Les sociétés coloniales avec un brin d’impertinence historique – Coolies, engagistes et domestiques indonésiennes en Arabie saoudite- Exercice de citation et de discussion

Les sociétés coloniales avec un brin d’impertinence historique !

Coolies, engagistes (1850-1950) et domestiques indonésiennes en Arabie saoudite (2013)

Exercice de citations et de discussion : critère colonial, postcolonial, ou multiséculaire ? Les chimères de l’histoire coloniale ?

            Nous avons déjà commenté le livre qui a été consacré à la préparation du CAPES et de l’agrégation d’histoire.

            L’ouvrage consacre une contribution fouillée à l’histoire des sociétés coloniales au travail 1850-1950 Esclavages, engagistes et coolies.

            Quelques propositions de citations du texte : tout d’abord sur l’esprit de la réflexion et ensuite sur le contenu de la réflexion :

            L’esprit de la réflexion

            Introduction

« De tout temps, en tous lieux, la colonisation est décrite comme violente, militairement, éthiquement, politiquement, culturellement, parfois même physiquement. L’action de coloniser sous toutes les formes qui en découlent, introduit des déséquilibres sociaux profonds, d’hybridations dont sont porteuses les sociétés coloniales. N’en déplaise à ses thuriféraires, les sociétés qui en sont issues sont toutes porteuses du déséquilibre primal qu’introduit cette transaction hégémonique qui accouche violemment d’un système complexe à dimensions multiples, influant sur les sociétés des colonisés comme sur celles des colonisateurs et qui agit encore au-delà sur des indépendances sur les colonies et les métropoles par effet de réverbération. » (page 163)

L’auteur décrit les mouvements internationaux de population sous l’angle historique des sociétés coloniales :

«  Ainsi, dès le XIXème siècle, les migrations de travailleurs liées à l’engagisme – numériquement plutôt sino-indien – constituent un mouvement migratoire d’une importance considérable pour l’histoire mondiale et celle des sociétés coloniales. Elles sont au moins aussi importantes que les vastes mouvements de populations  européennes du XIXème siècle s’installant dans ce que l’on appelle alors des « colonies de peuplement » comme l’Afrique du sud britannique, le Südwestafrika allemand ou l’Algérie française… » (page 164)

Dans ce texte, il manque peut-être une définition des sociétés coloniales qui sont les cibles choisies par l’auteur pour décrire les phénomènes historiques, tout en notant l’expression tout à fait curieuse utilisée par un historien pour apprécier, je dirais objectivement, techniquement, ce type d’histoires : « N’en déplaise  à ses thuriféraires… »

Le contenu de la réflexion

            Quelques chiffres et dates de la description historique, avec la conclusion  proposée :

                A la Jamaïque, « 254 000 esclaves vers 1830 » (page 167)

            De 1841 à 1867, « ce furent près de 35 000 Africains libres engagés sous contrats qui entrèrent dans les colonies britanniques…. » (page 169)

            Avec le coolie trade, 120 000 coolies  viennent à Cuba. (page 171)

            Les migrations chinoises : 7 millions de Chinois entrent en Malaisie entre 1840 et 1940. (page 179)

            « Quel bilan chiffré peut-on tirer de ces migrations à l’échelle du globe, résultat des chocs impériaux ? Si près de 15 millions de coolies chinois quittèrent leur pays pour travailler dans le monde entier (Canada, Australie, Etats Unis aussi,  qui mirent tous en place des politiques de quotas et en limitèrent la venue par crainte de perdre leur identité blanche), ce fut principalement en Asie du Sud Est que la diaspora chinoise fut la plus marquante. .. » (page 179)

            Discussion et questionnement sur le colonial et le postcolonial

            L’auteur place son analyse dans le champ des sociétés coloniales et des « chocs impériaux » qui seraient la cause des migrations du travail décrites.

            Questions :

            Est-il possible d’interpréter ces migrations comme étant celles d’un rapport de domination coloniale, de « transaction hégémonique » ?

1 – sans comparer l’ensemble des mouvements migratoires européens, indiens ou chinois, car, et comme indiqué, les migrations « blanches » furent également importantes au cours de la même période.

2 – sans s’interroger sur les causes de ces mouvements, c’est-à-dire l’histoire des pays d’émigration, et pas uniquement sur celle des pays de colonisation, à titre d’exemple pour l’Europe, les famines de l’Irlande, et pour la Chine, la répétition de famines tout au long de la période examinée, dont les causes ne furent pas nécessairement liées aux initiatives impériales des puissances européennes : des dizaines de millions de morts au cours des famines des années 1850 (la révolte des Taiping), puis 1876-1879,etc… ?

N’est-il pas possible de comparer certaines de ces migrations du travail avec celles des femmes indonésiennes en Arabie Saoudite ? Coloniales ou  postcoloniales, dans le champ d’un rapport de domination coloniale ?

A lire un article du journal La Croix intitulé « Le dur destin des domestiques indonésiennes en Arabie saoudite » (28/06/2012)

« Parmi 1,2 million de travailleurs domestiques indonésiens dans le royaume, nombreux ceux qui dénoncent des mauvais traitements… comme de l’esclavage moderne… »

            Jean Pierre Renaud

Humeur Tique : Bienvenue à la nouvelle directrice du journal Le Monde ! Le 14ème tournant ?

    Le 30 décembre 2012,  ce blog a très chaleureusement salué la nouvelle déontologie de notre grand journal de référence qui livrait sa philosophie d’un monde qui marcherait en 2013  sur une route dont il avait fléché treize « tournants mondiaux » majeurs, le treizième étant intitulé « L’élan du féminisme pornographique »

            Gageons que la nouvelle responsable du journal aura à cœur de faire prendre rapidement un quatorzième tournant au grand quotidien, celui d’un féminisme enfin reconnu et responsable !

            Sinon, gare à une embardée dans le treizième virage !

            En tout cas, bon vent !

« L’histoire » ou « les histoires » selon Péguy – « Clio » I- L »histoire en fabrication

« L’histoire » ou « les histoires » selon Péguy

Morceaux choisis

« CLIO »

« Dialogue de l’histoire et de l’âme païenne »

(Gallimard 1932)

1ère partie : L’histoire en fabrication

2ème partie : Courbet contre l’orientalisme ?

&

1ère partie

L’histoire en fabrication : après le manque de documents, l’abondance et la surabondance de documents, le règne des historiens historiographes.

Qui était Péguy (1873-1914)?

       Je ne suis pas sûr que la vie et les œuvres de Charles Péguy attirent encore de nos jours beaucoup de lecteurs.

            Et pourtant Péguy fut, en son temps, un homme de lettres talentueux, célèbre et célébré, fort attachant, fauché dans la fleur de l’âge, sur le front, en septembre 1914, tout au début de la première guerre mondiale 1914-1918.

            Grand lettré, Péguy fut également un homme de grandes convictions, anticlérical, mais tout autant catholique pratiquant, pacifiste, tout autant que grand patriote, d’où son engagement, en qualité de lieutenant de réserve, dans le premier conflit mondial, mais avant tout attaché au passé et aux valeurs de sa terre de France.

            Notre propos sera consacré aux réflexions, souvent dérangeantes, sur l’histoire, qui sont contenues dans le livre bien nommé « CLIO », des réflexions qui s’adressaient sans doute et d’abord à ses anciens condisciples de l’Ecole Normale Supérieure.

            La lecture de ce livre en vaut la peine, car elle nous aide à remettre les pendules à l’heure sur le métier d’historien, et je serais tenté de penser que les leçons de Péguy sont encore d’actualité.

            Une lecture un peu difficile, compte tenu du caractère répétitif et scandé de sa prose lyrique, du nombre des œuvres citées qui ne nous sont pas familières, et de la richesse de la pensée de l’auteur.

            Péguy met en cause la théorie du progrès :

« Elle est au centre du monde moderne, de la philosophie et de la politique et de la pédagogie du monde moderne. Elle est au centre de la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne ; elle est au centre de ma domination à moi, l’histoire, tant ils me connaissent mal, tant ils ignorent mon mal et mon creux et secrète faiblesse ; elle est au centre de la situation faite, de la domination faite à l’histoire et à la sociologie dans les temps, dans le monde moderne. C’est une théorie (parfaitement) logique, malheureusement, c’est une théorie (d’autant) (par conséquent ?) inorganique, non organique. Antéorganique … Car cette théorie du progrès revient essentiellement à  être une théorie de caisse d’épargne ; elle suppose, elle crée une petite caisse d’épargne intellectuelle particulière automatique pour chacun de nous, automatique en ce sens que nous y mettons toujours et que nous n’en retirons jamais… » (page 48)          

Péguy  s’interroge sur le sens du tribunal de l’histoire : 

« Aussi on m’en fait dire. Tout celui qui a perdu la bataille en appelle au tribunal de l’histoire, au jugement de l’histoire. C’est encore une laïcisation. D’autres peuples, d’autres hommes en appelaient au jugement de Dieu et nos anciens en appelaient quelquefois à la justice de Zeus. Aujourd’hui, ils en appellent au jugement de l’histoire. C’est l’appel moderne. C’est le jugement moderne. Pauvres amis. Pauvre tribunal, pauvre jugement. Ils me prennent pour un magistrat, et ne suis qu’un (petit) fonctionnaire. Ils me prennent pour le Juge, et je ne suis que la demoiselle de l’enregistrement. » (page 153):

Péguy éclaire les défis lancés à l’historien, entre histoire ancienne et histoire moderne :

« Sous mon nom de Clio, je n’ai jamais assez de fiches pour faire de l’histoire. Sous mon nom de l’histoire, je n’ai jamais assez peu de fiches pour faire de l’histoire. J’en ai toujours de trop. Quand il s’agit d’histoire ancienne, on ne peut pas faire d’histoire, parce qu’on manque de références. Quand il s’agit d’histoire moderne on ne peut pas faire d’histoire parce qu’on regorge de références. Voilà ils m’ont mis, avec leur méthode de l’épuisement indéfini du détail, et leur idée de faire un infini, à force de prendre un sac, et d’y bourrer de l’indéfini. » (page 194)

« Au sens qu’ils ont donné à ce mot de science quand ils veulent que je sois une science, au sens où ils entendent ce mot et comme ils veulent, et alors je ne peux pas même commencer le commencement de mon commencement, ou bien je trahis, fût-ce d’un atome, d’être une science, une science leur, et comme ils m’ont rendue incapable d’être un art, je ne suis plus rien du tout. Melpomène, Erato, je ne sais qui, Terpsichore même passe avant moi. Je suis toujours prise dans des dilemmes. Clio, je manque de fiches, histoire, j’en ai trop. Tant qu’il s’agit des peuples anciens, je manque de documents. Dès qu’il s’agit des peuples modernes, j’en ai trop» (page 195)

« Pour le monde antique je manque de fiches. Pour le monde antique, je ne puis jamais rassembler mon monde… Mais pour le monde moderne vous voyez que nous allons être forcés de nous séparer avant d’avoir commencé. Avant le rassemblement. Pour le monde antique l’histoire se fait parce qu’on n’a pas de document. Pour le monde moderne, elle ne se fait pas, parce qu’on en a. » ( page 197)

« Voyons Péguy, vous savez très bien  comment ça se passait à l’Ecole Normale et comment on y formait un bon historien du monde antique, je veux dire un bon historien de l’Antiquité. Enfin vous vous rappelez Bloch. Ou Block. On l’appelait le gros Bloch. Il était gros en effet, mais à une condition. C’est que son histoire ne fût pas grosse. Eh bien rappelez-vous le gros Bloch. On profitait de ce qu’on n’avait pas de documents. On profitait de ce qu’on manquait de documents pour faire l’histoire. » (page 197)

Et au sujet de la mémoire et de l’histoire :

« La mémoire et l’histoire forment un angle droit.

L’histoire est parallèle à l’événement, la mémoire lui est centrale et axiale.

L’histoire glisse pour ainsi dire sur une rainure longitudinale le long de l’événement ; l’histoire glisse parallèle à l’événement. La mémoire est perpendiculaire. La mémoire s’enfonce et plonge et sonde l’événement.

L’histoire c’est ce général brillamment chamarré, légèrement impotent, qui passe en revue des troupes en grande tenue de service sur le champ de manœuvre dans quelque ville de garnison. Et l’inscription c’est quelque sergent-major qui suit le capitaine, ou quelque adjudant de garnison qui suit le général, et qui met sur son calepin quand il manque une bretelle de suspension. Mais la mémoire, le vieillissement, dit-elle, c’est le général sur le champ de bataille, non plus passant le long des lignes, mais (perpendiculairement) en dedans de ses lignes, lançant, poussant ses lignes, qui alors sont horizontales, qui sont transversales devant lui. Et derrière un mamelon la garde était massée….

 En somme, dit-elle, l’histoire est toujours des grandes manœuvres, la mémoire est toujours de la guerre.

L’histoire est toujours un amateur, la mémoire, le vieillissement est toujours un professionnel.

L’histoire s’occupe de l’événement mais elle n’est jamais dedans. La mémoire, le vieillissement ne s’occupent pas toujours de l’événement mais il est toujours dedans. » (page 231)

« ll ne faut pas dire qu’il y a deux classes d’historiens, qui seraient les bons et les mauvais. Il n’y a qu’une classe d’historiens qui sont les historiens.

Quand ils mettent du sujet dans leur histoire, ce n’est pas le sujet : et quand ils y mettent de l’objet, ce n’est pas davantage l’objet.

Il n’y a pas deux classes d’historiens, qui seraient les purs et les impurs. On ne leur a point fait la grâce, dit-elle d’être pur ou impur.

S’ils n’entendaient à rien, dit-elle, ils ne seraient pas historiens. Allez voir si Hugo ou Napoléon se sont mis historiens !

Il ne faut pas dire aussi que Michelet est le plus grand des historiens dit-elle. C’est un chroniqueur et un mémorialiste. » (pages 236, 237)

« L’histoire n’est pas objective ou subjective, elle est longitudinale. Elle n’est pas pure ou impure, elle est latérale. C’est dire qu’elle passe à côté. » (page 237)

Et Péguy d’épingler les « faux historiens », les historiens déguisés », comme les « faux mémorialistes », et d’esquisser une théorie des durées de l’histoire et de la mémoire.

A l’occasion d’une publication ultérieure, nous proposerons aux lecteurs l’évocation que Péguy fait du grand peintre franc-comtois Courbet, avec sa réaction tout à fait intéressante et éclairante sur la vision qu’un grand artiste comme lui pouvait avoir de l’étranger, du fameux Orient dont la fréquentation et la recherche titillaient alors maints intellectuels alors à la mode.

Une réaction, et un témoignage sur l’attrait qu’on pouvait avoir alors pour l’étranger colonial ou non !

Jean Pierre Renaud

France 3 et « histoires » d’Indochine (20 février 2013)

France 3 et « histoires » d’Indochine (20 février 2013)

 « Histoire immédiate- Aventures de guerre – Aventure en Indochine 1946-1954 »

Quelle salade historique !

            Première remarque : ou le titre du programme de Télévisons paru dans le journal Le Monde est faux, ou le contenu ne correspond pas à ce titre, car il s’agit plus d’une fiction, d’un montage cinématographique, sur le terrain effectif d’une ou de plusieurs aventures, mêlées à celle du héros de ce documentaire, l’aventurier Jean, lequel a débarqué en Indochine après la deuxième guerre mondiale et de son histoire, que d’histoire, avec un grand H !

            Deuxième remarque qui touche à l’ensemble du documentaire : quel embrouillamini à la fois historique et géographique !

            On passe du Fleuve Rouge à la Rivière Noire, et au Mékong, des rizières de Cochinchine à la baie d’Along. On s’attarde à juste titre sur les Méos, on nous donne quelques images de colons qui, comme par hasard, visitent Angkor, et le documentaire brode une sorte de leitmotiv historique sur la guerre d’Indochine, mais dans une très grande confusion chronologique.

            Que de héros dans ce film, l’un aviateur, l’autre pirate du fleuve, en ombre chinoise (pâle) d’un Crabe Tambour, et aussi une héroïne perdue dans l’entre-deux guerres, dans l’ombre chinoise (pâle) d’une Marguerite Duras !

            Quel galimatias littéraire et quel salmigondis historique, que les belles photographies et dessins ont beaucoup de peine à sauver du désastre !

            C’est à se demander ce que vient faire l’EPCAD dans cette fiction !

            C’est à se demander également ce qu’un téléspectateur peut comprendre dans cette histoire.

C’est bien dommage.

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique : Vie Privée et Vie Publique, toujours avec DSK !

     Une fois de plus, certains médias s’en donnent à cœur joie en faisant un très large écho au dernier livre paru sur la vie privée de celui qui fut le héros préféré d’une certaine gauche, assurément, et tout autant d’une partie des Français, avant l’élection présidentielle 2012.

            Ce nouveau livre qui parait faire scandale est surtout intéressant par la vraie question qu’il pose sur la protection de la vie privée des hommes et femmes politiques, une protection beaucoup mieux assurée par la profession journalistique que le soi-disant secret de l’instruction.

            La vraie question à laquelle il sera difficile d’échapper  encore longtemps : est-il légitime, sous le prétexte de la protection de la vie privée, de dénoncer certaines formes de vie privée quand elles portent atteinte au bon fonctionnement de la vie publique ? Quand il s’agit d’infractions graves à nos codes de bonne santé publique ?

            Rétroactivement, et s’il n’y avait eu cette affaire du Sofitel à New York, rien n’aurait empêché l’intéressé d’être élu peut-être comme Président de la République : un sacré beau résultat !

Les mots de la guerre du Mali

  Depuis le début de l’entrée en guerre de la France au Mali, nos dirigeants n’ont pas été avares de grands mots de la guerre, et tout autant, la plupart des journalistes.

            Hollande aurait gagné une « bataille » à Bamako ? Une guerre commentée quotidiennement par le nouveau correspondant de guerre Le Drian ? Et quelle chance pour quelques professionnels privilégiés d’avoir pu accéder au PC secret de cette nouvelle guerre !

            Les troupes françaises ont gagné des « batailles », effectué des « percées », ont déplacé leur « front », comme s’il s’agissait d’une vraie guerre, au Sahara, dans cet immense désert.

            Aujourd’hui, une nouvelle expression fait florès, comme on dit encore en français, la France mène une « guerre asymétrique », ce qui rend évidemment  la chose plus sérieuse.

            Il n’y a pas si longtemps on parlait de guérilla, de guerre subversive, révolutionnaire ou contre-révolutionnaire, mais il est vrai qu’avec l’évolution technologique des outils de la guerre, les satellites, les drones, les avions…, avec les nouvelles formes de la guerre électronique, certains pourraient croire qu’on fait aujourd’hui la guerre sans mort.

Jean Pierre Renaud 

Gallieni et Lyautey, ces inconnus-1898, avec la reine sakhalave Bibiassy à Maintirano

Gallieni et Lyautey, ces inconnus !

Eclats de vie coloniale

Morceaux choisis

Madagascar

Lyautey à Madagascar en 1898

13

Le retour de la reine sakhalave Bibiassy à Maintirano

En 1898, « … à la fin de janvier, le général Gallieni avait été amené à étendre mon commandement à l’Ouest jusqu’à l’Andranomava, puis, en mars, à disloquer le territoire sakhalave et à m’en donner la partie Nord. » (LTM/p,571)

Dans une lettre à Chailley, le secrétaire de l’Union coloniale, du 6 février 1899, Gallieni écrivait  au sujet de la résistance sakhalave :

« … J’ai justement sous les yeux le rapport du colonel commandant le deuxième territoire militaire (territoire comprenant les vallées de la Tsirihibina, du Manambolo et du Mangoky) sur les résultats obtenus en 1898 et j’y lis que nous avons eu, durant cette année, 1 officier tué et 3 blessés, 3 sous-officiers et soldats tués et 4 blessés, 37 indigènes ( Sénégalais et Malgaches) tués ou noyés et 77 blessés, et tous, dans des surprises, des embuscades, des attaques de convois, etc… Vous voyez, rien que par ces chiffres, que nos adversaires Sakalaves sont autrement dangereux que les Hovas de 1895. » (G/p,41)

Ce ne fut en effet pas une partie de plaisir, car la pacification fut longue et difficile, avec de nombreux morts et blessés

Dans son livre « De Madagascar à Verdun », le colonel Charbonnel qui fut chef de poste dans cette région côtière, et à la même époque, et qui servit longtemps à l’ombre de Gallieni, écrit :

« Nous n’étions pas à Adembe les plus éprouvés. Le même jour, 10 octobre 1897, à la même heure, l’assaut avait été donné aux dix Postes crées par le commandant Gérard. Quatre avaient été enlevés, dont Mahabe où était restée la pièce de Sangouard. Nos pertes étaient importantes : un quart de notre effectif, dont cinq officiers, tués ; autant de blessés. Le succès de la conquête du pays sakhalave était compromis. Cependant un désastre total avait pu être évité. On annonçait que Mahabe était déjà réoccupé. «  (C/p, 69)

Et plus loin, le même officier écrivait : « Pendant cette période de concentration des troupes, j’allais parfois à Monrondava revoir les survivants de la colonne Gérard. Sur les vingt officiers appartenant aux armes combattantes qu’elle comptait à son départ, nous restions neuf vivants. Un seul était mort de maladie. Les dix autres avaient été tués au combat ou étaient morts de leurs blessures. » (C/p,73)

Le nouveau territoire de Lyautey allait donc jusqu’à la mer, puisqu’il comprenait à présent le cercle de Maintarano. Lyautey allait donc, à l’exemple de Gallieni, pouvoir emprunter, comme nouveau moyen de communication, une des canonnières côtières de la Marine, pour effectuer certains de ses déplacements.

Précisons en effet que non seulement le Gouverneur général passa la moitié de son temps en tournées, mais qu’il fit le tour de Madagascar en bateau plusieurs fois pendant son séjour, alors seul moyen efficace d’atteindre les provinces les plus éloignées.

La relation de sa tournée sur la côte ouest est intéressante à un double titre :

– elle montre que l’opinion de Lyautey sur l’avenir de la nouvelle colonie a un peu changé, précisément parce qu’il a pu prendre conscience des atouts quelle pouvait faire valoir sur le plan économique, à la condition de réorienter la politique en direction du canal du Mozambique, et donc de l’Afrique Orientale, et ne plus dépendre de la seule influence de la Réunion.

– elle propose un exemple d’application de la fameuse  « politique des races » de Gallieni qui, peut se prêter à toutes les interprétations historiques ou idéologiques.

Un avenir pour Madagascar, vers l’ouest, le canal du Mozambique.

A Max Leclerc, A Ankazobé, le 14 mai 1898,

           « Ici, notre majeure raison d’être économique, c’est la côte orientale d’Afrique : il y là un marché à prendre, et il nous attend. J’ai de ce côté avec le Transvaal, avec Mozambique, avec Zanzibar des relations personnelles suivies, et c’est en homme informé que je vous écris : ils attendent que notre élevage leur fournisse des bœufs et des moutons, que notre Emyrne leur envoie du riz, notre côte du maïs ; ils manquent des trois articles et n’attendent que l’offre ; le marché est à prendre, je le répète.

           Or, nous ne sommes guère ici à nous en préoccuper. Les coulisses électorales ont tout détourné sur la côte Est et la Réunion. Tout pour Tamatave et Saint Denis. Or, franchement, quand on a à choisir entre le marché de l’Afrique australe et celui de la Réunion, c’est trop bête d’hésiter, – et on n’est plus à même d’hésiter. On enfouit des millions dans cette route de Tamatave dont la terminaison est encore si éloignée, tandis qu’un seul million mis sur la route de Majunga, où il ne pleut que quatre mois par an et dont le sol est un macadam naturel, eût permis d’y assurer dès cette année des transports de voitures ininterrompus ; j’en ai fait l’expérience l’an passé en l’aménageant presque sans crédits, de manière à y faire passer un premier convoi de voitures et à démontrer ce qu’un million consacré à faire les quinze ou vingt ponts nécessaires eût permis de faire le définitif…

           Malheureusement, le Général a trouvé engagée cette entreprise de Tamatave ; il n’a pas pu, et je le comprends, revenir en arrière quand tant d’intérêts et d’argent y étaient engrenés. Mais cela ne devait pas empêcher d’aller concurremment au plus pressé et de faire ceci d’abord beaucoup plus vite et beaucoup moins cher. Un élément, hélas ! est intervenu contre Majunga et la côte Ouest : les influences politiques et parlementaires de la Réunion. » (LTM/p,579, 580)

Lyautey à Maintirano, où doit le rejoindre le général Gallieni, en tournée sur la côte Ouest.

           Le 27 juin, Lyautey embarquait à Majunga sur une des canonnières de la Division navale, pour rejoindre le poste de Maintirano.

« Maintirano, le 23 juillet 1898,

A mon frère, mon bon vieux,

… le 2 au soir, c’était l’arrivée à Maintirano où commande mon excellent, loyal, cordial et vaillant camarade le commandant Ditte ; qui après avoir excellé dans l’Oubangui, au Dahomey, au Tonkin, m’a fait depuis trois mois de l’excellent travail…

De l’îlot de Maintirano, blanc de sable, égayé de quelques cocotiers, où voici un an étaient à peine quelques pauvres cases, Ditte a fait en quelques mois un petit centre coquet qui se développe et draine le commerce de l’intérieur renaissant. Aidé d’officiers prodigieusement actifs, il a fait de belles cases en bois, grandes, propres, confortables, avec de larges vérandas. La mer est en bordure de la mer qui, à la haute marée en baigne la terrasse. Les officiers sont gais et jeunes, ils reçoivent des revues et des journaux multiples, ont un commencement de bibliothèque intelligente ; le docteur joue du violon, et ce soir m’a donné la joie de réentendre, après combien d’années, les morceaux des Noces de Figaro que préférait papa ; une cavatine de Raff, la Marche turque, Plaisir d’amour ne dure qu’un moment et autres vieilleries très vielles, mais qui gardent combien de saveur à cette distance, sous ce ciel, et évoquent combien de passé… » (LTM/p,590)

           Lyautey rend évidemment compte, dans les mêmes lettres, des opérations qu’il mène contre les rebelles Sakhalaves, et fait état de la rencontre qu’il fit avec le professeur Gautier, directeur de l’Enseignement à Tananarive :

« Il explore Madagascar depuis sept ans. Interprète émérite, il mène de front la géologie, l’ethnologie et la guerre, se joint aux reconnaissances, en prend le commandement et conquiert ses fossiles à coups de fusil. » (LTM/p,591)

Donc un personnage haut en couleurs que nous avons déjà rencontré sur ce blog en citant son récit de la vie et de la mort de Rainaindrampandry, ministre de l’Intérieur de Gallieni, qu’il avait baptisé « Le prince de la paix » dans son livre « Les trois héros ». (voir blog du 15 avril 2011)

Retour d’opérations, Lyautey rentre à Maintirano, pour y accueillir le général Gallieni.

La surprise de Gallieni ! La reine sakhalave Bibiassy !

«  A mon frère,

… Nous y rentrons le 12 juillet, et, le 14, trois coups de canon à 7 heures du matin, signalent un bateau, puis un second. C’est le Lapeyrouse et le Pourvoyeur, le Général et sa suite. Toute la flottille des pirogues-oiseaux de mer se mobilise, et à 10 heures, nous sommes à bord où nous déjeunons tous. A midi débarque le Général ; je ne réédite pas le tableau de notre arrivée. Mais le Général a ménagé un coup de théâtre. Sur nos instances, il nous a ramené de Nossi-Bé la reine sakhalave Bibiassy, exilée maladroitement il y a un an, et que Ditte et moi jugeons devoir être ici un utile moyen d’action. Tous les rois sakhalaves de la côte Ouest de Madagascar, depuis le cap d’Ambre jusqu’au cap Sainte Marie, appartiennent à une même dynastie, descendant d’un ancêtre commun assez récent, presque autant dieu ou fétiche que roi ; ils ont un caractère essentiellement religieux, plus encore que politique, car au fond leurs sujets obéissent assez mal. Les rois ou chefs actuellement encore dans la brousse sont donc tous plus ou moins cousins de Bibiassy, et son enlèvement et sa déportation de l’an dernier sont un des arguments le plus souvent invoqués par eux pour ne pas rentrer. Dès le 15, nous avons été avec le Général réinstaller solennellement Bibiassy chez elle, à Antsamaka, à quatre heures d’ici ; le peu qu’il reste de population, 500 environ, y avait été convoqué. Bibiassy a été installée sous un velum et représentée à son peuple, et rien n’a été curieux comme la véritable cérémonie d’adoration qui a suivi le Kabary (le discours) : prosternation, bras étendus, chants, puis danses ; elle recevait l’hommage en idole impassible et son caractère fétichiforme explique seul son influence, car elle est affreuse, boiteuse, abrutie. Les lobes de ses oreilles découpés pendent en longs et hideux anneaux de chair. Les hommes de son peuple sont assez beaux et fiers avec leurs seules ceintures, leurs armes et leurs gris-gris. Les femmes sont hideuses, au nez percé, aux oreilles surchargées, beaucoup couvertes d’un masque de plâtre qui en fait de vrais monstres à effrayer les enfants. Nous sommes loin des Hovas en redingote et en kinkerbroker. Après avoir montré au peuple ce Saint-Sacrement de reine, nous nous sommes empressés de la ramener à Maintirano, ne voulant pas laisser aux rois de la brousse la tentation de venir enlever ce fétiche…

Le Général est parti le 17. Depuis six jours, je me suis mis en demi-vacances. Cette plage est exquise, une brise délicieuse… (LTM/p,594)

Commentaire

Le premier commentaire a trait à la philosophie « coloniale » de Lyautey : incontestablement, dans le sillage de Gallieni qui avait toujours en tête la place de la France sur les marchés internationaux, Lyautey ne perdait jamais de vue cette question comme le montre l’extrait de texte choisi.

On peut ne pas aimer le portrait que Lyautey campe de la reine Bibiassy, ou tout simplement considérer qu’il correspondait à une époque déterminée de la grande ile.

Toujours est-il que l’épisode caractérise parfaitement la politique des races, telle que le Général Gallieni la concevait et la mettait en application, à l’occasion de son proconsulat.

Dans le cas considéré, hors Emyrne, où il avait mis une « croix » sur la monarchie hova, il n’hésitait pas à jouer la carte des autres pouvoirs religieux ou politiques traditionnels.

A Maintirano, il s’appuyait effectivement sur les structures traditionnelles du commandement local, constitué des rois et des chefs sakhalaves.

Nous avons vu, qu’au  Tonkin, Lyautey donnait la préférence à l’administration indirecte, celle du protectorat, et sans refaire l’histoire, il est possible d’émettre l’hypothèse qu’à la place de Gallieni, le colonel  aurait sans doute beaucoup hésité à se priver de l’appui de la monarchie hova qui, elle aussi, avait un double caractère politique et religieux.

Comment ne pas ajouter qu’une des clés de la réussite de Lyautey au Maroc fut précisément son respect des pouvoirs établis, ceux d’un sultan, à la fois monarque et commandeur des croyants ?

Jean Pierre Renaud

Au Mali, quelle stratégie?

  La France a engagé son armée au Mali, sans avoir demandé préalablement à ses partenaires européens, d’assumer collectivement cette mission, alors qu’elle est un enjeu important de la sécurité internationale de toute l’Union Européenne.

A lire une presse qui est très volatile sur le sujet,  la France est au Mali pour longtemps, si l’ONU n’accepte pas de mettre à sa place une force de paix internationale.

Au terme des quatre mois de guerre « autorisés » par le Parlement, il va  falloir que la communauté internationale tout autant que le gouvernement français, aient des idées claires sur la longue durée stratégique.

Sur la longue durée, les conditions du succès ne seront pas faciles à remplir :

Une paix difficile à réaliser, sans qu’aux côtés de la coalition africaine en charge de cette mission de guerre et paix, des mouvements de l’islam modéré ne viennent soutenir sa lutte anti-djihadiste, dans une région où traditionnellement l’islam a toujours été fort, pour ne pas dire conquérant, adossé à une histoire riche de grands empires musulmans.

Une paix difficile à réaliser sans l’Algérie, et si l’Algérie, placée au cœur du sujet ne prend pas ses responsabilités en coopérant avec les Etats Africains, parce que la France, compte tenu de son passé colonial n’est pas la mieux placée, à la différence de l’Union Européenne, pour obtenir ce résultat.

Une paix difficile à réaliser, alors qu’il n’y a plus ni Etat, ni armée, sans que l’ONU, avec un mandat de transition, ne mette en place au Mali un pouvoir- relais capable d’administrer et de remettre sur pied un nouvel Etat, et il y faudra plus que quelques mois, et peut-être quelques années !

La présence du capitaine Sanogo, auteur du dernier coup d’Etat, aux côtés d’un chef d’Etat qu’il a chassé du pouvoir, ne laisse augurer rien de bon sur le retour de la paix civile dans cette région.

Le reportage du Monde intitulé « Au Mali, l’encombrant capitaine Sanogo reste au centre du jeu » (15/02/13, page 7) est tout à fait édifiant :

« L’ancien putschiste a  été investi au palais présidentiel de Koulouba par le chef de l’Etat par intérim Dioncounda Traoré au rang de président du « Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité »

Ce qui veut dire le loup dans une bergerie qui, il est vrai, n’en est plus une ! Et en plein pataquès africain ! On le croyait ou sur le « front », ou en prison !

Une paix difficile à réaliser, si les nouvelles autorités du Mali, à condition qu’elles existent à nouveau, ne trouvent pas une solution intelligente et pérenne, pour associer le peuple touareg aux décisions politiques du nouvel état à créer.

Une paix encore plus difficile à réaliser, sur la longue durée encore, si les gouvernements africains n’arrivent pas à modérer la pression démographique de leurs pays, pour ne pas dire à confiner l’explosion démographique, car il est évident que ce facteur est un des éléments d’instabilité du continent, avec un manque de développement en face d’une jeunesse au chômage.

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique : les comptes 2012 du Crédit Agricole font les bons amis bernés des Caisses Régionales !

  Le 20 février, sur Radio Classique, l’interview du Directeur Général du Crédit Agricole, M. Chifflet : la banque « mutualiste » vient d’annoncer pour l’exercice 2012 une perte de plus de 6 milliards d’euros, solde des initiatives spéculatives de ses managers, notamment en Grèce.

            Le Directeur Général est plutôt satisfait du «  bilan » des activités de la banque au cours de l’exercice passé, et d’expliquer qu’une grande partie des pertes est à mettre au compte d’une dépréciation d’actifs, c’est-à-dire au «  bilan. ».

Ce n’est donc pas si grave, puisqu’il s’agit d’un simple problème d’écriture comptable dans le bilan d’une banque!

La comptabilité des actifs de la banque n’a donc pas d’importance ? C’est vraiment prendre les auditeurs pour des imbéciles !