enfin, L’Helgen, qui a déjà musé dans la cour, me renseigne : l’essai atomique prévu a eu lieu à 5 heures et demi…» (p,150)
Le putsch a échoué, Robert Buron est rapatrié à Alger :
Mercredi 26 avril, 10 heures du matin dans le Nord-Atlas qui cette fois nous ramène à Alger. (p,153)
« Je n’ai pas dormi et bu trop de whisky pour fêter la fin de notre aventure avec tous les prisonniers libérés. Je viens de somnoler deux brèves heures, dans l’avion surchargé après l’avoir décollé moi-même, non sans peine, dans l’air trop léger. Je me secoue car ce serait dommage de ne pas noter ces impressions toutes fraîches.
Hier après-midi, prisonniers et gardiens ont été pris d’une même fièvre. Les transistors ne captaient qu’une friture exaspérante et cependant la même conviction s’imposait à tous, quelques que fussent les vœux secrets ou affirmés : la situation avait basculé, la rébellion allait s’effondrer… quelques minutes après 19 heures, il devient possible d’entendre nettement Radio-Alger, mais aussi Radio Monte-Carlo
Les événements se déroulent de plus en plus vite. En dehors d’Alger le pouvoir retourne progressivement aux préfets et aux généraux fidèles……
Mercredi 26 avril, 21 heures (toujours en avion, cette fois dans la caravelle d’Air Algérie vers Paris)…Je prépare une déclaration pour le représentant de la RTF que je trouverai certainement à Orly :
« Le transistor a décidé de l’issue du conflit. Grâce à lui l’homme de la rue en France et le petit gars du contingent en Algérie ont réagi à l’unisson… » (p,156)
Jeudi 27 avril
L’arrivée hier restera pour ma femme, ma fille et moi un souvenir inoubliable.
A peine engagé sur la passerelle accolée à l’avion, je me suis trouvé happé par une cinquantaine de journalistes et quinze photographes…
Maintenant je rentre de l’Elysée.
La conversation avec le général a été étonnante. Il aurait aimé que je lui explique comment les choses s’étaient passées à la manière dont un capitaine fait son rapport au colonel.
… un moment même il s’est laissé entraîner à philosopher sur la situation et m’a déclaré : « Que voulez-vous, Buron ? Il est un fait dont ils ne se décident pas à tenir compte, un fait essentiel pourtant et qui fait échec à tous leurs calculs ; ce fait c’est de Gaulle. Je ne le comprends pas toujours bien moi-même… mais j’en suis prisonnier…. » (p,159)
Samedi 29 avril
Le calme revient dans les esprits. Mais un tournant est pris… » (p,160)
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Robert Buron consigne alors dans ses notes le déroulement des négociations secrètes avec le FLN, et je laisse le soin au lecteur intéressé de lire ces notes dans leur détail.
Comme je l’ai écrit plus haut, leur déroulement prit souvent le tour d’un roman d’espionnage, de coups de théâtre, de rendez-vous secrets, en montagne, dans le Jura, dans des lieux improbables, dans la neige, etc…
Je me contenterai de retenir quelques-unes de ses notes, sans revenir sur les Accords d’Evian eux-mêmes.
Sur ce blog, j’ai déjà donné mon point de vue sur ces Accords d’Evian signés en 1962, entre autres par Robert Buron, en regrettant que la France ne se soit pas donné alors les moyens d’obliger le FLN à les appliquer strictement, car elle en avait effectivement les moyens.
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« IV
Les contacts se nouent et se dénouent (p,162)
11 juin 1961
« 3) A tout le moins, les discussions – voire le refus de discuter – auront rendu officiels en quelque sorte les sujets d’opposition fondamentale entre les deux parties : statut des minorités que Belkacem Krim sembla avoir abordé en termes chaleureux et humains, participation des différents courants d’opinionalgériens à la mise sur pied des institutions provisoires, et surtout destin politique du Sahara…
Un collègue m’a rapporté un propos du général de Gaulle :
« On peut accepter beaucoup de choses ; on ne peut pas abandonner le Sahara purement et simplement au FLN »
Les conversations sont suspendues. Reprendront-elles vraiment le mois prochain ?
Ne vaudrait-il pas mieux faire avancer les choses au cours de contacts discrets et plus approfondis que ceux qui ont précédé Evian ?
Combien de temps cette guerre va-t-elle durer encore ?… » (p164)
« 28 juillet (dans l’avion qui me ramène de Lomé à Paris)
Sylvanus Olympio m’a réservé un accueil chaleureux. Hier j’ai inauguré avec lui la nouvelle aérogare construite par nous et les discours ont été plus optimistes qu’il n’était de règle ces derniers temps entre la France et le Togo. » (p,166)
Jeudi 31 août
Au Conseil des ministres le chef de l’Etat est tendu et les prétextes ne manquent pas à sa mauvaise humeur.
A l’usage des nouveaux collègues il fait un bref exposé sur la politique algérienne du Gouvernement :
« Notre politique, et je m’étonne qu’on s’obstine à ne pas le comprendre, c’est le dégagement.
Pour nous dégager honorablement, si les gens d’en face le veulent, nous sommes prêts à traiter avec eux. S’ils ne le veulent pas, que l’Algérie enfante alors et fasse venir à la lumière des hommes qui prennent des responsabilités, mais qu’elle le fasse vite ; car sinon, ce sera le regroupement puis le dégagement tout de même, mais sans obligations pour nous.
Je pense toujours à ces jugements derniers primitifs où les diables emportent les âmes vers l’enfer. Pauvres Algériens ! de même que ces âmes, ce ne sont pas les diables qui les entraînent qu’ils maudissent. C’est vers les anges qu’ils lancent des injures et brandissent le poing. Eh bien, s’il en est ainsi, que le diable les emporte ! » (p,170)
(1) Je fis plus tard la connaissance du général Gambiez, alors à la retraite, qui avait accepté de préfacer mon petit bouquin sur les stratégies indirectes.
Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés