Histoire coloniale, développement et inégalités dans l’ancienne Afrique Occidentale Française – Les corrélations du chapitre 3

« HISTOIRE COLONIALE, DEVELOPPEMENT ET INEGALITES DANS L’ANCIENNE AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCAISE »

Thèse de Mme Elise Huillery

Sous la direction de Denis Cogneau et de Thomas Piketty

27 novembre 2008

Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

Rappel de publication des notes précédentes : annonce de publication, le 10 juillet 2014 – avant- propos, le 27 septembre 2014 – Chapitre 1, les 10 et 11 octobre 2014

&

IV

Chapitre 3

“History matters : the long term impact of colonial public investments in French West Africa”

Chapitre 4

“The impact of European settlement within French West Africa

Did Pre-colonial prosperous areas fall behind ? “

&

 « Modèle colonial » ou modèle capitaliste ?

Essai d’astrophysique historique aux confins des « trous noirs » des planètes coloniales ?

Avant-propos

Le 10 juillet 2014, sur ce blog,  j’annonçais la publication de mes notes de lecture, en écrivant à la fin :

« Avec deux énigmes historiques à résoudre :

La première : avec ou sans « concession » ? 

La deuxième : avec quelles corrélations ? »

Nous allons examiner la deuxième énigme.

            Dans le premier chapitre, nous avons vu que l’auteure s’était fixé comme objectif, à partir de la « littérature » existante, d’évaluer le bilan de la colonisation française en général,  et celle de l’Afrique Occidentale Française en particulier.

            L’objectif non dissimulé de cette thèse était d’affirmer que les Africains de l’Ouest avaient financé eux-mêmes la colonisation française, sans toutefois faire le distinguo historique nécessaire entre l’avant 1945 et l’après 1945, date de la création du FIDES.

            Dans les deux derniers chapitres rédigés en anglais, l’auteure a eu pour objectif de démontrer que la source des inégalités constatées dans les années 1995, dans les mêmes territoires, est due essentiellement aux inégalités constatées dans les investissements publics coloniaux effectués au cours de la période 1910-1928, donc une source d’inégalité à responsabilité coloniale.

            Avant d’analyser le contenu de ces deux chapitres qui font la démonstration d’une très grande vélocité technique dans le maniement des outils économétriques et statistiques, avec force cartes, tableaux et graphiques, souvent en couleur, j’aimerais introduire ma lecture critique en soulevant la question de la représentativité des bases statistiques retenues pour la période de référence (1910-1928) au cours de laquelle les structures de la colonisation étaient encore fragiles et inégales selon les régions, et en posant l’autre question des « trous noirs » qui affectent ce type d’analyse historique.

            A titre d’exemple de base de corrélation, est-ce qu’il est possible de considérer comme une base statistique fiable, la densité de population qui aurait été celle de l’Afrique de l’Ouest en 1910, telle qu’elle est représentée dans la carte 2 de la page 221 ?

            Il est permis d’en douter pour de nombreuses raisons.

            Par ailleurs, il parait tout de même hardi de proposer un saut historique de quatre-vingt-cinq ans, de 1910 à 1995, en faisant l’impasse sur la période coloniale qui s’est terminée en 1960, et sur l’histoire quelquefois chaotique de quelques-uns des territoires concernés, sans oublier la démographie qui parait hors sujet.

            Il convient en effet de revenir brièvement sur la citation que j’ai faite d’un propos  tenu par le directeur de cette thèse,  M.Cogneau dans un article de M.Philippe Fort paru dans Look@sciences intitulée « Le lourd héritage colonial en Afrique de l’Ouest ».

     « Et si le modèle colonial français expliquait le retard des pays francophones d’Afrique de l’Ouest ? C’est à cette question que s’est intéressée Elise Huillery, enseignante et chercheuses à Sciences Po. L’origine des inégalités de développement observées au sein même de l’ancien « pré carré » français en Afrique résiderait, selon elle, pour une large part, dans les logiques de l’investissement public colonial…. 

      « En analysant les données des archives coloniales à l’échelon du district où étaient concentrés les pouvoirs effectifs, explique Elise Huillery, j’ai constaté l’existence de liens entre les investissements réalisés alors et des indicateurs de l’état de développement actuel : taux d’accès à l’école primaire, à l’eau potable, à l’électricité ou aux soins médicaux…

      Cette étude permet de sortir d’une impasse.

      « Il existe un trou noir sur les investissements publics entre l’indépendance dans les années 1960 et les années 1990 » constate Denis Cogneau, professeur associé à la Paris School of Economics et directeur de recherche à l’IRD. «  Cela rend extrêmement difficiles les comparaisons directes entre investissements pré et post coloniaux. » Le choix du district comme échelon de l’étude permet de surmonter cette difficulté. En effet, en offrant un vaste échantillon de données très précises, il rend possible l’analyse des politiques d’investissement de plusieurs zones de colonisation qui disposaient au départ, d’un potentiel similaire. Au terme de son analyse, l’héritage colonial est la seule explication des inégalités de développement observées au sein même de l’ancien « pré carré » français en Afrique. Elise Huillery l’affirme : « la colonisation a bouleversé la carte économique de l’Afrique de l’Ouest »…

        Dans le mode d’organisation colonial français, le choix des investissements est du ressort des administrateurs locaux…

     L’étude montre bien que le niveau de développement régional actuel dépend des investissements coloniaux initiaux. Elise Huillery cite notamment l’exemple du Bénin :        

« Le choix colonial français a été de privilégier Cotonou, aujourd’hui capitale administrative et économique du pays, au détriment de Porto Novo, hostile à la présence étrangère. Cotonou, après l’indépendance du Bénin, a ensuite continué à attirer la plupart des investissements et est aujourd’hui  largement plus développée. »

    En ce qui concerne le Bénin, sur les statistiques duquel l’auteur a fait, sauf erreur, l’impasse, il est évident que l’une ou l’autre des deux cités était située sur la côte, donc dans un pôle possible de développement.

    Déclarer que la colonisation française a bouleversé  la carte économique de l’Afrique de l’Ouest est une évidence, comparable à ce qui s’est passé ailleurs à l’époque des empires coloniaux.

    Les bases statistiques retenues, celles des années 1910-1928 mériteraient d’être, dans chaque cas de district, confrontées à leur histoire factuelle, compte tenu de tous les événements qui les ont affectés :

   1910- 1914 : dernières opérations de pacification ou de mise en place de l’administration coloniale,

   1914-1918 : conséquences de la première guerre mondiale, et dans certains districts, révoltes contre la conscription,

     1918-1928 : retour à une certaine stabilité politique,

    Faute de cette périodisation et d’une analyse classique des faits enregistrés dans chacun des districts mis dans le computer, il parait difficile de ne pas faire preuve d’une grande suspicion scientifique.

Chapitre 3

History matters : the long term impact of colonial public investments in French West Africa

L’analyse elle-même: ou la pertinence des “History matters”

   Dans son abstract, l’auteure écrit : « … this paper gives evidence that early colonial investments in education, health and public works had large and persistent effects on current outcomes… I show that a major channel for the long term effect of early investments is a strong persistence of investments: regions that got of a specific type of investment at early colonial times continued to get more of this particular type of investment.” (p,123)

      Introduction

En ce qui concerne the French West Africa, l’auteure écrit:

 “ This region exhibits a noticeable homogeneity  regarding to its geographical, anthropologic, cultural and historical characteristics. Moreover, it was colonised by France (which allows us to control for the coloniser’s identity), at the same period (from the last quarter of Nineteenth century to 1960.” (p,125)

      L’auteure a l’ambition de démontrer que  les investissements publics et inégaux faits dans les cent vingt districts de l’AOF, entre les années 1910 à 1928, importants ou non, selon les districts,  ont projeté les mêmes inégalités dans les années 1995.

    « Colonial times introduced important differences between districts of former France West Africa. Colonial investments in education, health and infrastructures were indeed very unequal among districts. “ (p,126)

     “Results show that colonial public investments have been a strong determinant of current districts’s development. Colonial investments in a certain type of public goods (education, health or infrastructures) between 1910 and 1928 explain about 30 % of the corresponding current performances.” (p,127)

       Il est tout à fait intéressant de constater que ce type de calcul tendrait à valoriser le raisonnement des économistes de l’utilité marginale ou du coût marginal, le raisonnement dont nous avons fait état au début de notre lecture, à une réserve près, celle d’un immense « trou noir » historique.

Questions:

     Les observations et premières conclusions de l’auteure soulèvent déjà quelques questions :

    Est-il possible de partir du postulat de la « noticeable homogeneity »  de l’AOF dans la première période de référence 1910-1928 ? A mon avis, non, alors et après, car ce postulat ne peut être démontré sur le plan géographique, religieux, politique, culturel, ou économique…

     Quoi de commun par exemple entre les districts animistes ou fétichistes, découpés dans la forêt de la nouvelle Côte d’Ivoire, et ceux dessinés dans les territoires qui firent partie de l’ancien Empire Islamique et Peul du Macina sur le Moyen Niger ?

     Est-il possible de considérer que la période 1910 -1928 est une bonne référence chronologique de base, en faisant l’impasse sur la première guerre mondiale, et sur la période des années 1910-1914, au cours de laquelle le pouvoir colonial était à peine installé ? Non

     A titre d’exemple, la France menait encore des opérations de pacification violente et systématique, avec la destruction de villages et leur regroupement, sous l’impulsion du gouverneur Angoulvant, dans la zone forestière d’une Côte d’Ivoire, à peine née,  dans les années qui ont précédé 1914.

     Autre exemple, au cours des années 1915 et 1916, les opérations de recrutement de troupes en AOF, menées sous la houlette du ministre Diagne, provoquèrent des révoltes en Haute Volta, dans l’est du Haut Sénégal, et sur le Niger : plus de cent villages cassés, des grosses pertes parmi les insurgés, à la suite de l’intervention d’une colonne militaire de plus de 2.000 hommes :

     « Ce fut, semble-t-il, la plus importante révolte qu’ait connue l’Afrique noire française durant la période coloniale, plus grave même que les troubles qui affectèrent le Constantinois pendant la guerre pour les mêmes raisons. » (p,362, Essai sur le colonisation positive, Marc Michel)

       Ajouterai-je que jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle, toute la zone géographique au sud du Niger entre Bissandougou et Sikasso, jusqu’au nord de la Côte d’Ivoire, étendue sur plus de six cents kilomètres de long et de l’ordre de 300 kilomètres de large, fut ravagée à la fois par les guerres « fratricides » entre l’Almamy Samory de Bissandougou et  le Fama Tiéba de Sikasso, et par les opérations de conquête coloniale que la France menait contre Samory.

     Enfin, pourquoi ne pas mettre en doute, non pas le travail de l’auteure à ce sujet, mais le véritable exploit statistique qu’a pu constituer le recueil d’autant d’informations statistiques, considérées comme fiables, au niveau des districts, pour qui a une certaine connaissance du travail souvent aléatoire des administrateurs coloniaux sur le terrain ?

  1. I.              Historical background : French colonisation

      L’auteure décrit l’organisation de l’AOF en relevant le rôle important des « French administrators » :

     The administrative organization was thus officially centralized but effectively decentralized. French districts’s administrators could manage their local policy in almost independent way thanks to physical distances and lack of means of communication. Neighbour districts could therefore experiment different colonial policy.” (p,130)

     “Colonial administration invested in three public goods: education, health and infrastructures. Every year French administrator had to define precisely how many teachers, schools, doctors, hospitals they needed and how much money they wanted for public works so as to elaborate the annual budget… Finally, they decided how much financial resource they need to cover their infrastructures expenses; roads, wells, tracks, buildings, bridges’ reparations and constructions. A very precise “plan de campagne” was established annually to describe all the works to be performed in each locality.” (p,131)…

    The influence of administrators on investments policy was thus certainly very high. “ (p,131)

Questions

    La description faite parait presque irréelle, sauf à mettre en face des dates et des lieux,  et à définir exactement les pouvoirs que les commandants de cercle exerçaient réellement, lesquels n’avaient, dans beaucoup de cas, rien à voir avec cette description idyllique du monde administratif colonial, qui n’était pas celui des années 1910-1928, de toute façon.

       Encore conviendrait-il, à la base de ces postulats, donner les ordres de grandeur des budgets dont pouvaient disposer les commandants de cercle par rapport à ceux du budget de la colonie, maître d’ouvrage,  ou de la fédération !

  1. II.            Data and summary statistics

     L’auteure note :

    In 1995…”The inequalities between countries are thus consequent. But the greatest inequalities in former French West Africa do not arise at the state level but at the district level. District level data on current development used in this paper come from national household surveys implemented in the 1990’s.” (p,133)

    L’auteure s’intéresse à trois sortes d’investissement, les écoles, la santé et les infrastructures, et livre le calcul de ces trois indicateurs pour les années 1910-1928, sans tenir compte du Bénin (p,133), comme déjà indiqué, une des colonies alors les mieux dotées.

« Le trou noir » ? Un saut historique, et une impasse statistique !

     L’auteure fait tourner son computer de corrélation à partir des trois bases d’investissement retenues, entre les années 1910 -1928 et les années 1990 -1995, en faisant l’impasse sur la période 1960- 1995, comme le notait le directeur de thèse dans la deuxième citation du début de notre analyse.

    Cette thèse nous invite donc à effectuer un véritable « saut historique » entre la période 1910-1928 et la période 1995, en faisant l’impasse sur l’histoire des districts étudiés pendant plus de 60 ans, avant et après l’indépendance des colonies.

    Il aurait été intéressant de proposer le même type de corrélation avec les années 1955-1960 afin de tenir compte des effets de l’investissement colonial massif du  FIDES créé en 1945 dans les districts corrélés.

     Comment par ailleurs proposer des corrélations sans tenir compte des évolutions démographiques des territoires étudiés, pour ne pas dire des révolutions, ou des coups d’Etat ?

    .L’auteure a rencontré des difficultés pour saisir des chiffres convaincants dans le domaine des infrastructures :

    « Data on large-scale public works financed on federal resources are not included for two reasons: first, il would have required the collection of federal budgets data in addition to local ones, which represents an important additional effort, second, federal budgets do not decompose investments neither at the district level nor at state level, which would make any repartition between district very hypothetical. This exclusion produces actually an understatement of colonial investments inequalities : large scale public works financed on federal resources were mostly devoted to main towns ot main axes of each colony, those which already advantaged by local budgets. Actual colonial inequalities in infrastructures were thus probably larger than measured here.” (p,135)

Questions

  Il est dommage que l’auteure n’ait pas  donné le chiffre des investissements d’infrastructures réalisées par la fédération, comparé à celui réalisé par les colonies, car cette comparaison aurait sans doute montré que l’écart était considérable, et qu’il était de nature à affaiblir très sensiblement le raisonnement statistique proposé.

    Il n’aurait pas été choquant de calculer une moyenne de ce type d’investissement par colonie et donc par district, étant donné que ces infrastructures de ports, de chemins de fer, de routes, concernaient tout autant l’ensemble des districts, dans le cadre d’une politique de développement qui passait par l’ouverture d’une Afrique de l’ouest, jusque-là fermée, vers l’Atlantique,  avec une répartition des rôles entre fédération et colonie.

    Il s’agit d’une impasse d’autant plus surprenante que l’on sait que le budget fédéral a financé d’importants travaux d’infrastructures, notamment par emprunts, avant la deuxième guerre mondiale.

     Dans le cas du Bénin, mis hors- jeu, il est évident que la création d’un port et d’une ligne de chemin de fer allant vers le nord, concernait l’ensemble du territoire, mais avec des effets atténués dans l’hinterland, à supposer que les districts de référence y fussent situés.

     Avec pour conséquence logique:

: « It is clear that colonial investments policy were unbalanced : Upper-Volta and South-Est of Niger have been disadvantaged in terms of human capital investments, investments in infrastructures were more concentrated in coasts areas of Senegal, Guinea and Ivory Coast and that reflects the structure of French colonial economic system based on trade with European countries. In addition to regional discriminations, it is noticeable that many neighbour districts received very different colonial treatments.” (p,135)

     La méthodologie utilisée fait appel alors à un concept de neighbour districts, un concept qui pourrait être intéressant à condition de le définir et d’afficher les districts qui répondaient à cette définition : quels étaient les districts (les cercles) qui partageaient le même neighbourhoud,  des  données qui ne figurent pas, sauf erreur, dans le document lui-même.

     Dans le cas de figure cité plus haut, comment ne pas rappeler que les districts de la page 135 étaient coupés de toute communication extérieure moderne avant la création des grandes infrastructures de l’AOF, une ligne de chemin de fer et des routes dans la cas de la Haute Volta, et la création d’une autre ligne de chemin de fer au Dahomey, faute de pouvoir utiliser la grande voie fluviale du Niger dont les chutes interdisaient l’utilisation vers l’aval ou vers l’amont,  et négocier un droit de passage avec la Grande Bretagne ?

      Dans les années 30, le géographe Weulersse notait, à l’occasion de son passage à Kano, dans le nord de la Nigeria, que les coloniaux français  empruntaient la ligne de chemin de fer Ibadan Kano pour rejoindre leur poste au Niger ou au Tchad.

    L’auteure cite bien ce type de facteur, mais sans lui accorder une importance plus grande qu’à celle accordée aux trois investissements retenus, les écoles, la santé, et les infrastructures de district, avec la réserve capitale que nous avons faite sur leur interprétation.

     Afin d’apprécier la situation précoloniale des districts, l’auteure introduit dans ses calculs d’autres variables dont il est possible de discuter la pertinence :

     « initial population density » : des chiffres improbables, compte tenu des difficultés du recensement à l’époque considérée, des difficultés que l’administration coloniale rencontra pour le faire, quasiment jusqu’aux indépendances, pour la raison simple qu’ils commandaient l’assiette de l’impôt de capitation.

       « the existence d’un « centralised political power (« state societies ») as opposed to stateless societies. », une analyse qu’il était possible de faire de l’est à l’ouest et du nord au sud ? En 1928, il aurait été possible de classer l’ensemble des cercles selon ce type de critère ? En l’absence des connaissances anthropologiques et historiques utiles ?

     Autres variables : la résistance against French colonial power (Second), la variable « local chiefs indemnities as control (Third), et enfin la variable Early European setllment, des concepts statistiques difficiles à établir et à manipuler, tels qu’ils pouvaient exister concrètement dans cette Afrique de l’ouest en construction.

     Il convient de noter enfin que la variable de la population européenne, effectivement chiffrée, n’a sans doute pas été un facteur de changement très actif, compte tenu de son très faible effectif, mis à part le cas de Dakar et de Saint Louis, en tout cas pour la période de référence 1910-1928.

     Nous reviendrons sur le sujet à l’occasion du chapitre 4.

  1. III.          Basic correlations : OLS Estimates
    1. A.   Empirical Strategy

         « I compare districts development performances according to colonial investments they received between 1910 et 1928 by running ordinary squares of the form: …(p,139)

       Je laisse le soin aux économistes statisticiens de faire tourner modèles et machines, mais il est évident, indépendamment de la pertinence de la formule elle-même sur laquelle je n’ai pas la capacité de me prononcer, que la démonstration économétrique recherchée repose entièrement sur la pertinence des bases et variables historiques qui ont appelé maintes réserves de notre part.

      « I therefore prefer to drop out Dakar and Saint Louis from the sample » (p,140)

Impasse identique à celle du Bénin !

      Le raisonnement que tient l’auteure en ce qui concerne la situation de Dakar et de Saint Louis est tout à fait surprenant : la colonisation française de l’AOF ne pouvait avoir que des résultats inégaux, étant donné qu’elle l’était, dès l’origine, un « modèle » de développement inégal, le « sample » même d’un Dakar, pôle de développement principal de l’AOF avec son port, ses lignes de chemin de fer, et le rôle d’animation politique de la fédération..

      Sortir Dakar et Saint Louis du logiciel, compte tenu de leur poids dans le système colonial de l’AOF, revient donc à introduire un biais capital dans ce type d’analyse de l’histoire économique de l’AOF.

  1. B.   Results

     L’auteure écrit :

    « Table 2 et Table 3 report OLS estimates of the impact of 1910-1928 colonial investments on 1995 performances….” (p,140)

    “The general picture that emerges from these tables is that districts which received more investments over 1910-1928 have significantly better performances today. “

“We can finally notice that explanatory variables in this paper account for about 40 % of the variation in 1995 health performances, 50% of the variation in 1995 school attendance and 70% of the variation in 1995 access to infrastructures. More importantly, each specific colonial investment alone accounts for about 30% of the variation of the corresponding 1995 performance.” (p,141)

     Questioncomment ne pas admirer ce travail d’économie mathématique qui survole presqu’un siècle, qui fait l’impasse sur au moins deux « trous noirs » ceux des années 1928-1960 et des années 1960-1995, et qui, à partir de bases et de variables, dont la pertinence historique est mal assurée,  conclut à l’existence de corrélations historiques effectives entre des investissements coloniaux au niveau des 120 districts de l’AOF, dont la définition mériterait d’être vérifiée, et des « current performances » des années 1995 ?

  1. IV.           Ecometric issues : selection et causality
  2. A.   Historical Evidence on Selection during colonial times

      L’auteure poursuit la même ambition de prouver les corrélations existant entre les investissements coloniaux  locaux (c’est-à-dire dans les districts) avec les performances constatées en 1995, et dans ce but elle se propose : « First, using historic data and qualitative evidence from African historians…. Second I use a “ natural experiment approach that consists in comparing neighbour districts only. Results from matching strategy confirm the OLS estimates.” (p,143)

        Dans cette partie, l’auteure teste la validité des corrélations qui peuvent exister entre les « colonial investments » des années 1910-1928 et les « current performances » des années 1995, et des différentes variables pouvant affecter les résultats des calculs, la densité de population, l’existence de « societies politically well-structured », la « distance from coast », et à cet égard, l’auteure estime :

       « In particular, it is too weak to use distance from the coast as a valuable instrument for colonial investments. » (p144)

Questions :

       Est-ce que la méthodologie utilisée, à savoir ne retenir qu’une partie des investissements coloniaux, au niveau des districts, en écartant les grands investissements de la fédération ou des colonies, ne conduit pas inévitablement à faire biaiser le modèle ?

      Nous verrons plus loin la définition que donne l’auteur de ce  concept comparatif novateur de neighbour districts.

     La réponse à ces deux questions permettrait de valider l’évaluation faite du facteur distance de la côte.

     Les « top-down interventions » :

    Faute de pouvoir accorder une bonne causalité aux différents facteurs examinés, l’auteure propose de prendre en compte les « top-down interventions », c’est-à-dire le rôle des administrateurs coloniaux.

     « The specific personality of the administrators was therefore a strong determinant of the policy they implemented in particular at the beginning of colonial times (in the 1900s and 1910s) because administrators stayed long enough in specific districts to implement long term projects (after the World War I, they had relatively shorter tenures, typically 3 years.)”

     Remarque surprenante, alors qu’une des difficultés de l’administration coloniale fut précisément la trop grande mobilité des titulaires des commandements, au maximum trois ans, pas plus !

    Il convient de noter par ailleurs qu’après avoir privilégié comme facteur de changement l’investissement colonial au lieu des institutions,  l’auteure réintroduit par la fenêtre le facteur institutionnel, grâce aux « administrators ».

  1. B.   Matching estimates.

      “The strategy that I pursue is to use a matching approach that consist in comparing neighbour districts only…. In the case of French West Africa, there are good reasons to think that neighbor districts were very similar before colonial times… This lead me to assume that the neighbor districts shared similar unobservable characteristics. This assumption can be interpreted as the fact that unobservable characteristics are geographically distributed and that districts borders were sufficiently exogenous to make differences between neighbour districts unobservable characteristics not salient.” (p,145)

       A la page 146 et dans  Appendix 2 (p,177) , l’auteure tente de définir le fameux concept de neighbourhood :

       « I define a neighbourhood as a cluster of three districts that share a common border and assume that neighbourhood fixed effect is similar within but not between clusters. This leads to divide districts map in disjointed neighbourhoods which sets of three districts sharing a common border. Appendix 2 gives further details on matching procedure. (p,146)

Question :

       Dans les pages qui précèdent, nous avons soulevé un certain nombre de réserves sur la méthode utilisée, sur la définition et sur l’établissement des bases des corrélations proposées, sur le volume des investissements coloniaux réalisés dans les districts entre 1910-1928, ainsi que sur la pertinence de calculs de corrélation effectués entre 1910 et 1995, mais nous nous interrogeons cette fois sur la pertinence du concept volatil de neighbourhood.

      Est-ce qu’il ne s’agit pas d’une trop belle sophistication de méthode de recherche économétrique qui dépasse très largement la réalité historique des terrains coloniaux dont la nature et les caractéristiques ont changé au cours des âges, de 1910 à 1995 ?

     L’auteure consigne ce doute dans une sorte de conclusion provisoire :

    « In the end, we may think that the long term impact of early colonial investment is too large to be due uniquely to the early colonial investments themselves. Since these results do not take into account what happened later, they may reflect the relationship between early colonial investments and something caused by them. We therefore need to explore what happened in the interval.” (p,147)

    C’est décidément y perdre son latin!

    Précisons que je n’ai pas trouvé dans la thèse qui a été publiée la liste des clusters de districts avec leur localisation, une information qui permettrait de se faire une idée sur la pertinence géographique et historique de cette clé d’explication.

   Sans doute le directeur de cette thèse et les membres du jury en ont-ils eu communication !

  1. V.           Why do early colonial investments still  matter ?

    “Previous results establish large and robust differences in current performances due to differences in colonial public investments. Why are long term returns to investments so large? In this section, I want to give some potential answers to this question “ (p,149)

     Après avoir émis un doute sur les résultats publiés quant à la corrélation de base entre les investissements coloniaux des années 1910-1928 et les performances des années 1995, l’auteure propose une analyse sur ces fameuses performances, une comparaison historique « improbable », même dotée des outils économétriques les plus sophistiqués.

  1. VI.          Conclusion

      « This paper thus contributes to explicit the mechanism through which spatial inequalities arise and persist, and gives evidence that even in the long run inequalities do not vanish because there are increasing returns to the adoption of a practice and because both starting point and accidental events can have significant effects on the ultimate outcome. “(p,153)

   Notre propre conclusion :

   Récapitulons nos objections, ou questions au minimum:

    Nous ne reviendrons pas sur les objections que nous avons déjà formulé quant à la pertinence d’une analyse économique historique qui est établie à partir de bases historiques contestables établies à partir de trois critères, les médecins, les enseignants, les travaux publics dans les cercles (1910-1928), qui sont corrélés, plus de soixante ans après, avec des indicateurs qui ne tiennent aucun compte des situations historiques intermédiaires, en faisant l’impasse d’au moins deux « trous noirs » majeurs, la période 1928-1960 et la période affichée comme « noire » par le directeur de la thèse lui-même, celle postérieure à 1960, sauf à faire remarquer aussi que l’histoire politique et économique de l’Afrique Occidentale Française de la première période (post-bases) n’a pas été celle d’un fleuve tranquille et continu.

    Cette démonstration comporte beaucoup d’incertitudes de toute nature sur la nature des « public works » comparés à ceux de la fédération, sur le rôle des administrateurs coloniaux, sur le concept de districts «  neighbour » et son application géographique.

    Pourquoi ne pas avoir donné la localisation des fameux « clusters » de trois districts, afin de se faire une idée sur la signification de ce concept, et de pouvoir comparer cette localisation d’effets économiques avec celle issue du développement des pôles de changement de l’AOF, sur le modèle des pôles de François Perroux ?

     Enfin, pourquoi ne pas s’interroger sur le sens que l’auteure donne au concept d’investissement public ? Il s’agit moins de formation de capital fixe, ou d’investissement matériel, mis à part la catégorie des « public works », que d’investissements immatériels, ceux de l’école et de la santé, mais alors comment évaluer ceux de la construction d’un Etat colonial, et du coût des animateurs de ce nouvel Etat, c’est-à-dire les administrateurs coloniaux ?

    En définitive, toute la question est de savoir si les inégalités enregistrées dans les années 1990 en Afrique de l’ouest sont le résultat d’un modèle de développement colonial « inégal », parce que « colonial », au niveau des districts,  ou du modèle classique de pôle de développement, c’est-à-dire de type capitaliste,  à partir des ports, des routes et des lignes de chemins de fer, réorienté après 1945 avec l’intervention du FIDES .

    Si tel était le cas, les conclusions de l’auteur correspondraient à une sorte de lapalissade historique !

   Jean Pierre Renaud

   Avec une note d’humour !

     Je viens de revoir avec plaisir le film « Le dernier métro » de François Truffaut, avec une intrigue portant sur une pièce de théâtre intitulée « La disparue ».

      A l’occasion d’un dialogue amoureux entre Catherine Deneuve et Gérard Depardieu, alors jeunes acteurs, l’actrice déclare : « Ce n’était pas des mensonges, mais des trous noirs. »

Fin de citation ! 

A l’honneur de la France: Non, le Mistral ne doit pas être livré à Poutine !

 Non le Mistral ne doit pas être livré à Poutine, un potentat qui ne respecte aucun traité international.

         Et la France respecterait un contrat?

         La politique étrangère de la France ne doit pas être l’otage du tout « fric »!

           Que cette livraison éventuelle soit soumise au vote de l’Assemblée Nationale et que chaque député dise où est son honneur !

        Jean Pierre Renaud

Une France sous X, hypocrite et pleine de tabous!

&

« Afro-Américains et Noirs de France, Les Faux Frères »

Par Elise Vincent, dans Le Monde du 29 août 2014, Décryptages, page 15, avec en marge de la chronique :

« Les Etats-Unis sont une machine à rêves qu’alimente l’affirmation progressive d’une élite noire. »

 Avant toute analyse et tout commentaire, deux réflexions préalables :

         1 –  Il est surprenant qu’un citoyen français ne puisse pas connaître la géographie humaine de son pays, alors que toute une littérature à la mode, médiatique, politique, idéologique, littéraire, ou tout simplement humaine, est toujours prête à encenser tout ce qui touche aux origines, aux sources, à l’identité, ou aux racines…

             2 – Il est tout autant surprenant de constater que les Noirs de France, en tout cas dans les  discours de leurs groupes officiels ou officieux de pression, n’ont pas le courage de se compter, comme s’ils avaient honte de leur couleur. 

            Pourquoi le titre « Une France sous X » ?

       Parce que les statistiques dites « ethniques » sont interdites par la loi, une loi qui s’inscrivait dans la France des années 1970 qui n’a plus grand-chose à voir avec celle des années 2014.

            La chronique de Mme Elise Vincent propose un éclairage indirect sur un des aspects de notre communauté française qui est censée ignorer les origines d’une partie de ses membres, les Noirs de France, et des autres évidemment.

           Ils ont l’ambition un peu contradictoire  d’être tout à la fois visibles, et invisibles, en même temps qu’une partie d’entre eux éprouve la tentation de se comparer à la communauté noire américaine, telle qu’elle s’exprime par exemple dans le livre « La condition noire » de M.Pap Ndiyae.

            La chronique du Monde s’intéresse donc à cette catégorie de la population française sous le titre « Afro-Américains et Noirs de France, les faux frères ».

            Il est évident qu’il est difficile de se former une opinion équitable sur un tel sujet, réel ou non, à partir du moment où il est interdit d’en évaluer l’importance démographique, ce qui est le cas, ne serait-ce qu’en prenant connaissance de ceux qui font l’objet de cette chronique !

            Quels chiffres ?

              L’appellation de « faux frères » est au moins déjà justifiée par la connaissance du sujet que nous avons en France,  comparée à celle que l’on peut avoir aux Etats Unis de la communauté afro-américaine, grâce aux chiffres des recensements américains !

            Rien de tel en France, étant donné que les statistiques dites « ethniques » ont été interdites par la loi du 6 janvier 1978, sans doute dans un souci de bonne intégration, mais dans un contexte tout à fait différent des courants d’immigration enregistrés au cours des trente dernières années.

           Cette carence d’information explique  les évaluations au doigt mouillé qui sont citées dans cette chronique : « les quelques données officielles permettent d’estimer entre 3 et 5 millions le nombre de personnes se considérant comme « noires » dans l’Hexagone (4,5% à 7,5% de la population). C’est peu, comparé au poids des 42 millions d’Afro-Américains (14% de la population). »

            La marge d’erreur est donc importante, ce qui n’empêche pas l’INSEE de faire un constat surprenant, sauf si cet institut dispose des statistiques  (secrètes) de représentativité utiles  sur le sujet, en utilisant le qualificatif « accablant » :

         « De même, Afro-Américains et minorité noire française ont en commun une triste expérience de la relégation. Les derniers chiffres de l’Insee, publiés en 2012 sont accablants… »

             La journaliste écrit plus loin :

         « … les Noirs issus de l’immigration africaine ont en fait à gérer deux contraintes que n’ont pas rencontrées les Afro-Américains : la migration – un bouleversement en soi – et la crise économique post-1973. La majorité est arrivée en France après la seconde guerre mondiale. »

         Comme si l’esclavage n’avait pas existé aux Etats Unis, et comme si l’existence d’une communauté noire en France était historiquement comparable, et sans que cette remarque fasse la différence entre les deux sources d’immigration noire, celle d’Afrique et celle des Antilles !

        Dans son livre « La condition noire », l’historien Pap Ndiaye est assez économe en statistiques, mais il cite les résultats d’un sondage (TNS/Sofres/Cran) effectué en 2007 dont les chiffres étaient les suivants : un pourcentage de population de 3,86%, correspondant à 1,87 millions d’habitants, des chiffres qui sont donc inférieurs à ceux cités plus haut, 3,86% au lieu de 4,5%  à 7,5 %.

         Dans son livre « Français et Africains », paru en 1980, un livre dont l’objet principal était la dénonciation du  racisme des Français, l’historien William B. Cohen citait les chiffres suivants :

         «  En effet, les jugements défavorables, déjà émis dans le passé, ne firent que s’intensifier lorsque les Noirs  émigrèrent en grand nombre en France, après 1945, en particulier dans les années soixante. Quelques dix ans plus tard, il s’était établi dans la métropole deux cent mille personnes de couleur dont la moitié environ venait des Antilles et l’autre moitié des pays africains indépendants. » (p,396)

          Nous nous proposons de publier sur ce blog une lecture critique de ce livre au cours des prochains mois.

        Ces quelques chiffres montrent bien que les effectifs des Français de couleur auraient fait un bond important entre 1970 et 2007, et entre 2007 et 2014 :

         200 000 en 1970, 1,87 million en 2007, et de 3 à 5 millions en 2014 ?

      A lire ces chiffres, on voit tout de suite qu’ils sont de nature à nourrir toutes les interprétations et affabulations.

         Les observations de la chronique Vincent, quant à la mesure des discriminations subies ou à celle de la relégation supposée, et en tout cas affichée, pour autant que la dite-mesure soit fondée, est à mettre en rapport avec les bouleversements profonds que l’immigration des trente dernières années, noire ou maghrébine a entrainé dans beaucoup de nos villes, des bouleversements  accrus par du regroupement familial officiel ou clandestin, ou  de l’’immigration clandestine proprement dite qu’il s’agisse de familles, d’adultes, ou de mineurs isolés.

       Tout examen objectif ne peut ignorer ces évolutions démographiques, alors que les pouvoirs publics continuent à faire comme si le problème n’existait pas, en refusant de se donner – ou de nous donner – les moyens de connaître la réalité démographique de notre pays.

        La France n’est plus celle des années 1970 ! Beaucoup de Français et de Françaises le savent, , parce qu’ils l’ont constaté, et continuer à laisser croire que ce n’est pas vrai, n’est  pas de nature à faire cesser toutes les manipulations politiques, souvent extrêmes, qui surfent sur cette ignorance.

         L’actualité ancienne ou récente en fournit des exemples quasi-quotidiens.

        A titre d’anecdote tout à fait révélatrice, est paru en 1979, un livre de poche dont le titre était « La France ridée », dont les auteurs étaient P.Chaunu,G.F.Dumont, J.Legrand, A.Sauvy.

      Aucun de ces quatre auteurs ne proposait de lutter contre un processus qu’il dénonçaient, celui du vieillissement de la population du pays, en faisant appel à une immigration qu’ils paraissaient ignorer.

          De même qu’il existe un déni de connaissance de la bi-nationalité en France !        

        Une commission parlementaire s’est réunie sur le sujet, mais chut sur le résultat de ses travaux !

       Les Français n’ont donc pas le droit de connaître la composition nationale de leur pays, sauf à la découvrir, comme ce fut le cas, à l’occasion de la dernière Coupe du Monde de football, avec la deuxième équipe de France, celle de l’Algérie.

         Doit-on continuer à faire comme si telle ou telle bi-nationalité, compte tenu de son poids démographique, n’emporterait pas de conséquences dans la politique étrangère de la France ?

         Il faut dire la vérité aux Français !

Jean Pierre Renaud

Nota Bene : en éclairage de cette chronique du journal, comment classer le sujet du film « Bande de Filles » de Celine Sciamma ? Quatre jeunes filles noires nous entraînent dans une sorte de sarabande de vie joyeuse en même temps qu’infernale.

       On ne connait pas leur histoire personnelle, mis à part celle de l’héroïne qui part à la dérive, au motif que l’Education Nationale a refusé son passage en seconde, et l’a orientée vers un CAP, dont elle ne veut pas.

     Comment classer ou ne pas classer ces quatre jeunes filles noires dans la catégorie identifiée par la transposition du titre de la chronique ci-dessus : « Afro-Américaines ou Noires de France, les Fausse Sœurs » ?

       En tout cas, au moins, elles n’ont pas honte de leur couleur !

     Personnellement, j’avais beaucoup apprécié le documentaire diffusé sur LCP Sénat en 2011, intitulé « Les roses noires » (voir blog du 15 octobre 2011), un documentaire qui paraissait mieux traduire la problématique des jeunes filles de nos quartiers sensibles, en défense permanente contre les violences des « mecs ».et en difficulté d’intégration dans la République Française.

Une parole politique dévergondée ou galvaudée !

 De nos jours, la parole politique a-t-elle encore du poids ?

            Ne parlons pas des journalistes et des chroniqueurs de tout poil qui se renvoient la balle en cercle fermé, ou de ceux et de celles qui font partie des coteries ou des écuries des Sarkozy, Juppé, Hollande, ou même Aubry, ceux ou celles des entourages qui courtisent les médias, toujours prêts à encenser ou à blâmer les adversaires de leur champion, sous le sceau bien entendu de la confidence.

          Parlons des hommes et femmes politiques !

          Leur parole a-t- elle encore du poids ?

         Rien n’est moins sûr pour au moins trois raisons majeures :

         En premier lieu, l’absence de maîtrise de la parole politique par nos hommes ou femmes politiques, le manque de métier, ce qu’il faut dire ou ne pas dire, et quand : à titre d’exemple, les récentes déclarations du ministre de l’Economie,

       En deuxième lieu, le prurit de la communication quotidienne, le commentaire quotidien de l’actualité quelle qu’elle soit.

        Sarkozy n’était pas mal dans le genre, et il vient de reprendre le collier, mais Hollande n’est pas mal aussi, avec son goût permanent du commentaire, quel que soit le sujet, quitte, comme  ce fut le cas récent, pour la libération des jeunes filles enlevées au Nigéria par la secte islamiste de Boko Haram, d’annoncer leur libération, puis  de la démentir à demi-mot.

        Chaque jour, le Président du jour se croit obligé de commenter l’actualité : avant hier encore, il a cru bon d’annoncer la sixième intervention des Rafales en Irak. Est-ce vraiment dans les attributions d’un Président de la République Française ? Bien sûr que non !

          Aubry, dont la parole était plutôt rare, même lorsqu’il s’est agi du pacte dit de Marrakech, Aubry-Strauss-Kahn, en vue des présidentielles de 2012, vient d’apporter sa pierre à ce discrédit de la parole politique en condamnant la politique du Président tout en souhaitant sa réussite.

       En troisième lieu, l’invasion du tout com’ dans un monde politique où il est aujourd’hui séant de s’entourer de professionnels de la communication, qui sont recrutés et payés pour faire de la communication, et non de l’information.

      En bref, de la communication au lieu de la parole !

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique – François Hollande et les femmes ? Où est le problème?

Humeur Tique

François Hollande et les femmes ? Où est le problème ?

            François Hollande a-t-il  un problème avec les femmes ?

          Sans doute, si l’on s’en rapporte aux quelques signes officiels de sa vie politique, ancienne ou récente.

            Premier signedéjà ancien, la candidature de Ségolène Royal, compagne officielle de François Hollande, aux élections présidentielles de 2007, alors que le Secrétaire du Parti socialiste, depuis de longues années, était le candidat naturel du Parti Socialiste.

            Deuxième, troisième, et quatrième signes récents, les trois livres qui décrivent tout le bien que leur auteures, trois femmes,  pensent du Président actuel, celui de la compagne qui l’a porté au pouvoir, et ceux de deux de ses anciennes ministres,  Cécile Duflot et Delphine Batho.

            Dans un lointain passé, et sous la mandature de Juppé à Matignon, les Jupettes, qui avaient été virées du gouvernement sans aucun ménagement, s’étaient contentées, en 1995, de protester verbalement : serait-ce le signe que la démocratie française a beaucoup progressé dans le domaine de l’égalité des sexes ?

            Pourquoi ne pas interviewer sur ce sujet sensible et pointu, comme le font volontiers à jet continu nos chaines de télévision, tel ou tel psy réputé ou non ? Pourquoi ne pas leur suggérer le nom de M.Miller ?

&

Nota Bene : Coïncidence! Dans le Canard Enchaîné du 22 octobre 2014, une vignette de caricature page 2 avec les deux personnages de Valls et de Hollande, sous le titre

«  Martine Aubry attaque Hollande, et dans la bulle :

            On va finir par croire que tu as un problème avec les femmes » 

Humeur Tique – Israël, Gaza, l’Islam et la communauté internationale, en peine absurdité !ska=lam

Humeur Tique

Israël, Gaza, l’Islam et la communauté internationale, en pleine absurdité !

 On s’entretue, on bombarde, on détruit. Les colonies israéliennes s’étendent au fur et à mesure des années, et les territoires palestiniens se rétrécissent au fur et à mesure des mêmes années.

            Gaza, la forme moderne d’un nouveau camp de rétention, pour user d’une litote.

            Dernier épisode de la tragédie au début de l’été 2014 !

            Une fois de plus, la communauté internationale est appelée à financer la reconstruction  de Gaza, et plusieurs pays vont effectivement apporter leur contribution à ce nouveau chantier.

            En pleine absurdité, étant donné qu’aucun pays, aucune puissance, n’ a l’autorité suffisante pour imposer une coexistence pacifique entre les deux Etats.

            On en viendrait presqu’à regretter la chute du Mur de Berlin et la fin d’un monde bipolaire, étant donné que dans notre nouveau monde multipolaire aucune puissance n’a l’autorité nécessaire pour imposer une solution internationale, pas plus l’ONU que l’Europe aux abonnés absents des nouvelles puissances mondiales.   

            Une absurdité d’autant plus frappante, que le Qatar, un des financiers du Hamas, vient d’accorder généreusement une aide d’un milliard de dollars pour cette reconstruction, et que l’Union Européenne va à nouveau accorder son aide, faute d’avoir la puissance nécessaire pour imposer la paix.

        Une autre absurdité, encore celle des Turcs et des Kurdes ! Les Turcs membres de l’OTAN, spectateurs de l’extermination des Kurdes de Syrie, que la coalition anti Daech tente de sauver !

         Une autre absurdité encore, celle du soutien que la Russie continue à accorder au dictateur de Syrie,  Bachar al Assad !

Etc, etc… !

Entre l’establishment parisien et la France qui crève ! Une élite sans courage ! Les bleus rosés ou les rosés bleus!

Entre l’establishment parisien et la France qui crève ! Une élite sans courage !

A propos de l’excellente enquête du journal Le Monde du 3 octobre 2014, intitulée «  Les Jouyet un couple au pouvoir »

Et bientôt une belle BD avec plein de bulles de champagne « rosé » ou « bleu »,  « rosé-bleu » ou « bleu-rosé !

            Tout ce que compte encore d’élite notre belle France devrait lire et relire cette enquête pour comprendre de quoi souffre notre pays depuis de nombreuses années, c’est-à-dire du manque de courage d’une partie de notre élite qui se passe le sel et le poivre entre gauche et droite, entre socialistes « pur sang » et capitalistes également « pur sang ».

Je cite :

            « Et ce talent du couple Jouyet (et Taittinger pour les non-initiés) de mêler dans leur vaste appartement du seizième arrondissement de Paris, rue Raynouard, l’establishment français au complet : patrons, diplomates, banquiers, politiques, François Fillon comme Manuel Valls ou Emmanuel Macron, François Pinault et Serge Weinberg, droite et gauche mêlées et confondues, sans que jamais – miracle ! s’amuse François Hollande – personne ne quitte la table ou ne claque la porte. Chez les Jouyet, les soirs d’élection, que la gauche ou la droite l’emporte, on trouve toujours une moitié de convives pour fêter la victoire au champagne rosé…Taittinger. » (sans publicité)

            C’est – y – pas vraiment bien, cette France de l’establishment parisien qui cohabite en permanence, qui pratique aux « diners de la rue Raynouard » » l’union nationale de la table, du champagne et du reste, et qui n’a pas le courage d’assumer la même union nationale quand il s’agit des destinées d’une France bien malade ?

            Le meilleur service que les « frondeurs » du PS  puissent rendre à la France est de ne pas voter le budget 2015, de donner rendez-vous aux citoyens, à la condition que lors des élections, une nouvelle gauche et une nouvelle droite aient le courage d’assumer la politique nationale dont le pays a besoin.

            Et à gauche, tout continue comme avant, si l’on prend la peine de lire encore le même journal du 14 octobre 2014 (sans publicité) :

« L’HISTOIRE DU JOUR (page 12)

« Pour Manuel Valls et le PS, DSK n’est plus persona non grata

« …C’est en bonne compagnie que la communicante Anne Hommel a reçu l’ex-patron du FMI pour son anniversaire… »

            En compagnie de tout un beau monde socialiste et un certain gratin des médias, dont Anne Sinclair… !

            Sans commentaire !

Jean Pierre Renaud

Une BD à paraître, sauf si les bulles de champagne venaient à exploser en vol stationnaire !

« Les conditions d’une intervention militaire » par Pascal Boniface dans la Croix du 29 septembre 2014


            Dans cette chronique, M.Boniface propose une analyse historique et technique des interventions occidentales dans les pays étrangers, mais sans rappeler toujours les raisons de ces interventions.

       A ses yeux, «  Trois facteurs viendront déterminer l’avenir des interventions militaires extérieures » -– les visions opposées de l’ingérence au Nord… à l’égard du Sud … , la fin du monopole occidental sur la puissance ; le poids croissant des opinions publiques dans la détermination des politiques étrangères.

        Facteurs ou circonstances ?

         Il propose un raccourci historique de certaines interventions extérieures du siècle passé qu’il classe, sans les citer, dans la catégorie des «  promenades de santé » … « comme elles le furent presque jusqu’à la fin du XX °siècle. »  en passant à d’autres interventions récentes qui n’ont pas connu de réussites, telle celle d’Afghanistan.

        « En Libye, le succès initial a laissé place au chaosEn dehors de la situation libyenne, du choc qu’a éprouvé en retour le Mali…»

       « Il y a cependant des interventions réussies. On peut citer celle modeste du Timor-Oriental. On peut également citer l’intervention française au Mali : elle fut de courte durée – (nous y sommes toujours) –, les adversaires faibles – (ils sont toujours là ) -, elle se fit à la demande de la population malienne – ( il n’y avait plus d’Etat ) – et rencontra un soutien régional et mondial, avec de surcroît un feu vert juridique de l’ONU – après que le Président ait annoncé : « j’ai décidé », comme il l’a fait après, pour la Centrafrique, et comme il vient de le faire pour l’Irak.

          Est-ce que ces interventions ont été effectuées en respectant les conditions que propose M.Boniface, lesquelles seraient les suivantes ?

       « En premier lieu, il ne faut pas confondre monde occidental et communauté internationale »

       « Ensuite un mandat du Conseil de sécurité reste la meilleure garantie de légitimité …

          Il est aussi impératif de réfléchir au jour d’après. Le contre-exemple libyen en est la démonstration….

        Les guerres de contre-insurrection ne peuvent être gagnées qu’à condition d’avoir un allié national puissant sur lequel on peut s’appuyer, capable de mettre en œuvre rapidement une solution politique. »

         Comme ce fut le cas en Libye, au Mali, en Centrafrique, et  aujourd’hui en Irak ? Avec des alliés puissants qui sont absents ?

         A lire ce texte, la France n’aurait donc pas dû s’y engager.

        Les interventions françaises récentes ne s’inscrivent en effet pas dans ce type de schéma, même si l’ONU, a dans un deuxième temps, entériné le « cavalier seul » de la France – j’ai décidé –  qui fleure un peu trop une nouvelle forme de néocolonialisme, un mélange d’intérêt et d’idéalisme pas très éloigné de la mission civilisatrice (des colonies) de la France (aujourd’hui l’humanitaire), ou encore de la grandeur passée du pays (la France reste une grande puissance).

       L’exposé de M. Boniface soulève des questions auxquelles il ne parait pas apporter de réponse, au moins dans le cas de la France, pour laquelle j’ajouterais volontiers trois conditions supplémentairesla première, appeler un chat un chat, c’est-à-dire, les conditions de « la guerre » au lieu « d’une intervention militaire », et puisqu’il s’agit de guerre, redonner au Parlement le pouvoir d’en décider.

      La deuxième, afficher clairement le ou les objectifs de notre guerre, c’est-à-dire, ce qui n’est jamais dit aujourd’hui, une « guerre sans morts ».

     La troisième, arrêter de faire croire à l’opinion publique française que la France peut continuer à faire ses exercices de puissance militaire extérieure sans l’Europe, le véritable siège de notre puissance, tout en faisant comme si – c’est éclatant dans le cas de l’Irak –  le gouvernement conservait une liberté d’action (sous le parapluie américain), tant que l’Europe refusera d’exercer une forme nouvelle de puissance militaire.

Jean Pierre Renaud.

N B – Les lecteurs intéressés par ce type de sujet peuvent consulter mon analyse de la thèse qu’a défendue la capitaine Galula sur le guerre contre-révolutionnaire, à partir de son expérience algérienne sur ce blog aux dates suivantes : 21/09/2012 et 5/10/2012

Histoire coloniale, développement et inégalités dans l’ancienne Afrique Occidentale Française Thèse Huillery – Chapitre 1- Lecture critique – Deuxième partie

« Histoire coloniale, développement et inégalités dans l’ancienne Afrique Occidentale Française »

HESS – 2008 – Thèse de Mme Huillery

Notes de lecture critique

II

Chapitre 1 (p,19 à 71)

« Mythes et réalités du bilan économique de la colonisation française »

Deuxième Partie

II . Coûts et bénéfices de la colonisation pour les colonies

         Compte tenu du bouleversement complet qu’a provoqué la colonisation dans les colonies, l’auteure note dès le départ qu’il sera difficile d’établir ce type de comptabilité : « Mais nous sommes très conscients de l’impossibilité radicale qu’il y a à établir une évaluation quantitative des coûts et bénéfices de la colonisation pour les colonies. » (p,55)

        L’auteure botte donc en touche dès le départ du bilan en proposant un exercice dont le contenu ne parait plus appartenir au domaine conceptuel du bilan, une réserve surprenante, étant donné que les graphiques proposés montrent bien qu’en francs 14, l’AOF a vu ses moyens budgétaires augmenter sensiblement au cours de la période étudiée, et que les chiffres du commerce extérieur de l’AOF montrent également qu’il a beaucoup progressé.

       « Nous formulons donc un peu différemment les questions dans cette deuxième partie en se demandant en quoi la colonisation a été favorable ou défavorable au développement des colonies plutôt qu’en se demandant ce que la colonisation a coûté ou rapporté aux colonies. » (p,56)

A – En quoi la colonisation a-t-elle été favorable au développement des colonies ?

  1. Les investissements privés

      L’auteure propose dès le départ son constat : «  Les investissements privés dans les colonies ont-ils permis aux économies colonisées de se développer ? A notre connaissance, il n’est guère d’historiens qui le défendent »

      L’auteure renvoie vers les travaux de Philip Curtin qui concernent l’économie ouest-africaine, lequel rapporte « que le commerce interne de la région était au XIXème siècle beaucoup plus important que le commerce transatlantique », et pour cause, étant donné que tous les « initiés » savaient que l’ouest africain était, géographiquement parlant, ce que notait le géographe Richard-Molard, un continent clos, avant son ouverture aux échanges internationaux grâce aux ports et aux voies de communication qui n’existaient pas et qui y ont été construits (voir la citation Richard-Molard dans un de nos avant-propos).

      Il aurait été d’ailleurs intéressant que l’auteure nous donne les chiffres de ce commerce interne, qu’il s’agisse de textiles, de noix de kola, de sel, d’or…ou peut-être d’esclaves, dont le trafic interne fut important et persista longtemps.

     A titre d’exemple, à la fin du dix-neuvième siècle, l’Almamy Samory que la France combattait dans l’Ouassoulou, à l’ouest du bassin du Niger, à tort ou à raison, finançait encore des achats de fusils à tir rapide en Sierra Leone en vendant des esclaves.

    L’auteure écrit qu’une des premières causes du manque de développement a été l’insuffisance des investissements privés, associée au choix des investissements effectués, mais quid en AOF, terrain d’étude choisi par cette thèse ?

      L’analyse détaillée des statistiques douanières et des balances des paiements de l’AOF aurait pu apporter de la lumière sur ce constat, de même que sur la nature et la croissance des échanges entre la métropole et l’AOF, ainsi que sur le rôle des pôles de développement que constituèrent les nouveaux ports et les nouvelles voies de communication.

  1. Les investissements publics

      « Le bénéfice que les colonies ont retiré de la colonisation viendrait-il donc des investissements publics ? C’est ce que défendent les historiens du courant anti-repentance. » (p,59)

     L’auteure procède à un nouveau tour d’horizon de la « littérature » disponible qui fait le constat du faible niveau des investissements publics, mais sans proposer elle-même, à ce stade de la thèse, ses propres calculs pour l’AOF, en concluant :

     « Pour conclure sur les bénéfices que les colonies ont retirés de la colonisation, il s’avère donc que le bénéfice des investissements privés peut être considéré comme inexistant, du fait du manque de rationalité économique et de prise en compte des besoins locaux qui ont guidé le placement des capitaux privés. »(p,62)

        Un constat qui ne peut manquer de surprendre !

B. En quoi la la colonisation a-t-elle été défavorable au développement des colonies ?

      « La dernière question qui achève l’examen des composantes du bilan économique de la colonisation recensées dans la littérature, est sans aucun doute la plus difficile de toutes les questions que nous avons posées : en quoi la colonisation a-t-elle été défavorable au développement des colonies. » (p,62)

     Le lecteur aura noté que c’est à nouveau à partir de la « littérature » qu’un bilan économique de la colonisation lui a été proposé, et que la question est posée de façon a priori négative, « défavorable »..

a)    L’absence d’investissement productif

     L’auteure fait appel à Mme Coquery-Vidrovitch et à M. Moniot pour distinguer les trois phases qui auraient été celles du pillage, de l’économie de plantation, et de l’économie de traite, un classement qui a une certaine valeur, mais qui gagnerait à être plus rigoureux dans son analyse géographique et historique.

    Les investissements privés et publics auraient été inadaptés au développement des colonies, avec des infrastructures tournées vers l’extérieur, des réalisations pharaoniques telles que l’Office du Niger, la « charge que représentait l’administration coloniale pour des populations dont les ressources n’étaient pas en adéquation avec un degré d’organisation et de centralisation tel. Il faut rappeler bien entendu que les salaires des fonctionnaires coloniaux français servant dans les colonies, c’est-à-dire l’essentiel des coûts administratifs des budgets coloniaux, étaient à la charge des budgets locaux et que c’était en définitive les contribuables africains qui rémunéraient les administrateurs français, à des niveaux de rémunération sans commune mesure avec celles qui se pratiquaient dans les sociétés indigènes. Il y a donc comme une forme d’absurdité économique à appliquer aux colonies des structures budgétaires, économiques, et financières qui sont issues et adaptées à une économie telle que celle de la France » (p,66)

       Absurdité économique ou angélisme ? Il est effectivement souhaitable de creuser le sujet comme le propose l’auteur, avec trois éclairages, ceux de l’ancien gouverneur Delavignette et d’un ministre socialiste des colonies,  Marius Moutet, et enfin celui, anachronique, mais révélateur, du régime de rémunération des fonctionnaires français servant aujourd’hui outre- mer.

      Dans son livre « Service Africain », le gouverneur Delavignette relevait au sujet du fonctionnaire colonial :

     « Et d’abord, il peut compter sur les doigts de la main le provisoire de sa propre vie : dix séjours de deux ans, qui font vingt passages en mer, et voilà le dossier rayé, bon pour les archives. C’est un homme qui souffre un vieillissement constaté de dix- sept ans par rapport à la table de mortalité de la Caisse des retraites de la Métropole. «  (p,54)

    Autre citation, « Jusqu’en 1929, le Gouverneur général de l’AOF en Conseil de Gouvernement annonçait solennellement le nombre de journées d’hôpital des Européens. Pour cette année-là, sur 16 000 européens, 5.241 hospitalisés et 83.291 journées d’hôpital. » (p,55)

     Marius Moutet, le ministre des Colonies, notait dans une circulaire adressée à ses Gouverneurs Généraux, en 1936 :

     « …J’ai pu constater à la lecture de l’annuaire que l’Afrique occidentale française, avec ses 15 millions d’habitants, comptait près de 3 000 fonctionnaires européens, soit à peu près autant que l’Inde anglaise avec ses 400 millions d’habitants. C’est incontestablement trop… »

       Une dérive des effectifs sûrement, mais en raison d’une politique coloniale très différente de celle des Anglais qui avaient une préférence pour l’administration indirecte, laquelle, dans le cas de l’Inde, bénéficia souvent  de l’appui de gouvernances locales établies et riches  (les rajas), ce qui ne fut pas le cas en AOF.

         Ne s’agissait-il d’ailleurs pas d’une politique coloniale assumée par les gouvernements de la Troisième République ?

       Il est vrai qu’en Nigéria, donc en Afrique de l’ouest, mais au nord de cette colonie, les Anglais, appliquèrent ce que l’on a appelé la doctrine Lugard de l’indirect rule, en s’appuyant sur les deux sultanats musulmans puissants de Sokoto et de Kano, sans équivalent en Afrique française de l’ouest, mais que dans le sud animiste, les mêmes Anglais furent dans l’obligation d’imiter les Français, compte tenu du morcellement politique de cette région. 

     Enfin, la mise en place d’un Etat fédéral qui n’a pas survécu aux indépendances, et d’Etats locaux qui, eux ont survécu, en dépit des très nombreuses crises qui les ont affecté après les années 1960, n’aurait-elle pas été le coût contesté ou justifié des charges administratives des budgets locaux ? Avec une administration assez bien organisée et un système de gestion financière publique et privée sous contrôle.

      L’historien indien Panikkar reconnaissait au moins à la colonisation anglaise le mérite d’avoir mis en place un Etat moderne.

       De nos jours, le seul exemple du Mali montre bien les ravages que peut causer l’absence d’un Etat, plus de 50 ans après son indépendance.

     Et pourquoi ne pas s’interroger, de façon tout à fait anachronique, mais en même temps révélatrice, sur les régimes de rémunération et de retraite actuels des fonctionnaires français en service outre-mer ou originaires de l’outre-mer, alors que ces territoires accueillent, sans aucun problème de santé, de très nombreux touristes ? Au moins 40% de plus qu’en métropole, avec d’autres avantages.

      Au siècle du tout tourisme et du tout aérien dans les mêmes territoires !

 c) La dépendance à l’égard de l’extérieur

    L’auteure conclut : « La dépendance à l’égard de l’extérieur n’était donc peut-être pas en elle-même un facteur de blocage. Mais ajouté au manque d’investissements productifs et à l’irrationalité de certaines orientations de la production, cet état de dépendance vis-à-vis des marchés européens n’a pas été un facteur de développement des économies coloniales. » (p,66)

d)   Le laxisme budgétaire et financier

      L’auteure revient sur une des conclusions de Jacques .Marseille quant à la couverture des déficits commerciaux par l’Etat français, et note :

     « Sans s’attarder sur de pareilles affirmations, rappelons seulement que l’« immense » contribution française aux finances des colonies n’est pas établie et que c’est seulement oublier qu’au moins jusqu’en 1945, la plupart des budgets des colonies et des fédérations, au moins à n’en pas douter ceux de l’AOF que nous avons pu consulter, sont remarquablement équilibrés, la plupart du temps même largement excédentaires, sans intervention massive des subventions du Trésor français. » (p, 67)

       Et pour cause, étant donné le principe posé par la loi du 13 avril 1900, celui de l’autonomie financière des colonies, semblable au principe britannique du self-suffering, qui gouverna les relations coloniales dans l’Empire britannique !

       Après 1945, la création du FIDES changea complètement la donne.

      Est-il besoin de préciser qu’aucune des colonies françaises ne venait à la cheville du riche Empire des Indes !

     Quant à l’existence des excédents des budgets et au rôle des caisses de réserve, nous y reviendrons dans la lecture du chapitre 2, étant donné que le décret du 30 décembre 1912 et les textes subséquents avaient verrouillé complètement les conditions de l’équilibre des budgets coloniaux et que les caisses de réserve, verrouillées également dans leur plafond, avaient pour but à la fois de régulariser le cours pluriannuel des recettes et de faire face aux calamités naturelles des territoires.

    L’auteure ajoute une note de conclusion un brin polémique en écrivant :

    « Quoi qu’il en soit, il est très choquant, aux vues des structures mêmes de l’économie coloniale que nous avons développées plus haut, d’affirmer que l’héritage de laxisme budgétaire et financier soit le seul reproche que l’on puisse faire à la colonisation » (p,68)

     Le débat ouvert sur un laxisme qui aurait existé ou pas a un caractère surréaliste sur le plan historique, sauf à distinguer une fois de plus les deux grandes périodes de la colonisation, en indiquant qu’effectivement au fur et à mesure des années 1950, la métropole a été dans l’obligation d’augmenter la part de subvention qui avait été fixée à l’origine dans le financement du FIDES.

III. Conclusion (p,69)

    L’auteure écrit :

    « Nous avons passé en revue l’essentiel de ce que l’on trouve dans la littérature au sujet du bilan économique de la colonisation….

   Pour la France, le bilan s’avère plus positif que prévu…

   Pour les colonies, le bilan s’avère aussi peu positif que prévu…

   Si l’évaluation des pertes pour les économies coloniales est impossible du fait de la nature des transformations impliquées, il est encore possible, et il nous parait souhaitable, d’éclaircir la question des investissements en biens publics et leur financement.

            Ainsi, nous nous proposons d’utiliser la collecte des données budgétaires de l’Afrique Occidentale Française pour traiter à la fois le coût de la colonisation pour le contribuable français et la question du montant des investissements publics financé par la France dans cette région. » (p, 70)

&

Mon propre « abstract » :

     Première remarque : était-il véritablement utile, si le propos s’inscrivait dans une démarche scientifique de ranger les recherches de Jacques .Marseille ou de Catherine .Coquery-Vidrovitch, pour ne citer que ces deux noms, dans la catégorie de la « littérature », outre le fait que trop souvent le ton de ce chapitre est polémique ?

       Deuxième remarque : il s’agit en effet d’une revue inutilement polémique, étant donné que le résultat de la recherche portant sur le bilan économique qui nous est proposé tire pour l’essentiel son intérêt de la critique des recherches « scientifiques » qui ont pu être faites sur ce bilan, c’est-à-dire sur les « données empiriques » de l’historiographie.

       Un manque de valeur ajoutée d’autant plus surprenant que dans le cas de l’AOF, terrain des recherches privilégiées de l’auteur, cette dernière s’est bien gardée d’éclairer le lecteur sur le bilan économique des colonies concernées, ne serait-ce qu’en analysant la courbe et le contenu des séries statistiques douanières et financières les concernant, analyse qui aurait eu le mérite de vérifier pour la période post 1945, celle du FIDES, si le raisonnement tenu par Jacques Marseille sur l’équilibre des comptes extérieurs de l’AOF tenait ou non la route.

      Il n’était du reste pas le seul à défendre cette position. Dans le livre qu’a publié en 1957 J.Ehrhard, intitulé « Le destin du colonialisme », J.Ehrhard écrivait au sujet de l’aide de la France Chapitre II :

      « L’aide budgétaire apportée par la France à l’Outre-Mer a longtemps été assez modeste. Mais l’équipement a été dans une large mesure réalisé avant – guerre sur fonds d’emprunts placés en France que l’avilissement de la monnaie a pratiquement transformés en subventions, au détriment du prêteur métropolitain.. En francs actuels (1957) les sommes empruntées par l’ensemble des pays d’outre-mer représentent tout de même 210 milliards antérieurement à 1914, 577 de 1914 à 1939. » (p,25)

     Nous verrons à l’examen du chapitre 2 que cette citation pose la question de l’interprétation financière que Mme Huillery propose dans ses analyses du Chapitre 2 sur la nature des emprunts et des avances.

      Troisième remarque : beaucoup d’informations dans ce premier chapitre, mais avec des titres ambigus, un bilan, des coûts et des bénéfices, un développement ou non, sans que le lecteur puisse se faire une opinion dans le cas précisément de l’AOF, sauf à comprendre que cette thèse s’inscrit en faux par rapport à celle de Jacques Marseille.

      Un titre d’autant plus ambigu que dans la deuxième partie consacrée aux colonies, l’auteur passe du concept de bilan « coût et bénéfices » à celui indéterminé de « développement ».

    Quatrième remarque : l’analyse de ce chapitre ne s’inscrit pas dans l’histoire de l’AOF et de ses relations avec la France.

    Comment est-il possible de présenter les choses comme s’il y avait eu une continuité historique dans les relations coloniales, en ignorant les situations coloniales de chacune des périodes analysées, tout en feignant d’ignorer que le grand principe de la colonisation a été celui fixé par la loi de 1900, « aides toi financièrement toi-même ! », le même que le self-suffering britannique, à la seule différence près que les Britanniques avaient mis la main sur des territoires dont le potentiel de ressources n’avait rien à voir avec celui des Français.

     Après 1945, tout a changé, et la rigueur de l’analyse historique imposait d’en tenir compte.

    Cinquième remarque : s’agit-il de la démonstration crédible d’un bilan économique qui, à proprement parler, n’a pas été fait, mais qui s’inscrit souvent dans le débat politique et dans un champ géographique et historique flou ?

     A la lecture de ce chapitre, certains lecteurs se demanderont peut-être s’il n’est pas à ranger lui aussi dans la « littérature économique ».

    Une question ultime : pourquoi ne pas se demander les raisons pour lesquelles l’auteure de cette thèse, laquelle se présente volontiers comme un adversaire intellectuel de Jacques Marseille, n’a pas cru devoir, précisément dans le cas de l’AOF, vérifier que la démonstration principale de l’historien, c’est-à-dire la couverture des déficits des balances commerciales par des transferts de fonds publics, n’était historiquement pas fondée ?

     Il est bien dommage en effet que dans le cas de l’AOF, l’analyse de cette thèse n’ait pas porté sur l’équilibre de ses comptes extérieurs, publics, étant donné que l’objectif de ce chapitre était de sortir du terrain de la « littérature » de l’histoire économique coloniale, représentée, semble-t-il dans le cas d’espèce, par Jacques Marseille.

 Jean Pierre Renaud

Humeur Tique Le Rêve de François Hollande

Humeur Tique

 Le Rêve de François Hollande !

            « J’ai fait un rêve » (Martin Luther King),dois-je l’avouer ?

            L ’Assemblée Nationale venait d’être dissoute et la droite était revenue au pouvoir.

            Ouf !  « …Et je chante les jours heureux …» (Gérard Lenorman) à l’Elysée à la manière des Présidents de la Quatrième République !