La Parole de la France ? L’Honneur du Soldat – Les Héritages- Guerres d’Indochine et d’Algérie- Prologue avec Malraux, Delafosse et Guillain

La Parole de la France ?

L’Honneur du Soldat

Les Héritages

Guerre d’Indochine (1945-1954)

Guerre d’Algérie (1954- 1962)

II

En Prologue

Nous proposons un éclairage du sujet avec les témoignages lucides d’André Malraux, Maurice Delafosse et Robert Guillain

1

« Antémémoires »

André Malraux

Folio

&

1945-1965 (p,121)

« Je venais quelquefois à Paris, car nombre de questions étaient encore du ressort du ministère de la Guerre. Je retrouvai Corniglion, devenu général et compagnon de la Libération. Il allait prendre bientôt le commandement de l’aviation contre le bastion de Royan, l’un des derniers points d’appui allemands en France. En attendant, il écrivait un bouquin humoristique avec le docteur Lichvitz, que j’avais connu à la 1ère DFL, et qui était devenu médecin du général de Gaulle. Il en lisait des chapitres, avec une intarissable bonne humeur à Gaston Palewski (à la suite de quelque conflit à Londres, cet ambassadeur était parti en Abyssinie conquérir Gondar, avant de devenir directeur du cabinet du général), au capitaine Guy, à quelques autres. C’est ainsi que je fis connaissance du fameux « entourage ».

      Quelques jours après le Congrès du MLN, nous parlâmes d’élections : on parle toujours d’élections. Je n’éprouvais nul désir de devenir député. Mais j’avais un dada : transformer l’enseignement par l’emploi généralisé des moyens audiovisuels. Seuls le cinéma et la radio étaient alors en cause ; on pressentait la télévision. Il s’agissait de diffuser les cours de maîtres choisis pour leurs qualités pédagogiques, pour apprendre à lire comme pour découvrir l’histoire de la France. L’instituteur n’avait plus pour fonction d’enseigner mais d’aider les enfants à apprendre.

      En somme, dit Palewski, voius voulez faire enregistrer le cours d’Alain, et le diffuser dans tous les lycées ?

        Et remplacer le cours sur la Garonne par un film sur la Garonne.

       Mais c’est excellent ! Seulement, je crains que vous ne    connaissiez pas encore le ministère de l’Éducation nationale.

       Nous avions parlé aussi de l’Indochine. J’avais dit, écrit, proclamé depuis 1933, que les empires coloniaux, ne survivraient pas à une guerre européenne. Je ne croyais pas à Bao Dai, moins encore aux colons. Je connaissais la servilité qui, en Cochinchine, comme ailleurs, agglutine les intermédiaires autour des colonisateurs. Mais, bien avant l’arrivée de l’armée japonaise, j’avais vu naître les organisations paramilitaires des montagnes d’Annam.

      Alors, me dit-on, que proposez-vous ?

       Si vous cherchez comment nous conserverons l’Indochine, je ne propose rien, car nous ne la conserverons pas. Tout ce que nous pouvons sauver, c’est une sorte d’empire culturel, un domaine de valeurs. Mais il faudrait vomir une « présence économique » dont le principal journal de Saigon ose porter en manchette quotidienne : « Défense des intérêts français en Indochine ». Et faire nous-mêmes la révolution qui est inévitable et légitime : d’abord abolir les créances usuraires, presque toutes chinoises, sous lesquelles crève la paysannerie d’un peuple paysan. Puis partager la terre, puis aider les révolutionnaires annamites, qui ont sans doute bien besoin de l’être. Ni les militaires, ni les missionnaires, ni les enseignants ne sont liés aux colons. Il ne resterait pas beaucoup de Français, mais il resterait peut être la France…

     J’ai horreur du colonialisme à piastres. J’ai horreur de nos petits bourgeois d’Indochine qui disent ; « Ici, on perd sa mentalité d’esclave ! »  comme s’ils étaient les survivants d’Austerlitz, ou même de Lang Son. Il est vrai que l’Asie a besoin de spécialistes européens ; il n’est pas vrai qu’elle doive les avoir pour maîtres. Il suffit qu’elle les paye. Je doute que les empires survivent longtemps à la victoire des deux puissances qui se proclament anti-impérialistes.

       Je ne suis pas devenu Premier Ministre de Sa Majesté pour liquider l’Empire britannique, dit Corniglion, citant Churchill.

       Mais il n’est plus Premier Ministre. Et vous connaissez la position du Labour sur l’Inde.

      Tout de même dit Palewski, vous ne pouvez pas exécuter un tel renversement avec notre administration ?

      Il y  a encore en France de quoi faire une administration libérale. Je vais plus loin. Pour faire de l’Indochine un pays ami, il faudrait aider Ho chi Minh. Ce qui serait difficile, mais pas plus que ne l’a été, pour l’Angleterre, d’aider Nehru.

      Nous sommes beaucoup moins pessimistes que vous…

    Ce qui nous mena à la propagande. L’Information était entre les mains de Jacques Soustelle, qui souhaitait changer de ministère.

    A peu de choses près, dis-je, les moyens d’information dont vous disposez n’ont pas changé depuis Napoléon. Je pense qu’il en existe un beaucoup plus précis et efficace : les sondages d’opinion…. Les procédés de Gallup n’étaient alors connus, en France, que des spécialistes. Je les exposai rapidement. » (p,124)

&

 Il est possible de disserter à longueur de pages et de temps, et les choses sont déjà bien engagées beaucoup plus sur le terrain idéologique ou politique que sur le plan historique, sur le bilan et les héritages des colonisations française et anglaise de la fin du dix-neuvième siècle et de la première moitié du vingtième siècle, mais la décolonisation n’a pas été un long fleuve tranquille.

      Quelques éléments dominent à mes yeux ce sujet polémique : la volonté de puissance de plus en plus anachronique d’un pays, la France, qui n’avait plus les moyens de faire face à l’évolution du monde après la Deuxième Guerre Mondiale, une France qui n’avait jamais eue vraiment la fibre coloniale, une France qui était privée d’un gouvernement à la fois compétent, lucide et stable (une volatilité de six mois en moyenne, comme sous la Troisième République), une France que la Guerre Froide conduisait à choisir le continent européen.

       Résultat : une guerre d’Indochine menée à veau l’eau (1945-1954), une répression rétrograde de l’insurrection malgache en 1947, une guerre d’Algérie militairement bien menée – l’Indochine était passée par là – et politiquement bâclée, pour ne pas évoquer le cas des autres territoires coloniaux dont les enjeux étaient moindres.

      Un observateur averti ne peut manquer de remarquer qu’au fur et à mesure des années et des présidences de la Cinquième République, une sorte de prurit cérébral d’ancienne puissance et de gloire continue à produire ses effets, au Zaïre, au Rwanda, en Côte d’Ivoire, en Libye, ou de nos jours au Sahel.

      Malraux avait raison de privilégier dans les facteurs d’évolution impériale plus le rôle culturel de notre pays que son rôle politique ou militaire.

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1922 : le regard lucide et dérangeant de l’africaniste Maurice Delafosse :

       Delafosse avait été administrateur colonial en Côte d’Ivoire pendant plusieurs années, dans une Côte d’Ivoire qui venait de voir le jour comme première forme d’un Etat colonial, rappelons-le, et avait fait le choix de l’étude des sociétés africaines, de leurs langues, de leurs mœurs et de leurs cultures.

      Il était en quelque sorte devenu un expert des politiques indigènes qu’il était possible de mettre en œuvre en Afrique noire.

      En 1922, il publiait un livre intitulé « Broussard », et son diagnostic était le suivant.

     Il posait ce diagnostic précoce, à l’aube de la deuxième phase de la colonisation, c’est-à-dire les années 1920-1940, en partant du principe que les hommes, blancs ou noirs, étaient les mêmes, en Europe ou en Afrique, mais cela ne l’empêchait pas de proposer une politique indigène qui ne fut jamais celle de la France.

       Il écrivait au sujet de l’instruction : « Considérant simplement le bien ou le mal que peut retirer l’indigène africain d’une instruction à la française, je crois sincèrement que la lui donner constituerait le cadeau le plus pernicieux que nous pourrions lui faire : cela reviendrait à offrir à notre meilleur ami un beau fruit vénéneux « (p,111)

        Plus loin, il fustigeait les humanistes :

     « Les humanistes entrent en scène. Pour ces singuliers rêveurs, l’idéal de l’homme est de ressembler à un Parisien du XXème  siècle et le but à poursuivre est de faire goûter à tous les habitants de l’univers, le plus tôt possible, les joies de cet idéal » (p,114)

     La bombe d’Indochine

      «  Nous parlions d’un événement qui avait mis en émoi l’Indochine ; un Annamite quelque peu détraqué  avait lancé une bombe sur un groupe d’Européens assis à la porte d’un établissement public.

    Ce n’est pas dans votre Afrique, dis- je à mon ami Broussard, que de paisibles consommateurs prenant le frais et l’apéritif à la terrasse d’un café, auraient à redouter l’explosion d’une bombe intempestive.

     Assurément non, me répondit-il, ou du moins l’instant n’est pas encore venu d’appréhender de tels faits divers ; mais ce n’est qu’une question de temps. » (p,112)

     Et plus loin encore :

     « Félicitez- vous en pour eux aussi, pendant qu’il est temps encore. Mais s’ils ne sont pas mûrs actuellement pour se servir d’engins explosifs, soyez sûr qu’un jour ou l’autre, si nous continuons à nous laisser influencer par les humanitaristes et les ignorants, les nègres nous flanqueront à la porte de l’Afrique et nous ne l’aurons pas volé. » (p,118)

La Parole de la France ? L’Honneur du Soldat – Les Héritages- Indochine et Algérie – 1

La Parole de la France ?

L’Honneur du Soldat

Les Héritages

Guerre d’Indochine (1945-1954)

Guerre d’Algérie (1954- 1962)

Analyses, extraits de textes et commentaires

Le devoir d’obéissance ou les cas de conscience des officiers

Avec la question que pose le Président lors de son déplacement à Jérusalem et les comptes rendus des 23,24,25 janvier 2020 :

Nos camarades morts, officiers, sous-officiers, et soldats, sont-ils « MORTS POUR LA FRANCE » ?

?

1-

Introduction et prologue, avec le témoignage d’Hélie de Saint Marc

« Honneur perdu et parole trahie »

La clé ?

« Les événements ont marché » ?

  Une expression d’André Lebon (1896-1898), ministre des Colonies !!!

J’ouvrirai ma réflexion sur ce sujet historique tragique en indiquant que mes deux dernières lectures furent consacrées au témoignage d’Hélie de Saint Marc dans « Mémoires-Les champs de braise », et au livre du petit-fils du général Crépin « La nostalgie de l’honneur » ;

            Il se trouve que j’ai évoqué dans un livre de souvenirs de la guerre d’Algérie l’Inspection que fit alors le général Crépin, Commandant en Chef, dans mon secteur militaire de la vallée de la Soummam en juillet 1960. Le   25 janvier 1960, il avait remplacé le général Massu, autre général gaulliste, avant qu’il ne soit remplacé lui-même, le 1er février 1961, par un autre général gaulliste, le général Gambiez, dont je fis plus tard la connaissance.

            Je reviendrai dans ma conclusion sur le deuxième livre qui propose une ou plusieurs explications du sens de l’honneur qui fait vivre et- combattre un soldat, le devoir d’obéissance, le droit de donner la mort.

        Lors de mon séjour en Algérie, en juillet 1960, j’avais entendu les témoignages des officiers du 28ème Bataillon de Chasseurs Alpins qui avaient assisté au briefing du général Crépin lors de sa tournée d’Inspection au PC 1621 de l’Opération Jumelles, des propos qui les encourageaient à continuer le combat.

Le témoignage d’Hélie de Saint Marc me fit revivre, avec beaucoup d’émotion, les rêves de ma jeunesse et mes propres expériences « coloniales », notamment celle de la guerre d’Algérie.

            Je me rappelais entre autres les débuts de l’opération Jumelles, en Petite Kabylie, un beau soir de juillet 1959, avec le passage des premières escouades de Parachutistes et de Légionnaires de la 10ème Division Aéroportée, qui montaient vers la forêt d’Akfadou et le massif du Djurdjura pour rejoindre le PC Artois 1621 sur les sommets qui dominaient la SAS. Le colonel Hélie de Saint Marc, dont j’ignorais bien sûr l’existence, faisait partie de cette Division qui mena à bien cette grande opération.

            Dans la Nouvelle publiée dans un livre sur la Guerre d’Algérie intitulée « LE VIDE PRESQUE PARFAIT » d’après Lao Tseu, je décrivais les tout débuts de cette grande opération. Ci-après un extrait :

         « … Un bruit courait dans les popotes du secteur militaire de Sidi Aïch depuis plusieurs semaines ; on ne parlait plus que de ça, un autre « ça » freudien ! Le rouleau compresseur de l’armée française allait passer sur la Kabylie, comme il venait de le faire dans l’Ouarsenis.

        La nouvelle était excitante. Elle laissait espérer une fin de la guerre, et un retour non moins rapide des soldats du contingent en métropole. Personne ici ne souhaitait vraiment s’attarder en Algérie.

        La rumeur enflait de jour en jour. La France s’était enfin décidée à employer les grands moyens. Elle avait mis sur pied une troupe de choc pour démolir les katibas qui faisaient encore la loi dans les grands djebels d’Algérie et soutenaient l’organisation politico-administrative de l’ALN dans les villages, celle de ceux que nous appelions les terroristes.

       Le 22 juillet, au cours d’une belle nuit de l’été 1959, l’opération démarra en petite Kabylie.

         La nuit était tombée depuis une heure environ, quand le lieutenant Marçot entendit le bruit d’un convoi monter vers le douar des Béni-Oughlis. Il empruntait une route qu’il connaissait dans le détail de ses épingles à cheveu et de ses moindres virages entre Sidi Aïch et Aît Chemini. Une compagnie de chasseurs alpins y tenait le poste et contrôlait les villages parsemés sur les tout premiers escarpements du massif du Djurdjura, le long de la vallée de la Soummam.

        La chaine du Djurdjura avait une allure impressionnante. Beaucoup de ses sommets dépassaient les deux mille mètres, et la neige les recouvrait le plus souvent en hiver. Jusqu’à aujourd’hui, elle était restée le sanctuaire naturel et inexpugnable des bandes rebelles.

         Le convoi venait de franchir la crête.  Il le savait uniquement au bruit, mais chose tout à fait nouvelle, il apercevait les premiers véhicules tous phares allumés. Les camions militaires roulaient comme en plein jour et formaient un cordon lumineux interminable.

Il n’avait jamais assisté à un tel spectacle. La nuit tombée, on n’osait pas défier les rebelles. Un spectacle incroyable !

      La nuit était douce et le ciel étoilé. Le convoi passa au poste de Chemini, sans s’arrêter. Les paras et les légionnaires allaient rejoindre leur position de départ à la lisière de la forêt d’Akfadou qui se trouvait à une dizaine de kilomètres.

      Le grand cirque allait démarrer, et le rouleau compresseur tant attendu, tout écraser chez les fels.

      Au début de l’année 1959, l’Armée de Libération Nationale était encore puissante en Algérie, alors que les frontières marocaines et tunisiennes avaient pourtant été verrouillées de façon efficace par d’impressionnants barrages militaires.

       L’armée française était empêtrée dans son dispositif de quadrillage…

        En Kabylie et en Petite Kabylie, onze secteurs militaires étaient concernés par l’opération « Jumelles », dans un vaste périmètre militaire allant de Tizi Ouzou à Lafayette et à Bougie …

        Les seigneurs de la guerre avaient fait irruption dans son douar. Ils venaient d’une autre planète.

       Un matin, à la popote militaire du PC des Chasseurs à Chemini, il se trouva nez à nez avec des lieutenants et des capitaines paras, très jeunes, de son âge ; leur essaim voltigeait et bourdonnait autour de leur colonel. Des casquettes à la Bigeard, tenues camouflées, corps musclés, teints bronzés, bottines astiquées, ils faisaient une dernière halte, pendant quelques minutes, au dernier poste militaire, sur la route de l’Akfadou.

        Ils entouraient leur colonel, papillonnaient comme des gamins autour de leur instituteur, le dévoraient du regard, l’adoraient manifestement comme un nouveau dieu. Ils étaient d’une autre race, et en faisaient parade.

     A côté d’eux, quelques Chasseurs Alpins du contingent ressemblaient à des manants mal fagotés.

       Les seigneurs de la guerre et les esclaves… » (p, 121,127)

Au fur et à mesure des années qui ont suivi le choix que j’avais fait d’aller en Afrique, pour servir ce que je croyais être la France,  la France d’Outre-Mer, avoir eu l’expérience concrète de la fin de la colonisation française, mais surtout après avoir été confronté à la violence de la guerre d’Algérie, j’ai mis une croix sur ce que je croyais être ma vocation.

            Une fois à la retraite et disposant du temps nécessaire pour lire des articles ou des livres parus après la période coloniale, dans l’explosion de toute une littérature postcoloniale de désinformation, plus mémorielle, ou idéologique, qu’historique, je me suis lancé dans des recherches historiques afin de comprendre le processus décisionnel des conquêtes coloniales, en même temps que j’ai passé au peigne fin le discours de désinformation « historique » que le collectif Blanchard, entre autres, développait, au fur et à mesure de ses publications sur les cultures coloniales ou impériales de notre pays.

            Au cœur de mes recherches et réflexions, j’ai toujours eu beaucoup de peine à comprendre pourquoi la France s’était lancée dans les conquêtes coloniales, alors que le peuple français n’avait jamais été piqué par le virus colonial du business, comme les anglais, ne s’était jamais véritablement intéressé à ce qui se passait outre-mer, sauf quand il s’est agi de faire appel aux ressources de ces territoires au cours des deux guerres mondiales.

            Pour avoir été acteur et témoin de la tragédie algérienne, tenté de comprendre les raisons de la colonisation française, de ses succès ou de ses échecs, je n’ai toujours pas compris les raisons de nos débâcles, politique et militaire en Indochine, et politique, en Algérie, sauf à dire que notre pays n’a jamais eu de politique coloniale, sauf à mélanger tous les genres, en laissant faire les multiples groupes de pression économiques, politiques, religieux, chrétiens, francs-maçons,  ou encore militaires, avec la Marine notamment …

            Je répète qu’à mes yeux, avec l’ensemble de mes recherches et réflexions sur le sujet, la France n’a jamais été une France coloniale, et qu’elle a toujours laissé faire ces groupes de pression, sous les prétextes de puissance, de gloire, et de grandeur.

            De nos jours, nos gouvernements usent des mêmes arguments pour prendre les initiatives politiques et militaires les plus risquées, voir la Libye ou le Sahel, et qui plus est avec la modification de la Constitution en 2008 qui donne tout pouvoir de faire la guerre à nos Présidents de la République : le Parlement a le droit de voter guerre ou paix, trois mois plus tard…

            Lors  de mon service militaire en Algérie, j’ai côtoyé et apprécié de nombreux officiers, sous-officiers ou soldats, survivants de la guerre d’Indochine, des hommes que la France engageait de nouveau dans le conflit algérien, sans que les gouvernements de la Quatrième République soient mieux inspirés pour conduire ce pays à l’indépendance, plutôt avec nous que contre nous, comme ce fut le cas en Indochine.

            La plupart de ces capitaines, commandants, ou colonels (survivants) avaient déjà effectué un ou plusieurs séjours en Indochine. Ils avaient compris la nouvelle stratégie de guerre populaire qu’il convenait de mettre en œuvre dans ce type de guerre, alors que les objectifs des gouvernements n’étaient guère plus clairs qu’en Indochine.

            Le résultat ?

            En 1961, la révolte des officiers qui avaient gagné la partie sur le terrain, et qui n’acceptaient pas que le pouvoir politique trahisse une fois de plus la parole donnée.

Avant-propos

Pourquoi ces témoignages et ces réflexions sur notre passé colonial ?

            Comprendre et tenter d’expliquer à travers la guerre d’Indochine l’engrenage d’une décolonisation violente  qui s’est poursuivie en Algérie, les héritages, souvent avec les mêmes acteurs et dans le même état d’esprit d’aveuglement quant à l’évolution du monde et les moyens de la France, subir au lieu d’agir, au rythme chaotique inscrit dans une des sentences ministérielles de la Troisième République : « Les événements ont marché. » (Signé Lebon) l’une des phrases de la continuité de la bêtise politique.

       Deux autres sortes de raisons, l’une, familiale, avec le souvenir de mon frère ainé qui, après la Résistance, s’était engagé à la Libération dans le corps expéditionnaire destiné à débarquer au Japon, lequel fut détourné finalement vers l’Indochine à la suite de la défaite du Japon (Cochinchine (5/11/1945-9/5/46), et Tonkin (9/5/46-4/5/1947), l’autre mon expérience personnelle de la guerre d’Algérie.

            A peine débarqué à Alger et dans le djebel kabyle, il ne fallait pas longtemps pour rencontrer des officiers et sous-officiers qui avaient fait la guerre d’Indochine, souvent d’ailleurs des types de qualité, des hommes que cette guerre perdue avait marqués.

            Il est en effet difficile de tenter de comprendre la guerre d’Algérie sans tenter de comprendre la guerre d’Indochine, son héritage, et de replacer ce type de problématique de guerre dans le cadre de la conception que la France « officielle » avait de la politique coloniale, pour autant qu’elle ait jamais existé tout au long des Troisième et Quatrième République.

            J’utilise souvent l’expression de France « officielle », car je pense que l’outre-mer n’a jamais été une préoccupation populaire, et que sauf exception, comme ce fut le cas pour l’Algérie, les gouvernements ont toujours bénéficié d’un laissez faire, fût-il nimbé de grandeur ou de gloire.

       Le grand journaliste Robert Guillain a usé de la même formule.

            Les deux conflits se déroulèrent selon un calendrier comparable, le deuxième succédant au premier, 1945-1954 pour l’Indochine, et 1954-1962, pour l’Algérie, soit une durée plus courte que celle du premier conflit.

            Il convient de noter toutefois qu’en 1945, l’Indochine sortait d’une période très troublée, violente, liée à l’occupation japonaise, un Japon qui avait su bien manœuvrer en jouant la carte d’une administration coloniale située dans la mouvance « officielle » de Vichy et de Pétain, et dans le contexte d’une deuxième guerre mondiale qui avait failli faire disparaître la France.

Il est difficile de résumer brièvement la guerre d’Indochine, mais nous nous risquerons à le faire, avec le concours des nombreuses sources consultées, afin de mieux comprendre les enjeux de cette guerre coloniale qui causa beaucoup de morts à la fois dans les deux camps, et dans la population civile.

            Nous proposerons donc une analyse à multiples facettes, en n’hésitant pas, pour ce faire, à multiplier la publication de nombreux extraits des sources consultées.

            A lire l’ensemble de ces récits, il est vrai longtemps après les faits, le lecteur en ressent l’impression que les gouvernements de la France vivaient sur une autre planète, ou continuaient aveuglément à gouverner comme si le monde n’avait pas complètement changé après la Deuxième guerre mondiale.

            Mon expérience de la guerre d’Algérie et des séjours outre-mer m’en avaient à titre personnel tout à fait convaincu.

        Lyautey considérait à juste titre que l’Indochine était le joyau des colonies françaises, et il avait raison eu égard à sa position géographique dans l’entourage d’une Chine potentiellement riche, de ses propres atouts économiques, de sa population industrieuse, de son passé séculaire, d’une gouvernance impériale et administrative sophistiquée grâce à ses mandarins triés sur le volet universitaire et au service du Fils du Ciel, enfin grâce à sa culture de l’effort collectif…

         Tout a véritablement commencé en Cochinchine, dans les années 1850, lorsqu’un amiral décida – fait accompli – de conquérir ce territoire en venant au secours de missionnaires persécutés, sorte d’alliance sacrée entre le sabre et le goupillon, dans le cas présent, celui d’une marine à la fois sensible à l’évangélisation de l’Asie et à son ambition d’escales à créer.

       Cette alliance entre le sabre et le goupillon exista souvent lors des conquêtes et au cours de la période de colonisation alors que la République se piquait d’être laïque en métropole.

        Tout s’est également terminé avec le Ky de Cochinchine pendant la guerre d’Indochine, la France se réservant le droit de détacher jusqu’au bout et d’une façon ou d’une autre, cette province des deux autres KY du Vietnam, l’Annam et  le Tonkin : ce fut une des causes, avec beaucoup d’autres, de l’absence de solution politique dans la négociation avec le Vietminh.

       J’ai longuement analysé les conditions dans lesquelles les conquêtes coloniales de la France furent effectuées sur les autres continents : l’absence quasi-complète de communications entre le terrain colonial et la métropole, donnait une entière liberté d’action aux exécutants, d’autant plus grande que les décideurs parisiens ignoraient quasiment tout des outre-mer.

       Aveuglement des gouvernements de la Quatrième République face au dossier indochinois, pour aboutir à la catastrophe de Dien Bien Phu en 1954, et même aveuglement de la Quatrième et Cinquième République, avec une sorte de sauve-qui-peut, avec la clôture bâclée de ce dossier, en 1962, par les Accords d’Evian.

       L’Indochine était incontestablement la colonie française la mieux dotée de tout le domaine colonial français, mais la France n’avait jamais réussi à mettre en œuvre un modèle de gestion indirecte de type anglais, et avait fait face à plusieurs crises de type nationaliste, quasiment dès la période de la conquête.

        La guerre d’Indochine s’est traduite par la perte chaque année d’une promotion d’officiers de Saint Cyr,  les plus connus, parmi les survivants jouèrent un rôle majeur dans la guerre d’Algérie, soit dans la stratégie qui y fut développée (Beaufre toujours, Trinquier…), soit dans les grands commandements de terrain, Leclerc, de Lattre, Salan, Bigeard, ou Crépin….

Le plan de publication:

1 – Introduction et Prologue avec le témoignage d’Hélie de Saint Marc

2 – Les sources

3 -Témoignages d’André Malraux, ancien ministre du général de Gaulle, Maurice Delafosse, africaniste, et de Robert Guillain, grand reporter en Extrême Orient.

4 – Résumé historique de la guerre d’Indochine

5 – Les grandes séquences historiques avec le général Gras et l’historien Hugues Tertrais

6 – Situation coloniale de l’Indochine en 1945

A – Vues de l’étranger avec Henri Kissinger, Graham Green, et Nguyen Khac Vièn

B – Vue de France avec Pierre Brocheux

7 –  Un nouveau type de Guerre ?

8 – Conclusion : avec le colonel Trinquier, le général Gracieux, et le témoignage du petit-fils du général Crépin

.Méthodologie d’écriture :

Le lecteur voudra bien excuser certaines répétitions dans les analyses et textes publiés dues essentiellement à deux causes, autant que possible le respect des textes cités, et au moins autant une méthode de travail et de publication qui demeure très artisanale.

        Comment ne pas conclure cette introduction par des  extraits du témoignage d’Hélie de Saint Marc, témoin privilégié de la destinée de  ces officiers issus de la Résistance, déportés, puis engagés, dans l’honneur et l’idéal d’un service patriotique, furent plongés dans des guerres coloniales que les gouvernements et les parlements furent incapables de mener dans l’honneur et le respect de la parole donnée, très souvent au péril de leur vie ?

La Parole de la France ? -1- Suite, un cas historique représentatif des absurdités coloniales : Hélie de Saint Marc

La Parole de la France ?

1 – Suite

Un cas historique représentatif des absurdités coloniales :

Hélie de Saint Marc

« Mémoires »

« Les champs de braise »

(Perrin-1995)

            Le témoignage d’un officier qui fut un des acteurs de la guerre de Libération de la France (1939-1945), Résistant, Déporté au camp de concentration de Buchenwald, officier pendant la guerre d’Indochine, avant celle d’Algérie.

       Un des grands témoins de la parole trahie et des reniements de la France !

Au péril de sa vie et au prix de sa condamnation à la prison !

&

            En 1940 : « J’avais dix-huit ans », « je voulais être officier » (p,59)

 Il entre dans la Résistance : « Avant mon arrestation en juillet 1943, j’ai rencontré peu de résistants véritables… A l’époque, la Résistance état infime… (p,64)

            A Buchenwald : « 4 – L’humiliation…. Matricule M 20543… Le Dieu de nos pères était absent de la planète Buchenwald… »(p,87)

            Après Saint Cyr, Saint Marc s’engage dans la Légion :

            « Pourtant, c’est seulement à la Légion que j’ai trouvé l’équilibre. Dans ma mémoire si chargée d’événements et d’émotions de toutes sortes, les légionnaires que j’ai commandés pendant quinze ans occupent une place écrasante. La Légion fut la grande affaire de ma vie… » (p,92)

            Ses Légionnaires : « Ils ont souvent été engagés dans des batailles pourries, parce que des autorités préféraient envoyer à la mort des étrangers plutôt que des Français… » (p,95)

            « 6 – L’aventure  « La lumière du Tonkin… La lumière du Tonkin remplaçait en moi la nuit de Buchenwald… (p,100)

            « La lumière du Tonkin… sur la RC4… un bout du Vietnam… rien n’avait bougé depuis Gallieni… nuit de veille… comme un alcool fort… Talung, le piège de mon existence… embuscades et combats de jungle… une question de confiance et de trahisons… un Moloch sans tête et sans âme… résistances vietnamiennes… le cycle de la vengeance… l’évacuation des lieux où le bonheur et la honte se sont succédé…Le piège de Cao Bang… » (p,99)

            Langson, le long de la frontière chinoise : « Les autorités françaises naviguaient à vue » (p,101)

        « La guérilla était omniprésente dans la région. »

      « Le drame communiste »… J’étais arrivé à Talung (1) comme le représentant d’une puissance coloniale aux prises avec un mouvement d’indépendance. En quelques mois j’étais devenu un soldat aidant le gouvernement vietnamien de Bao Dai à lutter contre le Vietminh communiste.  Notre étiquette et le sens du combat avaient changé. Mais l’ennemi restait le même. Il était difficile de faire comprendre cette évolution aux populations qui vivaient autour de nous. Elles étaient plus sensibles à un climat et à des personnes qu’à des considérations politiques. J’imaginais avec effroi les conséquences prévisibles en cas de victoire de la guérilla. Les villages qui s’étaient ralliés à nous seraient massacrés. (p,115,116)

       Dans la presse, je sentais le désintérêt de la métropole, comme on disait alors, pour ce combat au bout du monde. Pourtant le communisme était la grande interrogation de l’immédiat après-guerre. La Chine était sur le point de basculer. Le rideau de fer et le mur de Berlin séparaient peu à peu l’Europe en deux mondes antagonistes. Qui allait l’emporter ? La partie était rude. J’essayais de comprendre les combattants qui nous faisaient face. J’interrogeais ceux qui avaient de la famille vietminh. Quand nous faisions des prisonniers, je les questionnais sur leurs motivations. Mais j’étais le plus souvent déçu. Les hommes étaient de qualité. Ils vivaient de manière courageuse, dans les grottes, avec un petit sac de riz, courant les pistes pour monter des embuscades. Ils étaient de la trempe de ceux qui donnent leur vie pour plus grand qu’eux. Mais je ne  retrouvais pas l’idéal conscient qui animait les communistes que j’avais connus dans les camps. Leur courage me semblait  sec. J’entendais une mécanique sommaire, un discours tout fait, un propagande récitée avec application.

       Vu de près le totalitarisme est immonde. Il décervelle les hommes aussi sûrement qu’une drogue. Dans la  Haute-Région, nous n’étions pas en contact avec ces hommes habiles et cultivé »s qui dirigeaient le mouvement et qui savaient impressionner leurs interlocuteurs occidentaux. Nous combattions des hommes pris par la machine communiste. Ce qui explique sans doute le décalage de perception entre les journalistes et nous. Le drame du Vietnam demeure d’avoir connu à la tête des premiers mouvements d’indépendance des communistes formés à l’école de l’Internationale pure et dure. Les archives de Moscou, que l’on découvre aujourd’hui avec un effarement tardif, montrent l’étendue du contrôle soviétique sur ses alliés internationaux. Quand le dessous des cartes de la tragédie vietnamienne sera à son tour dévoilé, il est à craindre que beaucoup d’hommes qui se sont laissé prendre à la mythologie romantique des combattants aux pieds nus ne découvrent avec stupeur qu’ils ont cru à un théâtre d’ombres. L’horreur de notre siècle tient à  ces espérances perpétuellement bafouées…Tant de souffrances inouïes pour un naufrage sans appel… «  (p,117)

      « Je sentais que la fin approchait. Dans mes jumelles, j’avais vu le poste frontière du côté chinois tomber aux mains des partisans de Mao. Il ne s’agissait plus d’une guérilla isolée. Une armée appuyée par tout un continent se préparait. Talung était à la charnière entre deux époques de guerre. Sur la RC4, dans notre dos, les combats redoublaient. Les convois français subissaient des attaques d’une rare violence…

        Il était évident que quelque chose de grave allait se produire. Je me sentais de plus en plus attaché à ce carré de jungle où j’avais pris racine avec la rapidité de ceux qui pensent que  la mort va les surprendre le lendemain…. Je réfléchissais à ces hommes et à ces femmes que j’avais engagés à ma suite, au nom de mon pays et d’une partie des leurs… » (p,120,121)

        « La fuite

       Un jour de février 1950, j’ai vu arriver un convoi à moitié vide accompagné d’une escorte. Le colonel Charton, qui dirigeait en second Cao Bang, descendit du premier véhicule. J’ai cru à une inspection. C’était une opération de repli. La victoire communiste en Chine avait transformé la donne. Il fallait rapatrier toutes les forces éparpillées en Haute-Région sur Cao Bang qui allait être assiégée par le Vietminh. Il fallait faire vite…

         Les partisans rassemblèrent leurs familles pour monter dans les camions. Je suis resté quelques minutes avec les légionnaires pour assurer l’arrière-garde en cas d’attaque vietminh, et puis nous avions embarqué. C’est là que j’ai vu ceux que je n’avais pas voulu voir, auxquels je n’avais pas voulu penser. Les habitants des villages environnants, prévenus par la rumeur, accoururent pour partir avec nous. Ils avaient accepté notre protection. Certains avaient servi de relais. Ils savaient que sans nous, la mort était promise. Nous ne pouvions pas les embarquer, faute de place et les ordres étaient formels : seuls les partisans pouvaient nous accompagner. Les images de cet instant-là  sont restées gravées dans ma mémoire comme si elles avaient été découpées au fer, comme un remord qui ne s’atténuera jamais. Des hommes et des femmes qui m’avaient fait confiance, que j’avais entrainés à notre suite et que les légionnaires repoussaient sur le sol… Certains criaient, suppliaient. D’autres nous regardaient, simplement, et leur incompréhension rendait notre trahison plus effroyable encore. Le silence est tombé sur le camion qui fonçait à travers les calcaires… Dans toute la région, des opérations semblables avaient été effectuées. Au nord de Cao Bang : Tra Linh, Nguyen Binh, Ben Cao. A l’est de Thât Khé : Poma, Binhi. A Saigon, j’imaginais le point presse triomphal : « notre dispositif de frontière a été resserré. Tout s’est bien passé »… La période plus  exaltante de ma vie s’est alors terminée dans un désastre total. Nos efforts avaient débouché sur la trahison, l’abandon, la parole bafouée…  

        « Le guerre telle que nous la pratiquions au Vietnam entrainait une certaine osmose entre les troupes et la population. Il ne s’agissait pas d’un conflit de positions entre deux ennemis bien définis, mais d’un affrontement politique et géopolitique où les intérêts de toutes sortes et les stratégies contradictoires s’imbriquaient inextricablement, entre la Chine et le Vietnam, l’Occident et le communisme, la France et son ancienne colonie indochinoise, les Viets et les minorités ethniques. Autant de dimensions qui nécessitaient de prendre sur le terrain des engagements allant au-delà du simple métier de soldat. Pendant des années, les cauchemars de Talung allaient rejoindre ceux de la déportation. J’avais le sentiment d’être un parjure. Ce mot vaut-il encore quelque chose à une époque où la notion d’honneur est passée à l’arrière-plan ? Disons qu’il ne s’agissait pas d’un serment chevaleresque. Tout simplement de centaines d’hommes et de femmes, dont parfois les moindres traits du visage sont inscrits dans ma mémoire, et à qui, au nom de mon pays et en mon nom, j’avais demandé un engagement au péril de leur vie. Nous les avons abandonnés en deux heures. Nous avons pris la fuite comme des malfrats. Ils ont été assassinés à cause de nous.

       Depuis 1949, ce canton perdu dans la Haute-Région vit toujours en moi, comme un pan autonome de ma mémoire, le bloc d’un iceberg détaché du courant….

        Par les associations de boat-people, j’ai reconstitué l’histoire de Talung. Après les terribles massacres qui ont suivi notre départ, les Thos ont été mis à contribution sur le plan militaire par le Vietminh, formant l’essentiel de la célèbre division 308…» (p,124,125)

Commentaire : un bref commentaire, car ce passage illustre bien le type de guerre révolutionnaire pour laquelle l’armée française n’était pas du tout préparée. Le Vietminh mettait en œuvre le type de guerre qui avait donné à Mao Tsé Tung les clés de la Chine, c’est-à-dire le contrôle de la population.

     Certains officiers, au cas par cas,  en retirèrent rapidement la leçon, mais c’est sur le théâtre d’opérations algérien que l’armée française mit en œuvre une nouvelle stratégie de guerre contre-insurrectionnelle qui connut un incontestable succès, mais qui conduisit à la suite que l’on connait, le refus d’une partie des officiers d’obéir à un commandement qui trahissait la parole donnée, comme en Indochine.

  1. Chez les Thos, ethnie de la Haute-Région

      « Le siège de Cao-Bang (p,126)

       « … Avant la fin de ce premier séjour en Indochine, il me restait encore à vivre quelques semaines de combat. La pression Vietminh s’accentuait de jour en jour…

      A partir de Cao bang, nous avons régulièrement effectué des missions de reconnaissance et de renseignement. Nous ramenions des prisonniers. Tous les indices concordaient : des moyens considérables se mettaient en place. Or, plus le commandement renforçait la défense de la ville, plus l’évacuation devenait une opération lourde et difficile. Le piège se mettait en place. Mon premier séjour touchait à sa fin… «  (p,127)

Le lecteur pourra prendre ailleurs connaissance de la tragédie de Cao-Bang qui constitua un des tournants majeurs de cette guerre.

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      Le capitaine de Saint Marc effectua un deuxième séjour en Indochine entre 1950 et 1953 dans un Bataillon Etranger Parachutiste, un BEP, nouvelle forme d’une guerre aéroportée.

       La guerre d’Indochine avait basculé dans une autre dimension  avec l’arrivée de la Chine communiste sur les frontières d’Indochine, une des dimensions internationales de la nouvelle guerre entre l’Est et l’Ouest, l’aide des Etats-Unis, et la tentative du général de Lattre de faire prendre un nouveau tournant stratégique et tactique à cette guerre.

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       « L’expérience de la guerre (p,136)

      «  Les combats que j’ai connus de 1950 à 1953 furent d’une âpreté et d’une violence  que je n’ai plus retrouvées dans ma carrière militaire…

      « L’annuaire des troupes du 2ème BEP entre 1950 et 1954, ressemble à un monument aux morts. On y dénombre, selon les compagnies de 30 à 60 pour cent de disparus.(p,133)

     La guerre est un mal absolu. Il n’y a pas de guerre joyeuse ou de guerre triste, de belle guerre ou de sale guerre. La guerre c’est le sang, la souffrance, les visages brûlés, les yeux agrandis par la fièvre, la pluie, la boue, les excréments, les ordures, les rats qui courent sur les corps, les blessures monstrueuses, les hommes et les femmes transformés en charogne. La guerre humilie, déshonore, dégrade. C’est l’horreur du monde rassemblée dans un paroxysme de crasse, de sang, de larmes, de sueur et d’urine.

      « Sur la route d’Hoa Binh (p,141)

    « En novembre 1951, de Lattre décide de couper les forces du Vietminh en deux sur la Rivière Noire, à la hauteur d’Hoa Binh…

    Nous avions trente ans et nous vivions dans l’ignorance du lendemain. Nous savions bien sûr que notre drapeau n’était pas aussi pur qu’il aurait pu l’être et que la France se désintéressait chaque jour davantage de la cause indochinoise. Mais nous étions tombés amoureux de cette terre et de ce peuple…La fin de mon séjour au 2ème BEP fut marquée par la bataille de Nassan… La mort du général de Lattre avait fait retomber l’espoir d’une victoire militaire… » (p,14&,148,153)

Jean Pierre Renaud – Tous Droits Réservés

L’héritage postcolonial du Sahel : « Sahel, business or not business !

Empire colonial anglais et Empire colonial français (19ème et 20ème siècle) avec l’héritage postcolonial du Sahel

Suite des chroniques publiées sur le thème des Empires, pages vues en 2016, 2017, 2018, 2019, soit un total de 10 081 pages vues.

“Sahel, business or not business” !

Comparaison curieuse, anachronique, comme les adorent certains historiens contemporains,  me direz-vous ?

            Pas tant que cela si vous tentez de comprendre les grands enjeux et les ambitions légitimes ou non qui expliquent souvent la conduite politique et internationale de nombreux pays sur la longue durée.

            Sous cet angle, le thème du titre illustre tout à fait la façon dont les deux pays ont administré leurs territoires coloniaux respectifs de l’Ouest africain, car les « choses » continuent : « Sahel business  or not business » !

       Le Sahel ? La France va au Sahel, trompette au vent, comme elle est partie à la conquête de l’Afrique de l’Ouest  sans rien connaître des territoires et des civilisations qui s’y trouvaient.

         La Grande Bretagne, elle, et ça n’est pas le fait du hasard, s’est emparée des terres coloniales qui disposaient, dans les connaissances  de l’époque, des meilleurs atouts économiques (Sierra Leone, Ghana, Nigéria), avec une obsession, surtout ne pas mettre les mains dans la gestion concrète des hommes sur le terrain, un terrain qui était d’ailleurs on ne peut plus complexe à tous points de vue, là comme ailleurs, en Afrique de l’Ouest.

     Ils laissèrent ce type de gouvernance aux pouvoirs traditionnels locaux, sans avoir l’ambition d’y promouvoir une égalité entre « citoyens » qui n’existaient d’ailleurs pas, ou les rêves d’un Etat républicain…

        Dans le nord du Nigéria, ils laissèrent le pouvoir aux grands émirs du Sokoto et du Bornou, et dans le sud, comme dans l’Empire des Indes, ce fut la Compagnie Royale du Nigéria qui gouverna ces territoires jusqu’en 1914. Les territoires côtiers avaient donné naissance à des royaumes puissants et prospères.

       Point de tout cela dans les territoires de mouvance française, la République française étant le « meilleur » régime politique du monde, il fallait que les Africains en bénéficient, même si l’on savait que cela était impossible : il fallait donc mettre la main dans un tissu d’ethnies, de croyances, de chefferies et de petits royaumes très différents les uns des autres…

       La suite de cette histoire ?

       Dans le Sahel du XXIème siècle, avez-vous vu la couleur d’un engagement militaire britannique quelconque sur le terrain dans cette immense région qui borde entre autres le nord du pays africain toujours le plus puissant de ce continent, le Nigéria, alors que le mouvement religieux et séditieux de Boko-Haram  ravage le nord du pays depuis de nombreuses années et entretient un état de guerre civile ?

            Jean Pierre Renaud

Intoxication mémorielle ou « fièvre » chiraquienne à la « tête » de la République Française ?

Intoxication mémorielle ou « fièvre » chiraquienne à la « tête » de la République Française ?

Lu dans Le Figaro du 27 janvier 2020, page 8 :

« L’Élysée récuse toute comparaison entre Shoa et guerre d’Algérie »

« Aux yeux de Macron, le seul lien qui existe se joue au niveau de la charge mémorielle que représentent ces sujets pour un président »

Question préalable : l’auteur de l’article est-il bien l’auteur du titre et sous-titre ?

Car le titre et le sous-titre proposent une version édulcorée du contenu.

Citation du journal :

      « Exécutif Couper court. Face à la polémique naissante sur les propos d’Emmanuel  Macron – tenus dans l’avion présidentiel qui le ramenait d’Israël, où il a reçu le Figaro -, l’Élysée a récusé toute comparaison entre la Shoa et la guerre d’Algérie. En s’appuyant notamment sur ce que le Président avait déclaré dès jeudi soir.- « C’est le crime absolu qui ne peut être comparé à aucun autre », avait-il tranché, relevant la « singularité la plus extrême de l’Holocauste. » « Le Président a réaffirmé l’unicité de la Shoah : elle est indiscutable », complète l’un de ses conseillers, pour ne laisser aucun doute.

      (Macron ou un « conseiller » ?)

       Dans l’esprit du chef de l’État, le seul lien qui existe se joue entre «  les sujets mémoriels. » Dans leur ensemble, qui sont au « cœur de la vie des nations ». « Qu’ils soient utilisés par certains, refoulés par d’autres, assumés… Ils disent quelque chose de ce que vous voulez faire de votre pays et de votre géopolitique ». juge-t-il.

       Selon lui, un même processus en trois étapes est chaque fois nécessaire avant de pouvoir « regarder son histoire en face ». Il y a le travail de l’historien. Il y le travail du juge. Et quand on préside ou qu’on participe à la vid’une nation on a ce matériau à saisir », détaille-t-il. Entre les lignes c’est bien à la guerre d’Algérie que pense le Président. « Je suis très lucide sur les défis que j’ai devant moi d’un point de vue mémoriel et qui sont politiques. La guerre d’Algérie, sans doute, est le plus dramatique d’entre eux », confirme- t-il. On en a plein, comme ça. Mais la guerre d’Algérie est la plus problématique. Je le sais depuis ma campagne. »

        (« Matériau à saisir » ? Ne s’agit-il que d’un « matériau » ?)

      A l’époque, le candidat d’En Marche ! avait cru bon, lors d’un déplacement de l’autre côté de la Méditerranée, de qualifier la colonisation de « crime contre l’humanité ». Une expression qu’il « ne regrette pas » aujourd’hui, même s’il se garde bien, de le réemployer. « J’ai crispé des gens. (Mais) je pense que je les ai ramenés, maintenant dans une capacité à distinguer », estime-t-il, citant tour à tour l’ensemble des parties prenantes. Désormais, il souhaite mettre fin au « conflit mémoriel » qui demeure sur  cette question. « Je n’ai pas la réponse » pour y parvenir, reconnait-il toutefois «  avec beaucoup d’humilité », admettant « tourner autour du sujet. « 

       En attendant de trouver la bonne formule, Emmanuel Macron s’inspire de son défunt prédécesseur, Jacques Chirac. « Quand (il) fait le discours du Vel d’Hiv, ça a un impact politique. C’est quelque chose qu’il fait à dessein, aussi, politiquement. Et  pas simplement historiquement », se souvient-il… Aujourd’hui, son lointain successeur considère que la charge mémorielle qui lui incombe avec  la guerre d’Algérie est équivalente. C’est tout le sens de ce  qu’il a confié dans l’avion.

          A ses yeux, s’il réussit le travail qu’il compte entreprendre sur ce sujet, la guerre d’Algérie aura « à peu près le même statut que ce qu’avait la Shoa pour Chirac, en 1995. »

       (« Statut » ? Qu’est-ce à dire ?)

        Ce rapprochement,qui ne porte que sur l’aspect mémoriel, a immédiatement fait bondir l’opposition…

       Soucieux de ne laisser aucun malentendu s’installer, Emmanuel Macron a précisé samedi au Figaro, le sens exact de sa pensée. « La       guerre d’Algérie est aujourd’hui un impensé de notre politique mémorielle et l’objet d’un conflit de mémoire comme l’étaient la Shoa et la collaboration de l’Etat français lorsque Jacques Chirac avait prononcé son discours du Vel d’Hiv », a-t-il expliqué. »

     Élu sur la promesse de « réconcilier les Français », le chef de l’Etat semble donc  se fixer un objectif pour sa présidence : celui de trouver la bonne approche pour refermer, enfin, ce chapitre qu’il a lui-même ouvert durant sa campagne. … » (Fin de citation)

        J’ai souligné le mot « impensé », un mot idéologique à la mode qui couvre en réalité un « business » postcolonial, un mot que j’ai cité (page 239) dans le chapitre IX du livre « Supercherie coloniale » intitulé « Le ça colonial » (pages 235 à 251).

         Le texte de ce chapitre a été publié in extenso sur le blog du 14 janvier 2016 et le livre lui-même a été édité en numérique.

     A lire ces réflexions successives, le lecteur ne peut manquer d’être frappé :

  1. par son manque de clarté : ne confondez pas les situations, mais elles se ressemblent, en comparant des situations historiques non comparables,
  2. par le manque de culture historique, pour ne pas dire tout simplement de culture générale de son auteur,
  3. par une envie politique irrépressible de chausser les bottes de Chirac.
  4. par la sorte de copié-collé d’un texte de Stora paru dans son livre intitulé « La guerre des mémoires » La France face à son passé colonial » :

       « Et puis en 1995 avec l’arrivée de Jacques Chirac au pouvoir, les nostalgiques de l’Algérie française se sont réveillés. Avec son fameux discours du 16 juillet 1995 reconnaissant la  responsabilité de l’Etat français dans la déportation des juifs, le Président Chirac a fermé la page de Vichy, mais il n’a pas ouvert véritablement celle de l’Algérie. » (pages 20, 21)

      En ce qui me concerne, en ma qualité  d’ancien Officier de SAS du Contingent pendant la guerre d’Algérie, et en ma qualité de citoyen d’une République encore française, je récuse ce type d’assimilation mémorielle idéologique et politique entre Shoa et guerre d’Algérie.

        Mais alors, les camarades tués en Algérie ne seraient pas « morts pour la France », et nous-mêmes n’aurions pas servi la France ? Assimilation aux collabos et aux nazis ?

       Honte à un tel Président !

      Macron cherche une réponse ? Elle est toute trouvée !

Ayez le courage de faire procéder à une enquête mémorielle statistique complète, sérieuse, et contrôlée par le Parlement sur cette guerre d’Algérie, en distinguant naturellement les citoyens français d’origine algérienne, selon leur communauté  d’origine des autres citoyens, et en tenant évidemment compte des âges et des domiciles des personnes interrogées, et en ce qui concerne les citoyens français d’origine algérienne leur date d’arrivée ou de naissance dans notre pays.

            A plusieurs reprises, et sur mon blog, j’ai invité Monsieur Stora, propagandiste en chef d’une « guerre des mémoires » à procéder à cet exercice, mais il n’a jamais eu le courage de les faire mesurer « statistiquement » et « scientifiquement ». (voir « La parabole des raisins verts » blog du 17/9/2017)

&

            A lire ces « jugements » présidentiels successifs sur l’histoire de France, je ne puis m’empêcher de penser que notre pays est passé dans un univers de pensée familier à la vieille Chine et à celle de Mao Tsé Tung, résumé dans la maxime « Le poisson pourrit par la tête ».

            Le Président actuel ne serait-il pas à la « tête » du mouvement de subversion postcoloniale qui bouleverse actuellement la France ?

Petit éclairage historique

Le Fort des Capucins Presqu’île de Crozon, la carte postale d’un vieil ami, ancien ingénieur général de l’armement qui contribua à la mise au point les fusées atomiques sous-marines :

            « Landevennec, 13 mars 2003.

      Cette carte est destinée à illustrer votre prochain ouvrage sur les Colonies, à la rubrique « Bretagne » La France lui a imposé sa langue, mis en place des gouverneurs étrangers et traité sa population comme si elle  appartenait aux races inférieures. »

            Avec mes amitiés »

A l’adresse du groupe de propagande postcoloniale Blanchard and Co : Bécassine face à Banania !

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Actualité statistique 2019 du blog

En 2016j’ai publié une chronique de comparaison détaillée entre les deux Empires Coloniaux Anglais et Français, une analyse qui a suscité un intérêt incontestable de la part des lecteurs, tout au long des années 2016, 2017, 2018, et 2019.

         Le total des pages les plus visitées du sujet atteignait à la fin de l’année 2019, un chiffre supérieur à 10 000, soit 10 681 pages, et en ce qui concerne cette dernière année, 2 245 pages.

            Jean Pierre Renaud

Bonne Année 2020 aux Républiques « souveraines » d’Afrique de l’Ouest et de France !

Bonne Année 2020 aux Républiques « souveraines » d’Afrique de l’Ouest et à la République Française « souveraine » !

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Franc CFA et repentance : Macron en Côte d’Ivoire ?

« Machine à fantasmes » ? « complot français » ?

La France va-t-elle enfin mettre toutes les cartes du dossier sur la table ? Sans « trous noirs » ?

Il faut en finir avec les non-dits, les petits arrangements, les tabous, ce qui signifie rendre public le vrai bilan du système d’échange monétaire actuel !

En dehors des fausses sciences postcoloniales dont les experts avancent par exemple le « totem » d’une mémoire coloniale française, jamais mesurée !

            La repentance : non, il ne s’agit pas de la repentance des « filles perdues » de l’Ancien Régime, mais en est-on si loin que cela ?

      Je n’insisterai pas sur les partis pris de la culture historique du Président, à Alger hier, et en Côte d’Ivoire, ces jours derniers, et sur son culte de la repentance coloniale.

      Abîmer l’image de la France dans un pays étranger, ancien pays colonisé, est-ce le rôle d’un Président ?

      Sans doute, aurait-il mieux valu, s’adressant à la jeunesse africaine de l’Ouest qu’il les invite à défendre leur pays de naissance, plutôt que de compter sur l’armée d’un ancien pays colonial !

       Le Président affronte une rude concurrence avec tous les groupes de propagande, encore très actifs en France, d’inspiration idéologique, politique, multiculturelle, électorale, ou de revendication pure et simple de réparation en monnaie sonnante et trébuchante.

            Pourquoi ne pas renvoyer à ce sujet à la lecture des textes d’un intellectuel africain de grande tenue, Hampâté Bâ, lequel écrivait dans un de ses contes, que dans toute cette histoire – qui n’a pas  été très longue, un peu plus de cinquante années en Côte d’Ivoire par exemple – il y avait naturellement des ombres et des lumières, le jour et la nuit ?

            Un sujet d’actualité : le Franc CFA

      Dans leur immense majorité, les Français ignoraient même l’existence de cette monnaie de l’Ouest africain, comme ils ignorent au moins autant l’histoire de  la colonisation, tout comme les peuples de l’univers CFA ignorent sans doute, qu’avant la colonisation, ils auraient aujourd’hui de la peine à communiquer entre eux, compte tenu de la multitude de dialectes qui existaient en Afrique de l’Ouest.

      A titre personnel, je suis partisan du dénouement complet des liens monétaires (garanties de dettes, compte de devises ou de trésorerie…) qui nous unissent à ces pays et qui pénaliseraient leur souveraineté.

      Le Franc CFA : survivance coloniale ou postcoloniale, pourquoi pas ?

      La France a le devoir de publier le bilan financier complet de ces relations « frelatées ».

      Les services de Bercy, le Trésor public, qui bénéficièrent jadis des compétences du Président, de même que la Banque de France, ont sous la main tous les éléments d’information nécessaire pour publier ce bilan, en concurrence peut être avec des experts de l’Ecole d’Economie de Paris, Messieurs Piketty et Cogneau, compte tenu du patronage qu’ils ont accordé à la thèse économique et financière sur l’ancienne AOF de Mme Huillery, professeur dans une Université parisienne.

        Les lecteurs intéressés ont toujours la possibilité de consulter l’analyse complète que j’ai publiée sur ce blog. (1)

        Passons donc aux actes !

            Les citoyens français ont droit à la photographie 2019 complète des relations financières entre la Banque de France, le Trésor public français, et leurs correspondants dans chacun des Etats de l’Afrique de l’Ouest, parties prenantes, y compris le petit Etat de Guinée Bissau : les balances des paiements, excédents et déficits,  les réserves de change, les comptes de trésorerie avec les avances, les comptes des dettes garanties par la Banque de France, avec tous les récapitulatifs utiles, etc…

            Finissons en une bonne fois pour toutes en publiant les chiffres en gains et en pertes de ces relations toujours contestées, à tort ou à raison.

            Dans un lointain passé, François Bloch-Lainé s’était illustré par une remarquable étude sur la Zone Franc, dans l’ouvrage « La zone Franc » (1956)

            La France aurait grand  besoin de faire appel à un expert de cette qualité !

       J’ai cité plus haut le nom des deux économistes qui ont parrainé la thèse également citée plus haut, une thèse qui s’est illustrée par une mécanique redoutable d’outils corrélés, tout en constatant qu’il existait des « trous noirs » dans les sources sur lesquelles s’appuyait les conclusions de cette thèse : il manque en effet dans les sources consultées les séries statistiques d’une trentaine d’années entre 1960 et 1990.

(1) « Les embrouilles de la mathématique postcoloniale »

De très étranges « trous noirs » !

Pourquoi ne pas rappeler à ce sujet qu’il existe les mêmes phénomènes au cinéma :

Comme je le notais à la fin de mon exercice critique :

« Je viens de revoir avec plaisir le film « Le dernier métro » de François Truffaut, avec une intrigue portant sur une pièce de théâtre intitulée « La disparue ».

A l’occasion d’un dialogue amoureux entre Catherine Deneuve et Gérard Depardieu, alors jeunes acteurs, l’actrice déclare : « Ce n’était pas des mensonges, mais des trous noirs. »

Fin de citation ! 

« HISTOIRE COLONIALE, DEVELOPPEMENT ET INEGALITES DANS L’ANCIENNE AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCAISE »

Thèse de Mme Elise Huillery

Sous la direction de Denis Cogneau et de Thomas Piketty

27 novembre 2008

Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

Chronique sur le blog à plusieurs reprises entre le 10/07/14 et le 12/01/15 pour les quatre chapitres examinés.

Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

Une autre espèce de « trous noirs » ?

Post scriptum :  » Réflexions d’un de mes vieux amis de promotion, bien meilleur connaisseur de l’Afrique moderne que moi :

    » Ne conviendrait-il pas de conclure que le mode d’analyse de l’École d’Economie de Paris avec les « trous noirs » constatés devrait être remplacé par un mode d’analyse d’autres  » trous noirs », ceux de la mécanique des transferts de monnaie  » avec un change sécurisé  » , licites ou non, c’est à dire au profit d’une partie des élites « 

       Avec le petit arrière-goût historique du trafic des piastres !

      Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

Premier trimestre 2020 – annonce de publication- Guerres d’Indochine et d’Algérie : les héritages guerres d’Indochine

Premier trimestre 2020

Annonce de publication

Je me propose de publier au cours du premier trimestre 2020 une série d’analyses et de morceaux choisis sous le titre et selon le plan ci-après :

La Parole de la France ?

Guerres d’Indochine (1945-1954) et d’Algérie (1954-1962)

Les héritages

&

  1. Introduction et prologue avec le témoignage d’Hélie de Saint Marc
  2. Témoignages d’André Malraux, ancien ministre du Général de Gaulle, Maurice Delafosse, ancien administrateur colonial et africaniste, Robert Guillain, grand reporter en Extrême Orient
  3. Résumé historique de la Guerre d’Indochine
  4. Les grandes séquences historiques de la Guerre d’Indochine avec le général Gras et l’historien Hugues Tertrais
  5. Situation de l’Indochine en 1945 :
  • Vue de l’étranger avec Henri Kissinger, Graham Green et Nguyen Khac Vièn
  • Vue de France, avec Pierre Brocheux
  1.  La guerre ? Classique, révolutionnaire, subversive, populaire ?

       « Morts pour la France » ?

&

Au cours du premier semestre, quelques pages seront consacrées aux acteurs de ces deux guerres, notamment du côté français.

La  liste est longue, des officiers français qui, à la fin de la guerre d’Indochine, exercèrent des commandements à tous les niveaux, pendant la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962.

Avant  d’aborder ce sujet, citons quelques noms connus, Massu, Salan, Crépin, Cogny, Trinquier, Allard, Gilles, Vanuxem, Gambiez, Bigeard, Ducourneau, ou Beaufre…

Jean Pierre Renaud

Histoire et Mémoire ? Histoire coloniale et Mémoire coloniale ? Mémoire collective et Inconscient collectif ?

Histoire et Mémoire ?

Histoire coloniale et Mémoire coloniale ?

Mémoire Collective et Inconscient Collectif ?

Mémoire collective ou histoire « immédiate » ?

La France a-t-elle une « mémoire collective coloniale », de même qu’un « inconscient collectif colonial » ?

Suite

L’historien Denis Peschanski propose plusieurs contributions dans les différentes parties de l’ouvrage :

      Une première contribution dans la partie « Mémoire et oubli », chapitre 3 « Repenser les memories studies » (page 68 à 82) : « L’historien face à la plasticité de la mémoire sociale – Les conditions de la mise en récit mémoriel – Les régimes de mémorialité – Pour un changement de paradigme dans les memory studies – L’héritage – Mémoire et mémorialisation : un projet en construction –  L’analyse des textes »

    Une deuxième contribution dans la partie «  Mémoire et émotions », Chapitre 5 « Et voilà un beau sujet » (page 212 à 237)

   L’actualité d’une  transgression ? Histoire et émotion : une nouvelle mode ou un nouveau chantier ? De la Seconde Guerre mondiale au 13 Novembre : études de cas

    L’interprétation transdisciplinaire et le témoignage

     Une troisième contribution avec Francis Eustache dans la conclusion de la partie « Ma mémoire et les autres » (page 385 à 406):

   Conclusion – L’évidence des interactions entre mémoire individuelle et mémoire collective : quelles conséquences ?

   Le tournant social – Cognition sociale, mémoire individuelle et mémoire collective – Un programme de recherche transdisciplinaire consacré à la construction des mémoires individuelles et collectives – Vers une nouvelle approche clinique des troubles de la mémoire.

    Une quatrième contribution, dans la partie «  Les troubles de la mémoire : prévenir, accompagner, Chapitre 6 – Le Never Again, entre mémoire et oubli comme prophylaxie : La solution de l’oubli et de l’amnistie – La solution de l’hypermnésie obsessionnelle – La solution intermédiaire : « la justice transitionnelle » (page 491 à 507)

     Une cinquième contribution dans la partie « La mémoire du futur », Chapitre 7 (page 645 à 662) « Mémoire du futur et futur de la mémoire – le choc des temporalités : passé, présent et futur sont inextricablement liés – mémoire du futur : quelles promesses d’avenir ? La mémoire au futur : quel avenir pour notre mémoire ?

      Nous porterons spécialement notre attention sur la contribution du chapitre 3 de la première partie (page 68 à 82) « Repenser les memories studies »

     « Le temps n’est-il pas venu de dépasser les frontières de la connaissance ?…

     L’auteur donne quelques exemples de la complexité de la mémoire, tirés de la Deuxième Guerre mondiale, la mémoire des bombardements en Normandie et la mémoire des enfants cachés et écrit :

     « Voilà quelques exemples qui fondent notre conviction : il est impossible de comprendre pleinement les phénomènes mémoriels si l’on ne mobilise pas dans le même temps les disciplines les plus diverses qui toutes ont à voir avec la mémoire, mais qui, toutes, en général, le pensent de leur seul point de vue. Les memories studies seront nécessairement plurielles. 

    L’historien face à la plasticité de la mémoire sociale.

      La mémoire est dans l’histoire. Telle est la première leçon qu’il faut garder dans l’esprit. Depuis des décennies, le couple histoire/mémoire a été (et reste) perçu comme conflictuel. Les historiens arguent de leur démarche scientifique pour interroger les limites du témoignage écrit ou oral. Je n’étais pas le dernier à mettre en évidence les effets pervers du témoignage pour reprendre une terminologie (re-construction, extrapolation, re-hiérarchisation, immédiateté de l’histoire). A l’inverse, le témoin arguait de son vécu pour dénier la capacité de l’historien à connaître vraiment la réalité dont il prétendait rendre compte. Le débat ne manque pas d’intérêt, mais nous choisissons de le déplacer : la mémoire devient l’objet d’histoire… Dès lors deux questions majeures  se posent : comment un événement prend-t-il statut d’événement mémorisé, structurant de la mémoire collective/sociale ? Puisque la mémoire s’inscrit dans la diachronie, dans une évolution sans cesse renouvelée, comment scande-t-elle sa propre histoire ?

   Les conditions de la mise en récit mémoriel (page 70)

    Le point de départ, justement, fut une rencontre avec une autre discipline : la psychanalyse. Comme je parlais de « mémoire traumatique » avec une psychanalyste, Marie-Christine Laznik, celle-ci mit le doigt sur une contradiction majeure dans les termes, un oxymore en quelque sorte. Dans la mesure où le traumatisme est l’omniprésence du passé dans le présent, il n’y a a pas de réelle place pour la mémoire  de ce trauma. Pour « faire la place »  à la mémoire, la psychanalyse souligne l’importance du refoulement. Mais si refoulement il y a, si de la place est ainsi dégagée pour la mémoire, si le passé est renvoyé dans son passé, il n’y a pas trauma.

     Je ne souhaite pas ouvrir le débat, mais expliquer le déclic que provoqua cette conversation. Il me fallait m’interroger sur les conditions de la mise en récit mémoriel. Si la question se posait pour l’individu, elle devait aussi se poser pour le groupe, pour la société.

     Je prendrai deux exemples pour illustrer cette plasticité mémorielle, la mémoire des bombardements en Normandie et la mémoire des enfants cachés…(page 71)

    Les régimes de mémorialité (page 72)

   Pour parler de l’historicité de  la mémoire, nous resterons sur notre période  de prédilection, celle du moins que nous connaissons le moins mal, la Seconde Guerre mondiale…

    Pour théoriser cette histoire, nous sommes partis d’un concept de François Hartog et Gérard Lenclud, qui ont parlé de « régime d’historicité » pour caractériser des rapports différents à l’histoire et à ses méthodes d’analyse. Inutile, disent-ils à juste titre, de chercher un « père de l’histoire », alors même qu’on ne pensait pas l’histoire dans les mêmes cadres.

    Je parlerai donc de « régimes de mémorialité » » pour souligner l’historicisation des questionnements mémoriels. A toute période, on peut définir des processus de convocation et d’appropriation du passé, fondés sur le tri visant à une construction identitaire.

Commentaire :

1)  L’auteur propose un discours savant sur la mémoire collective, mais est-il différent, hormis les détours scientifiques empruntés,  de celui que le sociologue Halbwachs exposait dans son livre « La mémoire collective » ? (1950) 

            C’est-à-dire une mémoire collective qui ne peut être définie que par rapport à un espace, un groupe déterminé, un temps historique, Halbwachs précisant qu’une mémoire collective a une durée de vie limitée.

            Le concept de « régimes de mémorialité » ne s’inscrit-il pas dans la définition Halbwachs ?

2) Les exemples cités des bombardements de Normandie et des enfants cachés (juifs)  s’inscrivent encore dans un temps mémoriel et historique court – la période de prédilection »  (page 73) – de nature à faciliter une exploration statistique satisfaisante, compte tenu des progrès qui ont été  faits, en France,  dans les sondages et les enquêtes d’opinion après 1945.

    Le livre fait d’ailleurs état des sondages effectués par le collectif (page 74)

    La question posée est donc celle des méthodes scientifiques concertées entre historiens, psychologues, sociologues, sémiologues, et statisticiens fiables pour explorer la mémoire collective antérieure à 1945, et très précisément dans le domaine considéré de la mémoire collective coloniale ou de l’inconscient collectif colonial, un domaine d’actualité compte tenu des flux d’immigration qu’a connus notre pays depuis plusieurs dizaines d’années.

L’auteur écrit dans les pages suivantes :

   « Mémoire et mémorialisation : un projet en construction (page76)

   « Dans le programme de recherche Matrice que nous avons mis en œuvre avec bien d’autres, la transdisciplinarité est la règle. Travailler sur la mémoire, c’est d’abord associer scientifiques et professionnels des musées, de l’image et du son. Ainsi la mémorialisation – entendue comme toutes les formes de mise en scène publique de la mémoire – a appelé à un travail au sein du Mémorial de Caen et dans la préparation du Mémorial du 11 septembre (New York), comme elle a impliqué l’Institut national de l’audiovisuel (INA), qui dispose de richesses uniques, singulièrement depuis 1995 et l’imposition du dépôt légal (à savoir l’obligation faite aux chaines de télévision et aux radios d’accepter le stockage).

    La plateforme que nous avons mis au point comprend deux  grands axes  de recherche, qui partagent l’objectif de confronter mémoire individuelle et mémoire collective, et, donc, de repérer leurs interactions (voir schéma page suivante). (page 77)

   La première démarche consiste à mettre en parallèle ce que nous appellerons les « grands récits », tels qu’on peut les traquer dans les  journaux télévisés ou à la radio, et la parole de témoins ou de simples citoyens. Cela s’effectue par l’analyse comparée des différents corpus d’information (journaux, témoignages…). A l’arrivée, il s’agit bien de comprendre comment les uns empruntent aux autres et réciproquement… (page 78)

    Le deuxième versant de nos recherches vise l’analyse des comportements des visiteurs de mémoriaux. Le rapprochement n’est pas anodin. Il s’agit là encore de mettre encore en parallèle un grand récit, celui porté par les concepteurs du parcours historique, et les visiteurs du mémorial… ». (page 79)

L’analyse des textes

   « Des exigences s’imposent pour qui veut décrypter les textes et mieux comprendre les stratégies discursives et les fluctuations du vocabulaire.

    L’école française d’analyse des discours, développée depuis des décennies et fédérant des linguistes, des statisticiens, des probabilistes, des historiens et des sociologues, est particulièrement bien placée. Le logiciel TXM – conçu et développé par Serge Heiden, Bénédicte Pincemin et Mathieu Decorde – que Matrice aide aujourd’hui à enrichir est l’héritier de cette école. » (page 80)

   « A mon sens, ces memories studies doivent d’appuyer sur quatre principaux piliers :

. La dialectique rend bien compte de l’interaction productive entre la psyché et le social ;

. La transdisciplinarité conditionne les nouveaux protocoles en ce qu’elle induit la construction en commun de l’objet d’étude, et non la seule mobilisation de quelques disciplines pour répondre à des questions posées par une autre ;

. La modélisation mathématique et le calcul intensif conditionnent le travail sur d’importantes et complexes masses de données (des big data en ce sens) ;

. Enfin la leçon d’Edgar Morin ô combien d’actualité, lui, qui, dans le lumineux concept structurant de « complexité », explique, entre autres choses, que le tout ne se réduit pas à la somme de ses composantes. » (page 81)

Fermé le ban !

Commentaire

   La lecture de ce texte, pour autant que j’en aie parfaitement compris le sens, fait apparaître un objectif qui est assez éloigné du questionnement sur la méthodologie qu’il conviendrait d’inventer et de mettre en œuvre pour être en mesure de décrire le contenu des mémoires d’un passé antérieur à 1945, alors que les outils que l’auteur expose n’existaient pas, en tout cas, pas à ma connaissance.

    A mes yeux le mérite de ces réflexions et conclusions est ailleurs, celui de la mise en œuvre de méthodes transparentes et interdisciplinaires, technologiques aussi avec le XTM, et avec les moyens financiers que cela suppose.

    Les recherches citées semblent se situer beaucoup plus sur le versant du fonctionnement cérébral de la mémoire que sur ses effets  historiques.

    Pour revenir à nos moutons, mémoire coloniale et inconscient collectif colonial, il est au moins un domaine d’information où il n’est pas trop difficile de faire la lumière avec les outils disponibles, celui de la mémoire coloniale et de l’inconscient collectif postérieur à 1945, grâce aux enquêtes statistiques qu’on sait faire aujourd’hui.

    La véritable question porte sur les raisons qui empêchent les chercheurs  de passer au stade de la réalisation, car le sondage de Toulouse réalisé par l’Achac en 2005, de même que l’enquête d’opinion lancée en 2014 (voir blog du 29/01/2015)  par la Fondation Jean Jaurès manquaient de pertinence scientifique.

    Le sujet serait-il tabou, au cas où il apporterait la preuve que la mémoire coloniale des Français et des Françaises serait défaillante, de même que l’inconscient collectif colonial, un concept que le livre a peu évoqué ?

    A lire les importants moyens dont semble disposer le collectif de chercheurs animé par Francis Eustache, pourquoi ne pas se poser la question de ce silence dont la signification politique et universitaire pose problème ?

      Quant aux recherches portant sur la mémoire collective et l’inconscient collectif antérieures à 1945, je ne vois guère comme vecteur principal de recherche, la presse, laquelle, avec sa numérisation et la mise en œuvre des outils cités dans ce livre, donnerait la possibilité d’obtenir un reflet indirect de cette fameuse « mémoire ».

     Pour  ce qui est de l’inconscient collectif colonial, est-ce qu’on ne risque pas d’explorer le « Triangle des Bermudes » ?                                                                                                                                                                             Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés

Histoire et Mémoire? Histoire coloniale et Mémoire coloniale ? Mémoire collective et Inconscient Collectif

Histoire et Mémoire ?

Histoire coloniale et Mémoire coloniale ?

Mémoire Collective et Inconscient Collectif ?

Mémoire collective ou histoire « immédiate » ?

La France a-t-elle une « mémoire collective coloniale », de même qu’un « inconscient collectif colonial » ?

            Comme je l’ai déjà écrit, un courant contemporain d’historiens et de chercheurs a mis l’éclairage sur l’importance de la mémoire « historique », au risque d’entamer la confiance que l’on peut accorder aux recherches historiques les plus sérieuses, notamment en avançant l’idée ou le principe d’une mémoire collective « coloniale », et même d’un inconscient collectif « colonial ».

            J’ai traité ce sujet sur le blog à plusieurs reprises, notamment le 15 avril 2010, en résumant la leçon que proposait Maurice Halbwachs dans son livre « La mémoire collective », en relevant la critique de fond que suscitait le discours de l’historien Stora sur l’existence ou non d’une mémoire collective coloniale, de même que le discours tenu à la Mairie de Paris dans un colloque intitulé « Décolonisons les imaginaires ».

Dans un article publié sur le blog, le  15/04/2010, je m’attachais à :à définir ce qu’est la mémoire collective selon les critères d’Halbwachs, son véritable initiateur, ci-après (contribution 1) , à proposer au lecteur trois analyses concrètes de textes ou de situations évoquées par des historiens ou d’autres intellectuels, « La guerre des mémoires » de l’historien Stora, d’une part (contribution 2), et le colloque de la Mairie de Paris du 12/03/09 sous le titre « Décolonisons les imaginaires », d’autre part (contribution 3).             

1-  Histoire ou mémoire collective ?

Contribution 1  Le débat postcolonial avec l’éclairage Hallbwachs

            A lire articles ou livres de chercheurs, sociologues ou historiens, notre mémoire collective jouerait un rôle primordial dans l’approche et la compréhension de notre histoire coloniale.

            Une mémoire collective investie d’un rôle clé, quelques exemples :

            Premier exemple, le livre « La guerre des mémoires ».

             Citons des échantillons des textes dans lesquels il est fait référence à ce concept.

            « La guerre des mémoires n’a jamais cessé » (p.18), «  la fracture coloniale, c’est une réalité » (p.33), le « refoulement de la question coloniale » (p.32), « Pourtant la France a conservé dans sa mémoire collective jusqu’à aujourd’hui une culture d’empire qu’elle ne veut pas assumer (p.32), « les enfants d’immigrés sont porteurs de la mémoire anticoloniale très puissante de leurs pères » (p.40).

            Deuxième exemple, le livre « L’Europe face à son passé colonial »

            A la page 144, un historien note « une explosion mondiale des mémoires », et un autre écrit à la page 219 : «  La mémoire coloniale constitue depuis plusieurs années un sujet primordial dans le débat public français. »

            Troisième exemple, le livre « Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy ».

            Un historien illustre à plusieurs reprises le concept : « une vision largement partagée par nos concitoyens (p.113) », « ces stéréotypes », « cette façon de voir les Africains est bien présente dans la mentalité française (p.116) », « combien le discours de Dakar « colle » à une opinion majoritaire en France » (p.122), « au service de l’anéantissement de ces clichés et stéréotypes si profondément ancrés dans une certaine vision de l’Afrique. » (p.123)

            Quatrième exemple, le livre « Mémoire année zéro ».

            Brillant essai d’un auteur habile à manier les concepts de mémoire, d’histoire, et d’identité nationale, à donner le vertige intellectuel au lecteur, j’écrirais volontiers d’une excellente facture « ENA ».

            Dans cet essai riche en citations, références, jugements et perspectives,  l’auteur écrit : « A côté de l’histoire, la mémoire était un instrument commode et populaire. La mémoire est collective (1). Les souvenirs sont individuels. (p.24) » La note (1) de la page 39 renvoie au livre « La mémoire collective » de Maurice Halbwachs, sans autre plus de précision.

            A la même page 39, l’auteur écrit : « On le voit : notre mémoire collective est en crise… »

            L’auteur nous entraîne dans un exercice de haute voltige intellectuelle autour du concept de mémoire, sans attacher, semble-t-il, une grande importance à la définition stricte des concepts manipulés, notamment sans asseoir ses raisonnements sur la définition rigoureuse de la mémoire collective qu’en a proposée Halbwachs.

            A partir de quelle définition et quelle mesure, ces appréciations et assertions sont-elles formulées, donc sur quel fondement ? Telle est la question

A force de lire articles et livres portant sur l’histoire coloniale, sur le passé colonial de la France, je me suis posé la question de savoir ce qu’était cette fameuse mémoire collective, nouvelle panacée de certains intellectuels, comme nous l’avons vu.

            J’ai donc été à la rencontre de l’inventeur, sauf erreur, de la théorie de la mémoire collective, c’est-à-dire Maurice Halbwachs, et donc de son livre fondateur, comme certains disent de nos jours.

            Rien ne vaut en effet, même pour un historien amateur, d’aller à la source.

            Qu’est-ce que nous dit cet auteur ? Dans un ouvrage austère, mais très bien écrit, Halbwachs analyse tous les aspects de la mémoire collective et en décrit les conditions de base, c’est-à-dire : une mémoire collective qui ne peut être définie que par rapport à :

            un espace (lequel ?),

            un groupe déterminé (lequel ?),

            un temps historique (lequel ?).

             Le sociologue ne manque pas de préciser qu’une mémoire collective a une durée de vie limitée (laquelle ?).

            Les héritiers du grand sociologue ont été inévitablement confrontés à la mesure de cette fameuse mémoire collective, en proposant méthodes, et outils de mesure quantitative, au moyen d’enquêtes statistiques fiables.

            Le constat : dans les textes des livres cités, nous n’avons trouvé ni définition du concept, ni indication de sources d’enquêtes statistiques, qui pourraient accréditer le discours de ces chercheurs.

            Je conclurai donc en faisant appel à la sagesse du bon vieux Descartes, comment ne pas douter, en tout cas pour l’instant, du fondement de ces affirmations, tant qu’elles ne s’appuieront pas sur des démonstrations conceptuelles et statistiques ?

            Pourquoi ne pas se demander entre autres si la fameuse mémoire collective française n’est pas plutôt branchée sur l’Europe, allemande, anglaise ou italienne, plutôt que coloniale ? A démontrer !

            Quelques citations éclairantes pour finir :

            « C’est à l’intérieur de ces sociétés que se développent autant de mémoires collectives originales qui entretiennent pour quelque temps le souvenir d’évènements qui n’ont d’importance que pour elles, mais qui intéressent d’autant plus leurs membres qu’ils sont peu nombreux. »  (page 129)

            « La mémoire collective, au contraire, c’est le groupe vu du dedans, et pendant une période qui ne dépasse pas la durée moyenne de la vie humaine, qui lui est, le plus souvent, bien inférieure. » ( p,140)

            « Chaque groupe défini localement a sa mémoire propre, et une représentation du temps qui n’est qu’à lui. » (p, 163)

&

Mes recherches personnelles m’avaient conduit à m’interroger, notamment dans le  livre « Supercherie Coloniale » sur le discours mémoriel du collectif de chercheurs de l’équipe Blanchard, d’après lesquels la France de la Troisième République, puis de la Quatrième, aurait été imprégnée de culture coloniale puis impériale, plongée dans un « bain colonial », sans en avoir apporté les preuves scientifiques suffisantes, sans proposition d’une méthodologie de l’existence de la mémoire collective en question.

            Le chapitre IX de ce livre a résumé questions et critiques sous le titre «  Le ça colonial ! L’inconscient collectif ! Freud au cœur de l’histoire coloniale. Avec l’Algérie, l’alpha et l’oméga de la même histoire coloniale » (page 235 à 281)

Mes conclusions n’ont pas changé, faute pour les historiens et les mémorialistes de proposer une méthode scientifique de calcul qui permette effectivement d’y procéder :

  1. Comment parler de « mémoire collective » coloniale sous la Troisième République alors que l’instrument statistique des sondages n’a commencé à être utilisé en France, qu’après 1945 ? Et pour la période antérieure « coloniale » à partir de quels vecteurs de mémoire collective supposée ?
  2. Comment parler aussi d’un « inconscient collectif » colonial existant sous la Quatrième ou Cinquième République, sans s’être donné les moyens de le mesurer par des enquêtes d’opinion sérieuses, comme il est possible de le faire depuis de nombreuses années ?

A la condition sine qua non qu’on puisse scientifiquement l’ausculter et le mesurer ?

  1. Question : à partir des travaux de l’Observatoire B2V, et du livre « La mémoire entre sciences et société », la situation a-r-elle évolué avec les instruments statistiques nécessaires pour évaluer la mémoire collective du passé, ou encore l’inconscient collectif du même passé, grâce aux travaux de cet Observatoire ?      

Après avoir lu un article de Pascale Senk dans le Figaro du 20 mai 2019 sous le titre « Quand l’imaginaire collectif nous ébranle », et l’interview de Francis Eustache intitulée « La mémoire collective est en pleine expansion », ma curiosité a de nouveau été éveillée par ce sujet, et donc par ce livre.

Pascale Senk faisait référence à la publication d’un ouvrage collectif dirigé par Francis Eustache, intitulé « La mémoire, entre sciences et société » (Observatoire B2V des Mémoires- Le Pommier poche), avec la collaboration de six scientifiques, une psycho gérontologue, une neurologue, un spécialiste d’intelligence artificielle, un neurobiologiste, un historien, et un philosophe.

Ce livre de plus de 700 pages a évidemment un contenu austère pour un lecteur non spécialisé dans les disciplines traitées tout au long de très nombreux chapitres distribués dans cinq parties :  « Mémoire et oubli » (p,15 à 133) – « Mémoire et émotions » (p,133 à 277) – « Ma mémoire et les autres » (p,277 à 406) – « Les troubles de la mémoire : prévenir, accompagner »  (p,406 à 537) – « La mémoire du futur » (p, 537 à 671).

Le sous-titre de l’’article de Pascale Senk cadrait bien le sujet : « Catastrophes, attentats, faits divers… Face à l’actualité, notre vie psychique a aussi une dimension collective », de même que sa conclusion :

« Reste que de puissantes images nous imprègnent et constituent une autre forme d’imaginaire collectif se construisant en permanence : un héros donnant sa vie pour d’autres, des avions s’encastrant dans des buildings ou une cathédrale qui brûle. Combien de temps agiront-elles en chacun de nous, et pour les générations suivantes ? Nous l’ignorons. »

Dans l’interview de Francis Eustache, neuropsychologue de la mémoire humaine, et à la question : « Le Figaro – Pour vous qui travaillez sur la mémoire la notion d’inconscient collectif est-elle pertinente ?

Oui, car aujourd’hui les différentes disciplines étudiant la mémoire se rejoignent. Pendant longtemps, la psychologie et les neurosciences, d’une part, les sciences sociales, d’autre part, travaillaient de manière séparée. Aux premières l’étude de la mémoire individuelle, typique, ou malade ; aux secondes, la mémoire collective, avec un focus sur le fait que certains événements étaient occultés car ils n’avaient pas de signification sociale, mais finissaient par ressurgir. A Caen par exemple, les conséquences des bombardements alliés, ont longtemps été passées sous silence. Il a fallu soixante-dix-ans pour que l’on mentionne les victimes (25 000 victimes civiles). Mais les Normands qui avaient vécu cela avaient en fait deux mémoires : l’une familiale, beaucoup ayant perdu un ou plusieurs membres de leur famille sous ces bombardements ; l’autre collective, qui parlait de reconstruction et d’accueil des libérateurs. Différents types de mémoire peuvent donc cohabiter en chacun. »

  • Sont-elles transmissibles ?

« En tout cas, lorsqu’elles correspondent à des blessures indélébiles, leur récit saute souvent une génération…

Est-ce l’émotion qui « imprime » ces mémoires ?

Oui, quand l’histoire collective, rejoint un vécu personnel, cela crée une émotion surprenante qui nous dépasse. Nous cherchons à décrypter scientifiquement, par l’imagerie cérébrale, l’observation des neuro-cognitions et des enquêtes d’opinion par exemple, ces liens entre ces deux dimensions mnésiques. D’autant plus qu’avec les caisses de résonance que sont devenus les médias, les événements sont amplifiés. La mémoire collective est en pleine expansion.

Vous travaillez notamment sur la mémoire des attentats du 13 novembre 2015 … »

Pourquoi ne pas se demander si les deux concepts d’’inconscient collectif et de mémoire collective sont synonymes ?

Première partie  

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés