Les destinées de Paris « Commune » ou « Etat dans l’Etat » ?
Dans la Capitale, les initiatives Hidalgo mettent en péril les relations institutionnelles actuelles nées dans le contexte historique des années 1970-1980
La Maire actuelle fait tout pour que Paris ne soit plus la capitale de la France ou que l’histoire revienne en arrière.
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Paris occupe une « position » politique stratégique
Il y plusieurs dizaines d’années, en 1993, avec la parution du livre « Paris un État dans l’État », et en 1997, avec la parution du livre « La Méthode Chirac », j’avais proposé une analyse approfondie des institutions parisiennes et des relations institutionnelles existant entre Paris et l’État sur la longue durée : elle démontrait que le mouvement historique entre le pouvoir de l’État, et le pouvoir local, continuait à affecter le couple, pour tout un ensemble de facteurs qui continuent à jouer dans une relation par nature inégale entre institutions étatiques et institutions locales.
Presque quarante ans après les réformes des années 70-80, les relations institutionnelles que j’avais décrites sont à revoir complètement, entre Paris, soi-disant commune de droit commun, les communes et départements sacrifiés de sa banlieue, une métropole qui peine à exister, une région dynamique, et un État central bureaucratique légitimement contesté par nos provinces, sur un écran permanent de communication et de manipulation politique tous azimuts de la part des élus parisiens.
La problématique historique tourne toujours autour de la « position » politique stratégique qu’occupe Paris sur l’échiquier national et international.
L’équipe municipale actuelle a bien assimilé la partition, sans doute trop bien, sauf qu’elle n’a pas les bases politiques nationales nécessaires, et qu’en prenant toutes sortes d’initiatives sur tous les plans, elle met en question à nouveau le bon fonctionnement de ce « cœur » institutionnel français, à la fois sur le plan régional avec la banlieue, proche ou lointaine, et sur le plan national, en rivalisant avec l’État, une situation qui appelle donc une nouvelle réforme institutionnelle.
Les lecteurs un peu familiarisés avec les questions stratégiques connaissent l’importance que les stratégies directes ou indirectes accordent à ce concept de « position ».
Évocation d’un long passé institutionnel
L’histoire des institutions parisiennes n’a jamais été celle d’un « long fleuve tranquille », même si la Maire de Paris a lancé sa campagne sur les rives de la Seine, à Rouen, un fleuve qui a structuré l’histoire de France, alors que cette dernière a « privatisé » les rives dans une ville de plus en plus enfermée sur elle-même, aux petits soins pour les Bobo de France ou de l’étranger.
Il est tout de même surprenant que le Parti Socialiste, en perdition il est vrai, ait donné sa bénédiction à sa désignation comme candidate aux Présidentielles.
Rien n’a jamais été simple à Paris, rien n’est simple de nos jours, et rien ne sera simple dans l’avenir, dans une région toujours en mouvement dans un des cœurs de l’Europe et du monde.
L’histoire de France n’a pas toujours été confondue avec celle de Paris, mais très souvent et fort étroitement, et les gouvernements ont longtemps gardé la main sur les institutions parisiennes, en s’en méfiant, à juste titre.
Sous la Troisième République, la loi du 5 avril 1884 qui a constitué la charte des communes de France jusqu’aux années 1980 n’était pas applicable à Paris : il fallut attendre cette période pour que le préfet, représentant du pouvoir exécutif, passe la main à un exécutif élu.
En 1978, dans leur conclusion au Colloque du Conseil d’Etat sur les institutions parisiennes, MM Thuillier et Tulard écrivaient :
« L’administration de Paris a ses règles, ses coutumes propres en dehors des pratiques habituelles de l’administration : Paris a toujours eu le goût de l’autonomie poussé jusqu’à la fronde, ses administrateurs prennent des initiatives – en matière hospitalière, sociale, scolaire – tentent parfois des expérimentations en dehors de toute permission : c’est traditionnellement un Etat dans l’Etat et les bureaux des ministres n’osent guère contrôler ce qui se passe à Paris (ainsi, à l’ordinaire, le Ministre de la Santé a bien de la peine aujourd’hui – à contrôler l’Assistance Publique qui tend à régler ses problèmes directement avec les Finances).
Les hauts fonctionnaires qui dirigent l’administration parisienne cherchent traditionnellement à échapper à toute tutelle, règlent directement leurs affaires avec les ministres, le Premier Ministre, ou parfois le Château… » (page 96, 97 du premier livre cité)
« En 1978… » : Après la réforme qui a redonné un Maire à la capitale en 1975, avec Chirac, antérieure aux réformes successives qui ont attribué de plus en plus de pouvoirs aux institutions élues de la capitale, le Maire et le Conseil de Paris, notamment, la réforme Defferre du 31/12/1982, sur la décentralisation, avec la création d’un contrôle de légalité a posteriori, un contrôle bien improbable, en tout cas dans les grosses collectivités locales.
Dans le premier livre, en 1993, j’écrivais : « …qui commande à Paris, le Président de la République, le Maire, le Préfet ?… Le pouvoir local est-il vraiment un État dans l’État, comme beaucoup le disent et l’écrivent ? Comment est-il organisé, comment fonctionne-t-il ? » (p,8), et plus loin, sur la longue durée historique :
« L’histoire des pouvoirs publics parisiens met bien en évidence la complexité des relations qu’ont entretenues pouvoir central et pouvoir local et la permanence des enjeux de pouvoir à partir du moment où Paris est devenue la capitale de la France. » (p,13),
L’histoire des institutions parisiennes a été pour le moins chaotique, avec une succession d’accès de fièvre aussi bien sous la Royauté, les Révolutions, les Empires ou les Républiques, pour au moins une raison évidente et permanente, la « position » capitale qu’occupe Paris depuis des siècles, une « position » politique stratégique qui nourrit toutes les ambitions de pouvoir : la tentation a toujours été grande de prendre le pouvoir à Paris, la clé de tous les pouvoirs.
Dans la conjoncture actuelle et avec les Présidentielles, la « position » politique et stratégique de Paris a nourri, une fois de plus, toutes les ambitions, aujourd’hui celles de la Maire de la capitale, d’autant plus que la capitale constitue une plateforme d’images, d’information, de communication, de toutes sortes d’ « influences » sur les réseaux sociaux, donc une plateforme d’influence et de pouvoir sans égale, et tout autant de manipulation.
La Maire de Paris n’aurait sans doute pas pu bénéficier du soutien d’une équipe municipale, politiquement multicarte, si ses membres n’y avaient vu également leur intérêt, celui de disposer d’un levier politique qu’ils n’auraient jamais eu avec les minorités politiques ou civiles qu’ils représentaient, les communistes, les fractions écolos, et un Parti Socialiste exsangue.
Est-ce que la Maire de Paris et candidate aux élections présidentielles de 2022 n’a pas abusé de cette « position », alors qu’avant tout, elle est la Maire des minorités, des réseaux sociaux, et des initiatives démagogiques ? Il est évidemment légitime de se poser la question ?
En 1993, je notais que la lutte était engagée sur le terrain de l’information (p,37), alors que la municipalité de Chirac se dotait d’un impressionnant service d’information et de communication, tout en se dotant également d’une Direction des Relations Internationales, sorte de petit Ministère des Affaires Étrangères au service de la Ville de Paris, celle de Chirac, puis de Delanoë, et de nos jours d’Hidalgo.
Rappelons à toutes fins utiles que Chirac avait pris Paris avec la même ambition présidentielle, mais en s’appuyant sur un parti bien installé et toujours vivant sur le territoire national.
Tout a changé en trente ans avec l’irruption explosive d’internet et des réseaux sociaux qui fonctionnent sans contrôle et mettent en péril les institutions de la République.
La « position » stratégique de Paris et ses incidences politiques
Afin de bien comprendre toutes les possibilités que recèle la « position » de Paris, il n’ y a rien de mieux que d’éclairer notre analyse par celle, complète, qu’en a faite François Jullien dans ses ouvrages, notamment « La propension des choses – Pour une histoire de l’efficacité en Chine » (1992) et son « Traité de l’efficacité » (1996).
François Jullien a analysé en profondeur plusieurs concepts d’analyse et de raisonnement stratégique familiers à la culture chinoise, « la propension des choses », la « disposition », la « position », des concepts qui permettent de bien comprendre comment agit la « position » qui n’est plus celle des Empires Chinois, mais qui fait jouer les mêmes mécanismes stratégiques à partir de toutes sortes de « positions » naturelles ou construites, militaires, politiques, ou civiles, culturelles ou religieuses, etc…
Les concepts en question éclairent bien le fonctionnement d’une « position politique stratégique » comme Paris, jusqu’au « potentiel de manipulation ».
Dans le premier livre, François Jullien écrit : « Le potentiel nait de la disposition (en stratégie) » (p,23) – « La position est le facteur déterminant en politique » (p,37) – « En occupant sa position, le prince régit les hommes comme s’il était lui-même le Ciel (la nature) ; il les fait fonctionner comme s’il appartenait lui-même au règne invisible des « esprits ». Ce qui signifie que, en laissant simplement œuvrer le dispositif de pouvoir que constitue sa position, il ne peut (de même que le cours du Ciel) dévier de la régularité de sa conduite ni, par conséquent, prêter à la critique » ; et que hantant le monde humain sur un mode invisible (à l’image des esprits), il n’aura jamais à « peiner », puisque ses sujets se sentent déterminés non par une causalité extérieure, mais sous l’effet de la pure spontanéité. Ils sont agis comme s’ils agissaient d’eux-mêmes, ils se prêtent à la manipulation comme si c’était l’expression de leur propre intériorité. Pourvu donc, que la « position fonctionne », si rigoureuse que soit l’injonction, elle ne saurait rencontrer d’obstacles » (p,48,49)
« Conclusion I Une logique de la manipulation
I – Conduite de la guerre – gestion du pouvoir : en même temps qu’on pressent une affinité certaine entre ces deux objets… Même analyse, donc, de part et d’autre : sur le plan pratique, se laisser voir, c’est donner prise à l’autre et le laisser avoir barre sur soi ; sur le plan théorique, le vrai manipulateur se confond avec le fonctionnement du dispositif. » (p,56 à 59)
Le sinologue et philosophe montre bien à la fois ce qu’est une « position » et comment elle fonctionne grâce aux multiples « dispositions » d’actions et d’influences qu’elle recèle, pour ne pas dire, comme c’est à nouveau le cas aujourd’hui, un potentiel de prise du pouvoir, dans un nouveau face à face entre le local et l’étatique, entre la Commune et l’État, mais tout autant entre Paris et sa banlieue, Paris et la Région dans un contexte de millefeuille où la métropole n’a pas réussi à trouver sa place, et ne peut pas la trouver.
Années 2020
Les Points de rupture institutionnels
L’équipe municipale actuelle met presque chaque jour la Ville de Paris en ébullition, sens dessus dessous : très récemment en chamboulant les voies de circulation, en multipliant les travaux, les interdictions, au mépris des habitants de la banlieue et des activités économiques de la capitale, comme si les institutions de l’Etat n’existaient pas, les assemblées ou le gouvernement, l’ensemble des représentations diplomatiques, les Préfets actuels donnant l’impression d’être aux abonnés absents : la Maire donne les ordres.
Je serais très tenté de dire que la Maire de Paris commet des « abus de pouvoir » sans contrôle, alors qu’elle s’appuie sur une majorité politique hétérogène et éphémère.
La politique menée, excessive, ignore le rôle vital qu’un « cœur », quelle que soit sa nature, accomplit pour une bonne circulation du sang dans un corps, dans le cas présent dans l’ensemble de la région et bien au-delà.
Paris est ouvert à tous les vents, souvent de l’étranger, avec par exemple un Qatar qui occupe, avec le PSG, une « position » de choix dans la communication de Paris et donc de la France, une forme de capture d’image qui ne dit pas son nom, alors que Paris s’enferme comme dans une forteresse, aujourd’hui Bobo, avec une équipe municipale des minorités et des réseaux sociaux
Le « périphérique » n’est pas uniquement physique !
Paris a pris tout un ensemble de mesures de circulation et de stationnement qui valent bien les « octrois » du passé – il faut payer cher pour y accéder -, des octrois supprimés en 1943 par le Régime de Vichy, en biffant la solidarité nécessaire entre Paris et sa banlieue.
Ajoutons enfin que Paris reste au cœur de l’etablissment français qui continue à gouverner notre pays, à imposer sa loi et sa bureaucratie à nos provinces françaises.
Conclusion :
il faut à nouveau tout changer et redistribuer les pouvoirs de la cité entre des institutions qui soient au service des citoyens dans toute la région d’Ile de France, avec un Etat passif et immobile de peur qu’on ne l’accuse de violer les libertés locales.
- Il faut rétablir l’égalité et la solidarité des chances entre Paris et les cinq départements du Val de Marne, des Hauts de Seine, de Seine-Saint Denis, du Val d’Oise, et de l’Essonne et sans doute revoir la répartition des compétences entre institutions,
- Il faut transférer à la Région Ile de France les pouvoirs de l’Etat dans les domaines non régaliens : économie, emploi, environnement, enseignement, santé, culture…
Jean Pierre Renaud Tous droits réservés