L’Islam en France

Le « Biais » statistique « Intime » ?

Questions sur les sondages

L’exemple du sondage sur la population musulmane en 2019 ?

IFOP Le Point Fondation Jean Jaurès

JF/FK N°116 646 Septembre 2019

Cité par Mme FatihaAgag-Boudjahlat

« Etude auprès de la population musulmane en France, 30 ans après l’affaire des foulards de Creil »

Brève définition du concept « biais » :

Dans une enquête statistique, caractéristique d’une question ou d’une démarche qui a pour conséquence de générer des erreurs dans les résultats ou l’interprétation des résultats de l’enquête.

Notre petit résumé :

Du 26/08/2019 au 9/09/2019 : un échantillon de 1012 personnes

Nos questions ?

La base de calcul de la population ? Comment établir la base de calcul d’un échantillon représentatif d’une population mal identifiée ? De personnes de religion ou d’origine musulmane ?

La méthodologie :

En 2019, sur un échantillon 1012 personnes représentatif de la population de religion ou d’origine musulmane âgée de 15 ans et plus interviewée par téléphone du 26/08/2019 au 9 septembre 201915 ans et plus ? Par téléphone ? Sur deux fois quatre jours ouvrables (hors vendredi, samedi, dimanche) ?

Comment établir une cohérence statistique, pour ne pas dire scientifique, avec plusieurs sondages antérieurs sur le même sujet avec des échantillons de tailles et d’âges différents, 536, plus de 18 ans, en 2010, pour le Figaro, 547 en 2011, plus de 18 ans, pour Marianne, 15 459 en 2016, plus de 15 ans, du 13/04 au 23/05/16 pour l’Institut Montaigne ?

Le public visé : Il parait évident que ces variations de données mériteraient une explication, d’autant plus qu’il s’agit d’un objet de sondage très particulier puisqu’il met en cause la vie intime, les convictions des personnes, d’autant plus sensible qu’il s’agit d’un public très difficile à toucher.

Il est évident que le même objet de sondage soulèverait le même type de difficulté dans le public chrétien ou juif.

Le téléphone n’est sûrement pas le bon instrument de « confession ».

Autre question, les dates des sondages ? Il parait évident que les contextes historiques ont changé entre 2011 et 2019.

Le témoignage de Fatiha Agag-Boudjahalat dans un livre fort intéressant intitulé « Les Nostalgériades » Nostalgie Algérie Jérémiades » (pages 71 et suivantes) en dit plus long sur le sujet que mes propres commentaires. L’auteure est née à Montbéliard.

L’auteure fait partie du groupe très dynamique de femmes françaises d’origine musulmane qui luttent contre un patriarcat qui n’a ni frontières, ni religion, notamment la musulmane, que certaines féministes « bourgeoises » et « blanches » ont tendance à cautionner sous un prétexte multiculturel.

A propos de ce sondage de 2019, qu’elle cite, elle écrit : «  Ce genre de sondages ou d’études qui se multiplient sont classiquement biaisées par l’échantillonnage peu représentatif, souvent trop masculin, par les dates auxquelles ils sont réalisés, la proximité avec un attentat ou une focalisation dans les médias sur un sujet en lien avec l’islam ou l’intégration des enfants d’immigrés induiront une posture de défense. Posez n’importe quelle question à un musulman sur l’islam, et la réponse sera un acte de foi, quel que soit son degré de pratique religieuse. La question même est perçue comme une intrusion, voire une agression. Et c’est un acte de foi facile, comme le soulignait avec humour Ali Al-Wardi. Les réponses au sondage de la fondation Jean Jaurès étaient faciles et vaniteuses, parce qu’elles n’engageaient à rien, n’exposent à aucune conséquence, ne se traduisent par aucun effet ou perte d’opportunité. La question était donc mal posée. Elle donnait l’impression d’une compétition entre civilisation et style vie musulmans avec la France et son système politique. Répondre que la loi islamique primait était non seulement un acte de foi facile, un doigt d’honneur à l’interrogateur, et un élément du dispositif d’estime de soi. Ce qu’explique Axel Honneth en ces termes : « L’honneur ou la dignité traduit le degré d’estime accordé à la manière dont cette personne se réalise dans l’horizon culturel d’une société….

L’existence même de ce genre de sondages est vécue comme une humiliation qui conduit plus un sondé à surcompenser par une fanfaronnade. A l’exception des islamistes les plus durs, qui peut souhaiter que s’applique en France la charia en matière pénale ou familiale. Ce sondage donne à croire qu’il s’agit de juger de la qualité, de la reconnaissance de la supériorité d’un mode de vie sur un autre, et la religion intriquée avec l’identité des descendants d’immigrés, ces questions humilient. Les musulmans étant sommés de prendre parti pour la France contre leur culture, beaucoup choisissent de se défendre. » (pages 72,73,74,75)

Je conclurai cette courte chronique en rappelant le calendrier tout à fait curieux de ce sondage, à la fin d’un été qui a vu sans doute de nombreux immigrés ou enfants d’immigrés, français, binationaux, ou bénéficiaires d’une carte de séjour, aller se reposer dans ce que l’auteure citée plus haut dénomme le « bled », c’est à dire du 26 août 2019 au 9 septembre 2019 : un bled qui a été transformé depuis la guerre d’Algérie (1954-1962).

Jean Pierre Renaud       Tous droits réservés

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Questions mémorielles : la guerre d’Algérie et  les mémoires coloniales ?

Une question posée aux Universités qui ont sans doute peur de s’aventurer dans le domaine des enquêtes statistiques qui troubleraient incontestablement la loi du silence ?

Ces sujets ont été abordés et  traités à de multiples reprises sur le blog en faisant notamment référence aux analyses scientifiques de Maurice Halbwachs sur la mémoire collective et aux discours mémoriels de toute  nature, trop souvent idéologiques ou politiques, qui tentent de se substituer tout à la fois à l’histoire et aux enquêtes statistiques pertinentes.

Le texte ci-dessus revient sur le sujet des sondages  et  des enquêtes statistiques qui proposent de cerner une partie de ce sujet sensible, et tabou : a-t-on peur de la vérité ? Est-ce que l’Université ne devrait pas prendre une initiative, qui l’honorerait, d’une grande enquête statistique sérieuse et transparente sur le sujet ?

Il y a quelques années, la Fondation Jean Jaurès s’était emparée d’une partie du sujet, mais sans convaincre, comme je l’avais expliqué sur le blog du 29/01/2015, voir  ci-dessous :

IFOP et Guerre d’Algérie : une enquête de mémoire pertinente ?

L’enquête IFOP d’octobre 2014 pour la Fondation Jean Jaurès et le journal Le Monde :

« Le regard des Français sur la Guerre d’Algérie, soixante ans après la « Toussaint rouge »

Les résultats de l’étude :

« A – Le souvenir spontané et les représentations associées à la Guerre d’Algérie »

B – La mémoire de la colonisation et de la Guerre d’Algérie et les relations franco-algériennes »

La Fondation Jean Jaurès m’a communiqué les résultats de cette enquête et je la remercie

Les questions que pose cette enquête ?

            Questions sur le langage tout d’abord ?

            Est-il possible de cerner le sujet de la mémoire que les Français ont, en 2014, de la guerre d’Algérie, en associant dans la grille du questionnaire des concepts aussi différents, pour ne pas dire ambigus, contradictoires, ou faussement compréhensifs au sens « logique », que « regard », « souvenir spontané » « représentations associées » « mémoire de la colonisation et de la Guerre d’Algérie », « Contemporains de la guerre d’Algérie » ?

            Les « contemporains de la guerre d’Algérie » auraient de nos jours plus de 65 ans, et concernent les deux dernières tranches d’âge de cette enquête : les réponses aux questions posées sont –elles donc représentatives ?

            « Mémoire de la colonisation et de la Guerre d’Algérie », un titre qui laisse à penser qu’il y a eu confusion entre la colonisation et l’Algérie, ce qui est inexact, même si certains chercheurs ou même historiens veulent nous faire croire le contraire.

            Questions sur la grille du questionnaire en deuxième lieu ?

            Avant d’aller dans les deux parties de cette enquête, une double question préalable de méthodologie :

  •  celle qui dans la partie A questionne toutes les classes d’âge sur des contenus qui s’inscrivent dans une grille de chronologie qui manque de pertinence avec ces classes d’âge,
  •  et celle  qui fait la distinction pertinente entre les « contemporains » et les autres, mais sans donner la définition statistique du questionné « contemporain ».

A – Le souvenir spontané et les représentations associées à la Guerre d’Algérie

            Question – L’événement le plus marquant de la guerre d’Algérie, c’est… ? En premier ? En deuxième ? En troisième ?

                Sont énumérés les événements cités par le questionnaire qui viennent dans l’ordre suivant en pourcentage des citations :

            L’arrivée des pieds noirs (59%), une guerre de libération (54%), le retour du général de Gaulle (41%), une défaite pour la France (38%), l’abandon des harkis (38%), les attentats du FLN ( 29%), le recours à la torture par l’armée française (27%), le putsch des Généraux et l’OAS (14 %).

            L’institut publie en page 8 une grille très sophistiquée des questionnaires par personne interrogée, une structure dont au moins un des éléments fait problème, celui des âges :

            Age de l’interviewé(e)

Moins de 35 ans

18 à 24 ans

25 à 34 ans

35 ans et plus

35 à 49 ans

50 à 64 ans

65 à 69 ans

70 ans et plus

            Il parait tout de même difficile d’admettre que les générations nées après 1962, aient pu avoir un « souvenir spontané » de la plupart, sinon de presque tous les événements cités.

Outre le fait, que ce questionnement ne tient pas compte de la composition du public interrogé, ancien pied noir ou descendant, français immigré ou harki, etc …, une méthode statistique qui fait peser une suspicion légitime supplémentaire sur la représentativité de cette enquête.

            Le même type de suspicion légitime peut exister pour la question suivante – :

«  Le jugement sur le comportement de la France à l’égard des différentes populations concernées par la guerre d’Algérie

Question : diriez-vous que depuis la fin de la Guerre d’Algérie jusqu’à aujourd’hui, la France s’est plutôt bien ou mal comportée   ?

A l’égard les Pieds Noirs, le peuple algérien, les Français issus de l’immigration algérienne, les Harkis (c’est-à-dire les Algériens favorables à l’Algérie française) »

en interrogeant donc une population française qui, dans ses âges et ses origines, ne peut pas, sur le plan historique, porter un tel jugement, d’autant moins si l’enquête ne tient aucun compte du nombre de personnes interrogées qui sont précisément issues des différents courants de population impliqués.

B – La mémoire de la colonisation et de la Guerre d’Algérie et les relations franco-algériennes

L’impact de l’indépendance pour l’Algérie et pour la France

            Comment mettre sur le même pied la mémoire de la colonisation et celle d’Algérie, même si un historien bien connu a tendance à confondre  ces deux mémoires, sans jamais avoir pris l’initiative de les faire à la fois mesurer et distinguer ?

            Comment, telle qu’est rédigée cette question, se mettre à la place de l’Algérie ?

            Question : Diriez-vous que l’indépendance de l’Algérie a été une bonne ou mauvaise chose… ?

            A la différence de la question précédente, le questionnaire fait la distinction entre contemporains de la guerre d’Algérie et les autres non spécifiés, mais sans donner la définition retenue pour les « contemporains »

            Comme nous l’avons indiqué plus haut, cette absence de définition, aussi bien sur le plan du langage que sur le plan de sa représentativité statistique, fait peser un sérieux doute sur les résultats proposés.

            « La place accordée à la guerre d’Algérie dans les médias et à l’école »

Question : Selon vous, avez-vous l’impression que l’on parle trop, pas assez ou comme il faut de la Guerre d’Algérie ?

Le questionnaire distingue à nouveau entre les « contemporains » et les autres, mais il parait difficile d’interroger les « contemporains » de cette guerre sur ce qui se passe à l’école, sauf à avoir interrogé les enseignants et peut-être les parents d’élève.

En conclusion, cette enquête apporte quelques lumières sur le sujet de la mémoire de la guerre d’Algérie, mais il est regrettable que celle-ci n’ait pas procédé à un cadrage statistique rigoureux des questions posées par rapport au public interrogé, avec des impasses qui font peser une suspicion légitime sur ses résultats.

Jean Pierre Renaud    Tous droits réservés

Mali suite…

Une Pièce à Conviction

La Géopolitique à l’IRIS

Référence :

« Les conditions d’une intervention militaire »

Par Pascal Boniface dans le journal la Croix du 29 septembre 2014 (extraits)

            Dans cette chronique, M.Boniface propose une analyse historique et technique des interventions occidentales dans les pays étrangers, mais sans rappeler toujours les raisons de ces interventions.

A ses yeux, «  Trois facteurs viendront déterminer l’avenir des interventions militaires extérieures » -– les visions opposées de l’ingérence au Nord… à l’égard du Sud … , la fin du monopole occidental sur la puissance ; le poids croissant des opinions publiques dans la détermination des politiques étrangères.

Facteurs ou circonstances ?

Il propose un raccourci historique de certaines interventions extérieures du siècle passé qu’il classe, sans les citer, dans la catégorie des «  promenades de santé » … « comme elles le furent presque jusqu’à la fin du XX °siècle. »  en passant à d’autres interventions récentes qui n’ont pas connu de réussites, telle celle d’Afghanistan.

« En Libye, le succès initial a laissé place au chaosEn dehors de la situation libyenne, du choc qu’a éprouvé en retour le Mali…»

 « Il y a cependant des interventions réussies. On peut citer celle modeste du Timor-Oriental. On peut également citer l’intervention française au Mali : elle fut de courte durée – (nous y sommes toujours) –, les adversaires faibles – (ils sont toujours là ) -, elle se fit à la demande de la population malienne – ( il n’y avait plus d’Etat ) – et rencontra un soutien régional et mondial, avec de surcroît un feu vert juridique de l’ONU – après que le Président ait annoncé : « j’ai décidé », comme il l’a fait après, pour la Centrafrique, et comme il vient de le faire pour l’Irak.

Est-ce que ces interventions ont été effectuées en respectant les conditions que propose M.Boniface, lesquelles seraient les suivantes ?

« En premier lieu, il ne faut pas confondre monde occidental et communauté internationale »

« Ensuite un mandat du Conseil de sécurité reste la meilleure garantie de légitimité …

Il est aussi impératif de réfléchir au jour d’après. Le contre-exemple libyen en est la démonstration….

Les guerres de contre-insurrection ne peuvent être gagnées qu’à condition d’avoir un allié national puissant sur lequel on peut s’appuyer, capable de mettre en œuvre rapidement une solution politique. »

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Comme ce fut le cas en Libye, au Mali, en Centrafrique, et  aujourd’hui en Irak ? Avec des alliés puissants qui sont absents ?

A lire ce texte, la France n’aurait donc pas dû s’y engager.

Les interventions françaises récentes ne s’inscrivent en effet pas dans ce type de schéma, même si l’ONU, a dans un deuxième temps, entériné le « cavalier seul » de la France – j’ai décidé –  qui fleure un peu trop une nouvelle forme de néocolonialisme, un mélange d’intérêt et d’idéalisme pas très éloigné de la mission civilisatrice (des colonies) de la France (aujourd’hui l’humanitaire), ou encore de la grandeur passée du pays (la France reste une grande puissance).

L’exposé de M. Boniface soulève des questions auxquelles il ne parait pas apporter de réponse, au moins dans le cas de la France, pour laquelle j’ajouterais volontiers trois conditions supplémentaires, la première, appeler un chat un chat, c’est-à-dire, les conditions de « la guerre » au lieu « d’une intervention militaire », et puisqu’il s’agit de guerre, redonner au Parlement le pouvoir d’en décider.

La deuxième, afficher clairement le ou les objectifs de notre guerre, c’est-à-dire, ce qui n’est jamais dit aujourd’hui, une « guerre sans morts ».

La troisième, arrêter de faire croire à l’opinion publique française que la France peut continuer à faire ses exercices de puissance militaire extérieure sans l’Europe, le véritable siège de notre puissance, tout en faisant comme si – c’est éclatant dans le cas de l’Irak –  le gouvernement conservait une liberté d’action (sous le parapluie américain), tant que l’Europe refusera d’exercer une forme nouvelle de puissance militaire.

Jean Pierre Renaud. Tous droits réservés

N B – Les lecteurs intéressés par ce type de sujet peuvent consulter mon analyse de la thèse qu’a défendue la capitaine Galula sur le guerre contre-révolutionnaire, à partir de son expérience algérienne sur ce blog aux dates suivantes : 21/09/2012 et 5/10/2012

« Corps noirs et médecins blancs »

« La Fabrique du Préjugé racial »

Delphine Pereitti- Courtis

Agrégée d’histoire, Docteure en histoire, et enseignante

            Les titres universitaires ci-dessus la qualifiaient  pour produire une analyse historique pertinente du rôle des médecins blancs dans « La fabrique du préjugé racial », un sujet on ne peut plus sensible dans la période actuelle, alors que cela n’a pas été le cas.

            Je me suis attaché à lire très attentivement les cinq cents pages d’un ouvrage savant et austère afin d’en mesurer la pertinence historique.

J’ai publié une analyse critique sur le blog eh-tique-media-tique@over-blog.com . (1)

            Pour la résumer, je dirais que je choisirais plutôt comme titre de cet ouvrage  « LA FABRIQUE UNIVERSITAIRE DE L’HISTOIRE », pour paraphraser le titre d’un livre intitulé « LA FABRIQUE SCOLAIRE DE L’HISTOIRE » (2017) « Laurence de Cock (dir.).

            Pourquoi ? En raison d’une lecture critique d’un ouvrage qui exprime une lecture anhistorique et idéologique de ce sujet sensible.

Il ne s’agit plus ici de l’école, mais de l’université, laquelle, de nos jours, couvre de son autorité des thèses de sciences humaines, soutenues sans contradiction, devant des jurys dont les débats et le procès-verbal restent secrets : la mention « soutenance publique » est une pure formalité.

Dans un lointain passé et sur le blog Etudes Coloniales, j’avais évoqué le « secret de la confession ».

Ces thèses accréditent des interprétations de l’histoire éloignées trop souvent des exigences de la scientificité nécessaire pour convaincre.

Ces thèses  accréditent et propagent ce qu’il faut bien appeler une propagande politique matinée de décolonial, d’indigéniste, ou de woke américain, cette grande nation qui n’a interdit la ségrégation qu’en 1962 !

  1. Dates de publication : à partir du 4/10/2021

Jean Pierre Renaud     Tous droits réservés

LE MALI

LCP du 28 décembre 2021

« Mali, les sacrifiés du Sahel »

Peggy Bruguière, Marlène Rabaud

DébatDoc

Jean-Pierre Gratien

Avec la participation de deux excellents spécialistes de l’Afrique, Vincent Hugeux et Antoine Glaser

Le documentaire était intéressant et fort instructif sur la situation du Mali avec l’énumération des plaies qui touchent le Mali.

On redécouvre l’absence d’un État, car l’État colonial, antérieur aux années 1960 était un État artificiel avec des frontières artificielles, l’existence d’ethnies qui ne disent pas leur nom, n’en déplaise aux sociologues ou ethnologues « décoloniaux »  qui accusent la France d’avoir créé les ethnies, la diversité des cultures et des croyances, les réalités d’un clientélisme paternaliste chargé de « rémunérer » ses serviteurs, comme sous notre Ancien Régime, les fractures entre nomades et sédentaires, pour ne pas évoquer l’Algérie et le Sahara, etc..

Nous avons en France et depuis plusieurs dizaines d’années un problème de gouvernance de notre politique étrangère africaine, celui de la culture historique de nos dirigeants, et de plus en plus, celle de leur ignorance de la guerre, faute de connaissances sur le sujet et faute d’expérience des hommes sur le terrain.

Nous sommes revenus à l’époque des conquêtes coloniales, face à une Afrique noire encore inconnue.

Lors des conquêtes coloniales, les gouvernements ignoraient ce qui se passait sur le terrain, et depuis 2014, les gouvernements savent : ils nous  engagent  dans de nouvelles guerres, avec l’accord implicite du Parlement de la République Française.

Je me contenterai de proposer aux lecteurs deux chroniques que j’avais publiées sur mon blog les 25 janvier 2013 et 27 avril 2013.

Publiée sur le blog le 25 janvier 2013

La « Guerre » du Mali avec Hollande !

Mesdames et Messieurs, cessons de jouer sur les mots !

Entre Jules Ferry et François Hollande, quelle différence entre « fait accompli » colonial et « fait accompli » néocolonial ?

Le nouvel article 35 de la Constitution de 1958, une régression de la démocratie républicaine !

            1883 : Jules Ferry, Président du Conseil, fait la guerre au Tonkin, sans demander l’accord préalable du Parlement, alors que la Constitution de 1875 disposait dans son article 9: « Le Président de la République ne peut déclarer la guerre sans l’assentiment préalable du Parlement. »

            La Constitution du 27 octobre 1946 disposait dans son article 7 :

            « La guerre ne peut être déclarée sans un vote de l’Assemblée Nationale et l’avis préalable du Conseil de la République »

            2013, le vendredi 11 janvier, François Hollande, après avoir engagé les forces armées de la France au Mali, déclare quelques jours après : « cette décision que j’ai prise vendredi dernier ». 

Intervention ou guerre ? Il est évident qu’un Président de la République qui fait intervenir nos avions de chasse dans un pays étranger, fut-il réputé ami, accomplit un acte de guerre, avec un risque d’engrenage, engrenage qui a eu lieu, jusqu’à quand ?

La France est donc en guerre au Mali, et il n’est pas interdit de se poser de vraies et bonnes questions sur l’interprétation de l’article 35 de la Constitution, d’un article modifié par le Congrès du Parlement le 23 juillet 2008, et adopté par 539 voix, en grande majorité de la droite, contre 357 voix, en grande majorité de la gauche, mais à la majorité d’une voix seulement pour une majorité constitutionnelle des trois cinquièmes fixée à 538 voix.

Ironie de l’histoire, c’est aussi grâce à une voix, et le vote de l’amendement Wallon, que la Troisième République a atteint, en 1875, sa forme républicaine !

L’article 35 de la Constitution de 1958, celle du général de Gaulle, disposait :

« La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement »

Le Parlement, réuni en Congrès, le 23 juillet 2008 a modifié cet article de telle sorte que le Président de la République dispose à présent d’un droit de faire la guerre sans la faire, et sans le dire.

La Côte d’Ivoire, la Libye, et aujourd’hui, le Mali, sont l’illustration de ce nouvel état d’un nouveau droit constitutionnel qui ne dit pas son nom, car le nouveau texte dispose après l’aliéna 1, cité ci-dessus :

« Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote. Lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement. Il peut demander à l’Assemblée nationale de décider en dernier ressort.

 Si le Parlement n’est pas en session à l’expiration du délai de quatre mois, il se prononce à l’ouverture de la session suivante. »

Très étrange rédaction et rédaction inacceptable !

Dans le cas du Mali, le Président de la République engage la France dans ce qu’il faut bien appeler une « guerre »  qui ne dit pas son nom. Le Parlement n’a rien à dire pendant quatre mois, et en dehors d’une session, le même gouvernement peut continuer à faire la guerre en attendant l’ouverture de la session  suivante.

Comment la représentation nationale a pu accepter ce déni de démocratie, d’une France en guerre par la décision de son Exécutif, sans qu’elle ait son mot à dire pendant quatre mois. ?

Après un débat sans vote, le gouvernement peut donc continuer son « intervention » militaire pendant quatre mois, sans demander l’autorisation du Parlement ?

En quatre mois, il peut s’en passer des choses, quand on fait la guerre !

Pourquoi ne pas se demander aussi à quoi peut bien servir la représentation nationale si elle est incapable de se réunir dans l’urgence et donner, ou non, son feu vert, sur un sujet aussi capital pour la vie de la nation qu’une entrée en guerre de la France dans un pays étranger.

Alors, guerre ou pas guerre ? Intervention de nos forces militaires ou guerre ? L’hypocrisie politique des mots !

Autorisation de l’ONU ou non, la France a engagé une nouvelle guerre en respectant la Constitution dans sa forme nouvelle, qui est en soi, une violation de la démocratie républicaine.

Étrangement les mêmes responsables politiques socialistes qui, en leur qualité de députés et sénateurs, les Hollande, Ayrault, Fabius, Bartolone, Bel, etc… avaient voté contre la réforme de 2008, ont endossé très facilement les nouveaux habits d’une République en guerre qui ne dit pas son nom.

En conclusion, pour avoir fait de nombreuses recherches historiques afin de déterminer où se situait le « fait accompli » colonial dans les institutions de la Troisième République, notamment à l’époque des conquêtes coloniales de Jules Ferry et de la Troisième République, soit du fait des exécutants, soit du fait des ministres eux-mêmes, et en avoir tiré la conclusion que le « fait accompli » colonial se situait le plus souvent dans la sphère gouvernementale, je serais tenté de dire que la décision Hollande et tout autant les décisions antérieures de Sarkozy pour la Côte d’Ivoire et la Libye ressemblent fort à des « faits accomplis » du type néocolonial.

Une véritable révolution dans notre conception et le fonctionnement de la République

Giscard a évoqué un néocolonialisme et il n’avait pas tort.

Et pourquoi ne pas rappeler aussi que dans un débat célèbre de la Chambre des Députés sur l’affaire du Tonkin, le 31 juillet 1885, un homme, Clemenceau, s’était élevé contre les initiatives intempestives de Jules Ferry ?

 Avez-vous entendu un homme ou une femme politique de la même envergure dans notre Parlement sur un sujet aussi grave que le Mali, mettre en demeure les députés de droite ou de gauche de prendre clairement position sur ce nouveau conflit ?

Au fond, l’article 35 les arrange bien tous, en leur donnant un drôle d’alibi, celui de la Constitution !

Jean Pierre Renaud      Tous droits réservés

« Corps noirs et médecins blancs »

« La fabrique du préjugé racial »

« XIX-XXème siècles »

Delphine Peiretti-Courtis

(mai 2021)

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Conclusion

            Dans les pages qui précèdent je me suis longuement exprimé sur la pertinence historique de ce livre, en notant que l’analyse proposée ne laissait aucune place à « L’Autre ».

Je me contenterai donc de donner la parole au grand lettré africain que fut Amadou Hampâté Bâ, en citant un des passages du livre « OUI MON COMMANDANT »  (Actes Sud 1994).

On surnommait quelquefois les administrateurs des colonies, avant 1945, puis de la France d’Outre-Mer, après 1945, les « Rois de la Brousse ».

L’auteur en brosse le portrait tout en couleurs et en vérité grâce à la longue expérience qui fut la sienne à cette époque :

«  Face nocturne et face diurne

« Certes, la colonisation a existé de tous temps et sous tous les cieux, et il est peu de peuples, petits ou grands, qui soient totalement innocents en ce domaine – même les fourmis colonisent les pucerons et les font travailler pour elles dans leur empire souterrain ! …Cela ne la justifie pas pour autant, et le principe en reste haïssable. Il n’est pas bon qu’un peuple domine d’autres. L’Humanité, si elle veut évoluer, se doit de dépasser ce stade.. Cela dit, quand on réclame à cor et à cri la justice pour soi, l’honnêteté réclame qu’on la rende à  son tour aux autres. Il faut accepter de reconnaître que l’époque coloniale a pu laisser des apports positifs, ne serait-ce entre autres, que l’héritage d’une langue de communication universelle grâce à laquelle nous pouvons échanger avec des ethnies voisines comme avec les nations du monde…A nous d’en faire le meilleur usage et de veiller à ce que nos propres langues, nos propres cultures, ne soient pas balayées au passage.

Comme le dit le conte peul Kaïdara, toute chose existante comporte deux faces : une face nocturne, néfaste, et une face diurne, favorable ; la tradition enseigne en effet qu’il y a toujours un grain de mal dans le bien et un grain de bien dans le mal, une partie de nuit dans le jour et une partie de jour dans la nuit.

Sur le terrain, la colonisation, c’étaient avant tout des hommes, et parmi eux il y avait le meilleur et le pire. Au cours de ma carrière, j’ai rencontré des administrateurs inhumains, mais j’en ai connu aussi qui distribuaient aux déshérités de leur circonscription tout ce qu’ils gagnaient et qui risquaient même leur carrière pour les défendre. Je me souviens d’un administrateur commandant de cercle à qui le gouverneur avait donné ordre de faire rentrer l’impôt à tout prix. Or, la région avait connu une année de sécheresse et de famine, et les paysans n’avaient plus rien. L’administrateur envoya au gouverneur un télégramme  ainsi rédigé : « Là où il n’y a plus rien, même le roi perd ses droits. ». Inutile de dire qu’il fut considéré comme « excentrique » et rapatrié.

Serait-il juste de frapper du même bâton des professeurs honnêtes, des médecins ou des religieuses dévoués, de hardis et savants ingénieurs, et d’un autre côté quelques petits commandants mégalomanes et neurasthéniques qui, pour calmer leurs nerfs ou compenser leur médiocrité, ne savaient rien faire d’autre que d’asticoter, amender emprisonner les pauvres « sujets français » et leur infliger des punitions à tour de bras ? Quelque abominable qu’ait pu être la douleur infligée à tant de victimes innocentes, ou le coût terrible en vies humaines de grands travaux dits d’ « utilité publique », cela ne doit pas nous conduire à nier le dévouement d’un professeur formant les instituteurs ou les médecins de demain. » (pages 334 et 335)

Jean Pierre Renaud    Tous droits réservés

Le 1er octobre 2021, à Thorigné sur Dué

« Corps noirs et médecins blancs »

 « Corps noirs et médecins blancs »

« La fabrique du préjugé racial »

Delphine Peiretti-Courtis

La Découverte 2021

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Lecture critique

Qui, Quoi, Quand et Où ?

            Les mots du titre claquent comme des bannières au vent, mais posent dès le départ de redoutables défis intellectuels en même temps qu’historiques, et d’abord de définition :

« corps noirs » ? Sur plus de deux siècles, face à une myriade de peuples africains du continent noir ? Hottentots, Zoulous, Bushmen, Pygmées, Dogons, Bété, Agni, Ouolof, Soninké, Peul… ?

Des « corps noirs » sans âmes, ni esprits, ni croyances et cultures ?

            « Médecins blancs » ? De quels médecins s’agit-il ? Ils se sont contentés d’étalonner les « corps noirs » ? Ils n’ont pas laissé de legs positifs? Connaissance des maladies tropicales, invention de vaccins et  vaccinations, création des premières infrastructures médicales (écoles de médecine et d’infirmerie, postes médicaux et infirmiers, hôpitaux… ?

« La fabrique » ? Un mot effectivement à la mode dans certains milieux de chercheurs, mais qui dépasse très largement les ambitions des sociétés savantes parisiennes, des médecins de brousse, et  des promoteurs du projet colonial en métropole et les réalités du terrain.

Le mot fabrique avait un tout autre sens dans l’histoire de France rurale ou industrielle.

 « du préjugé racial » ? De quoi s’agit-il ? Pourquoi ne pas le définir ? Pourquoi n’est-il pas mieux mesuré que par le passé ? Expliquer le refus des statistiques qui le permettrait ?

« préjugé » ? Stéréotype, cliché, opinion toute faite, oui, à la condition sine qua non que, scientifiquement ou statistiquement, de pouvoir ou de les avoir mesuré, chez soi et chez l’autre !

Pour qui connait un peu l’histoire des pays noirs, et a été à leur contact, les stéréotypes des pays noirs étaient, comme chez nous et comme le bon sens la chose du monde la mieux partagée (Descartes) ?

Prologue

            Le contenu de ce livre foisonnant en sources et en conclusions soulève  de très nombreuses questions que nous tenterons de résumer, à partir du moment où il a l’ambition de traiter, sur le fond, d’un sujet sensible et complexe qui revient à la mode en France, pour d’autres raisons qu’universitaires ou scientifiques.

            L’historienne a l’ambition de déconstruire un « imaginaire racial » à l’égard des Noirs qui aurait existé et existerait encore dans le société française, vaste sujet d’autant plus difficile à aborder et à traiter qu’aucune enquête statistique sérieuse, sauf erreur, ne l’accrédite, depuis la période où ce type de source fut disponible, dans les années postérieures à 1945, et précédemment, grâce à l’exploitation du seul vecteur de masse que fut la presse.

            D’entrée de jeu, aux pages 9 et 10 de son introduction, l’auteure marque  une ambition « historique »  de « déconstruction » intellectuelle plus que statistique, en écrivant :

            « L’œuvre de déconstruction de cet imaginaire racial, ancré dans les esprits pendant une période de plus d’un siècle et demi, a-t-elle été réalisée depuis les indépendances ? Si les scientifiques ont invalidé le concept de race après 1945, les hommes politiques ont-ils réellement amorcé un travail critique face au passé colonial français et aux représentations qui ont été édifiées à  cette époque. Les savoirs construits autour des populations colonisées marquent encore les représentations collectives et nourrissent des discriminations dans la société française. Les préjugés raciaux et sexuels qui ont été entérinés par la science pendant la période coloniale ne peuvent se déliter seuls si un réel effort de déconstruction n’est pas engagé. Ainsi analysant la construction des stéréotypes érigés sur les Africains et les Africaines et en éclairant le contexte et les finalités qui ont présidé à leur fabrication, ce livre se donne pour objectif de contribuer à cet effort. »

J’ai souligné les mots ou les phrases les plus éclairants.

Dans son épilogue, l’auteure conclut sur une certaine actualité politique et sociale, en écrivant aux pages 281, 282, et donc en proposant un saut historique de plus de 60 ans, de 1960, année des indépendances, à nos jours :

            « … Si le monde savant découvrait progressivement, à partir du dernier tiers du XIXème siècle, par le biais des médecins coloniaux notamment, une diversité  intrapopulationnelle existant sur le continent africain, la population française demeurait, elle, influencée par des présupposés généraux  sur la race noire, qu’on lui inculquait, par différents canaux, jusqu’au milieu du XXème siècle, le but étant de cultiver l’image exotique et stéréotypée des populations noires… »

            Et à la dernière page de ce livre, après avoir effectué un saut historique de plus de 60 ans, l’auteure écrit :

            « La vivacité des polémiques actuelles témoigne en outre du fait que le problème de la race et la stigmatisation des individus d’origine africaine, antillaise, mais aussi maghrébine ou asiatique, à l’ère postcoloniale, survivent, hélas, avec une grande acuité. » (page 283)

            Le titre choisi « Corps noirs et médecins blancs » « La fabrique du préjugé racial » annonce la couleur, si je puis m’exprimer ainsi, mais toute la question historique est celle de savoir si la démonstration proposée est pertinente, et c’est ce que nous allons tenter d’apprécier.

            Au risque de déstabiliser la mécanique historique décrite, il est tout de même surprenant que la « déconstruction » décrite évoque à maintes reprises « l’altérité », « l’Autre » (page 7), sans jamais lui donner la parole, c’est-à-dire en proposant un écho historique des préjugés des mondes noirs, face au nouveau monde blanc surgi dans les terres africaines à la fin du XIXème siècle.

            A la fin du XIXème siècle, sur les rives du Niger, les Noirs parlaient des « peaux allumées ».

            Ne s’agirait-il pas d’une des formes modernes de l’ethnocentrisme colonialiste qui entend proposer son explication historique des stéréotypes racistes supposés des Blancs, en se fondant sur l’hypothèse qu’ils n’existeraient pas chez les Noirs, comme si l’ « Autre », en définitive n’existait pas, ou n’avait jamais existé.

            Ou pour l’exprimer d’une autre façon, j’intitulerais volontiers cette façon de raisonner et d’analyser d’ « entre soi » intellectuel et historique confortable qui se dispense de procéder à  une analyse complète d’un sujet, thèse, antithèse et synthèse, du type judiciaire, « à charge » et « à décharge ». Ce que certains idéologues de notre époque baptisent du nom de « racialisation », à supposer qu’elle existe telle qu’ils le décrivent, a connu et connait encore de beaux jours en Afrique ou à Madagascar, la « racialisation » entre peuples côtiers et peuples de l’hinterland forestier et sahélien, sans évoquer la période des esclaves, les « corps objets », jusqu’à la fin du XIXème siècle, une période qui se prolonge encore dans certains pays de la planète.

« L’Autre » n’était pas et n’est pas celui que trop d’idéologues, de politiciens, de chercheurs, se plaisent à imaginer, ces pauvres noirs que nous aurions toujours considéré comme inférieurs à nous, et que nous continuons à considérer comme tels.

Etait-ce le cas des Sofas de Samory, des Toucouleurs d’Hadj El Omar, ou d’Ahmadou ? Etait-ce le cas plus récemment des Bamilékés au Cameroun ?

Un vieil ami à moi, ancien ambassadeur au Ghana, me rappelait que les Ghanéens n’avaient jamais fait preuve, à ses yeux, d’un quelconque complexe d’infériorité.

En se lançant dans leurs opérations de terreur, les djihadistes du Sahel manifesteraient leur complexe d’infériorité ?

Il s’agit évidemment de tout autre chose qui tient à des facteurs multiples changeant avec les époques.

Une partie des intellectuels de France continuent à croire qu’ils sont les plus intelligents de la terre et, qu’ils doivent donner, ou donnent l’exemple à tous les peuples de la terre, jusqu’à manifester leurs revendications de repentance, le  peuple  « pêcheur » des temps modernes.

Oserais-je dire que beaucoup d’Africains n’ont pas été longs à comprendre, qu’en flattant ces penchants, ils réussiraient toujours à en tirer quelque profit.

Jean Pierre Renaud    Tous droits réservés

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Témoignages

Le  Racisme, une denrée blanche ?

Ou autre chose, contacts d’étrangeté entre cultures et mœurs différents ?

A Madagascar comme en Afrique, ou ailleurs ?

Aujourd’hui, comme hier !

Témoignages in vivo

       A Madagascar,  années 1960- 1970, une jeune femme française et blanche de notre entourage familial se propose d’épouser un Malgache.

            La mère malgache du futur époux adresse une lettre à son fils pour lui dire que, dans une telle hypothèse, il ne sera plus son fils.

            Extrait du témoignage de sa fille unique : Fête des Pères 2020 :

            « Bonne fête à tous les pères ! Pour moi c’est sûrement la dernière avec lui et il ne sait plus vraiment que je suis sa fille mais je lui dois tellement.

            Renié par sa famille pour avoir épousé une blanche (j’ai très tôt compris que le racisme n’était pas unilatéral), sans le bac et sans argent, il a construit une vie entière pour sa fille unique… »

Dans mon entourage familial toujours, un jeune français épouse une jeune fille malgache qui est fort bien accueillie par sa famille, sans les « stéréotypes » qui auraient alors fait fureur.

Lorsque le couple se déplaça pour la première fois à Madagascar pour faire connaissance avec la famille malgache à Tananarive, son accueil fut plutôt réservé.

Au Togo, pour avoir séjourné dans plusieurs régions du Nord et du Sud, et avoir eu une expérience humaine très variée des communautés de ce pays, il aurait été imprudent de croire que leurs contacts étaient emprunts de fraternité, avec l’absence des fameux stéréotypes que l’on veut dénoncer en métropole.

Les côtiers, Evhé ou Mina méprisaient les gens du nord et des montagnes, celles qu’habitaient les Cabrés et les Tamberma, des non civilisés à leurs yeux. Au témoignage de nombreux observateurs, les côtiers se considéraient comme supérieurs aux gens de l’hinterland.

De nos jours, dans notre pays, il parait difficile d’identifier les stéréotypes « racistes » pour au moins deux raisons majeures :

La première, l’irruption massive de communautés noires dans un pays qui ignorait cette immigration colorée jusque dans les années 1990-2000 : dans les années 60, il n’y avait pas de noirs dans la plupart de nos provinces, mis à part le cas des étudiantes et étudiantes dans quelques universités.

La deuxième, le refus des immigrés noirs ou maghrébins de se faire compter.

Les difficultés de compréhension et d’adaptation à nos mœurs proviennent d’abord à mes yeux des « chiffres » de l’immigration, de leur « collectif », et donc de réactions humaines tout à fait compréhensibles, du type « on n’est plus chez nous ».

Je laisse le soin aux spécialistes le soin de définir ce qu’est le racisme, un concept on ne peut plus relatif, évolutif, et très complexe.

Dans les cas familiaux cités ci-dessus, il est évident que ces nouvelles unions mixtes soulevaient de nombreux problèmes dont certains avaient une parenté avec ce qui se passait en France, lorsqu’une jeune fille ou un jeune homme décidait d’épouser un homme ou une femme issus de milieux religieux ou sociaux différents, riches ou pauvres, urbains ou ruraux.

 Jean Pierre Renaud    Tous droits réservés

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Les Points sensibles

Les Témoignages historiques du terrain au XIX°siècle

Le « préjugé racial » existait-il ?

Afrique noire de l’Ouest

Il faut lire tous ces récits et témoignages pour se former une opinion historique !

Quelques notes de lecture

Sénégal et Haut Sénégal en 1864-1866 : le  lieutenant de Marine Mage et le chirurgien de Marine Quintin

            Le Gouverneur du Sénégal  Faidherbe les avait chargés d’une mission de contact et de reconnaissance sur le fleuve Niger auprès de l’Almamy El Hadj Omar à Ségou.

            Leur mission en tout petit équipage, avec une charrette et un canot démontable, part à l’aventure dans une région inconnue, où les Blancs sont inconnus et les Noirs tout autant.

Les contacts se passent fort bien et les habitants des villages rencontrés, sans manifester aucune crainte à leur égard, leur manifestent leur hospitalité traditionnelle à l’égard des étrangers.

L’accueil du village Firia, niché sur une colline, est légendaire le 11 janvier 1864, une guirlande de torches qui dévalent la colline le soir pour leur apporter des victuailles, œufs, poulets, et bœuf…

Quelques « faces diurnes » les convois d’esclaves qu’ils croisent sur les pistes, le marché d’esclaves de Ségou, la bataille de Toghou (31 janvier 1865) entre Toucouleurs et Bambaras où l’Almamy Ahmadou ( El Hadj Omar étant alors décédé) a du mal à l’emporter, et qui se solde par le massacre de tous les combattants et la mise en esclavage des femmes et des enfants !

Bassin du Niger, à Bissandougou, capitale de l’Empire Samory : le capitaine Péroz est chargé d’une mission de négociation d’un traité de « protectorat » avec l’Almamy Samory

                Le capitaine avait eu déjà le temps de se familiariser avec le Haut Sénégal et le Bassin du Niger, en combattant les Sofas de Samory, notamment à Niagassola.

Le 28 novembre 1886, Péroz quittait Kayes avec une petite escorte, en compagnie du docteur Fras et du lieutenant Plas… le 9 décembre, la mission était à Bafoulabé, … le 30 décembre, Péroz recevait la visite d’un marabout de la suite de Karamoko, le fils préféré de Samory qui lui rapportait les propos qu’aurait tenus Samory :

«  Si Péroz vient, tout s’arrangera, car je lui accorderai tout ce qu’il me demandera, (page 166 du livre « Au Soudan ») … » le 29 janvier, le capitaine accueillait l’ambassade que l’Almamy envoyait à sa rencontre pour lui porter la lettre d’autorisation de se rendre chez lui.

A son arrivée, trompes d’ivoire, fifres, tambours de guerre !

Péroz fit une belle description du siège de l’Empire  du Ouassoulou, à Bissandougou, des villages bien construits,  des terres bien cultivées (par des esclaves), et des festivités en grand apparat qui accompagnèrent son arrivée à Bissandougou, sur une grande place bornée sur un de ses côtés par le Palais de l’Almamy avec ses hautes murailles et son donjon… la Fantasia des Sofas … l’échange de cadeaux…

« A trente pas derrière notre demeure, s’élèvent ses écuries, et à côté se trouve le parc qui renferme pas moins de cent bœufs et cinquante moutons, c’est le cadeau de bienvenue de Samory qui, sachant combien les Européens apprécient les poulets, les œufs et le lait, y a joint plus de deux cents poules ou coqs, plusieurs milliers d’œufs et d’innombrables calebasses de lait, sans compter le beurre, les bananes et les oranges dont nous ne savons que faire »

Péroz décrivait une résidence de l’Almamy très confortable avec sa mosquée jointe. Son armée était bien organisée, il régnait sur cent soixante douze provinces dotées de gouverneurs aux dimensions très variées, mais sans véritable organisation religieuse : rappelons que Samory n’était pas musulman de naissance et qu’il appartenait à la communauté ethnique commerçante des Dioulas.

Le traité de protectorat de Kenieba Koura fut signé le 25 mars 1887 et approuvé par décret du 2 octobre 1887, mais il ne fut jamais appliqué.

 Péroz sut gagner la confiance de l’Almamy et mieux connaître les civilisations, croyances et coutumes de ce coin d’Afrique, de leurs différences avec son propre monde, mais pas plus que leur chef, les Sofas de Samory n’éprouvaient pas de sentiment d’infériorité raciale à l’égard des Blancs dont ils ignoraient à peu près tout de leur civilisation. Samory croyait que les Blancs habitaient dans des îles.

Rappelons enfin un des traits historiques d’un personnage qui fut à la fois un grand stratège, un tyran sanguinaire et esclavagiste, son affection indéfectible pour sa mère, dont le nom servait de cri de guerre pour ses Sofas.

Dans le livre « Confessions d’un officier des troupes coloniales », j’ai consacré un chapitre au voyage du fils préféré de Samory à Paris, tentative de la France coloniale officielle pour faciliter une succession positive dans les futures relations entre les deux pays.

Le Témoignage du capitaine Binger dans sa mission d’exploration entre Bamako et Grand Bassam de février 1887 à mai 1889

(Le futur Gouverneur d’une Côte d’Ivoire crée de toutes pièces en 1893)

« Carnet de route » (1938)

Le capitaine Binger avait été « initié au oualof et au mandé », un atout, alors que la plupart de ses collègues étaient obligés de recourir à des interprètes.

            Le capitaine Binger avait déjà fait connaissance avec le Haut Sénégal dans les années 1884-1885, et avait noté en particulier l’hospitalité des habitants de Badumbé, un « village de liberté » (anciens esclaves) qui savaient faire fructifier les cultures, certains de ses habitants déclarant qu’ils étaient heureux, mais qu’ « ils le seraient bien davantage s’ils avaient des esclaves ». (page 77)

Il allait faire la connaissance « des roitelets de la forêt équatoriale dont nous ignorions tout, même des noms ». (page 118)

L’explorateur découvrait le royaume de Kong et apprenait  l’existence du médecin local (la féticheuse). (page 154)

« Dans beaucoup de régions, l’hospitalité comprenait non seulement la couvert et le feu, mais bien souvent la femme. » (page 239)

Les quelques notes ci-dessus permettent d’avoir une idée de l’ambiance, du contexte, et du type de relations qui y existaient alors, bien éloignées d’un discours raciste : il s’agissait tout simplement de la découverte de deux mondes étrangers.

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Témoignage du capitaine Toutée lors sa mission de délimitation d’une frontière entre Dahomey et Nigéria (alors Compagnie Royale de la Nigéria) dans les années 1898-1900

« Dahomé Niger Touareg »

En faisant escale dans le port de Dakar, alors un wharf, le capitaine Toutée avait pris la mesure de l’écart de modernité et de civilisation qui séparait alors les monde africain et le monde indochinois.

Il écrivait :

« Pendant des centaines et des milliers de kilomètres nous rencontrerons dans l’intérieur des noirs de toute race. Ils nous recevront plus ou moins amicalement, plus ou moins agréablement ; nous des gens plus ou moins intelligents, plus ou moins irrésolus ou barbares, mais à 50 kilomètres de la mer, nous perdrons de vue l’état social, normal et monstrueux qui règne sur la côte… » (page 45)

« La route de Cana à Abomé est la plus belle du Dahomé » (page 66)

Le capitaine rend visite au roi Abogliagbo: « … les villages dahoméens sont si propres et si bien tenus que le roi peut les parcourir tous sans avoir à redouter pareille occurrence… ne pas mettre le pied sur un fétu de paille ou un brin d’herbe… » (page 71)

Le capitaine est bien reçu par le roi des Mahis, puis par Achemou, le roi de Savé, avec lequel il entretint de nombreuses conversations : il se félicitait d’avoir été délivré du cauchemar du roi esclavagiste d’Abomey, Béhanzin, et aurait été content de voir la France faire de même avec les Baribas du Nord.

« …il était musulman et comme presque tous les noirs, mariait sa foi nouvelle avec les principes de la plus parfaite idolâtrie… » (page 99)

« » (page 103) … Nous passâmes de longues heures ce soir-là et le lendemain à parler de la France, des femmes, des enfants, des domestiques, des chevaux, de l’agriculture et du service militaire… » (page 103)  – Jean Pierre Renaud     Tous droits réservés

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« Corps noirs » et « médecins blancs »

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Les « points sensibles »

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Pour emprunter des termes du langage des corps et des cultures, nous allons évoquer une succession de « points sensibles » de la déconstruction proposée.

Nous examinerons successivement la chronologie de la thématique choisie pendant plus de deux siècles (1780-1960, puis 1960-2021), les contextes historiques correspondants, l’identité des acteurs en scène, les médecins blancs, les sociétés savantes et les médecins de terrain, les colons et les tirailleurs, la médecine tropicale en exercice, les gouvernants.

Nous nous attacherons enfin à poser les quelques questions de méthode historique que soulève cet exercice de déconstruction, quant au choix de l’histoire factuelle ou de l’histoire quantitative, la mesure des stéréotypes, la représentativité des faits décrits et de leurs effets sur l’opinion publique métropolitaine, l’historicité des faits décrits selon les contextes chronologiques et les sources consultées.

Nous reprendrons le schéma des analyses que nous avons mis en œuvre pour analyser les sociétés coloniales, le thème retenu dans le programme de l’agrégation d’histoire d’il y a quelques années, des analyses qui avaient suscité l’intérêt de plusieurs milliers de « visites » sur mon blog.

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Le livre compte 350 pages avec les annexes, divisé en trois parties chronologiques pour la période de 1780 à 1960, une très longue durée historique qui complique toutes les comparaisons historiques et qui soulève d’entrée de jeu une question de pertinence par rapport à la connaissance que l’Occident avait de l’Afrique au cours des trois périodes retenues.

I – 1780-1860 Rencontre avec l’altérité africaine et construction de stéréotypes (page 21 à 105).

2- 1860-1910 Le corps noir scruté et mesuré : science politique et terrain africain (page 105 à 209)

3- 1910- 1960 Médecine de terrain et prosélytisme colonial : la race face à la culture (page 209 à 281)

Ce découpage historique ne correspond pas à la connaissance historique que l’Occident avait de l’Afrique noire, de ses peuples et de ses cultures.

Les Points Sensibles

 A – Chronologie et Contextes historiques

Une chronologie pertinente ?

Le choix de la chronologie en trois périodes dont les deux premières s’échelonnent de 1780 à 1910 aurait mérité d’être justifié, étant donné que pendant cette longue séquence historique, le « médecin blanc » n’exista quasiment pas, sauf dans quelques bandes côtières, et avant tout dans les « colonnes » militaires de la conquête.

Il n’empêche que l’ouvrage consacre les deux tiers de ses pages (21 à 209) à cette longue période de référence.

Même type de question sur les dates de césure ? Pourquoi les dates de 1860 et de 1910, au lieu par exemple des cassures historiques réelles des guerres de  1870-1871, et de 1914-1918 ? 

Première période 1780-1860 (p,21 à 105) – Rencontre avec l’altérité africaine et construction de stéréotypes : les mystères de l’altérité noire : la couleur de peau – le crâne et le visage africain – Corps et cultures : entre vertu, primitivité et sauvagerie 6 le sexe des hommes et des femmes noirs : difformité et dérèglement

L’Afrique noire de l’Ouest est quasiment inconnue, ce qui veut dire que les sociétés savantes françaises pouvaient raconter n’importe quoi.

René Caillé avait atteint Tombouctou en 1828, grâce à un déguisement arabe, et Mungo Park, le Niger en 1862.

Ce fut le début de la grande période des explorations et des découvertes de l’Afrique noire inconnue.

Le titre choisi n’est-il pas trop ambitieux, avec un défaut de démonstration historique quant au rôle que les sociétés médicales, sortes de cénacles savants, comme sources et vecteurs des stéréotypes décrits avec quel effet sur quelle opinion publique, la presse étant aux abonnés absents ?

L’auteure a-t-elle eu accès à des analyses statistiques de la presse de cette époque dont j’ignore l’existence ?

Je laisserai le soin à des spécialistes de l’histoire de la médecine d’apprécier la représentativité des descriptions savantes qui sont proposées et le plus souvent présentées comme des faits acquis

Deuxième période 1860-1910 (p,105 à 209) : Le corps noir scruté et mesuré : science, politique et terrain africain – Analyser, mesurer et déchiffrer la différence-Une résistance et une immunité hors du commun ? Le corps, un outil politique – Entre nature et culture : « l’esprit africain » – Beauté et culture  africaines – Sexe, sexualité et genre troublés.

Ce fut la grande période des explorations et des conquêtes coloniales françaises, mais il fallut atteindre la fin du siècle pour que la France commence véritablement à installer son pouvoir en Afrique noire de l’Ouest et dans la partie ouest de l’Afrique noire tropicale.

La France est à Bamako en 1883, à Tombouctou en 1893, et ne prit le contrôle du bassin du Niger qu’en 1898 avec la fin de l’Empire de Samory en 1898. Tombouctou était alors un enjeu de pouvoir entre Bambaras, Peuls, et Touaregs très présents sur les rives du Niger.

Les troupes coloniales n’atteignirent les limites du bassin du Congo qu’à la fin du siècle avec l’expédition de Fachoda en 1898, Brazza s’étant illustré sur la partie océanique du fleuve

Il est évident que les quelques médecins blancs appartenant à la marine ou à l’armée qui accompagnaient chaque colonne militaire avaient bien d’autres chats à fouetter que d’apporter leur contribution à la science médicale des corps noirs. Dans des conditions souvent très difficiles, ne serait-ce que sur la plan sanitaire, ils découvraient avec leurs collègues officiers ces terres inconnues, ces mondes noirs inconnus, les maladies tropicales presque tout autant inconnues.

 Dernière remarque à relier à celles relatives à la géographie de l’Afrique de l’Ouest, l’Occident, de même que la France, n’avaient jusque là qu’une vue tout à fait superficielle des mondes noirs de l’hinterland.

Avant les années 1880, on connaissait alors les côtes d’une Côte d’Ivoire qui ne vint à l’existence d’un État colonial qu’en 1893, mais elle ne fut pacifiée qu’à l’orée de la Première Guerre mondiale en 1914, d’où la conclusion que le temps colonial y fut assez court, de 1914 à 1945, sauf à faire remarquer que les deux conflits mondiaux ont complètement bouleversé les contextes historiques, et qu’après 1945, les terres africaines avaient déjà basculé dans un autre monde.

Troisième période  1910-1960 (p,209 à 281) : Médecine de terrain et prosélytisme colonial : la race face à la culture – Les races n’existent pas – « Faire du noir » ou la peur de la dépopulation africaine – La  « force noire «  et le retour de la virilité africaine – Culture et exotisme africains : entre mépris et tolérance.

Au cours de cette troisième période, l’analyse historique proposée laisse dans l’ombre les legs positifs de la colonisation.

            Dans leur immense majorité, les Français n’avaient qu’une toute petite idée de l’Afrique et très peu de représentations des mondes noirs et donc du fameux empire colonial. La plupart du temps, leur culture se limitait aux quelques pages que lui consacraient  les livres scolaires, et étaient bien incapables d’énumérer et de situer sur la carte l’ensemble des colonies.

Plus que tout, les représentations qu’en avaient l’immense majorité des citoyens tournaient autour de l’exotisme, l’évasion.

B – Les inconnues géographiques

Rien ne vaut sans doute la lecture du livre de Richard-Mollard sur l’Afrique occidentale française (1949) pour comprendre et apprécier les enjeux géographiques de cette immense portion du continent africain encore complètement isolé des courants commerciaux mondiaux de l’époque, mis à part les quelques flux du Sahara.

Le géographe parle d’une « anémiante continentalité », une Afrique refermée sur elle-même, privée d’accès fluviaux, à l’exception du fleuve Sénégal au rythme saisonnier des hautes et basses eaux, avec une barre qui rendait l’accostage côtier impossible, sans transbordement des hommes et des marchandises sur des pirogues.

« Afrique Occidentale -Introduction – page XII:

« Un autre contraste éclate entre l’Europe et l’AOF. Là, le continent fait corps avec la mer. La voie maritime s’avance du sud, de l’ouest, du nord dans l’intimité des terres ; elle s’y prolonge par des fleuves navigables. Sans cela l’Occident méditerranéen et atlantique serait inintelligible. Les « peuples de la mer » font les civilisations. L’Afrique de l’Ouest n’en possède aucune. Elle subit une anémiante continentalité ; et l’AOF la subit particulièrement pour trois raisons…. » 

Il fallut attendre la fin du siècle pour qu’un port soit aménagé à Dakar, la construction de wharfs, de jetées donnaient auparavant la possibilité d’échapper à barre, dans les autres colonies de l’Ouest.

Une Afrique occidentale immense et peu peuplée, de l’ordre de 4,7 millions de kilomètres carrés, pour une population estimée à 10, 11 millions d’habitants, une multitude de peuples, de cultures et de dialectes, de l’ordre d’une centaine, des climats allant du désertique à la forêt tropicale des côtes, une panoplie de maladies tropicales mal identifiées et difficiles à combattre.

Le chiffre de la population a toujours été une donnée relative, compte tenu de la difficulté des recensements et de l’absence d’un état civil.

De nos jours, il semble que l’état civil souffre encore d’une fragilité et qu’une partie des naissances n’y est pas déclarée.

Les troupes coloniales payèrent un lourd tribut mortel tout au long des conquêtes, l’exemple le plus extrême étant celui des pertes que subirent les troupes du corps expéditionnaire à Madagascar, en 1895, 25% de son effectif.

Le recours aux tirailleurs ne fut pas le fruit du hasard : les troupes coloniales comptaient des officiers et des sous-officiers blancs, mais le corps de troupe était inévitablement noir.

C’est une des raisons parmi d’autres qui expliquaient que les médecins qui accompagnaient et sécurisaient les colonnes militaires s’intéressaient de près à la santé de leur hommes.

Ajoutons à cela qu’une autre colonne suivait la colonne militaire, celle des épouses et familles des tirailleurs, une population qui bénéficiait d’un modeste service de santé, en même temps qu’elle donnait l’occasion d’un bon terrain d’observation.

C – Les sociétés savantes

Compte tenu de la place que l’historienne attribue aux sociétés savantes tout au long des deux premiers siècles, il aurait été évidemment intéressant qu’elle en dise et écrive plus sur leur historique, le nombre de leurs adhérents, le répertoire des « savants » qui avaient fréquenté l’Afrique noire, où et pendant combien de temps.

Il parait tout de même difficile de citer ce type de source historique sans aucune évaluation d’adhérents ni d’activité, sauf à suggérer quelles constituaient des cénacles restreints.

Le rôle des « sociétés de géographie » est beaucoup mieux identifié dans leur rôle historique, le nombre de leurs adhérents, leurs publications, leur fonction motrice des explorations et des découvertes sur toute la planète.

Comment alors mesurer autrement qu’en exploitant la presse de l’époque en la rapportant aux contextes historiques des différentes époques, ce qui ne semble pas voir été fait ?

Dans son livre « La France des terroirs » », Eugen Weber décrit cette France rurale qui dura jusque dans les années 1945, une France que n’habitait pas vraiment la passion coloniale.

C’est la raison pour laquelle j’ai sérieusement mis en doute la thèse qu’ont défendue des chercheurs quant à l’existence d’une culture coloniale ou impériale, à partir du moment où ils faisaient l’impasse sur l’étude statistique de la presse, avant les sondages statistiques des années 45-50.

De nos jours,  les enquêtes statistiques sur la mémoire coloniale ou postcoloniale des Français et des Françaises sont quasiment inexistantes.

L’auteure de l’ouvrage n’en fait d’ailleurs pas mention, alors qu’elle propose analyses et conclusions sur les stéréotypes et le « préjugé racial ».

D – Les Médecins blancs

L’auteure attache évidemment de l’importance au rôle des médecins blancs, mais sans préciser de quels médecins il s’agissait, au sein des corps de troupe ou en brousse, leur représentativité, leur identité, leurs effectifs, leurs réalisations sur le terrain à partir des années 1900.

Avant 1900, ces médecins souvent militaires, ne couraient pas la brousse, sauf avec les colonnes. Après cette date, leur effectif fut assez faible et souvent d’origine militaire. C’est en initiant la mise en place d’infrastructures médicales, l’Ecole de médecine de Dakar, la formation de médecins africains et d’infirmiers, l’implantation d’ambulances en brousse qu’ils firent avancer la médecine africaine. (peste, choléra, fièvre jaune, paludisme …)

En 1938, l’AOF comptait 165 médecins coloniaux et l’AEF 86.

Avant 1914, ils n’étaient que quelques dizaines.

Lyautey disait : « Donnez moi 4 médecins, je vous rends quatre compagnies » (de l’ordre de 150 à 200 hommes)

Un extrait de source historique en Côte d’Ivoire, « Les vingt premières années de l’action sanitaire en Côte d’Ivoire » Danielle Domayer Persée :

Pendant ces 20 ans, pas plus de 8 ambulances en Basse Côte d’Ivoire, à l’exception de Bouaké : en 1908, 11 médecins ; en 1913, 18.

En 1925, de 9 à 10 médecins : 6 ambulances avec un médecin européen, un dispensaire à Daloa avec un médecin russe, deux postes médicaux avec un médecin indigène, 34 postes infirmiers, 9 maternités.

Les infrastructures sanitaires étaient situées dans le quart sud est de la colonie.

« La véritable action sanitaire, celle disposant de moyens en rapport avec la population et de connaissances plus approfondies en matière de pathologie tropicale, ne se fera vraiment sentir qu’à partir de 1925 . »

L’auteure cite à maintes reprises le rôle de ces médecins de terrain, mais sans que l’on puisse vraiment les identifier. (pages 47, 58, 63, 81, 86, 92, 96, 98, 155, 156, 171,173, 184,188, 190, 236, 263).

Ces quelques données qui mériteraient d’être complétées montrent clairement que la médecine coloniale n’en fut longtemps qu’aux balbutiements, jusqu’à la première moitié du XXème siècle, et qu’elle s’implanta d’abord sur les côtes et dans les cités côtières qui ne comptaient qu’un petit nombre d’européens.

E – Les Tirailleurs

L’exercice historique en question ne pouvait que manifester de l’intérêt, pour ce thème, étant donné le rôle que les tirailleurs africains ont rempli dans les opérations de conquête, de pacification, puis de l’administration coloniale : dans les subdivisions, les anciens tirailleurs avaient  souvent trouvé des fonctions d’interprète ou de gendarme, et remplirent une très importante fonction, dont on parle peu, celle d’entremetteurs entre cultures et sociétés.

Le grand historien colonial Henri Brunschwig notait que sans télégraphe les conquêtes coloniales auraient été impossibles, et l’on pourrait ajouter, sans les tirailleurs recrutés sur place.

Les tirailleurs jouèrent un rôle clé d’intermédiaires culturels et linguistiques : ils étaient à la disposition des autorités et fournissaient évidemment un « matériel d’observation » privilégié.

Les véritables acteurs des conquêtes coloniales furent le plus souvent les tirailleurs africains, et ils servirent de premier « truchement » avec les peuples africains.

Jean Pierre Renaud    Tous droits réservés

« Corps noirs et médecins blancs »

« La fabrication du préjugé racial »

« XIX- XXème siècles »

Delphine Peiretti-Courtis

&

5

Des Références historiques dont la pertinence fait question, une Question de Méthode Historique ?

Première période 1780-1860 et deuxième période 1860-1900

Il est évident que ces références méritent d’autant plus l’attention qu’elles concernent près de 200 pages, soit les deux tiers de l’ouvrage, période historique au cours de laquelle, l’Afrique noire était ou inconnue, la première, ou commençait à être connue pour la deuxième.

            Nous ne nous attacherons à lister par pages que les sources ou références qui font problème pour la première période fixée par l’auteure de 1780 à 1860, la période au cours de laquelle les sources consultées ne pouvaient que susciter questions et suspicion, compte tenu du fait que l’Afrique noire était quasiment inconnue.

            Page 41, « les médecins de terrain » ?

Question : lesquels ? Etant donné leur absence de ces territoires ?

            Page 48, « … rares sont ceux qui contestent les théories craniologiques dans la première moitié du XIX°siècle… »

            Question : Qui ? Évaluation ?

            Page 58, les cheveux « ces stéréotypes, entérinés par la littérature médicale du XIX° siècle, se répandent au sein d’ouvrages de vulgarisation scientifique et de dictionnaires tels que le Grand Larousse Universel du XIX° siècle dans les années  1870, qui caractérisent les «  Nègres «  par leurs poils rares (et) leurs cheveux laineux » et les Hottentots par leurs « cheveux noirs et laineux ». Ce type de comparaison animalière persiste jusqu’au milieu du XX° siècle dans les écrits médicaux, même s’ils diminuent du fait d’une meilleure connaissance des caractères des spécificités et des variétés de la chevelure humaine ».

Questions : « la littérature médicale du XIX°siècle », « ouvrages de vulgarisation scientifique » « jusqu’au milieu du XX° siècle dans les écrits médicaux » ? L’importance qu’en tire l’historienne n’aurait-elle pas mérité une plus grande précision, afin de pouvoir en apprécier leur représentativité et leurs effets, d’autant plus que ces affirmations paraissent concerner les peuples de l’Afrique du Sud, Hottentots et Bochimans.

            La « nudité »,  Pages 61 et 63, bis répétita : « Hottentots et Bochimans » « dans les discours médicaux » « Julien-Joseph Virey », en 1819, « ils incarnent le paroxysme de la sauvagerie africaine dans l’esprit des savants français »

            Page 63 : « primitivité et animalité : l’odeur de l’Autre stigmatisée »

            Page 70 : « Le modèle de toutes ces considérations demeure en trame de fond celui de la Vénus hottentote »

            Page 75, « écrit Virey en 1819 » Julien-Joseph Virey

            Questions : « discours médicaux » ? Lesquels ? , « savants français » ? Lesquels ? Leur représentativité ? « la Vénus hottentote » : ne s’agirait-il pas d’une des clés historiques d’un tel discours ?

Julien Joseph Virey (1775-1846) ?  Médecin de terrain ou médecin en chambre ?

 Il s’agit d’une des questions clés posées par l’analyse proposée, à savoir : comment peut-on décrire un Autre qu’on ne connait pas ou pas encore ?

Une précision sur les réactions de l’Autre au contact des premiers blancs dans les récits rapportés : le Blanc avait une odeur de cadavre.

            Page 80, « 5 » « Le sexe des hommes et des femmes noirs : difformité et démesure »

            « A la croisée du biologique et du culturel, le sexe et la sexualité des indigènes constituent eux aussi des révélateurs de la race, du genre et de la civilisation. Les peuples africains sont réduits à leur corps, en particulier à leurs organes génitaux, les ramenant ainsi à leur primitivité. Face aux corps féminins et masculins couverts et cachés aux regards en métropole, la nudité des indigènes captive les observateurs français… Les particularités sexuelles féminines font l’objet des descriptions les plus prolixes car la femme se caractérise alors, dans toutes les races, par son sexe.

En effet lorsque les auteurs parlent de la « femme », ils dissertent inéluctablement sur son appareil reproductif : c’est par lui que la femme existe dans la société. »

Questions : « … Les Africains sont réduits à leur corps… » Une affirmation démontrée ?

« La nudité des indigènes captive les observateurs français… », alors qu’ils ne connaissaient pas l’Afrique ?

« les descriptions les plus prolixes… car la femme se caractérise alors dans toutes les races, par son sexe » ?

Roman ou histoire ?

Page 85, «…  Dans les monographies généralistes sur les races humaines ou dans la presse d’information générale l’animalisation des noirs et plus particulièrement des  Hottentots et des Boschiman perdure jusque dans la première moitié du XX ° siècle… »

Question : comme je l’ai déjà indiqué à maintes reprises le seul indicateur des effets de telle ou telle information ou théorie, comme c’est ici le cas, était effectivement la presse, mais cette seule indication ne suffit pas à en faire un élément de démonstration historique, d’autant plus que l’appréciation en question couvre plus de deux siècles.

La mention « dans la presse d’information générale » de surcroît m’avait mis l’eau à la bouche.

Page 89, : Toujours la Vénus Hottentot ! Mais avec une mention historique qui relativise les observations.

«… Le tablier n’a par ailleurs pas été observé de visu par des médecins de terrain français puisque le Cap de Bonne- Espérance n’a jamais été colonisé  par la France. Cela explique le fait que les écrits de Levaillant et de Cuvier aient eu tant d’impact sur les cercles savants français au XIX° siècle. »

L’auteure : « … dans l’article «  Nègre » du Dictionnaire des sciences médicales, il est affirmé en 1819 »

Questions : « 1819 », s’agit-il d’une référence historique pour un tel sujet ?

Avec Cuvier en aparté, enfant de la vieille cité wurtembourgeoise de Montbéliard, foyer d’un protestantisme militant, calviniste et luthérien, lequel avait des affinités avec la mentalité des émigrés protestants d’Afrique du Sud, laquelle n’était pas spécialement disponible pour toutes les aventures intellectuelles, physiques ou culturelles.

Page 90, l’excision :

« Pour les savants occidentaux de l’époque et jusqu’à la fin du siècle, au-delà des coutumes ancestrales et des préceptes religieux – notamment musulmans -, c’est surtout l’anatomie sexuelle des femmes, façonnée par le climat et/ou par des prédispositions innées, qui expliquerait la tradition de l’excision en Orient et en Afrique (note 42, page 298) : « Il en est résulté dans plusieurs pays, écrit Virey en 1815, la coutume ou plutôt le besoin de retrancher ces prolongements incommodes… » «… : telles sont les principales raisons mises en avant en France dans  les années 1810-1830 pour justifier l’excision. »

Questions : Toujours Virey, en 1815 ?

Par quelle voie mystérieuse, ces appréciations hardies ont pu générer, jusqu’à aujourd’hui, les fameux stéréotypes qui nourriraient encore le regard des Blancs sur les Noirs ?

Page 93, même type de question sur les deux références,  Peter Kolbe (1675-1726) et Anders Sparmann (1748-1820) ?

Page 95, : « Exacerbée dans l’imaginaire européen, la morphologie sexuelle des noirs est censée traduire leur exubérance sexuelle. Le sexe des africains et des africaines a en effet donné lieu à la constitution d’un imaginaire fantasmatique sur leur sexualité. »

Histoire ou fantasmatique historique ?

Pour avoir analysé, par page par page les ouvrages portant sur une culture coloniale ou impériale qui aurait « imprégné » la France de 1870 à 1960 – les œuvres du trio Blanchard- Bancel- Lemaire – , je ne peux m’empêcher de comparer leur langage « historique » à celui-ci, en estimant qu’il s’agissait beaucoup plus de littérature que d’une analyse historique rigoureuse posée sur des sources solides et quantifiées.

Je rappelle un des dictons historiques de Madame Lemaire : « Du riz dans les assiettes et l’Empire dans les têtes », sauf que le riz indochinois subventionné allait dans les poulaillers, compte tenu de sa mauvaise qualité.

Page 96, toujours : « Le sexuel primerait sur l’intellectuel en Afrique »

Sauf qu’elle était encore inconnue aux dates de référence ?

« Les représentations de la lubricité africaine imprègnent les discours savants et les mentalités populaires du XVIII° jusqu’au milieu du XX° siècle ; elles se diffusent dans les récits de voyage, les dictionnaires médicaux et les œuvres généralistes, mais aussi sous la plume des médecins coloniaux qui appliquent les présupposés raciologues à l’étude des peuples qu’ils côtoient »

Dans la même gamme de démonstration historique ?

L’auteure utilise des mots qui font flash sur plus de deux siècles !

« Les représentations de la « lubricité africaine imprègnent les discours savants et les mentalités populaires », « se diffusent dans les récits de voyage… et les œuvres généralistes (c’est-à-dire ?). « Sous la plume des médecins coloniaux.. à l’étude des peuples qu’ils côtoient »

Sauf à rappeler l’identité de ces médecins, page 97 et page 98 , Virey en 1824, Clavel en 1860, Moreau de la Sarthe en 1803, et Pinel en 1824… Et de poser la question de la représentativité historique des sources citées sans aucune évaluation.

Enfin, page 99 : « Cet imaginaire médical de la sexualité se diffuse dans la société française et dans l’opinion commune tout au long du XIX°siècle ».

Question : est-il possible de se contenter de cette simplification historique, sans avoir analysé dans le détail les récits de voyage, et avant tout, la presse populaire de l’époque, celle de « l’opinion commune » ?

L’ouvrage passe alors à l’analyse de la période « 1860-1910, le corps noir scruté et mesuré : science, politique et terrain africain »

Jean Pierre Renaud   Tous droits réservés

Billet d’Humeur Historique « Corps noirs et médecins blancs »

Delphine Peiretti–Courtis

Je me suis longtemps demandé quel but poursuivaient ces chercheurs, ces historiens, qui tentaient de démontrer que mon pays devait se repentir de son histoire, quelle qu’elle fut ! Rien de lumineux, rien de bien, aucun service et même sacrifice, vraiment ?

            A lire toute une série d’essais, de thèses, d’articles et de déclarations, il faut se poser la bonne question : ne s’agit-il pas d’un courant de pensée mortifère pour la France ?

            Les courants historiques du passé ont très souvent dérivé d’une contestation universitaire et intellectuelle d’un courant de pensée dominant pour ne pas dire dominateur, au cours du XIX° ou du XX° siècle, exaltant d’une façon ou d’une autre notre « roman national » : ce n’est pas le cas du courant post-colonial animé par des chercheurs en quête de reconnaissance politique, de « marché », ou de nouvelle mission évangélique.

            Si vous le vérifiez, vous constaterez que 1) l’histoire coloniale n’était pas considérée comme assez noble pour attirer les historiens agrégés,

            2) contrairement à ce qu’affirment à longueur de bouquins certains chercheurs, le peuple français n’a jamais été un peuple colonial : le « colonial » n’a jamais fait autant fureur qu’aujourd’hui !

            J’ai publié sur ce blog un ensemble de lectures critiques d’ouvrages ou de thèses qui illustraient ce type de discours, s’abstenant de « mesurer », chaque fois que c’était possible, des faits dont ils nourrissaient leur discours historique, en oubliant donc « l’histoire quantitative ».

            La lecture critique du livre « Corps noirs et médecins blancs » que je vais publier d’ici quelques semaines, constitue à nouveau un bon exemple de cette dérive, d’autant plus qu’elle sape la confiance que l’ont peut faire  aux institutions universitaires, comme c’est ici la cas.

Comment résister à citer un échantillon de littérature complètement délirante, le livre « Adam & Eve » du finlandais Arto Paasilinna ?

L’histoire d’Aadam, un inventeur de batterie électrique farfelu qui réussit à faire fortune, à embarquer son amie Eeva, dans son aventure, qui empoche des millions et les distribue : il en fait bénéficier son chauffeur, Seppo Sorjonen, dont il paie les études médecine, lequel prépare un doctorat, défend sa thèse avec succès devant un jury dont fait partie « un contradicteur ».

Pourquoi ne s’inspirerait-on pas de cet exemple, car le système universitaire des thèses d’histoire souffre incontestablement du catimini dont il est entouré, une soutenance soi-disant publique, mais en réalité un exercice très confidentiel, sans trace écrite ?

« … Il fut décidé d’organiser la soutenance dans une petite salle des fêtes de l’université d’Helsinki… Pour la soutenance de sa thèse, Seppo Serjonen avait  revêtu un frac noir et un gilet, mais ainsi va le monde, on ne distribue pas de titres universitaires aux paresseux et aux idiots. Le chapeau doctoral de Sorjonen avait coûté 12,8 millions de marks à Adam & Accumulateurs and Batteries, ce qui était une somme plutôt élevée, mais néanmoins raisonnable compte tenu de l’importance de la médecine pour la santé de l’humanité.

Le banquet organisé pour fêter l’événement eut lieu à Hvitträsk, en présence du nouveau docteur, du contradicteur, du président du jury et de nombreux invités… » (pages 287 et 288)

Un « contradicteur » de la thèse en question, celle des « corps noirs et médecins blancs » aurait pu demander de préciser de quel « Autre » il s’agissait, de la représentativité des très nombreuses sources citées – un beau travail – , de leurs effets sur l’opinion publique des deux siècles choisis comme références, c’est-à-dire leur « mesure », en France et en Afrique noire, etc…

Ma critique se résumerait ainsi : la thèse en question illustre « un entre- soi historique », hors sol, beaucoup plus qu’« un entre deux historique », et elle alimente une fois de plus l’histoire victimaire des réparations en monnaie sonnante et trébuchante, c’est-à-dire à choisir l’assistance plutôt que la responsabilité, à la différence des pays d’Asie.

Jean Pierre Renaud     Tous droits réservés

Une Fable Franco-Algérienne « L’Appât » Le Corbeau, le Renard, et le Fromage ! Soummam

Une Fable Franco-Algérienne

« L’Appât »

 Le Corbeau, le Renard, et le Fromage !

Réconciliation dans la vallée de la Soummam ?

Le « Corbeau » Benjamin Stora

Le « Renard » L’Algérie FLN

Le « Fromage » France Assistance Eternelle !

            2021- 1962 : près de 60 ans après, le gouvernement FLN de l’Algérie continue à traiter les algériens, les algériennes, leurs familles qui ont combattu à nos côtés entre 1954 et 1962, comme des proscrits, les nouveaux « damnés » de la terre.

            Honneur et gloire à ces réprouvés et à ces bannis de leur pays ! Alice Zeniter leur a fait honneur dans son roman « L’art de perdre ».

Au cours des mois qui ont suivi les accords d’Evian en 1962, le FLN ou l’ALN, comme vous voudrez, se sont illustrés par de nombreux actes de barbarie à l’encontre de tous les algériens qui avaient choisi la France, et que cette France a abandonnés, en particulier dans la vallée de la Soummam.

Ancien officier SAS du contingent dans la vallée de la Soummam en 1959-1960, j’avais exercé mes fonctions avec le concours de ces algériens, torturés, assassinés, ou miraculeusement encore vivants de nos jours.

Je viens de rencontrer l’un de ces survivants qui fut emprisonné pendant cinq années, et torturé. Il s’évada et fut exfiltré en 1967, accueilli, et piloté en métropole par un excellent Officier de Chasseurs Alpins du 28ème Bataillon avec lequel j’avais servi la France et l’Algérie pendant mon service.

L’ami s’est bien intégré. Il est le père de cinq enfants qui ont tous fort bien réussi, et le grand-père de nombreux petits-enfants.

Près de 60 ans après l’indépendance, le gouvernement FLN continue à ostraciser les enfants d’Algérie qui avaient choisi la France de l’époque, ce qui n’empêche pas Monsieur Stora de battre les estrades des médias pour tenter de nous faire croire qu’il faut faire la réconciliation, et que cette Algérie du moment –cela dure depuis près de 60 ans ! – est prête à tourner la page !

Cela est faux !

A plusieurs reprises, sur ce blog, j’ai regretté que Monsieur Stora n’ait jamais eu le courage de faire mesurer les mémoires de la guerre d’Algérie dont il drape la mémoire collective française.

Comment ne pas s’empêcher de penser que la réconciliation franco-algérienne constitue pour l’Algérie du FLN un appât destiné à sauvegarder une position d’assistance, de victime éternelle, pour un renard algérien soucieux de sauver son « fromage » : une France ennemie héréditaire dont l’Algérie  a le plus grand besoin, compte tenu de la faiblesse de son pouvoir, et afin de sauvegarder des accords de migrations qui lui donnent encore quelques soupapes de sûreté face aux colères de sa jeunesse ? 

Sur ce blog, il m’est arrivé d’évoquer les initiatives de l’ « agitateur » principal du groupe de pression des « Raisins Verts », ceux dont les dents des parents ont eu leurs dents agacées, en mangeant des raisins verts (Prophète Ezéchiel) dans l’Algérie Française, ce qui fut ni mon cas, ni celui de tous mes camarades du contingent.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

2012-2021 : la France au Mali et au Sahel

 
    Les lecteurs du blog qui m’ont accompagné  savent que dès l’origine je fus plus que réservé sur les conditions de notre intervention au Mali en 2012, et j’en ai donné les multiples raisons.
   J’ai beaucoup travaillé sur les conditions historiques des conquêtes coloniales françaises, notamment en Afrique noire et publié analyses et conclusions dans le livre « Le Vent des Mots, le Vent des Maux, le Vent du Large ».
Je résumerai ma pensée en écrivant que, pour de très nombreuses raisons, politiques, matérielles ou intellectuelles, les gouvernements de la Troisième République étaient dans l’incapacité de contrôler les processus de décision politique ou militaire, engagés au niveau central ou colonial.
        Je me suis posé très souvent la question de l’opportunité ou de l’intérêt des différentes conquêtes de la France, ce qui ne fut pas le cas de l’Empire britannique. La comparaison que j’ai proposée il y a quelques années sur le blog entre les deux Empires est toujours bien consultée.
       L’actualité politique et militaire du Sahel et du Mali où nous avons engagé une partie de nos forces militaires en 2012 vient de nous rappeler à l’ordre avec la question du bien-fondé d’une intervention qui a été renforcée par le Président actuel.
Pourquoi ne pas publier à nouveau quelques-unes des chroniques que j’ai publiées sur ce sujet sensible et qui résumaient les enjeux de cette nouvelle guerre française, le dernière le 6 novembre 2020 ?
             

« Mourir pour le Mali ? »
       

« Sous le titre « Mourir pour le Mali ? », Le Figaro du 5 novembre 2020 opinions, page 21, vient de publier  une tribune cosignée par Michel Roussin,  ancien ministre et animateur  d’une certaine France-Afrique et Stephen Smith spécialiste reconnu des questions africaines.
       Le  lecteur aura constaté que les deux auteurs font preuve de la même prudence, sinon de réserve, que celles que j’ai manifestées dans le courrier des lecteurs dont vous trouverez ci-après copie, en ce qui concerne l’intervention de la France au Mali : 
« Pourquoi est-il urgent de « pivoter » d’une action militaire au grand jour vers une action dans l’ombre ? ».
           Dès la date de notre intervention, j’ai publié à plusieurs reprises sur ce blog des articles la concernant, notamment celui concernant la décision de l’Assemblée Nationale sous le titre « L’insoutenable légèreté de l’être » à la date du 27 avril 2013, dont vous trouverez copie plus loin.
                                                            &
Copie Courrier des Lecteurs Ouest France avec parution le 13 septembre 2020
            « Bonjour, pour avoir beaucoup analysé les processus décisionnels des conquêtes coloniales et leurs résultats, notamment en Afrique noire, je suis toujours plutôt surpris de voir les experts de tout poil, disserter savamment sur les géopolitiques du jour, en ignorant le plus souvent les contextes historiques sur tous les plans religieux, culturels, politiques, économiques, locaux ou non…
Je n’étais pas partisan de l’intervention de Hollande, sans en avoir au préalable mis les autres pays du Conseil exécutif européen devant leurs propres responsabilités, une des caractéristiques de la plupart des Présidents qui dans ce domaine ont quasiment les pleins pouvoirs, qu’il se soit agi de VGE, de Mitterrand, de Chirac, de Sarkozy, de Hollande ou de Macron.
       Sarkozy nous a emmenés en Libye et on voit le résultat ! Hollande avec Fabius voulait nous emmener en Syrie ! Avec Macron, nous battons tous les records, comme si la France (affaiblie) avait encore les moyens de faire sonner ses trompettes, comme sous la Troisième République qui entérinait le plus souvent   ex post, comme l’on dit de nos jours, les initiatives coloniales de ses ministres, amiraux ,ou généraux, car il s’agissait souvent d’initiatives dont ils ignoraient l’existence et qu’ils ne pouvaient de toute façon pas contrôler, compte tenu notamment de la défaillance des moyens de communication…
        Pour terminer quelques données géopolitiques pour comprendre notre dossier : pas de solution sans celle du Sahara, sans soutien des confréries religieuses et des grandes tribus ( toujours) et de nos jours , des syndicats et de l’Armée, car le Mali n’a toujours pas d’Etat : avant et après l’indépendance, ce pays a toujours eu une vie agitée, c’est le moins que l’on puisse dire.
        La France aurait dû limiter son intervention, dans le cadre européen, à la protection de ses ressortissants et à celle des services spéciaux, avec l’accord des pays concernés, sans oublier l’Algérie, qui, dans les apparences, est aux abonnés absents. »

     

Blog du 27 avril 2013 :
« Le Mali et « l’insoutenable légèreté de l’être » des députés ! »

22 avril 2013 : l’Assemblée Nationale autorise le gouvernement à poursuivre la guerre au Mali, par 342 voix pour sur 352 votants, sur un total de 577 députés !
Soit 6 sur 10 !
« Mais où est donc passée la 7ème compagnie, ou plutôt les autres compagnies du bataillon, puisque le nombre des votants aurait dû être de 577 députés, et non pas 352 !

A noter :  les 215 députés socialistes votants et favorables sur un effectif de 292, en gros 2 sur 3, et les 87 députés UMP votants et favorables sur un effectif de 196 députés, soit moins de un sur deux !
Sur le total de l’effectif, 225 députés étaient donc absents !
Le sujet n’était donc pas assez sérieux pour tous ces députés absents ?
Les interventions qui ont été faites dans l’hémicycle ont recensé la plupart des éléments de cette problématique de guerre, en omettant de citer l’Algérie, qui aurait dû être le principal acteur de la confrontation. 
Pour protéger son gaz et son pétrole ?
Curieux oubli, non ?
        Curieux aussi que l’Assemblée Nationale se soit abstenue également de fixer le cadre de la prolongation autorisée, délai, financement, et si relais par l’ONU, à quelle date ?  etc…
       Une fois de plus, je conclurai que dans cette nouvelle guerre, les forces françaises sont les « nouveaux Suisses » de l’Europe, alors que l’Algérie, comme l’Europe d’ailleurs, se sont bien gardées de mettre le doigt dans le même engrenage, et que le gouvernement d’une France, endettée jusqu’au coup, en pleine crise intérieure, … fait une guerre dont le pays n’a plus les moyens !
Plus de deux cents millions d’euros déjà volatilisés, pour ne pas rappeler à notre mémoire le sacrifice de plusieurs de nos soldats ! 
Toujours le même « esprit de gloire »  que Montesquieu a identifié comme une des caractéristiques de la mentalité des Français !
Seulement, nous ne sommes plus au siècle de Montesquieu, et c’est à se demander si nous ne sommes pas dirigés par des « illuminés » !
Et pour terminer, le silence assourdissant de la plupart des médias sur cette décision de l’Assemblée nationale, c’est-à-dire leur complicité avec cette guerre ! »

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Au Mali, quelle stratégie ? »
        

« La France a engagé son armée au Mali, sans avoir demandé préalablement à ses partenaires européens, d’assumer collectivement cette mission, alors qu’elle est un enjeu important de la sécurité internationale de toute l’Union Européenne.
A lire une presse qui est très volatile sur le sujet,  la France est au Mali pour longtemps, si l’ONU n’accepte pas de mettre à sa place une force de paix internationale.
Au terme des quatre mois de guerre « autorisés » par le Parlement, il va  falloir que la communauté internationale tout autant que le gouvernement français, aient des idées claires sur la longue durée stratégique.
Sur la longue durée, les conditions du succès ne seront pas faciles à remplir :
Une paix difficile à réaliser, sans qu’aux côtés de la coalition africaine en charge de cette mission de guerre et paix, des mouvements de l’islam modéré ne viennent soutenir sa lutte anti-djihadiste, dans une région où traditionnellement l’islam a toujours été fort, pour ne pas dire conquérant, adossé à une histoire riche de grands empires musulmans.
Une paix difficile à réaliser sans l’Algérie, et si l’Algérie, placée au cœur du sujet ne prend pas ses responsabilités en coopérant avec les Etats Africains, parce que la France, compte tenu de son passé colonial n’est pas la mieux placée, à la différence de l’Union Européenne, pour obtenir ce résultat. 
     Une paix difficile à réaliser, alors qu’il n’y a plus ni Etat, ni armée, sans que l’ONU, avec un mandat de transition, ne mette en place au Mali un pouvoir- relais capable d’administrer et de remettre sur pied un nouvel Etat, et il y faudra plus que quelques mois, et peut-être quelques années !
La présence du capitaine Sanogo, auteur du dernier coup d’Etat, aux côtés d’un chef d’Etat qu’il a chassé du pouvoir, ne laisse augurer rien de bon sur le retour de la paix civile dans cette région.
Le reportage du Monde intitulé « Au Mali, l’encombrant capitaine Sanogo reste au centre du jeu » (15/02/13, page 7) est tout à fait édifiant :
« L’ancien putschiste a  été investi au palais présidentiel de Koulouba par le chef de l’Etat par intérim Dioncounda Traoré au rang de président du « Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité »
Ce qui veut dire le loup dans une bergerie qui, il est vrai, n’en est plus une ! Et en plein pataquès africain ! On le croyait ou sur le « front », ou en prison !
Une paix difficile à réaliser, si les nouvelles autorités du Mali, à condition qu’elles existent à nouveau, ne trouvent pas une solution intelligente et pérenne, pour associer le peuple touareg aux décisions politiques du nouvel état à créer.
Une paix encore plus difficile à réaliser, sur la longue durée encore, si les gouvernements africains n’arrivent pas à modérer la pression démographique de leurs pays, pour ne pas dire à confiner l’explosion démographique, car il est évident que ce facteur est un des éléments d’instabilité du continent, avec un manque de développement en face d’une jeunesse au chômage. »

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés