Morts pour la France ! Morts pour la France ! Morts pour la France !!!!!

 Soldats de 14 et de 18, soldats de 39 et 45, soldats de 54 et 62, avez-vous entendu cette mélodie officielle funèbre des Invalides ?

            Nos milliers de morts en 14-18, des milliers et des milliers emportés et dispersés en morceaux, en un seul jour de campagne, à Verdun, dans la Somme, ou en Champagne ! Des millions au total !

            Des milliers de morts au cours des deux autres conflits, morts pour la France, des morts célébrées aux Invalides ?

            La mort a-t-elle changé à ce point ?

            Ou nos dirigeants ont-ils changé à ce point ?

            J’ai beaucoup hésité à écrire ce petit texte, au risque de heurter certains esprits, mais pourquoi ne pas dire à haute voix, ce que pensent beaucoup de Français ?

            Loin de moi l’idée de ne pas rendre hommage à nos  morts pour la France, mais pas comme cela !

            Hommage oui, et encore plus que dans le passé, car combien des enfants de France seraient encore prêts à mourir pour elle ?

Certains diraient volontiers : heureusement la France compte moins d’imbéciles !

            Les cérémonies d’hommage de la nation aux Invalides causent un vrai malaise, car elles masquent, à la vérité, le manque de courage de nos dirigeants politiques.

            Ils sont trop souvent prêts à engager nos forces armées dans des opérations extérieures, plus ou moins justifiées, mais ils refusent d’assumer leur responsabilité, la mort de nos soldats.

Ils croient s’en dédouaner en se livrant à ce type de formidable opération de communication politique d’hommage de la nation aux Invalides.

            Imaginez un peu ce qui se serait passé pour rendre le même hommage aux milliers et milliers de morts que la France a perdus au cours des guerres précédentes?

Chaque jour, la France aurait vu défiler aux Invalides, le Président, le Premier Ministre, un ministre, ou le ministre tout désigné des anciens combattants vivants ?

            Ces gens-là ne sont pas sérieux !

            Jean Pierre Renaud

Guerres d’Afrique, 130 ans de guerres coloniales? Le livre de Vincent Joly, lecture critique

Guerres et guerres ? Guerres coloniales ?

« Guerres d’Afrique

130 ans de guerres coloniales

L’expérience française »

Vincent Joly 

Lecture critique

Volet 1

 Avant toute analyse, je serais tenté de dire, sans nécessairement user d’un paradoxe, ni vouloir déstabiliser le lecteur, qu’au cours de ces cent trente années, la France, c’est-à-dire, son peuple, n’a jamais fait de « guerre coloniale » en Afrique, sauf pendant la guerre d’Algérie, et beaucoup de citoyens de France savent comment elle s’est finie, c’est-à-dire grâce précisément à l’intervention de son peuple, c’est-à-dire le contingent.

            Car, en l’absence d’une armée professionnelle, il en aurait été peut-être, et sûrement, autrement !

            Nous reviendrons sur cette réflexion liminaire paradoxale, car le lecteur aura la possibilité, au terme de notre analyse, notamment celle des troupes coloniales, de mieux en comprendre le sens.

            Mon analyse sera longue, car avant même la lecture de ce livre, le sujet a occupé une partie importante de mon temps, en lectures, recherches de sources, consultations d’archives, et réflexions.

            Nous reviendrons tout d’abord sur le contenu général de ce livre, puis nous aborderons les questions de fond que pose l’ouvrage, et enfin les ambiguïtés, peut-être inévitables, que recèle un tel travail.

Un éclairage historique récapitulatif et comparatif utile, mais ambitieux

            L’auteur avait l’ambition de brosser les caractéristiques de l’évolution historique des guerres coloniales en Afrique entre 1830 et 1960et son pari est en gros réussi, même si ce travail important d’historiographie soulève encore beaucoup de questions, dont les deux premières portent sans doute, d’une part, sur la nature de son fil conducteur, et d’autre part, sur son articulation historique.

            Une des particularités de cet ouvrage est sans doute liée en effet au traitement de l’information historique beaucoup plus par le biais de concepts, guerres et violences, expériences, pratique de la guerre coloniale, l’outil, la paix française, les résistances africaines, l’usage métropolitain de la guerre coloniale avant 1914, la pacification, le maintien de l’ordre, la guerre psychologique, que par celui de la chronologie historique des guerres coloniales dont les caractéristiques furent très différentes tout au long de cette période de cent trente années.

            Quoi de commun entre Bugeaud et Leclerc, ou entre Abd el Khader et Ho Chi Minh ?

            Comment procéder à cette analyse de la longue durée, sans minimiser deux ruptures historiques sont souvent ignorées, ou au mieux, minorées, par beaucoup de chercheurs, la première guerre mondiale de 1914-1918 qui a vidé la France du sang de son peuple pour de longues années, et la deuxième guerre mondiale, fruit amer de la première, qui a bouleversé les enjeux de la planète, avec notamment l’arrivée de la guerre froide ?

            Les guerres d’Indochine ou d’Algérie seraient à classer dans la catégorie des guerres coloniales ?

            Cet ouvrage a le mérite d’ouvrir le champ de la connaissance par une analyse comparative des guerres coloniales menées précisément dans la première période des conquêtes par les autres puissances européennes, la Grande Bretagne, l’Allemagne, l’Italie, le Portugal et l’Espagne.

            Un oubli sans doute, celui de la Belgique, car la comparaison avec la France coloniale serait au moins aussi pertinente que celle de la Grande Bretagne !

            Nous reviendrons sur le sujet, car l’auteur ne semble pas avoir tiré tout le parti qu’il était possible de tirer de la comparaison des autres expériences de guerre, car il aurait été intéressant de comparer les types de conquête coloniale des différentes puissances, entre par exemple la guerre anglaise contre les Ashantis, en 1874, et celle des Français contre le roi Béhanzin en 1894, la conquête française du Congo comparée à la belge, ou encore les grandes différences qui existaient dans les configurations militaires du véritable outil de la conquête coloniale que fut la « colonne », entre la méthode française, le plus souvent artisanale, et la méthode anglaise beaucoup plus lourde, industrielle.

 Comme l’auteur l’a d’ailleurs indiqué, le colonel Péroz a écrit des choses intéressantes sur le sujet, lourdeur des colonnes, côté anglais, et légèreté, côté français, pour ne pas dire économie « forcée » des moyens.

            N’aurait-il pas été intéressant de comparer des guerres comparables, notamment celles menées sous la forme de grandes expéditions militaires à la fin du 19ème siècle et

au début du suivant, de type industriel, telles que celles citées dans l’ouvrage, les italiennes, les anglaises de l’Afrique du Sud, et les françaises de la même époque, au Tonkin et à Madagascar, très différentes des petites expéditions, le plus souvent à court de moyens, qui partirent à la conquête de l’Afrique occidentale ou centrale, en ce qui concerne la France ?

            Car le découpage conceptuel qui est retenu par l’ouvrage tend à juxtaposer, plus qu’à comparer expériences ou guerres coloniales.

            Observations intéressantes sur la position de l’Islam dans les conflits décrits, mais surtout sur les « résistances » au conquérant.

Pour avoir beaucoup analysé les opérations de conquête française de l’Afrique occidentale (1), je partage l’opinion de l’auteur sur la nature des résistances africaines de l’époque :

« Les nécessités de l’unification nationale ont poussé les dirigeants des pays nouvellement indépendants, y compris ceux qui n’avaient pas connu la lutte armée pour se libérer, à forger des mythologies résistancialistes souvent autour de grands personnages comme Samori en Afrique de l’Ouest. » ( page 134)

Plus novatrices,  pour certains lecteurs, sont sans doute les pages consacrées aux révoltes importantes qui ont eu lieu pendant la première guerre mondiale dans l’Afrique de l’Ouest, notamment  dans le Bélédougou, le pays Mossi, dans le nord du Dahomey, en pays Touareg, révoltes motivées principalement par le refus du recrutement.

Ces révoltes montraient bien les limites de la fameuse pacification, ou de la nouvelle « paix française ».

Au Tonkin, la révolte de Yen Bay, en 1931, en fut un autre signal significatif. 

Dérangeantes par ailleurs pour certains chercheurs, les pages consacrées aux réactions de l’opinion publique sur les conquêtes coloniales !

L’auteur écrit :

«  Fabriquer des héros ?

L’histoire coloniale de la France recèle un étonnant paradoxe. Alors qu’avant 1914, tout le monde s’accorde à dénoncer l’indifférence de l’opinion publique à l’égard de l’expansion d’outre-mer, les événements et les acteurs de cette dernière occupent une place considérable dans la presse, la littérature ou encore les programmes scolaires. Ainsi, ils contribuent à populariser non pas une culture coloniale mais plutôt un impérialisme populaire dont l’armée constitue l’élément central et dont on mesure la vigueur à l’occasion de crises comme celle de Fachoda. » (page 163)

Comment ne pas regretter que l’auteur n’ait pas cru pouvoir citer, dans sa riche historiographie, des travaux qui auraient permis de sortir de la formule banale du « tout le monde » ?

Et pour la suite, mon opinion est plutôt réservée sur le concept « impérialisme populaire », car je maintiens qu’à l’heure actuelle, aucune démonstration statistique sérieuse ne vient accréditer à la fois l’importance des vecteurs de « culture coloniale », ou ici, comme proposé par l’auteur, d’«impérialisme populaire », et encore moins de leurs effets sur l’opinion publique.

La première appréciation historique aurait été d’autant plus intéressante qu’à la page 168, l’auteur cite une source d’évaluation du « fait colonial », plutôt significative, celle d’une enquête faite par le capitaine Roland, entre 1903 et 1907, sur les conscrits : 8% d’entre eux ignoraient ce que fut la mission Marchand, et 15 % seulement d’entre eux avaient entendu parler de l’amiral Courbet.

Pour avoir effectué un certain nombre de recherches sur la presse de ces époques, et pour avoir évalué, à partir de leurs sources, le discours que tient un petit groupe de chercheurs sur une culture coloniale ou impériale qui aurait imprégné les Français et laissé des traces dans leur « inconscient collectif », je confirmerais volontiers qu’ils n’ont jamais été vraiment concernés par la fameuse expansion coloniale, que ce soit avant 1914, ou après 1918.

J’ai en effet analysé (2), vecteur par vecteur, ceux cités par ce petit groupe de chercheurs, la presse, les livres scolaires, les affiches, le cinéma, les expositions, et la propagande coloniale elle-même, en concluant à une démonstration statistique et historique notoirement insuffisante.

Volet 2 de la lecture la semaine prochaine

(1)          Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large  – Le rôle de la communication et des communications dans les conquêtes coloniales (AOF-Tonkin- Madagascar-Fachoda- 1870-1900)

2006–Editions JPR

(2)          Supercherie coloniale- 2008- Mémoires d’Hommes

Humeur Tique: les filles d’Afghanistan à l’école, enfin une bonne nouvelle!

       Lu dans le Monde du 2 mars 2011, page 4, sous le titre, un extrait:

            « Dans les pays en guerre, écoliers et enseignants sont devenus des « cibles légitimes »

            … Alors que les filles n’étaient « que 5.000 à l’école en 2001, date de la chute du régime taliban, 2,4 millions de jeunes Afghanes sont actuellement inscrites à l’école. »

            Enfin une bonne nouvelle qui nous vient d’Afghanistan !

            Avec toutes les difficultés que souligne toutefois la chronique !

            S’il n’y avait déjà que ce seul résultat positif de l’intervention de l’Otan dans ce pays, tous les sacrifices consentis n’auraient pas été complètement inutiles !

Guerre d’Algérie: « La grotte », roman de Georges Buis

Lecture

Une lecture de vacances sur la guerre d’Algérie, un livre acheté dans une brocante d’été

            Un livre du colonel Buis, écrit dans les années 1959-1960, et publié en 1961. Je ne l’avais jamais lu, car j’ai toujours manifesté une grande méfiance à l’égard de tous les livres de témoignages sur la guerre d’Algérie.

            Or il se trouve que j’ai trouvé dans ce livre une situation, une problématique, et un regard sur l’adversaire qui me furent familiers dans un secteur militaire voisin de celui du colonel Buis, sur l’état d’esprit et le comportement des militaires, des combattants algériens et des civils.

            A la fin du siège et de la réduction (par morts ou prisonniers) d’une grotte immense, aux ramifications nombreuses et profondes, dont l’entrée était cachée sur une très haute falaise, le héros du roman, le commandant Enrico est récompensé de son succès militaire par une mutation de sa hiérarchie qui sanctionne son refus de la politique officielle de regroupement de la population, et comme dans une tragédie antique, il est assassiné, puis égorgé, avant son départ d’Algérie, par un des rares survivants de la grotte.

            Double symbole donc de l’échec du commandant Enrico !

            Le décor de cette action militaire est superbe, et le savoir-faire militaire, à la fois classique, technique, et d’abord humain, mis en œuvre pour réduire cette grotte, est exceptionnel.

            Une certaine conception de la guerre 

            Le roman décrit bien les états d’âme d’un officier confronté à la complexité de cette guerre et le paragraphe suivant en propose un bon exemple :

            « Enfin – deuxième point –  je pense que pour réaliser le processus en cours et pour « contrer » celui que je pressens de la part des rebelles, il faudrait qu’il y ait un capitaine Valère par sous-quartier, soit mille capitaines Valère en service à la fois dans ce pays. Or, honnêtement, je ne crois pas qu’il y en ait dix dans toutes l’armée ou ailleurs. Alors ? Alors, c’est une question à traiter à la tête, par la politique, puisqu’on ne peut la traiter à la base par empirisme. » (p,88)

            Le commandant Enrico affiche un grand scepticisme sur la fameuse action psychologique de l’armée, et au cours de ses nombreuses conversations avec ses capitaines, il décrit la complexité des codes de langage, d’interprétation, de compréhension ou de non – compréhension qui existaient entre militaires et civils : qui était qui et quoi ? Les non-dits, les silences, les lâchetés, souvent légitimes…

            Lorsqu’on a fréquenté des villages kabyles à la même époque, la relation qu’en fait le commandant, à sa descente d’hélicoptère, est tout à fait celle qui aurait pu être mienne dans le douar des Béni Oughlis  (sans hélicoptère) :

            « Enrico appuyé sur sa canne, vent aboli, regardait cent cinquante sacs. Il maîtrisait de toute sa volonté une envie folle de s’asseoir parmi eux, d’être l’un d’eux, de parler avec eux… » (p,118)

            Les « sacs » silencieux que l’on rencontrait alors devant la mosquée de chaque village !

                        Un jugement sévère à la fois sur la guerre psychologique et sur la politique de regroupement de la population qui lui vaudra donc, à la suite de la visite d’un missus dominici de l’état major, sa mutation.

            Une dernière citation pour bien comprendre ce que pouvait être l’état d’esprit d’un officier lucide et expérimenté, à la fin d’un séjour en Algérie :

            « Pas d’assis aujourd’hui. Tout le village s’égaillait au travail…On eût dit un village heureux. Il fallait la surprenante solidarité qui liait secrètement dans une humiliation de même nature l’armée à la population, pour qu’Enrico sentît qu’une mince feuille d’isolant séparait l’image de la réalité. Car, appartenir, en dépit des apparences, à cette catégorie de gens à l’égard de qui les possédants, les technocrates, les malins, pratiquent un même paternalisme hypocrite, crée, sur fond de frustrations consenties ou subies, des sensibilités étrangement voisines. Mais si ce réflexe fondamental et affectif était un bon point de départ pour se comprendre, il n’offrait malheureusement aucune possibilité d’accord politique… (p,301)     

                                                                        Jean Pierre Renaud