Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ?
En esquisse de conclusion
De quelle histoire s’agit-il ?
Une histoire postcoloniale à la dérive ?
Il n’est pas toujours facile de comprendre les phases d’évolution de l’écriture de l’histoire, et de savoir s’il s’agit véritablement d’une « science », tant elle est, et a toujours été, traversée par des remises en cause et des controverses fondées ou non, compte tenu de l’importance de ses enjeux.
Dans les cas examinés, il n’est pas illégitime de se poser la question des fins poursuivies par leurs auteurs, sur leurs buts idéologiques, politiques, ou médiatiques, en vue de conquérir un nouveau marché « ethnique » ou non, puisqu’il s’agit aussi de cela.
Est- ce que ce type de thèse historique postcoloniale est représentatif des courants historiques qui traversent aujourd’hui notre société ? Est-ce qu’ils ont fait l’objet d’une évaluation de leur contenu scientifique et de leurs effets dans l’enseignement, les universités ou l’opinion publique ? Je n’en sais rien !
L’histoire de France a longtemps tenté de proposer la lecture d’un passé commun et d’un vivre ensemble commun, fondés sur des valeurs qui, au cours des siècles et au fur et à mesure des crises, ont fait partie intégrante de notre passé national, la liberté, l’égalité, et la fraternité, avec ses ombres et ses lumières.
Ombres et lumières, oui, comme le soulignait dans le cas de l’Afrique, le grand lettré et sage africain Hampâté Bâ, très bon connaisseur de la tradition africaine et très bon analyste de la France coloniale, lequel notait que l’histoire de cette époque avait connu à la fois une face diurne et une face nocturne.
Face à l’histoire frappée d’un sceau universitaire, et depuis plusieurs dizaines d’années, l’histoire médiatique, pour ne pas dire politique, connait le plein succès, et lui fait concurrence. Elle explose avec les réseaux sociaux, alors que l’Université elle-même n’a jamais été à l’écart des grands conflits d’interprétation du passé et de l’avenir.
Dans les cas d’écriture historique analysée, le discours fait plus que confiner avec la propagande ou le marché, qu’il soit politique, médiatique, ou ethnique.
Histoire « scientifique » et roman historique ? Roman national, colonial, ou postcolonial, comment s’y reconnaître ?
Ces productions littéraires soulèvent de très nombreuses questions de « scientificité » que nous avons examinées successivement, relativement aux sources, aux méthodes quantitatives d’évaluation des vecteurs de culture et de leurs effets, et donc aux interprétations possibles, compte tenu d’une représentativité supposée et non démontrée.
Ajoutons qu’en filigrane de tous ces discours idéologiques apparait souvent un fil rouge conducteur, celui de l’Algérie érigée comme le symbole de toute la colonisation française, avec en arrière plan la guerre d’Algérie : le Président actuel s’est cru autorisé, et comme par hasard, lors d’une visite « électorale » à Alger, à faire la déclaration que l’on sait sur les crimes de la colonisation.
Le courant idéologique et historique en question ne rassemble évidemment pas l’ensemble de la classe des historiens vivants, mais c’est lui qui semble faire le « buzz », selon le mot et les modes du jour.
Est-ce qu’en définitive, et comparés à ces œuvres, les romans historiques ne font pas preuve d’une plus grande rigueur historique que ces « produits » de la catégorie d’histoire postcoloniale que j’ai critiquée ?
A la fin de ses nombreux romans historiques sur notre très lointain passé, le XIIème ou le XIIIème siècle, Jean d’Aillon, propose une petite rubrique intitulée « Le vrai du faux », une rubrique qui pourrait sans doute être nourrie par des chercheurs en histoire dont l’ambition serait de « déconstruire » ce nouveau roman postcolonial, puisqu’il s’agit de cela.
Dans son livre « Le lecteur de cadavres » (Le Livre de Poche) dans la Chine du XIIIème siècle, un autre auteur, Antonio Garrido, délivre un message tout à fait intéressant de rigueur en vue d’exploiter les sources de la Chine du XIIIème.
Reconnaissons que la dernière matière citée ne soutient peut-être pas la comparaison avec celle des images coloniales dont il a été question … et que les romans historiques cités échappent à l’actualité encore vivante de l’époque postcoloniale.
Le roman historique d’Antonio Garrido s’appuie sur une recherche très fouillée d’archives datant du XIIIème siècle, à la fois sur l’état de la Chine ancienne et sur l’état de la médecine légale de l’époque, avec la lecture du traité de médecine légale en cinq volumes du Chinois Xi Yuan Ji, publié en 1247, un document qui a fait l’objet de nombreuses traductions.
L’auteur s’intéressait à la médecine légale, et c’est à l’occasion d’un congrès, l’Indian Congress of Forensic Medicine and Technology, à New Delhi, en 2007, qu’il découvrit son sujet à l’occasion d’une conférence.
Est-ce que les auteurs des écrits postcoloniaux critiqués ont fait preuve des mêmes précautions de rigueur méthodologique dans la consultation des sources historiques, le dénombrement des données recueillies, leur interprétation, le discours « scientifique » qu’ils en ont tiré.
Nombre de leurs exposés, remarques, ou appréciations mériteraient de figurer dans une rubrique « Vrai ou Faux », ou de façon plus précise « Faux ou à Vérifier ».
Ces livres diffusent une nouvelle propagande postcoloniale autrement plus efficace que celle de la période coloniale, une propagande d’autant plus pernicieuse, ou perverse qu’elle tend à accréditer un discours idéologique pernicieux pour la collectivité nationale.
Un seul rappel pour terminer, un des propos de l’historienne Lemaire, relatif aux affiches, et à leur effet sur l’inconscient collectif des français :
« Le discours fut véhiculé par des médias touchant des millions d’individus, permettant de répandre et d’enraciner le mythe d’une colonisation « bienfaisante et bienfaitrice », et surtout légitime, dans l’inconscient collectif. Il suffit pour s’en convaincre d’imaginer combien les français pouvaient être sollicités, interpellés par un article, une émission radiophonique, une affiche aux dessins exotiques et aux couleurs chatoyantes, ou encore comment ils pouvaient être marqués par une visite à un stand colonial lors d’une exposition… » « Culture Coloniale – Fixation d’une appartenance (1914-1925)- « Propager ; l’Agence générale des colonies» (p, 137)
L’inconscient collectif, qu’est-ce à dire ? Combien d’affiches année après année ? Combien de postes de radio par année ? N’oublions pas que nous sommes au mieux en 1925.
Je n’aurai pas la cruauté de rappeler la sorte de vrai faux en écriture d’histoire, celui du riz indochinois, que j’ai déjà évoqué, sous le titre « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits ». (CI,p,82)
En résumé, il s’agit d’une manipulation des sources consultées, d’une manipulation des interprétations proposées comme des sentences historiques, c’est-à-dire d’un travail de désinformation historique frappée du coin de diplômes universitaires.
Je rappelle 1) que le contenu des travaux du Colloque savant de janvier 1993 ne conduisaient pas aux conclusions tirées par ces chercheurs,
2) que le contenu du livre Images et Colonies ne conduisait pas non plus aux conclusions tirées par les mêmes chercheurs, outre le fait qu’il soulevait déjà en tant que telle, la question capitale de sa représentativité comme échantillon de situations coloniales très variables, de même que celle de ses effets supposés sur la culture coloniale des Français et des Françaises, non évalués,
3) que le contenu des livres successifs publiés par cette équipe de chercheurs exprime un discours évident et tonitruant de propagande postcoloniale, fondé sur des analyses historiques très fragiles.
Peut-être conviendrait-il de regretter qu’une telle recherche aboutisse à ce gâchis de sources historiques relatives à un passé colonial qui méritait plus de sérieux et d’objectivité.
Dans l’ambiance actuelle, encore plus que dans un récent passé, il est évident que ce type de sujet est de nature très sensible, en même temps que d’une extrême complexité, notamment avec l’émergence d’un islam radical, un mouvement de mondialisation sauvage qui se poursuit depuis des dizaines d’années, l’arrivée de flux d’immigration étrangère que la France n’a jamais connus dans son passé, qu’il contribue à l’enrichissement d’un terreau favorable à toutes les subversions imaginables.
Dans un tel contexte, l’écriture d’une histoire scolaire ouverte sur le monde, qui tienne compte du pluralisme démographique, religieux et culturel qui existe aujourd’hui chez nous est un véritable challenge, d’autant plus redoutable à relever sur des territoires où vivent des Français et des Françaises d’origine immigrée, quand l’on sait que leurs peuples d’origine africaine constituent encore un patchwork religieux et culturel inextricable.
Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés