HISTOIRE ou MÉMOIRE ?
Le Figaro du 21 janvier 2021, pages 10 et 11, avec grande photo de Macron et de Stora dans les ors de la République, sous le titre:
« Macron veut réconcilier sans céder à la repentance »FRANCE – ALGÉRIE (1962 – 2021)
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Question : est-ce que les Français ne s’en « foutent » pas ?
Témoignage d’un ancien officier SAS du contingent en Algérie avec quelques extraits de texte
Le Président s’est lancé dans une opération politique de caractère dérisoire en confiant à Benjamin Stora une mission impossible.
Qui est Monsieur Stora, un universitaire, un historien de l’Algérie, un mémorialiste, ou plutôt l’exemple bien connu des universitaires qui défendent des positions politiques ? Un historien qui passe de l’histoire à la mémoire, et qul se l’approprie ?
Aujourd’hui, « la mémoire juste », après « la guerre des mémoires » et les « mémoires qui saignent », alors qu’il n’a jamais eu le courage avec ses nombreux amis politiques de faire procéder à une enquête sérieuse sur la mémoire collective de la colonisation et de la guerre d’Algérie !
Macron aurait dit : « regarder l’histoire en face » et en même temps « construire une mémoire inclusive ». Est-il bien sérieux de mettre dans le même sac de raisonnement mémoire et histoire ? Il conviendra de demander aux philosophes ce que signifie l’adjectif à la mode « inclusive » et de l’expliquer aux citoyens.
Une commission, des propositions, un calendrier de commémorations bien calé pour les prochaines présidentielles !
Ne prend-t-on pas les Français pour des cons ?
Pour avoir toujours respecté le peuple algérien et avoir servi la France et l’Algérie, la solution ne consiste pas à continuer à enfiler des perles politiciennes et dérisoires,
- Ayez le courage de proposer aux citoyens le tableau statistique de la mémoire coloniale et algérienne des Français et des Françaises, tout en espérant que le même exercice d’honnêteté puisse être effectué en Algérie, avec les mêmes exigences de méthode statistique.
Les agitateurs patentés de notre histoire ont sans doute peur de constater que les citoyens ne sont pas concernés par le sujet.
- d’ouvrir toutes grandes les portes de l’information sur les relations fixées par de multiples accords diplomatiques, dont certains, me semble-t-il, datent encore des Accords d’Evian.
Dernière observation : la comparaison qui a été faite entre la Corée et l’Algérie manque de pertinence historique.
J’ai fait la critique de l’analyse que Lionel Babisz proposait dans le numéro 19 Année 2012 de la revue Cipango sous le titre « Japon- Corée, France-Algérie » : voir article du blog du 20/04/2016.
La critique de fond portait sur la pertinence d’une comparaison historique entre deux cas de contextes historiques très différents.
Pourquoi pas une petite chansonnette à la mode ancienne ?
« Tout le monde s’en foutait !
Tout le monde s’en foutait !
Tout le monde s’en fout !
Tout le monde s’en fout ! »
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Quelques extraits de mon témoignage
« Morts ou vivants, ils l’auraient dit ou ils diraient »
« Guerre d’Algérie Années 1958-1959-1960 »
« Vallée de la Soummam » (p, 60)
« Le sourire hygiénique »
Année 1959
« …Guerre aseptisée, apprivoisée, empaquetée, niée et s’il n’y avait pas eu de temps en temps un cercueil revêtu du drapeau tricolore pour revenir sur la bonne terre de France, personne n’aurait cru, non personne, qu’on jouait avec la mort et la vie en Algérie.
Beaucoup de monde, beaucoup trop de monde en Algérie pour qu’il n’y en ait pas qui refusent d’aller au paradis, sans comprendre ce qui s’y passait, en dehors de ce que racontaient les gazettes
D’autant qu’avec le temps, il se trouvait de plus en plus de jeunes soldats aux yeux ouverts et aux oreilles propres.
D’autant plus que les bons petits français disposaient de l’antidote naturel à leur désir congénital de vanité et de gloire : ils s’adonnaient avec la même ferveur au plaisir masochiste de la mauvaise conscience.
D’autant plus que les intellectuels français en remettaient chaque jour une louche dans les gazettes.
Belle et magnifique intelligentsia, abordant le problème algérien comme la peinture moderne : elle avait peur de manquer le train de l’histoire.
Les Algériens commettaient des crimes abominables et le cœur des vierges chantait la louange des terroristes angéliques. L’Armée commettait des crimes non moins abominables mais elle n’avait aucune excuse atténuante. Gorge et plumes déployées pour accuser toujours et toujours la France et encenser les rebelles, croisés des temps modernes.
Intellectuels croque-morts : l’évènement d’Algérie sorti tout armé de leur plume pour plaire à l’Histoire.
La France n’a pas perdu l’Algérie, mais notre jeunesse y a perdu son âme, ses rêves, dans un cul de sac.
La guerre d’Algérie nous a tous collé à la peau et nous colle encore à la peau : il y avait des salauds des deux côtés et des gens honnêtes dans les deux camps, mais pourquoi toujours condamner la France par avance ?
Etait-il vraiment insensé d’imaginer amener les trois couleurs autrement qu’en laissant nos harkis et moghaznis se faire empaler et embrocher sur les places des villages ?
Ils étaient de plus en plus nombreux à goûter à la drogue du doute et à contaminer famille et amis.
Mais avant que la grande noria tant souhaitée du retour vers la terre natale n’emporte leur contingent d’élus, que de fantasias, de nuits blanches, d’estropiés et de morts laissés sur le carreau, des deux côtés !
Ce jour-là, à l’aube d’un beau matin de Pâques, avec une mer d’huile bleutée et verte, un gros vaisseau pansu et blanc déversa sur les quais d’Alger la blanche sa cargaison habituelle de chair humaine.
Pendant toute la traversée, les petits gars du contingent s’en étaient donné à cœur- joie : les carafons de mascara n’avaient pas beaucoup de peine à chasser nausée et mal de mer, derviches tourneurs, danseuses du ventre, prémonition de gloire ou de mort, avec Sartre en prime.
En avant toute, pour la fantasia, les nuits câlines et voluptueuses, les parfums d’oranger les plus délicats, et la mort à l’aube tout droit sortie du Petit Illustré. »
Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés
Année 1960
« Morts ou vivants, ils l’auraient dit ou ils diraient » (page 94)
« …Le douar reprenait une vie normale, un café maure avait rouvert, même un cinéma, les écoles avaient rouvert leurs portes. Tout semblait dire : la pacification a réussi, on pouvait la toucher du doigt….
Juste une illusion, car le mal était fait. L’histoire avait effectivement franchi ici un pas. Elle ne reviendrait pas en arrière.
Notre merveilleuse intelligentsia avait vu juste, mais elle avait beaucoup contribué à ce qu’il en soit ainsi.
Le sourire hygiénique de la pacification, des hommes et femmes pacifiés, avait remplacé le sourire hygiénique du lieutenant de la SAS.
En dépit d’une certaine paix revenue, les généraux et les colonels n’étaient pas encore rassasiés : les grandes opérations étaient toujours un pur régal. Ils rêvaient toujours des campagnes des grands chefs de guerre, les Bonaparte, Rommel, ou Mac Arthur.
Ils rêvaient toujours de grand-messes militaires et de pompe liturgique et ne pouvaient plus se passer du bruissement des radios, boîtes à merveilles ou boîtes à malices. Le chant des radios, de rose à noir, de rouge à bleu, de Pélican à Colombe, de Thérèse à Monique, ou de tango vert à Balto jaune, flattait toujours leurs oreilles Sans radio, le chef était mort.
Grandes opérations utiles ou inutiles, là n’était pas la question. Que serait devenu l’art militaire, le seul, sans ces exercices de pure esthétique ?
Avec un peu de chances, le colonel aurait bien quelques morts ou prisonniers du camp d’en face à faire valoir aux journalistes et à son commandement avant la fin de la journée, de quoi organiser plus tard une belle prise d’armes.
Le colonel espérait rentrer tôt, car il avait un dîner chez le sous-préfet. La glace tintait déjà dans les verres, la table était fleurie, les femmes jolies. Les joues de la sous-préfète rosiraient lorsque le colonel raconterait les faits d’arme de la journée.
Les petits gars du contingent avaient une obsession plus prosaïque, la quille, le calendrier et le blanc des jours que l’on voulait voir mangé le plus vite possible par le noir du stylo. Il fallait décidemment une bonne petite guerre pour que des hommes de vingt ans veuillent biffer d’un coup deux années de leur vie.
Et des quilles, il y en avait de toutes les sortes, la petite maigrichonne ou la malicieuse, la quille bijou portée en collier, celle qu’on accrochait en sautoir, celle qui pendait à la ceinture… On ne pensait plus qu’à ça. Elle envahissait tout…
Manquaient à la parade les quilles revêtues de noir de ceux qui ne reviendraient jamais d’Algérie… »
Dernier commentaire : jusque dans les années 1939-1945, la grande majorité des Français n’était pas concernée par les colonies. Depuis les années 1980-1990, les Français ont souvent découvert ce passé colonial, du fait de deux facteurs majeurs, les flux d’immigration et l’activité débordante d’une multitude d’ONG.
Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés
Nihil obstat – Marie Christine