Le choc des cultures dans le Bush Australien (début du XXème siècle)

Le Choc des cultures au début du XXème siècle

Arthur Upfield dans le Bush Australien

Le métissage

Dans le Bush australien, à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, avec le policier métisse Napoléon Bonaparte et Arthur Upfield, le choc des cultures entre les aborigènes et les colons blancs

            Mes études et mes lectures m’ont formé à la connaissance des mondes étrangers d’Asie et d’Afrique, une formation qui a été mise à l’épreuve sur le terrain, en Afrique noire, à Madagascar, et en Algérie, aussi bien sur le plan familial ou professionnel, qu’ultérieurement par la curiosité intellectuelle que j’ai manifestée en lisant des témoignages, récits de vie, essais, ou romans de littérature étrangère, nourris du passé ou de l’actualité.

            Au fur et à mesure des années, j’ai acquis la conviction que dans les rapports humains et sociaux entre membres de communautés d’origine géographique différente, la connaissance des cultures constituait la clé des relations de confiance qu’il était possible de nouer avec les autres communautés.

            Autre conviction, il n’y a souvent rien de mieux pour connaître les cultures étrangères que de lire des romans policiers de nature historique qui nous font plonger dans les univers culturels étrangers, beaucoup mieux que beaucoup de dissertations savantes : il m’est donc arrivé de beaucoup fréquenter des auteurs comme Robert Van Gulik, pour la Chine, Hillerman, pour les Indiens des Etats Unis, ou Upfield, pour le monde des Aborigènes d’Australie.

            Avant d’aller plus loin, il convient de dire un mot du métissage des cultures avec les difficultés qu’un couple mixte de deux personnes issues de deux mondes différents rencontre inévitablement pour entrer dans toute la complexité d’une culture venue d’ailleurs, comme ce fut le cas en Australie, comme ailleurs, à l’occasion des premiers contacts et échanges entre colons et aborigènes qui semblaient vivre dans un autre monde sur une autre planète.

Ceci dit dans le monde actuel le métissage ouvre un chemin de rencontre entre cultures différentes, tout en s’inscrivant dans une mouvance démographique mondiale

Nous avons retenu l’exemple du policier Napoléon Bonaparte parce qu’au-delà de ses récits palpitants, il incarnait un mélange de caractéristiques, de défauts et de qualités, appartenant à deux communautés humaines qui, a priori, se situaient aux extrêmes, les aborigènes étant alors considérés comme le type même du peuple primitif, encore issu de la préhistoire, ce qui n’était pas le cas, selon les critères de jugement et de valeur de beaucoup de blancs de l’époque.

Je crois avoir lu la presque totalité des romans policiers relatant les enquêtes et aventures du policier métisse Napoléon Bonaparte, dans le Bush australien, Bony pour les intimes, né d’un père colon et d’une mère aborigène morte très jeune, en fait assassinée pour avoir violé la loi de sa tribu.

Arthur Upfield (1888-1964), l’auteur, eut une vie bien remplie. N’appréciant pas le manque de réussite scolaire de son fils, son père l’expédia en Australie à l’âge de dix-neuf ans. Il roula sa bosse dans différents métiers, s’engagea pendant la Première Guerre Mondiale, combattit en France et retourna en Australie. Passionné d’écriture, il eut la chance de mettre la main sur les récits très riches d’un métisse policier qu’il exploita intelligemment pour rédiger l’ensemble d’une série policière de près de trente titres.

Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

Relations entre la France et l’Algérie (1962-2020) – 4 – Mémoires fictives et mémoires dangereuses – Mediapart avec Stora, Jenni, et Ferrari

Les Relations entre la France et l’Algérie (1962-2020)

Vive l’Indépendance de la France !

Les Confidences du Président à Arthur Berdah, journal du Figaro du 6 novembre 2020, page 8, sous le titre « Islamisme : ce que Macron a en tête »

« Initiatives mémorielles… organisationnelles… politiques…cet impensé… »

« Ventre Saint Gris » ! Comme aurait juré Henri IV !

 Presque 60 ans plus tard !

Vive enfin l’Indépendance de la France !

4

Ci-après une chronique déjà publiée le 21/04/2017, toujours d’actualité, intitulée :

« Histoire, mémoire, roman, propagande, subversion ? »

Plus d’un demi-siècle plus tard !

Autour des « Raisins Verts » ?

Quatrième et dernier épisode

Mémoires « fictives » et « mémoires dangereuses » !

« L’histoire est un roman qui a été, le roman de l’histoire qui aurait pu être »

« Les Frères Goncourt »

Une suggestion de dissertation pour les élèves des deux professeurs Alexis Jenni et Jérôme Ferrari, au choix, entre « La chute de Rome » et « L’art de la guerre »

« Pour ou contre la lecture des Frères Goncourt d’après laquelle l’un ou l’autre des deux romans n’est qu’ « roman de l’histoire qui aurait pu être », c’est-à-dire la leur ? »

&

Au Club de Mediapart, Benjamin Stora et Alexis Jenni, dialoguent sur les « mémoires dangereuses »

« Le Club de Médiapart…

Les mémoires dangereuses. Extrait d’un dialogue

Extrait des mémoires dangereuses » (Ed Albin Michel, 2016), début du dialogue entre Alexis Jenni de « L’art français de la guerre » (Ed Gallimard) Prix Goncourt, 2011, et Benjamin Stora »

            Il s’agit d’un extrait tout à fait intéressant, parce que symbolique de la production d’un courant intellectuel qui tente encore de tenir un petit pan de l’opinion publique en haleine, pour tout ce qui touche aux pages les plus sombres de l’histoire de notre pays, tout en se défendant du contraire.

            Pourquoi ne pas dire dès le départ que ce type de discours incarne et diffuse une forme de perversion intellectuelle sur l’objet « mémoires » ?

            Rappelons succinctement quelles sont les Tables de la Loi du site Mediapart : une information de qualité, cultivant l’indépendance, la pertinence, et l’exclusivité.

Qualité ? Soit ! Indépendance ? Un site qui ne serait pas irrigué par une ancienne et continue idéologie tiers-mondiste, ce qui veut dire une forme subtile de « servilité » à une idéologie ? Pertinence ? Nous verrons. Exclusivité ? Il parait difficile d’appliquer ces principes au contenu de ce dialogue, pas uniquement en raison du goût des deux dialoguistes pour tous les médias.

Ce dialogue draine beaucoup des mots qu’aime utiliser Monsieur Benjamin Stora, en jouant sur les multiples facettes du mot « mémoires », aujourd’hui « dangereuses », hier en « guerre », de nos jours « communautaristes », et récemment avec la profession de foi d’un apôtre de la paix des mémoires, selon une chronique récente du journal La Croix.

« Le prisme de la guerre d’Algérie…. Une histoire qui a été longtemps occultée

C’est à si perdre, tant son discours est toujours aussi tonitruant, nourri d’affirmations et de certitudes répétées à satiété sur l’état de ces « mémoires », sans jamais, jusqu’à présent, et sauf erreur, avoir jamais donné la moindre mesure de cette guerre des mémoires. Monsieur Jenni parle de « guerre culturelle ».

Est-il pertinent de tenir un tel discours mémoriel sans avancer la moindre évaluation des phénomènes décrits ? Non !

            Les mots tonitruants ?

            Monsieur Stora abrite son discours sous le parapluie d’une « histoire du Sud » laquelle ferait l’objet d’un « déni », en évoquant l’existence de trois mémoires celles des rapatriés, des anciens appelés du contingent d’Algérie, et  des enfants ou petits-enfants issus de l’immigration algérienne.

            « Aujourd’hui, la mémoire de cette guerre fait retour, massivement, dans les sociétés, algérienne et française… »

            Il conviendrait d’expliquer par quelle voie cette « histoire » ou cette « mémoire » fait aujourd’hui retour massivement  chez les enfants ou petits-enfants nés après 1962.

            S’agit-il 1) de l’Algérie ou de l’Empire colonial ? 2) de l’opinion du mémorialiste, fils d’un rapatrié de Constantine, ou enfin de la mesure de ce retour massif de la mémoire de cette guerre?

            A lire ce dialogue, la guerre des idées ferait rage, « des affrontements mémoriels d’une grand violence symbolique », « Ce conflit mémoriel », « Cette bataille culturelle », en dépit du « déni », du « refoulement », de la « dénégation » de notre pays, toutes caractéristiques  abondamment décrites en chœur par les deux dialoguistes ?

            J’oserais écrire volontiers que ce type de discours ne correspond pas, jusqu’à preuve du contraire, à la situation historique actuelle de notre pays.

            J’oserais écrire une fois de plus que le peuple de France n’a jamais eu la fibre coloniale, que l’empire, sauf exception, n’a jamais été la préoccupation des Français, que la question coloniale a fait irruption dans notre histoire avec la guerre d’Algérie, et de nos jours, avec la présence d’une population d’origine immigrée largement nourrie par l’ancien domaine colonial.

J’oserais écrire qu’en 1962, la grande majorité des Français et des Françaises ont été contents de se débarrasser du dossier algérien, et qu’à ma connaissance, la France d’alors n’a pas accueilli joyeusement le flot des rapatriés venus d’Algérie, comme s’en rappelle sans doute l’actuel Président  de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration.

            J’oserais écrire que ce type de discours mémoriel est étranger à celui de beaucoup des soldats, sous-officiers, officiers qui ont fait la guerre d’Algérie, faute pour le gouvernement de gauche de l’époque d’avoir su ménager une vraie voie d’évolution politique de l’Algérie.

            Beaucoup d’entre eux ont livré publiquement le fruit de leurs mémoires, et rien n’a été caché, le blanc comme le noir, comme dans toute guerre.

Deuxième partie

Non Messieurs Stora et Jenni, nous,  anciens soldats du contingent n’avons pas tous torturé, violé les femmes algériennes, fait partie d’une armée soi-disant « coloniale » !

            C’est un mensonge de dire que ces histoires ont fait l’objet d’un déni de la part des Français qui ont été tenus largement au courant de ce qui se passait en Algérie ou dans les autres colonies, pour le petit nombre que la chose concernait et intéressait, car il n’y en avait pas beaucoup.

            Dans la vallée de la Soummam, plus en état d’insécurité qu’à Alger, Oran, ou Constantine, dans les années 1959-1960, il m’est arrivé de pouvoir me procurer le journal Le Monde, lequel n’était pas spécialement tendre, et même honnête, à l’égard de notre action en Algérie.

            Ce type de discours est à mes yeux une forme beaucoup plus subtile et plus massive de propagande que ne l’a jamais été la propagande coloniale.

            L’historienne Sophie Dulucq a consacré une étude approfondie de l’écriture de l’histoire ou de l’historiographie à l’époque coloniale, et tout au long de son ouvrage, comme je l’ai signalé dans ma lecture critique sur ce blog, court un des nombreux fils conducteurs, à savoir la question de savoir si ses rédacteurs étaient soumis à une servilité à l’égard du ou des pouvoirs.

            Ma conclusion était on ne peut plus nuancée, en observant qu’il existait plusieurs sortes de servilité, notamment dans la catégorie idéologique, les quatre plus récentes étant le marxisme, le tiers-mondisme, le marché en monnaie sonnante et trébuchante, et la repentance- victimisation- assistance.

            Le discours mémoriel de Monsieur Stora relève d’au moins une des formes de cette servilité.

            Mais puisqu’il s’agit aussi d’histoire au moins autant que de mémoire, pourquoi ne rangerait-on pas les deux romans de Messieurs Jenni et Ferrari, couronnés tous deux par le prix Goncourt, dans la catégorie des romans historiques, avec deux auteurs qui, avec un réel talent d’écriture, réécrivent un pan de l’histoire de France ?

            Etrangement ces deux romanciers troussent leurs intrigues en mettant en scène une partie de notre histoire coloniale, d’abord celle de la guerre d’Algérie, en donnant vie ou parole à certains de leurs personnages qui émaillent leur récit d’exemples qui généralement ne font pas à honneur à notre pays.

            Seul problème, Monsieur Ferrari n’a connu de l’Algérie, sauf erreur, que celle récente des années 2003-2007, au cours de son expérience de professeur en Algérie pendant ces quelques années, et Monsieur Jenni, en effectuant ses propres recherches historiques en France comme il l’indique dans le dialogue :

            « J’ai écrit l’Art français de la guerre en me documentant par moi-même, mais après sa parution, j’avais été très frappé de réaliser l’ignorance extraordinaire des gens sur l’histoire coloniale en général : notre propre histoire nous est totalement méconnue. Je tombais des nues : moi qui ne suis pas historien du tout, je me suis rendu compte que tout ce que j’avais trouvé facilement était ignoré par le public – je n’étais pas chercheur, je n’avais pas fréquenté des bibliothèques universitaires pour trouver ce dont j’avais besoin pour écrire sur l’Algérie coloniale, j’ai seulement ramassé ce qui était accessible au grand public. Je me suis rendu compte de l’ignorance à l’égard de notre histoire, et aussi de l’ignorance à l’égard des autres, qui est encore plus profonde. »

            Est-ce que ces propos n’apporteraient pas la preuve de la thèse que j’essaie de défendre depuis quelques années, à savoir que la France n’a jamais été coloniale, que seule la guerre d’Algérie par son côté de sale guerre comme toutes les guerres subversives,  a fait découvrir à l’opinion publique, mais surtout aux familles des jeunes gens du contingent, un des domaines de cette histoire, où, comme par hasard, existait la seule communauté européenne.

            Ai-je besoin d’ajouter, comme je l’ai déjà écrit aussi, que dans beaucoup de situations algériennes, hormis la côte, tous mes camarades constataient que l’Algérie n’était pas la France ?

            Un mot encore sur le prix Goncourt et sur les pseudo-romans de guerre !

            Par un étrange concours de circonstances, et au début du siècle passé, à l’heure de la colonisation soi-disant triomphante, dans une France qui « baignait dans la culture coloniale », dixit le collectif Blanchard and Co, le même prix Goncourt, en tout cas dans son appellation, fut décerné à deux ouvrages qui dénonçaient à leur façon les dessous ou les à-côtés du « roman » colonial, Claude Farrère dans son livre « Les Civilisés » et plus tard René Maran, dans son livre « Batouala »

            Les deux auteurs mettaient leur talent au service de la France, en ne cachant pas grand-chose des conquêtes coloniales, et beaucoup de témoignages dénonçaient aussi la violence coloniale, mais beaucoup d’autres récits d’explorateurs, d’officiers et d’administrateurs décrivaient dans leurs carnets de route, sans servilité à l’ égard du pouvoir, les mondes qu’ils découvraient.

En est-il de même pour les deux bénéficiaires de ce prix, lesquels, un siècle plus tard, reconstruisent purement et simplement un pan de notre histoire coloniale, qui ne fut jamais véritablement nationale, sans avoir, semble-t-il, aucune expérience de la guerre, et guère plus des terres exotiques décrites ?

            A mes yeux, le prix Goncourt a couronné purement et simplement deux œuvres qui distillent ou diffusent un discours national de repentance ou d’autoflagellation.

            Dans un passé plus ou moins lointain, d’autres écrivains et romanciers ont obtenu le prix Goncourt en proposant des récits des guerres auxquelles ils avaient participé ou dont ils avaient été témoins, sans avoir besoin de faire appel plus de cinquante plus tard à leur imagination inventive et livresque, pour intéresser leurs lecteurs.

            Après la première guerre mondiale, Dorgelès, Genevoix seraient à citer,  ou Jules Roy, après la deuxième guerre mondiale.

En ce qui concerne les guerres de décolonisation, les récits de Lucien Bodard sur l’Indochine et l’Extrême Orient seraient à citer, et pour l’Algérie, « La grotte » du colonel Buis, très bon exemple de la problématique très compliquée des guerres coloniales que les deux auteurs décrivent dans leur « salon », sinon du haut ou du bas de leurs chaires d’enseignants.

            Non messieurs les romanciers, tous les soldats, tous les sous-officiers, tous les officiers d’une armée française qui ne fut pas coloniale, fusse du contingent ou de l’armée de métier n’ont pas été des tortionnaires ou des salauds !

            Dernières remarques : 1) ce dialogue ne se situe évidemment pas encore au niveau intellectuel du dialogue Camus-Char (Angers, 1951), et encore moins à ceux de Platon.

            2) Ou comme le déclarait en 2009, le Président actuel de l’AFP, Emmanuel Hoog : « Trop de mémoire tue l’histoire »

            3) Pourquoi ne pas recommander à ces romanciers de s’inspirer par exemple de la méthode d’écriture d’un excellent romancier historique, Jean d’Aillon, qui prend soin de conclure souvent ses ouvrages par une rubrique sur « Le vrai, le faux » ?

            Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Les Relations entre la France et l’Algérie (1962-2020) Mon message aux jeunes – Vive l’Indépendance de la France !

Les Relations entre la France et l’Algérie (1962-2020)

Mon message aux jeunes     

Vive l’Indépendance de la France !

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A la suite de mon analyse critique du livre « La Question post-coloniale » d’Yves Lacoste (19/04/20, 21/09/20), et compte tenu de la place que l’auteur accordait à la Question Algérienne, je me proposais de publier le message ci-après.

Un message aux jeunes Français originaires d’Algérie… une bouteille à la mer Méditerranée …

Sous le sceau du Livre d’Ezéchiel Chapitre 18, versets 1 à 9 :

« Pourquoi dites-vous ce proverbe dans le pays d’Isaïe : Les pères ont mangé les raisins verts et les dents des enfants en ont été agacées ? »

         Il est difficile de ne pas lire le livre « La Question Post-coloniale » d’Yves Lacoste sans entendre le message permanent, le leitmotiv, que l’auteur adresse aux jeunes français d’origine algérienne : vous allez mieux comprendre pourquoi vous êtes venus chez nous, peuple colonialiste.

            Pourquoi cette parabole des Raisins Verts que j’ai déjà citée dans mes chroniques sur l’histoire post-coloniale ? Parce que l’histoire post-coloniale qu’on nous sert depuis des années, sur les deux rives, est fabriquée par des parents ou grands-parents qui ont le plus souvent mangé des Raisins Verts ?

            Sur notre rive, nous sommes encore sous les ordres du groupe de pression intellectuelle et politique d’une matrice maghrébine repentante, bien qu’elle s’en défende, ou partie prenante « intéressée ».

            Pour avoir servi la France et l’Algérie pendant la guerre 1954-1962, mon expérience n’est pas celle qui est le plus racontée : j’ai eu pour  garde du corps un type formidable, un ancien fel ; nous respections les fels que nous combattions, et l’armée que nous servions n’était pas « colonialiste », car nous étions tous engagés, armée du contingent et armée de métier, dans la transformation démocratique du pays.

            Nous avions engagé à nos côtés des Algériens et des Algériennes qui partageaient notre vision républicaine de l’Algérie. Elle n’était plus celle de l’Algérie colonialiste de papa : en 1962, le FLN a exterminé beaucoup d’entre eux, et continue de nos jours – presque 60 ans après – à les traiter comme des ennemis de la patrie, comme si certains membres du FLN et le mouvement lui-même avaient toujours été des modèles de cette guerre insurrectionnelle.

            Le livre d’Yves Lacoste a été publié en 2010, et le message qu’il veut délivrer n’est-il pas obsolète, compte tenu du soulèvement démocratique de la jeunesse algérienne, depuis le 22 février 2019 ?

Je puis témoigner que le message que nous portions dans les années 1958-1960 était celui de l’espoir, de la démocratie, des libertés, identique à celui qui vous anime aujourd’hui.

Est-ce qu’il vous arrive aussi de comparer vos espoirs à ceux qui furent les nôtres ? A ceux des jeunes d’une Algérie française défunte qui quittèrent une terre qu’ils considéraient comme natale ?

Aux jeunes Français d’origine métropolitaine qui, aujourd’hui, ont du mal à comprendre ce qui empêche d’avoir des relations normales avec votre pays d’origine, en levant tous les tabous démocratiques qui pèsent sur ces relations.

Je n’ai jamais aimé le propos de ceux qui cultivent la victimisation, la repentance, ou la réconciliation, avec qui et en quoi ? Je préfèrerais franchement que la jeunesse parle le langage de la vérité et de la bienveillance.

          Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Les Relations entre la France et l’Algérie (1962-2020) – « La guerre des mémoires » de Benjamin Stora

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Les Relations entre la France et l’Algérie (1962-2020)

Vive l’Indépendance de la France !

Avant tout commentaire, et avant de se forger une opinion, il est difficile de parler de mémoire collective,  sans faire référence à l’ouvrage « fondateur » un qualificatif goûté par certains chercheurs, « La Mémoire collective » de Maurice Halbwachs, mort en déportation, publié après sa mort.

J’en ai proposé un résumé sommaire sur le blog du 15 avril 2010.

&

« La guerre des mémoires

La France face à son passé colonial »

par Benjamin Stora

            « Pourquoi ne pas avouer que j’ai éprouvé un malaise intellectuel à la lecture de beaucoup des pages de ce livre, crayon en mains, alors que j’ai  aimé l’article du même auteur à la mémoire de Camus (Etudes coloniales du 30 septembre 2007). Albert Camus a été un de mes maîtres à penser,  à agir, et à réagir,  avant, pendant la guerre d’Algérie, et après. J’y ai servi la France et l’Algérie, en qualité d’officier SAS, en 1959 et 1960, dans la vallée de la Soummam, entre Soummam et forêt d’Akfadou.

              Un historien sur le terrain mouvant des mémoires chaudes, pourquoi pas ? Mais est-ce bien son rôle ? Dès l’avant-propos, le journaliste cadre le sujet de l’interview de M.Stora : « La France est malade de son passé colonial », mais sur quel fondement scientifique, le journaliste se croit-il permis d’énoncer un tel jugement ?

            Il est vrai que tout au long de l’interview l’historien accrédite cette thèse et s’attache à démontrer l’exactitude de ce postulat : les personnes issues des anciennes colonies, première, deuxième, troisième génération (il faudrait les quantifier, et surtout les flux , les dates, et les origines) «  se heurtent inévitablement à l’histoire coloniale » (p.12), « la guerre des mémoires n’a jamais cessé » (p.18), la « fracture coloniale », « c’est une réalité » (p.33), « l’objectif est d’intégrer, dans l’histoire nationale, ces mémoires bafouées » (p.81), « saisir comment s’élaborent en permanence les retrouvailles avec un passé national impérial » (p.90)

            Et l’auteur de ces propos, qui se veut « un passeur entre les deux rives », incontestablement celles de la Méditerranée, accrédite le sérieux des écrits d’un collectif de chercheurs qui n’ont pas réussi, jusqu’à présent, par le sérieux et la rigueur de leurs travaux historiques, à démontrer la justesse de la thèse qu’ils défendent, fusse avec le concours bienveillant de certains médias, quant à l’existence d’une culture coloniale, puis impériale, qui expliquerait aujourd’hui la fameuse fracture coloniale. (1)

Et le même auteur de reprendre le discours surprenant, de la part d’historiens de métier, sur la dimension psychanalytique du sujet : « la perte de l’empire colonial a été une grande blessure narcissique du nationalisme français » (p.31), pourquoi pas ? Mais à partir de quelles preuves ? « Refoulement de la question coloniale » (p.32). « Pourtant la France a conservé dans sa mémoire collective, jusqu’à aujourd’hui, une culture d’empire qu’elle ne veut pas assumer » » (p.32). « Les enfants d’immigrés sont porteurs de la mémoire anticoloniale très puissante de leurs pères » (p.40).

            « Pourquoi cette sensation diffuse d’une condition postcoloniale qui perdure dans une république où les populations issues des anciens empires n’arrivent pas à se faire entendre ? » (p.90).

Comment ne pas souligner le manque de clarté des propos de l’auteur, lequel écrit page 11 que la population issue des anciennes colonies a doublé entre les années 1980 et 2007, et les propos qu’il tient parallèlement sur les « mémoires bafouées » : mais les colonies sont indépendantes depuis le début des années 60, et l’Algérie depuis 1962 ? (2)

            De quelles générations s’agit-il ? Des enfants d’immigrés du travail venus en France avant 1962 ? Ou pour l’Algérie, importante source d’immigration, des enfants de pieds noirs, de harkis, ou d’enfants de citoyens algériens venus en France après l’indépendance de leur pays, notamment en raison de ses échecs économiques, puis de sa guerre, à nouveau civile ? Pour ne citer que l’exemple de l’Algérie qui est le postulat de la plupart de ces réflexions.

            L’auteur cite le cas de Boudiaf, un des principaux fondateurs du FLN, lequel revenu d’exil dans son pays en 1992, était inconnu des jeunes Algériens : « Les jeunes Algériens ne connaissaient même pas son nom » (p.60). (3)

            Quant au propos tenu sur Madagascar, pays avec lequel j’entretiens des relations particulières, « Dans cette ancienne colonie française, les milliers de morts des massacres de 1947 restent dans toutes les mémoires ». (4)

            Je ne suis pas le seul  à dire que la repentance de Chirac, lors de son voyage de   2005,  est tombée à plat, parce que ce passé est méconnu des jeunes générations.

            L’auteur de ces lignes est-il en mesure de justifier son propos ?

            Les Malgaches ne connaissent pas mieux leur passé colonial que les Français, car pour ces derniers, ce n’est pas l’enquête de Toulouse, faite en 2003, par le collectif de chercheurs évoqué plus haut, qui peut le démontrer. Cette enquête va clairement dans un tout autre sens, celui de la plus grande confusion qui règne actuellement sur tout ce qui touche le passé colonial, la mémoire, et l’histoire coloniale elle-même, et la réduction de cette histoire à celle de l’Algérie. Cette enquête révélait en effet l’importance capitale de la guerre d’Algérie dans la mémoire urbaine de Toulouse et de son agglomération.

            Et ce constat avait au moins le mérite de corroborer deux des observations de l’auteur, celle relative à « l’immigration maghrébine » qui « renvoie à l’histoire coloniale », et l’autre quant à l’importance de la guerre d’Algérie dans cette « guerre des mémoires » : « Mais, c’est la guerre d’Algérie, qui est le nœud gordien de tous les retours forts de mémoire de ces dernières années. » (p.50)

            L’obsession de l’Algérie

            Et c’est sur ce point que le malaise est le plus grand, car comment ne pas voir, que pour des raisons par ailleurs très estimables, l’auteur de ces lignes a l’obsession de l’histoire de l’Algérie, et qu’il a tendance à analyser les phénomènes décrits avec le filtre de l’Algérie, pour ne pas dire la loupe, avec toujours en arrière-plan, le Maghreb.

            Le tiers des pages de ce livre se rapporte à l’Algérie, et beaucoup plus encore dans l’orientation des réflexions qui y sont contenues. Les autres situations coloniales ne sont évoquées qu’incidemment, alors que l’histoire coloniale n’est pas seulement celle de l’Algérie, quelle que soit aujourd’hui l’importance capitale de ce dossier.

            Un mot sur la mémoire ou les mémoires de l’Algérie et de la guerre d’Algérie. Pour en avoir été un des acteurs de terrain, je puis témoigner qu’il est très difficile d’avoir une image cohérente et représentative de la guerre d’Algérie vécue par le contingent. Chaque soldat, chaque sous-officier, et chaque officier, a fait une guerre différente selon les périodes, les secteurs, les postes militaires occupés, et les commandements effectifs à leurs différents niveaux (sous quartiers, quartiers, secteurs, et régions). Si beaucoup d’anciens soldats du contingent ont écrit leurs souvenirs, peu par rapport à leur nombre, mon appartenance à ce milieu me conduit à penser que beaucoup d’entre eux se réfugient toujours dans le silence, mais pas obligatoirement pour la raison qu’ils auraient commis des saloperies, ou assisté à des saloperies. Un silence qui pourrait s’expliquer par un fossé immense d’incompréhension entre leur vécu, l’attitude des autorités d’hier ou d’aujourd’hui, et celle du peuple français

            M.Rotman a parlé de guerre sans nom. Je dirais plus volontiers, guerre de l’absence, absence d’ennemi connu, absence du peuple dans cette guerre, sauf par le biais du contingent qui, à la fin de ce conflit, s’est trouvé tout naturellement en pleine communauté de pensée avec le cessez le feu du 19 mars 1962. Et c’est sans doute le sens profond de sa revendication mémorielle.

            Pour la grande majorité des appelés, l’Algérie n’était pas la France.

            Les appelés ne savent toujours pas quelle guerre on leur a fait faire : guerre de l’absence et du silence (5), et le remue-ménage qui agite en permanence, à ce sujet, certains milieux politiques ou intellectuels leur est étranger.

            Il convient de noter que pour un acteur de ce conflit, ou pour un chercheur marqué dans sa chair et dans son âme par celui-ci, c’est un immense défi à relever que de vouloir en faire l’histoire.

            Et sur au moins un des points évoqués dans le livre, je partage le constat qu’il fait sur l’effet des lois d’amnistie « personne ne se retrouvera devant un tribunal » (p.18), et personnellement je regrette qu’il en soit ainsi, parce qu’il s’agit là d’une des causes du silence du contingent, et de cette conscience d’une guerre de l’absence. A quoi servirait-il de dénoncer des exactions injustifiables si leurs responsables, c’est-à-dire les salauds inexcusables n’encourent  aucune poursuite judiciaire ? Cette amnistie n’a pas rendu service à la France que j’aime et à son histoire.

            Le métier d’historien

            Ma position de lecteur, amateur d’histoire, assez bon connaisseur de notre histoire coloniale, me donne au moins la liberté de dire et d’écrire ce que je pense des livres qui ont l’ambition de relater ce pan de notre histoire.

            Ce passage permanent de la mémoire à l’histoire  et inversement, est très troublant, sans que l’intelligence critique y trouve souvent son compte! Et beaucoup d’affirmations ne convainquent pas !

            Est-il possible d’affirmer, en ce qui concerne l’Assemblée Nationale et sa composition : « C’est d’ailleurs une photographie assez fidèle de cette génération qui a fait la guerre d’Algérie ou qui a été confrontée à elle. »

            Une analyse existe-t-elle à ce sujet ? Et si oui, serait-elle représentative de l’opinion du peuple français à date déterminée ?

            Tout est dans la deuxième partie de la phrase et le participe passé « confrontée » qui permet de tout dire, sans en apporter la preuve.

            La mise en doute du résultat des recherches qui ont été effectuées sur l’enrichissement de la métropole par les colonies : mais de quelle période parle l’auteur et de quelle colonie ? (p.20)

            L’affirmation d’après laquelle la fin de l’apartheid aurait été le  « coup d’envoi » mémoriel mondial (p.41) : à partir de quelles analyses sérieuses ?

            L’assimilation de l’histoire coloniale à celle de Vichy, longtemps frappée du même oubli. (p.21,50,96).  Non, les situations ne sont pas du tout les mêmes !

            Et ce flottement verbal et intellectuel entre mémoire et histoire, une mémoire partagée ou une histoire partagée ? (p.61,62, 63). Outre la question de savoir si une histoire peut être partagée.

             Et pour mettre fin à la guerre des mémoires, un appel à la reconnaissance et à la réparation (p.93), ou en d’autres termes, à la repentance, que l’historien récuse dans des termes peu clairs dans les pages précédentes (p.34), une récusation partielle répétée plus loin (p.95).

            Et d’affirmer qu’il est un historien engagé (p.88) et d’appeler en témoignage la tradition dans laquelle il inscrit ses travaux, celle des grands anciens que sont Michelet, Vidal-Naquet et Vernant. Pourquoi pas ? Mais il semble difficile de mettre sur le même plan, périodes de recherche et histoires professionnelles et personnelles des personnes citées.

            Le lecteur aura donc compris, en tout cas je l’espère, pourquoi le petit livre en question pose en définitive autant de questions sur l’historien et sur l’histoire coloniale que sur les mémoires blessées ou bafouées qui auraient été transmises par je ne sais quelle génération spontanée aux populations immigrées, issues des anciennes colonies.

            Pourquoi refuser de tester la validité « scientifique », et en tout cas statistique, de ce type de théorie historique ?

            Nous formons le vœu qu’une enquête complète et sérieuse soit menée par la puissance publique sur ces questions de mémoire et d’histoire, afin d’examiner, cas par cas, l’existence ou l’absence de clichés, des fameux stéréotypes qui ont la faveur de certains chercheurs qui s’adonnent volontiers à Freud ou à Jung, la connaissance ou l’ignorance de l’histoire des colonies, et donc de mesurer le bien fondé, ou non, des thèses mémorielles et historiques auxquelles l’historien a fait largement écho.

            Alors, histoire ou mémoire ?

            La nouvelle ère des « historiens entrepreneurs ».

             L’histoire est-elle entrée dans un nouvel âge, celui de l’Historien entrepreneur selon l’expression déconcertante de Mme Coquery-Vidrovitch (Etudes coloniales du 27/04/07), ou celui de l’histoire devenue bien culturel selon l’expression de l’auteur ? Mais en fin de compte, sommes-nous toujours dans l’histoire ?

            Et à ce propos, nous conclurons par deux citations de Marc Bloch, évoquant dans un cas Michelet et ses  hallucinatoires résurrections, et dans un autre cas,  le piège des sciences humaines :

            «  Le grand piège des sciences humaines, ce qui longtemps les a empêchées d’être des sciences, c’est précisément que l’objet de leurs études nous touche de si près, que nous avons peine à imposer silence au frémissement de nos fibres. » (Fustel de Coulanges-1930)

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Références

  1. Les œuvres  de l’équipe Blanchard-Lemaire-Bancel
  2. A la page 90, l’auteur écrit sur le travail des historiens : «  On peut se demander effectivement, si ces saignements de mémoire, ces désirs mémoriels exprimés par une partie de plus en plus importante de notre société, ne freinent pas le travail de l’historien. »
  3. Boudiaf a été assassiné par le FLN en
  4. Le discours de Chirac s’inscrivait dans ce climat généralisé d’ignorance d’une mémoire coloniale enfin mesurée.
  5. La plupart des soldats du contingent savaient ce qu’étaient les fels et les terroristes sur le terrain, mais ignoraient presque tout du contenu de la guerre contre-révolutionnaire qu’on leur faisait faire.

Quelques références de lecture sur le blog :

      Jeux de mémoire coloniale ou le Sexe des Anges coloniaux (15/04/2010-25/04/2010- 7/05/2010)

      Histoire ou mémoire ou subversion : Benjamin Stora (3/04/2017)

      Subversion et pouvoir (20/09/2017)

      Une subversion postcoloniale ordinaire (4/04/2018)

      Mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie : de quoi s’agit-il ? (16/08/2020)

Les Relations entre la France et l’Algérie (1962-2020) Vive l’Indépendance de la France !

Les Relations entre la France et l’Algérie (1962-2020)

Vive l’Indépendance de la France !

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Avant tout commentaire, et avant de se forger une opinion, il est difficile de parler de mémoire collective,  sans faire référence à l’ouvrage « fondateur », un qualificatif goûté par certains chercheurs, « La Mémoire collective » de Maurice Halbwachs, mort en déportation, publié après sa mort.

J’en ai proposé un résumé sommaire sur le blog du 15 avril 2010.

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« Initiatives mémorielles… organisationnelles… politiques…cet impensé… »

« Ventre Saint Gris » ! Comme aurait juré Henri IV !

 Presque 60 ans plus tard !

Vive enfin l’Indépendance de la France !

Les Confidences du Président à Arthur Berdah, journal du Figaro du 6 novembre 2020, page 8, sous le titre « Islamisme : ce que Macron a en tête »

Le Président a chargé Monsieur Stora, historien et mémorialiste de la Guerre d’Algérie  de lui faire un rapport sur le sujet en décembre prochain :

« Cette étape ouvrira ensuite la voie à des initiatives mémorielles, des initiatives organisationnelles pour la jeunesse et une série d’initiatives politiques »… « sur le sujet, toutes prévues entre 2021 et 2022. » (Comme parhasard !) « On n’a pas réglé le problème de la guerre d’Algérie parce qu’on n’a pas réglé cet impensé de l’histoire contemporaine française… »

            Pourquoi cette mission confiée à un historien-mémorialiste qui fait partie de la mouvance maghrébine des enfants dont les dents sont encore ou ont été « agacées » par Les Raisins Verts qu’ont mangé leurs parents en Algérie est une fois de plus incongrue ? Une mouvance intellectuelle qui ne pouvait qu’être placée sous le signe biblique des « Raisins Verts » : on récolte ce qu’on sème…

            Pour continuer à agiter un monde qui a très largement disparu et que des groupes de pression ont intérêt à manipuler pour des raisons qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’histoire ?

L’historien indien Sanjay Subrahmanyam introduit le chapitre IV « Nationalisme, identité et histoire universelle »,  dans le livre « Faut-il universaliser l’histoire ? (2020) »:

« La question de savoir pourquoi l’on choisit d’étudier l’histoire est bien trop souvent liée à celles concernant la personne qui a fait ce choix et son champ d’étude. » (page 89)

Propos d’un historien un brin dérangeant ! Son livre « Leçons indiennes » a fait l’objet d’une analyse critique le 3 juin 2016.

            L’historien Pierre Goubert confiait qu’il avait choisi d’étudier le Moyen Age afin d’éviter précisément ce mélange des genres entre histoire, mémoire et vécu.

            Il est évident que le Président a fait le choix d’un homme dont le parcours n’est pas de nature à faire naître la confiance dans l’ ensemble des initiatives qu’il lui recommandera : un historien qui depuis de longues années a ses petites et grandes entrées dans le microcosme politique parisien des princes, de préférence à gauche, qui nous gouvernent.

            Pour avoir été officier SAS du contingent pendant la guerre d’Algérie, sans que ma famille n’ait eu d’intérêt à défendre au Maghreb,  je ne suis pas du tout prêt à adhérer à ce type de manipulation politique : pourquoi me réconcilier et avec qui ? Avec la jeunesse algérienne qui manifeste depuis quelques années pour plus de liberté dans son pays, plus de 50 ans après l’indépendance de l’Algérie ?

Revenons au cœur de notre sujet : comment adhérer à la défense d’une thèse mémorielle, et non historique, ou même idéologique, à partir du moment où cette thèse n’a pas été fondée jusqu’à présent par une ou plusieurs enquêtes statistiques, comme il en pleut chaque jour dans les médias depuis plusieurs dizaines d’années ?

            Monsieur Stora a longuement exposé cette thèse mémorielle dans un petit livre intitulé « La Guerre des Mémoires », publié en 2007.

            J’ai analysé longuement les constats et raisonnements de son auteur, et publié à l’époque une critique de l’ouvrage sur le blog « Etudes coloniales » le 11/11/2007. Je l’ai publiée à nouveau sur ce blog le 20 janvier 2016 dans le cadre d’une synthèse sur le modèle de la propagande postcoloniale, celle développée notamment par les historiens Blanchard, Lemaire, et Bancel, laquelle souffre de la même carence  quantitative d’analyse des sources historiques et de leurs effets.

            Tout à fait curieusement, et sauf erreur, dans un livre truffé de chiffres et d’enquêtes sur « L’archipel français » de Jérôme Fourquet, le post-colonial est quasiment absent : la fameuse « Fracture coloniale » des trois historiens Blanchard-Bancel-Lemaire s’est évanouie, de même que les « saignements de mémoire ». de Monsieur Stora, page 90.

Je publie à nouveau cette analyse comme un des éléments de réponse à la décision tout à fait étrange et inacceptable de la désignation de l’historien mémorialiste à la tête d’une mission de réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie.

Je précise que cette analyse critique ne porte pas sur les travaux d’un historien en cette qualité, mais sur le rôle, pour ne pas dire la « mission » idéologique et politique qu’il s’est donnée sur le sujet.

Le lecteur est bien obligé de constater que l’auteur se répand en propos sur la ou les mémoires, sans avancer aucun chiffre les accréditant.

Le lecteur trouvera en postface un certain nombre de références de chroniques que j’ai publiées sur le sujet et sur ce blog.

L’Observatoire B2V des Mémoires a publié en 2019 un livre intitulé « La mémoire, entre sciences et sociétés », sous la direction de Francis Eustache, un ouvrage savant, volumineux, qui ne s’inscrit pas vraiment dans l’héritage scientifique de Maurice Halbwachs : ces travaux ne font pas beaucoup avancer, à mes yeux en tout cas, la méthodologie statistique et scientifique d’analyse de la mémoire collective dans le domaine de l’histoire.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Mourir pour le Mali ? »

Sous le titre « Mourir pour le Mali ? », Le Figaro du 5 novembre 2020 Opinions, page 21, vient de publier  une tribune cosignée par Michel Roussin,  ancien ministre et animateur  d’une certaine France-Afrique et Stephen Smith spécialiste reconnu des questions africaines.

Le  lecteur aura constaté que les deux auteurs font preuve de la même prudence, sinon de réserve, que celles que j’ai manifestées dans le courrier des lecteurs dont vous trouverez ci-après copie, en ce qui concerne l’intervention de la France au Mali :

« Pourquoi est-il urgent de « pivoter » d’une action militaire au grand jour vers une action dans l’ombre ? ».

Dès la date de notre intervention, j’ai publié à plusieurs reprises sur ce blog des articles la concernant, notamment celui concernant la décision de l’Assemblée Nationale sous le titre « L’insoutenable légèreté de l’être » à la date du 27 avril 2013, dont vous trouverez copie plus loin.

&

Copie Courrier des Lecteurs Ouest France avec parution le 13 septembre 2020

« Bonjour, pour avoir beaucoup analysé les processus décisionnels des conquêtes coloniales et leurs résultats, notamment en Afrique noire, je suis toujours plutôt surpris de voir les experts de tout poil, disserter savamment sur les géopolitiques du jour, en ignorant le plus souvent les contextes historiques sur tous les plans religieux, culturels, politiques, économiques, locaux ou non…

Je n’étais pas partisan de l’intervention de Hollande, sans en avoir au préalable mis les autres pays du Conseil exécutif européen devant leurs propres responsabilités, une des caractéristiques de la plupart des Présidents qui dans ce domaine ont quasiment les pleins pouvoirs, qu’il se soit agi de VGE, de Mitterrand, de Chirac, de Sarkozy, de Hollande ou de Macron.

Sarkozy nous a emmenés en Libye et on voit le résultat ! Hollande avec Fabius voulait nous emmener en Syrie ! Avec Macron, nous battons tous les records, comme si la France (affaiblie) avait encore les moyens de faire sonner ses trompettes, comme sous la Troisième République qui entérinait le plus souvent   ex post, comme l’on dit de nos jours, les initiatives coloniales de ses ministres, amiraux ,ou généraux, car il s’agissait souvent d’initiatives dont ils ignoraient l’existence et qu’ils ne pouvaient de toute façon pas contrôler, compte tenu notamment de la défaillance des moyens de communication…

Pour terminer quelques données géopolitiques pour comprendre notre dossier : pas de solution sans celle du Sahara, sans soutien des confréries religieuses et des grandes tribus ( toujours) et de nos jours , des syndicats et de l’Armée, car le Mali n’a toujours pas d’Etat : avant et après l’indépendance, ce pays a toujours eu une vie agitée, c’est le moins que l’on puisse dire.

La France aurait dû limiter son intervention, dans le cadre européen, à la protection de ses ressortissants et à celle des services spéciaux, avec l’accord des pays concernés, sans oublier l’Algérie, qui, dans les apparences, est aux abonnés absents. »

Blog du 27 avril 2013 :

« Le Mali et « l’insoutenable légèreté de l’être » des députés !

22 avril 2013 : l’Assemblée Nationale autorise le gouvernement à poursuivre la guerre au Mali, par 342 voix pour sur 352 votants, sur un total de 577 députés !

Soit 6 sur 10 !

« Mais où est donc passée la 7ème compagnie, ou plutôt les autres compagnies du bataillon, puisque le nombre des votants aurait dû être de 577 députés, et non pas 352 !

A noter :  les 215 députés socialistes votants et favorables sur un effectif de 292, en gros 2 sur 3, et les 87 députés UMP votants et favorables sur un effectif de 196 députés, soit moins de un sur deux !

Sur le total de l’effectif, 225 députés étaient donc absents !

Le sujet n’était donc pas assez sérieux pour tous ces députés absents ?

Les interventions qui ont été faites dans l’hémicycle ont recensé la plupart des éléments de cette problématique de guerre, en omettant de citer l’Algérie, qui aurait dû être le principal acteur de la confrontation.

Pour protéger son gaz et son pétrole ?

Curieux oubli, non ?

Curieux aussi que l’Assemblée Nationale se soit abstenue également de fixer le cadre de la prolongation autorisée, délai, financement, et si relais par l’ONU, à quelle date ?  etc…

Une fois de plus, je conclurai que dans cette nouvelle guerre, les forces françaises sont les « nouveaux Suisses » de l’Europe, alors que l’Algérie, comme l’Europe d’ailleurs, se sont bien gardées de mettre le doigt dans le même engrenage, et que le gouvernement d’une France, endettée jusqu’au coup, en pleine crise intérieure, … fait une guerre dont le pays n’a plus les moyens !

Plus de deux cents millions d’euros déjà volatilisés, pour ne pas rappeler à notre mémoire le sacrifice de plusieurs de nos soldats !

Toujours le même « esprit de gloire »  que Montesquieu a identifié comme une des caractéristiques de la mentalité des Français !

Seulement, nous ne sommes plus au siècle de Montesquieu, et c’est à se demander si nous ne sommes pas dirigés par des « illuminés » !

Et pour terminer, le silence assourdissant de la plupart des médias sur cette décision de l’Assemblée nationale, c’est-à-dire leur complicité avec cette guerre ! »

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

2020-1900 : Colonialisme de la Chine au lieu de colonialisme de l’Occident

 A la fin du XIXème siècle, l’idée de subventionner le développement des pays colonisés était hors de question.

Les Anglais et les Français entre autres avaient mis en œuvre le principe de « Aides toi toi-même », en accordant des prêts qui leur donnaient la possibilité de contrôler les échanges économiques des pays tenus en laisse financière par leurs emprunts et par les garanties qu’ils étaient tenus de donner pour contracter leurs prêts.

A cette période là, c’est sans doute dans une Chine, très convoitée, que prospéra ce système, aboutissant à confier le contrôle de ses douanes aux puissances occidentales, un contrôle allant jusqu’à pouvoir disposer de flottes de contrôle militaire sur les fleuves et mers de Chine.

Cette forme de colonialisme eut beaucoup de succès dans un certain nombre de territoires, notamment en Egypte disputée entre Français et Anglais, et au Maroc, le système de prêts permettant en plus de faire « profiter » de la nouvelle manne.les entourages des pouvoirs en place

La Chine de 2020 n’a donc rien inventé et chausse tout simplement des pratiques colonialistes séculaires qui ont fait leurs preuves. Il est évident que l’impérialisme chinois tisse sa toile de domination comme le faisaient des prédécesseurs aujourd’hui honnis.

Le Figaro Economie du 17 août 2020 titre un article « L’Afrique dans le piège de la dette », ce qui veut dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, sauf que depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, les pays occidentaux ont inauguré de nouvelles politiques d’aide au développement : à titre d’exemple et avec le FIDES, la France a mis en place un système d’aide financière constitué de prêts à faible taux d’intérêt et de subventions pures et simples.   

De 1945 à 1962, et au fur et à mesure des années, la part des subventions est allée jusqu’à 100%.

Jean Pierre Renaud    –  Tous droits réservés

« Les Raisins Verts » La Question post-coloniale – Yves Lacoste- Troisième Partie Les conquêtes coloniales – Chapitre 8 Le Marocs

« Les Raisins Verts »

Troisième Partie

Chapitre 8

« Le Maroc, la dernière des conquêtes coloniales »

(p,373 à 397, soit 24 pages)

  L’objet de ce dernier chapitre est intéressant, entre autres et principalement à mes yeux, parce ce qu’il pose la question de la définition de la géopolitique, compte tenu de la place majeure qu’a occupé son environnement international  de politique étrangère.

            Comment comparer en effet des situations géopolitiques aussi différentes les unes des autres que celles du Maroc, de Madagascar ou du Bassin du Niger, entre Etats et tribus ?

            La lecture de ce chapitre fait naturellement apparaitre la force des liens qui attachent l’auteur à son pays natal.

            « Alors que la conquête de l’Algérie a été menée par des militaires qui ne connaissaient rien des populations de cette partie du monde musulman et qui furent des années durant laissés sans objectif par des gouvernements hésitants, la conquête de la Tunisie et plus encore celle du Maroc furent le fait d’hommes d’affaires qui « préparaient le terrain » et de militaires qui s’intéressaient désormais  à l’histoire de ces pays, à leurs organisations tribales et aux dispositifs de pouvoirs entre celles-ci et le souverain, qu’il  s’agisse du bey de Tunis ou du sultan marocain. La conquête de la Tunisie et surtout celle du Maroc fut  soutenue indirectement par de grands groupes financiers et elles s’inscrivaient dans des rivalités impérialistes évidentes.  On est bien au « stade de l’impérialisme » et la guerre mondiale menace. Celle-ci n’éclate pas tant à cause des problèmes coloniaux qu’en raison de rapports de force et surtout de prestige entre les Etats européens regroupés en deux grandes alliances antagoniques.

            Le Maroc fut la dernière des conquêtes coloniales. En effet, celle de l’Ethiopie par les Italiens de Mussolini, entreprise difficile commencée en 1935 à partir de l’Érythrée qu’ils avaient annexée à la fin du XIXème siècle ne dura guère puisqu’ils en furent chassés par les Britanniques en 1941.

            La conquête du Maroc apparait encore aujourd’hui comme relativement facile, surtout comparée à l’Algérie. Celle de la Tunisie, qui avait été facile, fit croire aux dirigeants français qu’il en serait de même au Maroc, car l’Empire chérifien était lourdement endetté à l’égard des banques françaises et nombre de grands notables, come l’avaient fait les Tunisiens, avaient demandé la protection des ambassades européennes. Ces dernières étaient tombées d’accord pour les laisser agir au Maroc, les Français pourraient sans doute avoir le soutien discret d’un grand nombre de notables locaux. »

Commentaire : l’auteur évoque un des aspects majeurs de la géopolitique coloniale, le rôle des banques dans la prise de contrôle de territoires qui valaient d’être convoités, l’engrenage des emprunts, à partir du moment où les pays emprunteurs disposaient déjà d’un minimum de ressources économiques pour rembourser : il s’agissait d’un bon critère de distinction entre les territoires anglais et français.

            Cette mécanique coloniale a fonctionné en Méditerranée, notamment en Egypte, Tunisie et Maroc, et beaucoup en Chine, laquelle vit ses douanes prises en mains par les Anglais et les Français pour s’assurer du remboursement des emprunts.

            « Un galop d’essai, la conquête de la Tunisie (p,374)

L’auteur décrit un deuxième procédé utilisé pour contrôler un pays, ce qu’il faut bien appeler la corruption, le mélange des genres, des procédés sans âge, mettre la main sur les notables, sorte de protectorat avant la lettre, par le biais des consuls, encore faut-il que cette géopolitique puisse être mise en œuvre dans un pays disposant d’un Etat et de ressources à exploiter.

            « Par ailleurs, la modernisation permit à de nombreux hauts fonctionnaires de transformer en propriétés privées les domaines ou biens de fonction dont ils avaient la jouissance passagère. Pour ne pas avoir à les restituer à un successeur, ces notables se placèrent sous la « protection » du représentant d’une puissance étrangère, et celui-ci obtint l’accord du bey en leur faveur, en échange de nouveaux prêts ou de délais de remboursement d’emprunts précédents. Ainsi le système du protectorat commença-t-il discrètement à titre individuel pour la plupart des notables, bien avant d’être instauré officiellement sur l’Etat tunisien. » (p,375)

« Le Maroc, un vieil empire selon le modèle Khaldounien » (p,375)

L’auteur consacre ces pages à un ancien historien trop méconnu du Maghreb, Ibn Kaldoun dont l’apport le plus intéressant est incontestablement le rôle des tribus.

            « En me référent au grand historien et sociologue maghrébin Ibd Kaldoun (Tunis,1332- Le Caire, 1406), contemporain des  Mérinides et dont l’œuvre a été traduite sur ordre de Napoléon III, je crois utile d’expliquer comment se formait et se disloquait un  royaume marocain et plus largement un royaume maghrébin. Cela permet de mieux comprendre comment s’est déroulée la conquête coloniale, en particulier dans le cas du Maroc, dénommé l’empire chérifien.

            Comme dans l’ensemble du Maghreb et du Machrek (sauf en Egypte), il s’agissait d’Etats fondés sur des sociétés tribales où chaque homme était armé, savait se battre et appartenait à un groupe formé par des liens de parenté, la tribu (ou la fraction de tribu). Celle-ci était un ensemble politique – en principe égalitaire – qui avait son territoire, le défendait et l’exploitait de façon plus ou moins collective par l’élevage et l’agriculture. Elle entretenait avec les tribus voisines des relations parfois conflictuelles, en fait géopolitiques. Celles-ci étaient un effet de la concurrence territoriale, mais aussi de la volonté d’entretenir les relations politiques et la valeur guerrière de ses membres. La tribu, groupe à base largement familiale, était une sorte de machine politique et une machine de guerre (sans volonté d’exterminer les adversaires ni de capturer des esclaves…

                        Tout pouvoir royal, au Maghreb et au Moyen Orient (à l’exception, il faut y insister de l’Egypte) avait donc une base tribale, et celle-ci était le fait d’une tribu qui en avait entrainé d’autres à se rebeller contre un pouvoir royal. Ce dernier était lui-même d’abord celui d’une tribu qui s’était soulevée et avait été victorieuse grâce à l’alliance d’autres tribus. Le ralliement d’un certain nombre de celles-ci était plus facile quand la tribu qui menait le mouvement pouvait se réclamer d’un innovateur religieux fondateur d’un confrérie hostile à celle dont se réclamait le pouvoir en place. » (p,377, 378)

Question : Yves Lacoste aborde ici l’un des points sensibles, et il y en  a beaucoup d’autres, pourquoi ?

            Parce qu’il aurait utile et intéressant qu’il nous donne au moins un exemple du phénomène décrit qui met en cause un facteur géopolitique majeur, celui de l’Islam et des confréries particulièrement puissantes du Maghreb, comme elles le furent et le sont encore en Afrique noire.

            C’est bien dommage car l’auteur a publié, dans le passé, dans la revue qu’il a fondée, « Hérodote », une analyse fort intéressante sur les principaux courants de l’Islam.

            « Au Maroc, souvenir des grandes dynasties et rôle des confréries » (p,379)

            Ce système, qui rend compte du mode de formation et de déclin rapide de royaumes à base tribale, a fonctionné sur l’ensemble du Maghreb plus ou moins longtemps selon les régions. A partir du XVIème siècle, l’afflux d’or d’Amérique en Espagne, l’essor de la piraterie en Méditerranée et la riposte espagnole conduisent les corsaires d’Alger et de Tunis à faire appel à l’Empire ottoman. Ce grand Etat qui n’est plus à base tribale mais qui repose sur une administration d’origine byzantine, établit pour plusieurs siècles son pouvoir sur les tribus des régences d’Alger et de Tunis. Le système kaldounien cesse de fonctionner dans une grande partie du Maghreb, du moins en ce qui concerne les affaires importantes. Il n’y a pas de nouvelle dynastie en Algérie depuis le XVIème, mais une dynastie se crée en Tunisie au XVIIIème siècle.

            En revanche, le système décrit par Ibn Kaldoun continue de fonctionner au Maroc où des dynasties se sont succédées jusqu’au XXème siècle…

            La dernière dynastie qui s’établit au Maroc et qui est toujours au pouvoir est celle des Alaouites (sans être chiites, ces chérifs se réclament d’Ali, le gendre du prophète). Ils sont eux aussi des Arabes arrivés au XVIème siècle dans le Sud marocain qui se sont établis dans la grande oasis du Tafilalet…

On pourrait dire que le système kaldounien s’est peu à peu assoupi, puisque du XVIème siècle au début du XXème siècle aucune tribu n’a été assez forte pour renverser la dynastie…

            « Les contrecoups de la conquête de l’Algérie » (p,381)

Ce passage décrit bien l’engrenage financier avec emprunt et remboursement d’emprunt, dans un territoire à potentiel économique, qui conduit à la dépendance coloniale ou impériale, comme l’on veut, une configuration géopolitique dont l’effectif a varié au cours du temps, mais dont ne faisaient alors pas partie, mise à part l’Indochine, les autres territoires ciblés par les Français.

             « Le principe de la « porte ouverte »  (p, 382)

L’auteur en décrit le mécanisme décidé à la Conférence d’Algésiras (1906),  puis la crise de 1908 avec l’intervention, à partir de l’Algérie, du général Lyautey, avec une nouvelle crise à Fès en 1911.

            « L’instauration du Protectorat et l’insurrection nationale de 1912 » (p,384)

            « A Fès assiégé par les tribus, le sultan fut traité comme quantité négligeable par les Français ; il apprit indirectement l’accord franco-allemand et par conséquent l’instauration imminente du protectorat français…

            Les événements que l’on a longtemps passé sous silence sont au contraire considérés par l’historien Daniel Rivet comme une véritable « insurrection nationale ». Il ne s’agit pas, selon lui, de la classique agitation des tribus lors des crises dynastiques, mais d’un soulèvement national contre le passage sous l’autorité d’un Etat étranger et chrétien… Daniel Rivet ne parle sans doute pas assez des confréries, mais il montre bien les enjeux nationaux du soulèvement des tribus, notamment leur opposition du départ du sultan pour Rabat. Cette ville n’était plus une capitale depuis longtemps, à la différence de Fès, de Meknès, ou de Marrakech, mais c’était une implantation sur la côte atlantique qui permettait aux Français d’assurer la protection du sultan…

« … à la mi-mai 1912, Lyautey débarquait à Casablanca » (p385)

L’auteur propose alors un résumé historique du conflit, des « Méthodes de Lyautey », qui fut dix ans au Maroc :

« Lyautey, qui sut s’entourer de géographes, d’historiens et d’ethnologues, a compris les formes d’organisation politique de la société marocaine. Par ces intellectuels, il connait l’œuvre d’Ibd Kaldoun, et on peut dire qu’il va appliquer le modèle kaldounien dans les rapports géopolitiques entre le bled maghzen et le bled siba. L’un et l’autre sont constitués de tribus dont les relations d’alliance ou de rébellion avec le sultan changent au gré des circonstances…

« A la différence de l’Algérie où les occupants ont systématiquement cherché à disloquer les structures tribales en réduisant leurs territoires, Lyautey a cherché au Maroc à maintenir les tribus qui pour beaucoup avaient conservé leurs terres, sauf celles qui étaient particulièrement intéressantes pour la colonisation, par exemple autour des villes…

« Dès le début du protectorat, des régiments de tirailleurs marocains ont été constitués dans l’armée française avec des volontaires qui partirent en France dès septembre 1914. Ces tribus du Moyen Atlas ont fourni une grande partie de l’armée coloniale puis de l’armée royale après 1956. Encore aujourd’hui les cadres de l’armée marocaine viennent pour une bonne part de ces tribus. »

« La formation ou le renforcement d’un féodalisme marocain »(p,391)

« … L’un des points forts de la politique de Lyautey est qu’au début du XXème siècle les milieux coloniaux s’intéressaient bien davantage aux ressources minières qu’aux terres agricoles… » (p391)

« La guerre du Rif et les contradictions coloniales » (p,392)

« … Fait étonnant, il ne semble pas qu’elle ait alors suscité dans l’opinion marocaine une grande émotion… »

Question : sur quelle base d’évaluation ? Dans la presse marocaine ? Quelle était-elle à l’époque ?

« La relative brièveté du mouvement national et royal marocain. » (p394)

« La politique de Lyautey continua dans l’ensemble d’être mise en œuvre après son départ. Mais la pénétration des idées nationalistes parmi les intellectuels marocains se faisait sentir dans les villes. Aussi, au sein des sphères coloniales, apparut l’idée de soustraire les Berbères des régions montagnardes à l’influence des milieux arabisés. »

Question ; « sphères coloniales », les « sphères coloniales » du pouvoir ou des pouvoirs ? De qui et de quoi s’agit-il ?

L’auteur décrit en détail le rôle géopolitique des tribus dans l’histoire du Maroc, fondé implicitement sur la confusion entre un pouvoir tribal et un territoire tribal

L’auteur conclut son analyse ainsi :

« Je crois que les Marocains ne gardent pas de l’époque coloniale un trop mauvais souvenir. Celle-ci a été relativement courte et la lutte pour l’indépendance a été brève. En revanche, pour les Algériens, c’est une el longue et vieille histoire et leurs souvenirs de la guerre d’indépendance sont tragiques.  Mais c’est avec la France que les relations de l’Algérie sont les plus étroites et les plus nombreuses. La question post-coloniale en France, notamment dans les « grands ensembles », est indissociable de tous ces « jeunes » français dont les grand-pères sont venus, il ya bientôt cinquante ans, après avoir combattu l’armée française. » (p,397)

Questions : toujours les « grands ensembles » ? Toujours l’Algérie ? Une histoire par trop caricaturale ? Et les années noires des années 1990 ? Et la nature et les dates des flux des « grands pères » qui sont venus en France ?

Pourquoi ne pas signaler à nouveau que la plupart des discours tenus de nos jours par des groupes de pression de propagande post-coloniale, le plus souvent accusateurs de notre pays, se gardent bien de nous fournir des enquêtes statistiques sérieuses sur la mémoire coloniale en métropole et dans les anciennes colonies : Yves Lacoste a-t-il à sa disposition une documentation statistique à ce sujet ?

Je confluerai cette analyse et ces questions en renvoyant le lecteur sur le livre « La colonisation française » d’Henri Brunschvig Chapitre VII « Le Maroc et les interférences de politique étrangère » et sur la chronique que j’ai publiée le 17/10/2018 à propos des Mémoires de Joseph Caillaux

A l’époque des tensions internationales relatives à la question marocaine, ce dernier était  alors Président du Conseil.

Il donna sa version des faits dans le livre  « Mes Mémoires » Tome 2 « Mes audaces. Agadir… »

Dans le fil des recherches que j’ai effectuées sur les processus de décision des conquêtes coloniales, ces Mémoires me donnaient l’occasion de comprendre qui prenait la décision coloniale dans le cas du Maroc : la façon de raisonner de l’auteur, telle qu’elle était décrite était tout à fait surprenante, étant donné :

 1) qu’il prenait une décision en considérant qu’hors les Etats reconnus sur le plan international, les autres territoires étaient considérés comme des biens sans maître,

2) qu’il avait tout pouvoir à ce sujet, alors que la France était dans un régime parlementaire.

Le livre en question nous documente par ailleurs sur un personnage qui fit un beau parcours politique sous la Troisième République, André Tardieu.

Il sut alors pratiquer un remarquable mélange des genres entre la presse, le Quai d’Orsay, et le monde politique.

De nos jours, André Tardieu n’aurait-il pas des héritiers qui ne disent pas leur nom ?

Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés

La Question Post-coloniale-Yves Lacoste – Pour conclure cette lecture critique

« La question post-coloniale »

« Une analyse géopolitique »

Yves Lacoste

&

Pour conclure cette lecture

 L’auteur ne concluant pas, je me risquerai à le faire après une lecture critique approfondie, en concluant sur un questionnement de synthèse.

Après avoir lu et relu ce livre, il s’agit donc de savoir si l’analyse géopolitique proposée est pertinente, dans le cadre de la définition fixée par l’auteur lui-même selon le triptyque « représentations » « pouvoir » et « territoire », à la fois dans l’analyse de la Question Post-Coloniale proprement dite, et en ce qui concerne le chemin d’analyse suivi, c’est-à-dire, la Question elle-même, puis les Luttes pour les indépendances, et enfin Les Conquêtes coloniales.

            Une première question s’impose, compte tenu de la place qu’occupent l’Algérie (une centaine de pages sur près de quatre cents) et le Maghreb dans les trois parties de l’ouvrage, est celle de savoir, comme je l’ai déjà noté s’il ne s’agirait pas plutôt de la question post-coloniale algérienne, pour ne pas dire maghrébine.

            Une deuxième question domine cette analyse, celle des représentations, pourquoi ne pas dire les « images coloniales », c’est-à-dire une des sources principales qui a donné la possibilité au groupe d’historiens auteurs d’une série d’ouvrages d’exploiter les travaux du Colloque Savant de 1993, animés par une palette d’historiens renommés, une source qui valait d’être citée par Yves Lacoste, notamment dans sa critique du contenu du livre « La Fracture coloniale » : une impasse qui parait surprenante dans ce milieu d’universitaires renommés où tout le monde se connait.

            Il est possible de s’interroger aussi sur la logique géopolitique qui a conduit l’auteur à analyser successivement, la question, les luttes, et enfin les conquêtes coloniales elles mêmes.

            Notre questionnement portera :

            1) sur l’analyse géopolitique « question » (première partie),

2) et sur la pertinence des analyses proposées en ce qui concerne les conquêtes coloniales dans le cadre méthodologique fixé par cette analyse géopolitique.

            Notre attention ne portera donc pas sur l’analyse des luttes pour l’indépendance elles-mêmes (p,123 à 217), sauf à proposer ci-après quelques réflexions sur le sujet .

            Question : à partir de 1947, la Guerre Froide entre l’Est et l’Ouest n’a-t-elle pas été un des grands facteurs de la géopolitique mondiale, Afrique et Asie y compris, avec l’aide que l’URSS assistée des partis communistes occidentaux a apportée aux mouvements d’indépendance du Tiers Monde ?

            Comme ce fut le cas en Indochine avec le soutien de plus en plus actif de la Chine communiste au Vietminh, et le jeu on ne peut plus trouble du Parti Communiste Français au cours de cet épisode de décolonisation violente    .

Question : en parallèle de cette poussée révolutionnaire, le colonialisme  n’avait-il pas  fait son temps, avec le début d’organisation du Tiers Monde, d’autant plus qu’en 1945, l’Europe de l’Ouest, divisée entre l’Est et l’Ouest,  avait été mise à terre, et qu’elle était bien incapable de faire face à d’autres conflits en Afrique ou en Extrême Orient ? Sans l’aide des Américains !

            L’Europe de l’Ouest était alors confrontée à la puissance militaire soviétique sous le parapluie de protection de l’OTAN, et ce fut sans doute un des facteurs géopolitiques majeurs qui conduisit de Gaulle à « larguer » l’Algérie, en donnant la priorité au théâtre d’opérations européen et à l’arme atomique.

            Aux yeux des meilleurs connaisseurs de ce monde africain, le système colonial avait déjà très largement fait son temps, même si les groupes de pression continuaient à s’activer à Paris ou au siège des différentes colonies, en tentant d’imposer leur vision coloniale.

Le cadre géopolitique fixé par Yves Lacoste à travers l’analyse proposée dans l’avant propos et dans les chapitres 1 et 2 :

 « Avant-propos général… qui mène à un paradoxe » « La question post-coloniale en France. (p, 7 à 123)

 Dans son avant propos, à la page 8, l’auteur esquisse une première définition :

« Il y a cinquante ans, le terme de géopolitique n’était pas utilisé, mais chacune de ces indépendances, qu’elle ait été obtenue à l’amiable ou arrachée par la guerre, était en vérité un grand changement géopolitique. Et plus encore, les luttes pour l’indépendance de chacun de ces peuples, luttes complexes en vérité et plus ou moins anciennes, furent évidemment géopolitiques. En effet la la géopolitique – telle que je l’entends – analyse toute rivalité de pouvoirs sur du territoire, que celui-ci soit de grandes ou de petites dimensions (notamment au sein des villes) et qu’il s’agisse de conflits entre des Etats ou de luttes au sein d’un même pays, ces conflits pouvant se répercuter à plus ou moins longue distance. Les différentes conquêtes coloniales et la colonisation qui imposa son organisation des territoires conquis furent fondamentalement des phénomènes géopolitiques. Aussi ne peut-on comprendre ce qu’on appelle la « question post-coloniale » qu’en tenant compte des catégories de lieux où elle se pose de la façon la plus grave, mais aussi des différences qu’elle présente selon les pays, et en analysant rétrospectivement les rivalités géopolitiques qui ont opposés différentes sortes de forces politiques : pas seulement le conflit colonial classique Européens/indigènes, mais aussi des conflits plus ou moins anciens qui ont opposé des forces autochtones entre elles. »

Le champ de cette définition est donc très vaste et porte son attention sur deux éléments du triptyque, le « pouvoir » et le « territoire », auxquels il conviendra d’ajouter les « représentations » traitées dans les deux chapitres de la première partie.

D’entrée de jeu, Indiquons qu’à l’époque des conquêtes coloniales, il était assez redoutable de vouloir et de pouvoir identifier les pouvoirs et les territoires les concernant, tellement ils étaient à la fois variés, complexes et changeants, géographiques, religieux, culturels, démographiques, sociaux, économiques, alors qu’on ignorait presque tout de l’Afrique noire…

En Afrique noire, les limites territoriales des nouvelles colonies ne respectaient pas, et ne pouvaient pas respecter, les « frontières », donc le « territoire » de nombreux peuples, tellement ils étaient de taille différente, nombreux, et difficiles à délimiter, pour autant que les peuples eux-mêmes aient pu les identifier, ce qui fut le cas par exemple sur la côte au Dahomey, et les défendre, ce que les roitelets locaux avaient bien de la peine à faire, par exemple face à Béhanzin, à la fin du dix-neuvième siècle.

Telles furent les situations coloniales de la période des conquêtes en Afrique noire, ce qui ne fut pas le cas en Indochine ou à Madagascar où il existait un pouvoir et un territoire.

Dans son analyse, l’auteur fait un sort à la problématique des « grands ensembles », mais il parait tout de même difficile de les faire entrer, compte tenu de leur taille et de leur histoire, dans un champ comparatif avec les autres territoires examinés par l’auteur.

Le chapitre premier (p,23 à 63) « Les paradoxes de la question post-coloniale » part en effet de l’hypothèse qu’elle est née dans « Les grands ensembles » donc un territoire très limité de métropole à la fois en superficie et en nombre d’habitants.

Pour éclairer la nature et les dimensions de ces rivalités de pouvoir, il aurait sans doute été intéressant de mettre en annexe des  statistiques démographiques de poids, de composition, et d’origine, de même que les études sans doute réalisées sur l’écho qu’ont eu les événements décrits par l’auteur dans l’opinion publique française ou étrangère ?

De même, comment traiter de ce sujet sans éclairer le lecteur sur la culture et la religion des immigrés, sur l’importance des flux de migrants liés à l’explosion démographique enregistrée en Afrique, sur une relation de pouvoirs on ne peut plus ambigüe entre la France et l’Algérie principalement, dont les gouvernements issus du FLN ont toujours été en quête de diminution de la pression politique, c’est-à-dire d’émigration, notamment de la part des jeunes en quête d’une meilleure destinée.

Evidemment dans le but de la démonstration proposée et dans le cadre scientifique fixé par l’auteur.

Après avoir étudié pendant des longues années les cultures africaines et en avoir eu l’expérience très concrète, j’estime que la confrontation des cultures et des religions constitue un des facteurs majeurs de la géopolitique, comme l’auteur de ce livre a pu le constater lui-même.

Il existe d’ailleurs un ouvrage intéressant à ce sujet « Le choc des cultures ».

Enfin, il parait difficile de procéder à ce type d’analyse sans s’attacher à la relation exigeante qu’elle ne peut manquer d’avoir avec la vérité historique, tout au moins dans sa recherche ?

Dans le chapitre 2, l’auteur s’intéresse à l’une trois composantes, les « représentations géopolitiques » : telles que l’auteur les identifie, en fait un répertoire de « représentations » classées et hiérarchisées, il parait difficile d’aller plus loin qu’une lecture de caractère général du sujet.

Chapitre 2 (p,63 à 119) – L’importance des représentations géopolitiques dans la question post-coloniale 

Il s’agit d’un des facteurs importants de la géopolitique proposée, en plus des deux autres, le pouvoir et le territoire.

L’auteur commence son analyse en partant à nouveau de l’exemple des grands ensembles en affirmant :

« Elle est ensuite devenue une donnée géopolitique majeure dans la question post-coloniale, dans la mesure où s’y déroulent de plus en plus souvent des affrontements entre la police et des « groupes de jeunes ». (p,63)

Je ne sais pas si tel était le cas, étant donné que l’auteur ne propose aucune enquête statistique d’opinion pour le justifier, alors que plus loin il utilise le qualificatif de « mesurable ».

« Dans tout raisonnement géopolitique, il ne faut pas seulement y tenir le plus grand compte des caractéristiques objectives, et mesurables des populations qui vivent sur le territoire où se livre une rivalité de pouvoirs. Il faut aussi tenir compte des idées, des représentations que chacun des groupes antagonistes (avec ses leaders) se fait, à tort ou à raison, de la réalité : de ses droits sur ce territoire comme de ce qui lui parait important dans tout ce qui l’entoure, y compris au niveau mondial. Ces représentations plus ou moins subjectives sont presque toujours « produites » par ce que l’on peut appeler au sens le plus large des intellectuels, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui réfléchissent, qui discourent, bref qui produisent des idées nouvelles et en reproduisent d’autres dont ils ne connaissent pas précisément l’histoire. » (p,64)

Puis-je faire remarquer que dans les années 1950-1960 le ou les pouvoirs, en métropole ou dans les colonies, n’avaient pas la chance de disposer de chiffres fiables sur la démographie des territoires coloniaux ?

Dans les pages qui suivent, l’auteur donne une liste de représentations sous le titre « La diffusion de représentations accusatrices du colonialisme » :

« Il est bien évident que l’Appel des indigènes de la République de janvier 2005 n’est pas la cause première de la propagation des émeutes dix mois plus tard… Pour schématiser, on peut dire que, malgré les effets de l’«absentéisme scolaire », un certain nombre de ces jeunes vont au collège et qu’ils s’intéressent particulièrement, même de façon brouillonne et agressive, à ce que disent les professeurs d’histoire-géographie sur la colonisation et la traite des esclaves. En effet depuis une dizaine d’années, les programmes scolaires prescrivent qu’un certain nombre d’heures soient consacrées à ces « problèmes » qui sont aussi de plus en plus présents dans les manuels. Les enseignants en font d’autant plus état que cela les intéresse personnellement et passionne les élèves. Il n’en reste pas moins que dans ces quartiers ou à proximité, la tâche des professeurs – qui sont désormais de plus en plus des femmes –est encor plus difficile qu’ailleurs. » (p,66)

L’auteur met donc l’accent sur le rôle des professeurs d’histoire géographie et sur les programmes et énumère ensuite un certain nombre de vecteurs des représentions qu’il vise :

 « Un consensus de rejet de la colonisation depuis qu’elle a disparu » (p,66) : un rejet  non démontré, en tout cas dans cette analyse,

         « d’où le succès d’un certain nombre de livres … « le Livre noir du colonialisme XVI° – XXI° siècle », ouvrage collectif dirigé par Marc Ferro… Par ailleurs, une guerre des mémoires oppose à présent les intellectuels… un livre d’Hannah Arendt, en lui faisant dire (comme le fait Marc Ferro…) que le communisme, le nazisme et le colonialisme sont la même chose, ce qui est pour le moins expéditif et contraire au raisonnement même d’Hannah Arendt… (p,68)      

Peut-on penser que des idées du genre nazisme = communisme = colonialisme ou colonialisme = génocide passent progressivement vers une partie des « jeunes » des « grands ensembles » ? Oui, si l’on tient compte du rôle des maisons des jeunes et de la culture où nombre d’animateurs sociaux, pour un bonne part nés dans ces quartiers, ont en charge, avec « Bac + », des associations et proposent diverses activités culturelles. Il faut tenir compte du rôle des enseignants « issus de l’immigration… (p,69)

« La fracture coloniale » Des historiens de gauche, Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Sandrine Lemaire ont publié en 2005 « La Fracture coloniale ». La société au prisme de l’héritage colonial. Et ce livre a trouvé une large audience, et pas seulement parmi les professeurs d’histoire géographie particulièrement intéressés par le courant d’idées qu’impulsent Blanchard et Bancel…(p,70)

Dans les collèges et les lycées, nombre d’enseignants d’histoire géographie (et pas seulement des petits enfants d’immigrés reprennent devant leurs élèves ce thème de la persistance du colonialisme en France et de la « fracture coloniale », et surtout si leurs classes comptent beaucoup de jeunes « issus de l’immigration ». (p,72)

Commentaire : l’auteur souligne le rôle important des professeurs d’histoire géographie dans la diffusion de ce qu’il dénomme les représentations.

L’auteur met le projecteur sur les publications de Pascal Blanchard et de ses collègues, mais en faisant l’impasse sur une catégorie  de représentations mises en lumière et exploitées par les trois historiens, les images coloniales,  qu’un Colloque Savant avec la participation d’éminents historiens et spécialistes, souvent d’ailleurs issus de la matrice coloniale,avait analysées en 1993 : les Actes du Colloque résumaient les conclusions très nuancées des examens effectués, quant à leur représentativité scientifique et à l’interprétation historique qu’il était possible d’accorder aux panels d’images coloniales diffusées en métropole et non dans les colonies.

Les trois historiens ont exploité ces travaux pour en faire un instrument de propagande postcoloniale autrement plus efficace, grâce aux associations, aux professeurs, et à l’effet immigration, que la propagande coloniale de la Troisième République, comme je l’ai démontré, chiffres en mains dans livre « Supercherie coloniale ».

Je me souviens d’un des propos tenus (archives) par l’un des thuriféraires de la colonisation regrettant le peu d’engagement du corps professoral à ce sujet, sous la Troisième République.

A lire le livre en question, comme des autres, « Culture coloniale », et « Culture impériale », il est difficile de ne pas être frappé par ses formules emphatiques, et presqu’évangéliques.

Ne conviendrait-t-il pas de rappeler :

1) si besoin était, que les conquêtes coloniales ont été très largement initiées par la gauche de la Troisième République,

 2) que cette gauche républicaine n’a jamais su trouver parmi ses défenseurs et pour diffuser sa propagande coloniale les cohortes de professeurs ou d’animateurs de toute catégorie qui paraissent disponibles aujourd’hui, pour diffuser les représentations de propagande post-coloniale passée et actuelle.

L’auteur accrédite le succès des auteurs cités, mais pourquoi ne pas avoir publié les chiffres de diffusion de ces ouvrages dans le circuit universitaire et hors circuit, car il s’agit d’une des grandes carences qui pèse sur ce type d’affirmation ou de constat, celle de l’histoire quantitative ?

Ces chiffres seraient d’autant plus intéressants que les publications de sciences humaines ne rencontrent pas un grand succès.

Il s’agit de la critique capitale qui doit être faite à l’endroit des travaux des trois historiens Blanchard-Bancel- Lemaire sur les images coloniales : l’auteur n’évoque pas la source principale de leurs publications, les Actes du Colloque savant de 1993 et le livre qui en a été tiré à l’initiative de Pascal Blanchard, intitulé « Images et Colonies ».

Ces deux ouvrages au contenu fort instructif ne permettent pas de conclure dans le sens des trois historiens, c’est le moins que l’on puisse dire.

Dans la suite des pages consacrées à cette thématique, et à partir de la page 84, l’auteur se livre à un exercice intellectuel difficile entre histoire et politique, en partant toujours des « grands ensembles » qu’il conviendrait donc de considérer comme représentatifs de la réalité des représentations  énoncées, en mettant à nouveau l’accent sur le rôle des professeurs d’histoire géographie.

3) et enfin, que la gauche de la Quatrième République, puissante de 1945 à 1958, a été dans l’incapacité de mettre en œuvre une décolonisation pacifique : l’auteur était bien placé pour en porter témoignage.

En résumé, le troisième pilier du triptyque géopolitique d’Yves Lacoste, les représentations aurait mérité d’être beaucoup mieux identifié par nature, par catégorie, et quantifié, en mettant en exergue les catégories de religion et de culture, et d’être dénommées sous l’appellation de  propagande post-colonlale, d’autant plus qu’il avait à sa disposition la collecte d’images colon iales effectuée en 1993 par le Colloque savant déjà évoqué.

Les conquêtes coloniales

La troisième partie est consacrée aux conquêtes coloniales (page 217 à 399) soit près de la moitié de l’ouvrage.

L’auteur propose un résumé historique relativement intéressant de cette phase qui se déroula en Afrique du Nord et en Afrique Noire, en privilégiant l’Algérie et le Maroc : s’agit-il de géopolitique ou d’histoire ?

Il n’est pas facile d’y retrouver la trace des trois éléments du triptyque proposé par l’auteur au début de l’ouvrage ?

En Algérie et au Maroc, l’auteur met en lumière, et c’est intéressant, le rôle souvent méconnu, en termes de pouvoir et de territoire, des tribus en marquant bien la différence de situation coloniale entre les deux pays, l’absence d’une forme d’Etat en Algérie.

En Afrique noire, l’auteur privilégie comme clé d’explication géopolitique l’esclavage, mais comme nous l’avons vu, c’est beaucoup moins évident.

Cette troisième partie soulève beaucoup de questions, ne serait-ce que la première relative à la mesure historique des temps coloniaux, courts ou longs, en respectant cette distinction chère aux historiens.

Un tel critère fait ressortir la distinction qu’il est nécessaire de faire entre deux sortes de colonies, l’Algérie, le Sénégal, la Cochinchine et l’Afrique noire en général.

En Indochine, Pierre Brocheux utilisait l’expression du « moment colonial », une expression qui vaudrait pour l’Afrique noire et Madagascar.

La colonisation a en définitive été courte, de l’ordre de 50 ans.

La Côte d’Ivoire n’a été crée qu’en 1895.

Les conquêtes coloniales ont balisé une période d’explorations et de découvertes, car l’Afrique noire constituait un continent ignoré.

Dans le cas français, à la différence de l’anglais ou du belge, il est possible de s’interroger sur les processus de pouvoir qui aboutirent à conquérir des pays pauvres en ressources économiques.

L’explosion des technologies, vapeur, câble et télégraphe, plus fusils à tir rapide et canons a évidemment facilité toutes ces conquêtes, comme l’a bien démontré l’historien Headricks.

Dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large », j’ai eu l’occasion de décrire les processus politiques et militaires de décision de la Troisième République, lesquels avaient pour résultat de laisser la main et la décision aux exécutants.

La France partait à la conquête coloniale par esprit de puissance, de gloire, et de rivalité avec les Anglais, comme ce fut le cas à Fachoda, ou entrainée à le faire par sa marine qui contrôla longtemps la politique coloniale.

Tel ne fut pas le cas de l’Indochine dont on connaissait les richesses et le potentiel avec son voisin chinois, et tel ne fut pas le cas aussi de l’Algérie et du Maghreb, proche de nos côtes, mieux connus compte tenu de l’histoire commune de la Méditerranée.

L’analyse de l’auteur ne me parait pas mettre assez l’accent sur le facteur « pouvoir » : le cas du Maroc constituerait un bon exemple du type de pouvoir qui prenait la décision en France, c’est-à-dire le gouvernement ou l’un de ses membres, de même que le cas de l’Algérie où un petit groupe d’élus et de colons français d’Algérie y firent longtemps la pluie et le beau temps, d’autant plus qu’ils servaient souvent d’appoint parlementaire aux majorités changeantes de la Quatrième République.

L’auteur fait un sort à Samory, un cas longuement examiné, avec le projecteur mis sur le rôle de l’esclavage. Comme je l’ai expliqué, cette géopolitique de l’esclavage constitue une des explications géopolitiques, mais elle n’apparait pas devoir être la principale.

Il me parait difficile de tirer des leçons géopolitiques sans les inscrire dans des cadres chronologiques et géographiques comparables : comment mettre sur le même pied de l’analyse une Afrique noire encore largement inconnue en 1880, fermée sur elle-même, faute de communications, et une Indochine déjà très largement ouverte sur le monde extérieur, sauf à dire que les enjeux de communications changèrent fondamentalement avec le canal de Suez, en 1969 ? Sauf à noter qu’un sérieux handicap de distance entre la France et l’Indochine existait encore, comme avec Madagascar.

Comment mettre sur le même pied de comparaison un territoire de la Mare Nostrum et tout autre situé dans des mers lointaines ?

Comment mettre sur le même pied de comparaison des territoires à conquérir devenus d’importants enjeux de politique étrangère tels que l’Indochine, l’Egypte ou le Maroc, avec les territoires encore inconnus du Bassin du Niger, sans cartes ni voies de communication ?

Enfin et pour conclure, un des trois thèmes retenus par l’auteur, le pouvoir, aurait mérité de faire l’objet d’une comparaison entre les différentes puissances coloniales, en s’attachant à décrire les processus de décision politique de conquête existant dans chacune des puissances concernées.

Dans le cas français que nous avons longuement examiné, il apparait bien que sauf dans les cas de l’Indochine, du Maroc, ou de Fachoda, le « fait accompli » était largement à la source des décisions politiques de conquête, tout autant qu’une grande ignorance de la géographie et des enjeux de pays concernés, tout autant que l’aveuglement et les illusions de puissance des gouvernements de l’époque.

Il aurait été particulièrement intéressant que l’auteur, grand connaisseur du dossier algérien, nous ait éclairé sur le qui était responsable dans le processus de décision de la politique algérienne de la France, notamment après 1945.

Le cas d’un homme politique radical-socialiste comme René Mayer, grand élu de l’Algérie Française, dans la période qui a précédé la guerre d’Algérie, membre d’une communauté influente en Algérie, avant même la conquête de l’Algérie, mériterait d’être analysé en détail afin de mieux  comprendre le processus décisionnel du pouvoir, l’une des trois composantes de la géopolitique de l’auteur au cours de cet épisode historique, qui continue à alimenter les polémiques.

René Mayer avait une stature politique nationale et internationale, notamment sur le plan européen.

&

Notre questionnement final

  1. L’auteur a préféré ne pas conclure, compte tenu sans doute de la variété et de la complexité des sujets traités, mais il nous aurait permis de mieux comprendre ce qu’il entendait dans sa géopolitique du triptyque « Territoires, Pouvoir, Représentations », et dans sa mise œuvre sur le chemin choisi de la 1) Question-post-coloniale, 2) des Luttes, 3) des Représentations.
  2. Dans ses analyses, l’auteur a accordé une très large place au Maghreb, et principalement au Maroc, où il est né et en Algérie où il a vécu, et cette préférence donne évidement une couleur très maghrébine à sa « Question post-coloniale ».
  3. Dans son analyse des « représentations », l’auteur a fait un sort au livre « La Fracture coloniale », mais en faisant l’impasse sur la source historique de ce courant de représentations coloniales, le Colloque savant de 1993, animé par d’’éminents historiens qu’il n’a pu manqué de rencontrer au cours de sa carrière.
  4. L’auteur fait un sort aux « grands ensembles » où il a vécu, mais sans faire la démonstration de leur représentativité dans l’évolution décrite.
  5. L’auteur analyse longuement le cas et le rôle de Samory à l’époque des conquêtes de l’Afrique de l’Ouest, mais en s’appuyant sur des sources qui font question, par rapport aux nombreuses sources que j’ai moi-même consultées.

En résumé, la géopolitique telle qu’exposée dans l’ouvrage ne manque-t-elle pas à la fois de rigueur et de clarté, d’autant plus que le chemin d’analyse choisi par Yves Lacoste était beaucoup trop semé d’embûches.

Jean Pierre Renaud   –  Tous droits réservés

La Question post-coloniale- Yves Lacoste- Troisième partie- Lecture critique- chapitre 7 « Les conquêtes en Afrique noire à la fin du XIXème siècle »Les conquêtes coloniales »

Chapitre 7 (p,328 à 373)

Les conquêtes en Afrique noire à la fin du XIXème  siècle

(page 328-372, soit 56 pages)

Avant-propos

 Au cours de mes six années d’études, j’avais acquis une certaine culture historique dans le domaine colonial : j’avais bénéficié à l’ENFOM des enseignements du grand historien colonial Henri Brunschwig qui nous avait mis en garde contre les « mythes », et d’une palette de professeurs et de spécialistes très compétents, et non des « frères prêcheurs ».

            Je suis revenu à l’étude de ce domaine négligé en prenant connaissance de toute une littérature politique, culturelle, historique, ou médiatique qui développait avec un certain succès, semble-t-il, des thèses pseudo-historiques qui méconnaissaient à la fois notre histoire et celle des anciens « territoires » coloniaux. Je reprends ce mot cher à l’auteur aux yeux duquel est géopolitique tout ce qui est lutte de « pouvoir » sur un « territoire ».

La lecture des pages consacrées aux conquêtes en Afrique noire à la fin du XXème siècle devrait nous éclairer sur l’existence du triptyque géopolitique proposé par l’auteur, représentations, pouvoir, territoire.

            A titre personnel, j’ai tenté de comprendre le pourquoi, le comment, et qui dans la chaine de pouvoir, engageait notre pays dans ces aventures motivées par les motifs, les raisons, ou les illusions les plus variés.

            Ne s’agirait-il pas d’une recherche de type géopolitique à classer dans une des trois catégories de l’auteur? Tenter d’aller au cœur des «pouvoirs » qui décidaient ou ne décidaient pas de conquérir un « territoire » sous le sceau de la fameuse phrase du ministre Lebon : « les événements ont marché », souvent d’ailleurs parce qu’il ne pouvait en être autrement, par ignorance, en raison de l’impossibilité de dire oui ou non, compte tenu de l’absence ou de la grande difficulté qu’il y avait à communiquer entre un « pouvoir » et un exécutant, ou souvent dans l’engrenage d’un acteur de terrain, aventurier ou pas, comme ce fut le cas en Indochine avec le rôle majeur du commerçant Dupuis, ou d’un chef de guerre comme le colonel Archinard au Soudan.

            L’une de mes conclusions principales était souvent celle du « fait accompli », en l’absence d’un pouvoir capable d’initier, de contrôler,  et de rectifier une trajectoire de « pouvoir » sur un « territoire ».

            Quelques exemples de ces situations historiques : jusqu’en 1885, et sans évoquer l’absence de communications avec l’hinterland  du Haut Sénégal et du Niger, le gouverneur du Sénégal correspondait avec Paris, en envoyant un aviso de Saint Louis à l’île de San Thomé pour faire passer un message en utilisant un câble anglais qui reliait l’île au Portugal.

 A Madagascar, ce ne fut qu’en 1895, qu’un câble relia Majunga au Mozambique pour communiquer par le réseau du câble anglais. En 1884, en Indochine, les communications gouvernementales faisaient appel au câble anglais de Singapour vers Aden ou de Hong Kong par la Sibérie, des avisos de la Marine étant chargés du premier trajet.

C’est dire que les processus de décision étaient à la fois longs, périlleux, et souvent sous contrôle technique des réseaux anglais.

            Le résultat de ces recherches historiques a été publié dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large »

Le titre est tiré de plusieurs sources : le livre de Roland Dorgelès sur la conquête de l’Indochine, avec son propos sur « le vent des mots » prêté aux Moïs sur le télégraphe, « le vent des maux », tiré du récit des souffrances endurées par les explorateurs, souvent géographes, les officiers, les administrateurs, les médecins…, dont la durée de vie était courte, compte tenu des épidémies, encore non jugulées qui ravageaient ces territoires…

            En 1895, l’expédition de Madagascar, baptisée de « criminelle » fut un désastre humain, causé par les fièvres, une des deux protections naturelles du Royaume Hova, sur des plateaux alors inaccessibles.

            Enfin, pourquoi « le vent du large » ? Parce qu’à mes yeux, et compte tenu des bilans proposés, je concluais que le seul bénéfice procuré à la France me semblait être de l’avoir ouverte sur le grand large.

            Ces précisions éclaireront la lecture critique proposée, fondée sur la lecture et l’analyse de très nombreuses sources, avec l’objectif affiché de déterminer et de savoir quel « pouvoir » décidait,  ou ne décidait pas…

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            L’auteur aborde son sujet en rappelant : « La conquête de l’Afrique tropicale au XIX°siècle se situe dans la période que certains historiens de l’économie et des théoriciens plus ou moins marxistes appellent l’impérialisme… » (page 328)

            « L’impérialisme, nouvelle étape du développement du capitalisme (p,329)

            Appréciation d’un spécialiste ?

            « Telle est la vulgate marxiste, pour laquelle le développement du capitalisme est la cause fondamentale de l’expansion coloniale et des rivalités guerrières entre les Etats. » (p,329)

            « Des impérialismes européens assez différents.

            « L’impérialisme britannique, qui est à l’époque le plus puissant, s’appuie sur de grandes banques qui ont chacune un service d’informations économiques et géopolitiques (relié à des banques d’acceptation qui ont un réseau mondial d’informations pour fixer le niveau des taux des investissements qu’elles assurent en fonction des risques géopolitiques).» (p,330)

Commentaire : – à cette époque, seule la Banque d’Indochine pouvait jouer ce rôle dans les colonies françaises. (voir le livre de Marc Meulan « Histoire de la Banque d’Indochine » 1990)

  • en ce qui concerne l’impérialisme financier français, il fut très modeste, notamment en Afrique noire, le pouvoir politique étant à l’origine de la création de banques d’Etat, créatrices d’une monnaie et relais du Trésor : son potentiel économique n’avait rien à voir avec celui de l’Afrique noire anglaise. (voir les travaux de Jacques Marseille, notamment le livre « Empire colonial et capitalisme français : histoire d’un divorce » (1984)
  • le lecteur pourra utilement lire un ouvrage collectif et très documenté sur les réussites modestes de l’impérialisme français : « L’esprit économique impérial » (1830-1970) – Groupes de pression & réseaux du patronat colonial en France & dans l’empire » Hubert Bonin- Catherine Holdeir – Jean-François Klein

L’auteur note « Le contraste géopolitique entre les colonies au nord et au sud du Sahara » (p,331)

« La question de l’esclavage » (p,333)

Il s’agit d’une des analyses les plus intéressantes de l’ouvrage, parce qu’elle sort des tabous, des non-dits, des fausses vérités qui alimentent la propagande post-coloniale. L’association les Indigènes de la République n’a-t-elle pas choisi pour un de ses emblèmes l’esclavage ?

Une seule question : s’agit-il, compte tenu des longs développements de l’auteur sur ce sujet sensible, d’ajouter ce facteur clé au triptyque de facteurs « représentations- pouvoir – territoire » ?

« Les temps très longs de l’esclavage en Afrique » (p,335)

« Le terme et la notion d’esclave ont eu durant des siècles et dans le monde entier deux significations complexes et contrastées : les esclaves-marchandises, producteurs ou domestiques (dont l’achat coûte relativement cher dans bien des cas) et les esclaves-guerriers appartenant à un appareil d’Etat ou à un chef de guerre et en principe exclus de l’exercice symbolique du pouvoir. Selon Claude Maillassoux (Anthropologie de l’esclavage, 1986), ces deux aspects ont existé durant des siècles en Afrique comme ailleurs, et ils fonctionnaient l’un par rapport à l’autre, car dans bien des cas c’étaient des esclaves-guerriers qui capturaient les esclaves-marchandises. » (p,337)

L’auteur cite ensuite en référence « L’Histoire générale de l’Afrique » publiée par l’Unesco en huit volumes (1974-1986), laquelle accorde une grande importance à l’esclavage (Tome III du 7ème au 11ème siècle), en proposant une comparaison entre les œuvres artistiques du royaume d’Ife en Nigéria avec celles de la Grèce classique.

 « Ce n’est pas parce qu’on voit dans l’esclavage la base essentielle du système économique et social d’Ife qu’il faut décrier celui-ci. L’institution de l’esclavage fournissait l’assise de productions artistiques de la Grèce classique et nous ne les admirons pas moins ». (p,336)

« Le développement des économies de plantation en Amérique tropicale entraine un énorme accroissement du commerce esclavagiste en Afrique. (p,337)

« La traite des esclaves a existé depuis les VIIème –VIIIème  siècles vers les pays du Maghreb à travers le Sahara (avec relais dans les oasis), vers l’Egypte par la vallée du Nil et vers l’Arabie et le Golfe Persique depuis les côtes de l’Afrique orientale, à travers l’Océan Indien… A cette traite que les historiens appellent orientale s’ajoute à partir du XVI° siècle la traite occidentale par l’Océan Atlantique pour les besoins en main d’œuvre des Européens en Amérique où la population indigène a disparu sous l’effet des épidémies. » (p,337)

Le sens de la phrase que j’ai soulignée mériterait sans doute d’être explicitée.

 L’auteur fait référence au travail remarquable de l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau dans « Les Traites négrières », (2004) que la propagande post-coloniale a voué aux gémonies, pour avoir décrit la vérité.

L’auteur n’a pas évoqué l’absence de l’esclavage en métropole, tout au long des siècles, avec une phase coloniale aux Antilles, qui fut relativement courte, comparée, aux autres nations.

En ce qui concerne les travaux fort intéressants de l’Unesco, je les ai moi-même exploités, et leur tonalité historique faisait la part des choses, entre le blanc et le noir, dans les mêmes conditions qu’Hampâté Bâ dans ses livres.

« L’organisation par les souverains africains des chasses aux esclaves (p,338)

            « L’analyse des livres de comptes des compagnies montrerait que très peu d’esclaves (selon O.Pétré-Grenouilleau) auraient été capturés par des négriers européens. » (p,338)

Commentaire Il ne faut pas beaucoup de temps aux chercheurs qui consultent les récits des explorateurs ou des officiers des troupes coloniales pour croiser sur leur chemin, à la fin du XIXème siècle, des caravanes d’esclaves, ou découvrir les marchés d’esclaves du Bassin du Niger, avec le tarif en cauris des « marchandises » classées par ordre de prix sur le marché.

« L’Angleterre interdit soudain la traite » (p,340)

            « En 1807, en pleines guerres napoléoniennes (l’empereur des Français vient d’écraser la Prusse, et de décréter contre l’Angleterre le Blocus continental), le Premier ministre William Pitt promulgue un décret qui interdit à tout sujet britannique d’acheter ou de vendre des esclaves…. Après la défaite de Napoléon, les dirigeants britanniques imposèrent au Congrès de Vienne l’interdiction de la traite…. »

            « L’interdiction d’exporter des esclaves eut d’importantes conséquences géopolitiques. (p,342)

            « La plupart des discours et livres anticolonialistes passent sous silence l’interdiction faite par les Anglais de la traite ou la considèrent comme un simulacre sans grande conséquence, une simple hypocrisie. On soutint souvent que le travail forcé dans les colonies européennes d’Afrique sera l’équivalent de l’esclavage. Sur le plan humanitaire, la différence ne fut pas très grande, mais elle fut considérable du point de vue géopolitique : alors que durant trois siècles le système de « production » des esclaves, (leur capture et leur exportation) avait fonctionné sous la direction des souverains africains en relation d’affaires avec les négriers européens, l’interdiction de la traite à partir du XIXème siècle entrainera rapidement la conquête coloniale et le partage de l’Afrique entre puissances européennes et l’établissement par la force de l’autorité des Blancs sur les Noirs…. » (p,342)

Question :  la chaine causale des conquêtes proposée, l’enchainement décrit est à l’évidence par trop synthétique, mais il pose la question du rôle de l’esclavage dans le processus des conquêtes coloniales.

Facteur géopolitique majeur, avec la désagrégation des tribus, l’entrée en scène parallèle de nouvelles technologies de pouvoir et de communications entre les côtes et l’hinterland ?

En 1895, et à l’occasion des travaux de délimitation des frontières entre le Dahomey et la Nigéria et des nombreux contacts noués avec confiance avec les petits roitelets de l’hinterland, le commandant Toutée rapportait  les jugements péjoratifs qu’ils portaient sur les populations côtières gagnées par les licences de  la modernité. Les mêmes interlocuteurs étaient reconnaissants à la France de les avoir débarrassés des rafles d’esclaves commandées par le roi Béhanzin. (« Du Dahomé au Sahara » A.Colin-1899)

Les facteurs de désagrégation des tribus méritent effectivement un examen, car ils ont été nombreux, mais pas uniquement liés à l’esclavage.

En Afrique du Sud, encore pays d’apartheid en 1950, Alan Paton était bien placé pour décrire les dégâts causés par l’industrie minière et la concentration des mineurs dans des bidonvilles dans un roman superbe intitulé « Pleure, ô Pays bien aimé ».

Dans sa préface, il écrivait :

« … Mais l’industrialisation ne fut pas la seule cause de destruction des tribus. L’homme blanc n’apportait pas seulement des villes et des usines, mais aussi des alcools nouveaux, la lecture et l’écriture, des marchandises séduisantes, des fusils, des maladies inconnues et les idées et l’idéal chrétiens. L’élément le plus destructif pour les Noirs fut la constatation plus ou moins consciente, que le système des tribus était désormais un instrument  entre les mains des Blancs et non plus l’élément vital du peuple africain, fait de guerre, de tambours, de plaisir, de chasse, de danse et d’amour ; d’esprits et de présages ; de piété filiale et de graves discussions… »

N’en fut-il pas de même dans l’ancien Congo Belge ?

L’auteur poursuit son analyse avec l’exemple des quatre guerres menées par les Anglais contre le Royaume esclavagiste des Ashanti en Gold Coast (Ghana) à la fin du siècle (1806-1874) et poursuit :

            «…Tout cela contribua à ce que les milieux intellectuels et poltiques européens parlent de plus en plus de la « mission civilisatrice » de l’Europe, de la France ou du « fardeau de l’homme blanc », tiré du célèbre poème de Rudyard Kipling (1899). On peut dénoncer ce mélange de bons sentiments et de géopolitique, mais il se trouvait déjà dans les discours des « abolitionnistes » qui avaient lutté pour la fin de l’esclavage et qui servaient aussi à une sorte de règlement de comptes entre le gouvernement britannique et les Etats-Unis.

            L’instauration du travail forcé par les administrations coloniales dans la plupart des pays d’Afrique noire, bien qu’elle ait entraîné de nombreux abus et de graves conséquences sanitaires, n’eut absolument pas les conséquences géopolitiques qu’avait eues la chasse aux esclaves. » (p,344)

            Commentaire : il est exact que l’esclavage fut un facteur de destruction et de structuration sociale majeure et collective en Afrique noire, mais il était en même temps une des données constitutives des mœurs de la plupart de ses peuples, quasiment une sorte de trait de vie collective.

            Certains courants de pensée tentent de balancer la calamité de l’esclavage par celle du travail forcé, alors que la France interdit très rapidement l’esclavage en Afrique noire : il est exact que le travail forcé fut une source d’abus graves, notamment lorsqu’il était destiné à fournir de la main d’œuvre aux colons. Dans de nombreux cas de figure, il s’inscrivait dans l’héritage des « corvées », qui persistaient sous la Troisième République. Il s’agissait de suppléer à la somme des carences qui affectaient les premiers équipements collectifs de base.

            A Madagascar, l’abolition de l’esclavage, en 1896, fut une des premières décisions que prit le général Gallieni, laquelle déstabilisa complètement le système de travail local.

         Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés