Petit exercice de critique historique ? Avec la revue Cipango

Petit exercice de critique historique ?
Ou la « contextualisation » du fait colonial ?
Cipango Cahiers d’études japonaises
Le Japon et le fait colonial  I
L’Asie du Sud-Est colonial Années 1880-1920
Année 2011

            Au fil des pages, et avant d’être en mesure de commenter les deux tomes tout à fait intéressants consacrés à l’ambitieux sujet traité, j’ai noté dans le chapitre intitulé « Critiquer le colonialisme dans le Japon d’avant 1945 » de Pierre-François Souyri, Université de Genève, une sorte de curiosité d’écriture d’histoire postcoloniale, un mélange tout à fait étrange entre histoire et prise de position politique.

            « Mais il faut quand même contextualiser le discours de Yanagi et, même si l’homme n’était pas exempt de défauts, il n’en a pas moins contribué à faire connaître une céramique largement mésestimée. Après tout, où sont les esthètes français capables de monter en Algérie un musée des arts populaires algériens ? » (page 209)

            « Contextualisons » donc un tel discours :

            Convient-il de rappeler qu’en Extrême Orient,  l’Ecole d’Extrême Orient a été créée en 1898, et installée à Hanoï en 1900, que l’Ecole Nationale des Beaux- Arts d’Alger a été créée en 1888, et la villa Abd-El-Tif en 1906, pour ne pas citer encore la création de l’Académie Malgache en  1902 ?

Jean Pierre Renaud

Humeur du jour « Adieu, veau, vache, cochon, couvée » !

« La laitière et le pot au lait »

Une fable qui se répète pour l’agriculture française ?

           Contrairement  à ce qu’écrivait La Fontaine, en moquant les « innocents », nos agriculteurs n’ont pas rêvé de châteaux en Espagne, et encore moins en Grèce, l’objet de toutes les attentions de nos gouvernants !

            Dernier plan d’aide à la Grèce : 86 milliards d’euros, alors que la France montre, avec l’Europe, son incapacité à sortir son agriculture de l’ornière !

            Hollande et ses ministres, les exécutifs européens et leurs ministres ont passé des nuits d’insomnie pour mettre un terme, provisoire ou non, à la crise grecque.

            Ont-ils fait la même chose pour l’agriculture européenne qui est un des atouts traditionnels de la plupart de nos pays ? Non !

            Comment voulez-vous que les agriculteurs de France et d’Europe aient confiance dans des institutions européennes qui ont perdu le contact de la terre, une Europe de technocrates plus à l’aise dans les antichambres et les salles de conférence climatisées que dans les écuries et les étables.

            La fable de La Fontaine a conservé toute son actualité, car c’est à croire qu’en investissant, en travaillant dur, nos agriculteurs ont rêvé, non pas de châteaux en Espagne, mais en Grèce.

            Autres châteaux ? Rêve ou cauchemar ?

            Est-ce que par hasard, avec la crise grecque, le Président n’a pas fait un exercice d’anticipation (un kriegspiel de crise comme les aiment les stratèges en chambre) : que se passerait – il, dans le cas de la France, s’il advenait qu’un coup de grisou monétaire international, une hausse des taux d’intérêt, mettait à mal les finances de la France, incapable de rembourser une dette qui dépasse largement les 2 000 milliards d’euros, et qui continue à croître inexorablement ?

A propos du Mistral, avec Le Monde, le conflit d’intérêt !

A propos du Mistral ! Dans le journal des 2 et 3 août 2015 International & Europe page 4
Une haute fonction publique en complicité avec le journal Le Monde : un vrai conflit d’intérêt !
&

            Ou pourquoi les deux détectives infatigables du journal, D et D, continueraient à se mettre en chasse des secrets de l’instruction, alors que tant de sources sont à leur discrétion ?

&

            Tout le monde connait aujourd’hui cette histoire tout à fait étrange d’un pays, qui se croit encore grand,  la France, qui hésitait à livrer à la Russie de Poutine deux beaux bâtiments de guerre, d’un pays qui viole les traités internationaux en croquant la Crimée et en attisant, sinon en alimentant, une nouvelle  guerre d’annexion en Ukraine.

            Le journal faisait donc l’annonce d’un accord, qui n’en était pas encore tout à fait un, de remboursement des deux bateaux à la Russie.

            Le gouvernement avait chargé de cette négociation un haut fonctionnaire :

            « … le secrétaire général pour la défense et la sécurité nationale Louis Gautier (par ailleurs membre du conseil de surveillance du Monde) était rentré avec une facture de plus de 1 milliard d’euros… »

            Curieuse conception de la liberté de la presse de la part de ce journal, pourfendeur de toutes les turpitudes publiques, et de la part des pouvoirs publics qui cautionnent un conflit d’intérêt, au cœur même de notre système de défense !

Jean Pierre Renaud

Avec La Croix et La Fontaine et sa « patte blanche », un exemple de bidouillage historique et culturel

Avec La Fontaine, un exemple de bidouillage historique et culturel !

Eté La Croix des 11 et 12 juillet 2015

Les expressions de La Fontaine (1/8)

« … Chaque semaine, « La Croix » vous invite à les revisiter »

Montrer patte blanche
« Le Loup, la Chèvre et le Chevreau »

           La journaliste nous trousse un gentil petit commentaire sur cette fable, mais avant tout sur l’expression « Montrer patte blanche »

         Elle nous propose une interprétation de type idéologique et anachronique qui est bien dans l’air du temps, parce qu’elle renvoie à une autre expression du grand fabuliste : « …Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés… » ( dans « Les animaux malades de la peste », une sorte de nouvelle peste idéologique et anachronique, pour le moment, plus anodine que celle décrite par Camus.
            Et pour que le lecteur comprenne bien le sens de son propos, elle l’illustre par  la citation ci-dessous de M.Metin Arditi :

         « Avant l’arrivée de populations noires, avant le délit de faciès, déjà notre « grand poète » nous inocule le poison. Montrer patte blanche… Et pourquoi pas noire, je vous prie ? Attention, danger, les fables de La Fontaine sont d’une telle élégance… L’indicible s’y glisse comme vers… dans la pomme. »

         Avez-vous bien lu : «… nous inocule le poison. »« L’indicible s’y glisse… » ?

         Diable ! Sommes-nous encore dans la littérature et dans l’histoire ?

          Je demanderais volontiers à la journaliste combien de noirs le bon La Fontaine a pu rencontrer, au XVIIème siècle, au cours de sa vie.

             Au rythme annoncé de huit épisodes, la congrégation des Assomptionnistes ( propriétaire du journal ) a du souci à se faire pour mettre à jour tous les rituels de l’Eglise catholique, apostolique, et romaine, avec comme prochain chantier, la fête de l’Assomption de la Vierge, le 15 août 2015 : plus de lumière, plus de blanc !

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique du jour: avec Tsipras et Pujadas!

Humeur Tique du jour
Avec Tsipras, la tragédie ou la comédie grecque !
Avec le journal Pujadas, sur France 2, la manipulation des médias !
         Avec Tsipras, la tragédie ou la comédie antique déroule son feuilleton quotidien, pour amuser la galerie, sans les masques du théâtre grec, car il n’en a pas besoin.

            Aux sources de la démocratie ? Ou de la démagogie ?

            D’après les médias, un non massif des Grecs au référendum Tsipras, mais les mêmes médias se sont bien gardés de publier les résultats complets du référendum, c’est-à-dire le chiffre de la participation des électeurs  au référendum, 62,5%, ce qui veut dire que moins de quatre électeurs sur dix ont voté non, ce qui n’est pas déjà si mal !.

            Dans toute cette affaire, il aurait mieux valu s’en remettre au vieux dieu Dionysos !

            Avec le journal Pujdas du 8 juillet, sur France 2, la manipulation des médias !

        M.Pujadas ouvre son journal en montrant un pauvre vieux grec en pleurs,  assis devant une banque, parce qu’il ne peut pas toucher sa retraite, naturellement modeste.

           De quoi faire pleurer en effet toute la planète, et avec le but politique manifeste d’aider les téléspectateurs à entrer en compassion avec le peuple grec !

           Mais au fait ? S’agit-il d’une histoire vraie ?

            Il y aurait en effet beaucoup, beaucoup à dire, sur les manipulations et intoxications des médias, douces ou grossières.

« Français et Africains? » Un livre de Frederick Cooper, avec Catherine Simon, dans Le Monde, sous le titre  » Citoyens de deuxième zone: le cas africain »

A propos du livre de M.Frederick Cooper intitulé « Français et Africains ?
Etre citoyen au temps de la décolonisation »
et de la critique élogieuse de la journaliste du Monde Catherine Simon,dans le journal Le Monde des 25 et 26 décembre 2014, page 23.
Titre de l’article : « Citoyens de deuxième zone : le cas africain »
« Entre 1945 et 1960, le concept de « citoyenneté » a été au cœur des questions qui agitaient les élites de l’Afrique coloniale française. Un passionnant essai de Frederick Cooper les met en lumière »

En marge : « La plupart des représentants africains n’étaient pas des nationalistes et moins encore, des indépendantistes (ou des révolutionnaires). Les débats n’en furent pas moins vifs et douloureux »

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Avec en ombre chinoise et contraire, la thèse de Mme Huillery sur le même territoire, d’après laquelle, l’homme blanc aurait été le fardeau de l’homme noir en Afrique Occidentale Française.

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La journaliste conclut sa lecture ainsi :

« Récit magistral, Français et africains ? met en lumière, comme rarement, les acteurs africains de notre histoire française. »

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Après avoir lu cet ouvrage, je serais tenté d’écrire :
« Citoyens de deuxième zone : le cas africain »
Ou Français, nouveaux citoyens de deuxième zone en Europe ?

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Comme je l’ai fait longuement sur ce blog pour l’analyse critique d’un ouvrage du même auteur intitulé « Le colonialisme en question », je me propose d’annoter ce livre et de publier ma propre lecture critique d’ici quelques mois, mais le contenu du texte même de l’éloge Simon suscite d’ores et déjà quelques réflexions de cadrage de cet objet d’histoire.

Première remarque : la question de citoyenneté fit débat, bien avant 1945, peut-être plus d’ailleurs dans les colonies, et plus particulièrement chez leurs « évolués », alors qu’en métropole, le même débat n’intéressait qu’un petit nombre de spécialistes du monde politique ou économique.

Comment dissocier en effet ce concept de citoyenneté avec celui d’assimilation, une ambition coloniale ambiguë que la France n’a jamais été capable de mettre en œuvre dans ses colonies, tellement cette ambition était éloignée de toute réalité coloniale et métropolitaine ?

Il s’agissait donc d’un vieux débat, d’un très vieux débat !

Deuxième remarque : les élites africaines, mais il serait plus juste d’écrire les minorités d’ « évolués » d’Afrique noire, n’ont été, sauf exception, ni nationalistes, ni indépendantistes, ni révolutionnaires.

Pourquoi cette absence de revendication ? Très sommairement, on pourrait répondre, par absence de sentiment national dans des colonies caractérisées encore par un patchwork religieux et culturel que la colonisation n’avait pas encore réussi à unifier en profondeur.

Avant même que le Mali ne devienne indépendant, est-ce que Modibo Keita n’avait pas déjà compris que seule la solution du parti unique apportait la garantie de survie d’un Etat qui n’était pas national, en tout cas pas encore.

Quelle conception de la citoyenneté avait donc M.Modibo Keita, et quelques-uns de ses collègues qui se sont empressés de gouverner avec des partis uniques : une citoyenneté de quelle zone, première ou seconde zone ?

Troisième remarque : à l’arrière- plan ou au premier plan de la discussion constitutionnelle et juridique qui a occupé des parlementaires ou conseillers de la métropole, avec en face d’eux, les parlementaires africains les plus « évolués » qu’étaient Senghor ou Houphouët- Boigny, il y avait au moins deux revendications qui faisaient problème, une représentation au sein des institutions de la République Française qui ne fasse pas de la France « la colonie de ses colonies », l’expression qu’avait utilisée le Président Herriot, d’une part, et d’autre part le coût financier pour la métropole d’une égalité sociale, c’est-à-dire des avantages sociaux, accordée aux nouveaux citoyens de l’Union Française.

Rappelons que le général de Gaulle avait utilisé le même type d’argument en ce qui concerne l’intégration de l’Algérie dans les institutions françaises.

Le problème du coût – Une deuxième revendication portait tout autant, sinon plus, sur les droits sociaux, avec l’incidence très lourde que la satisfaction d’une telle revendication avait sur les finances de la France, donc une solution impossible à mettre en œuvre.

Le groupe des « évolués », partisan de cette égalité sociale, exerçait une pression d’autant plus forte qu’il était constitué majoritairement de fonctionnaires et de salariés qui bénéficiaient déjà d’avantages sociaux, une minorité au sein des populations locales, notamment au Sénégal, terrain d’analyse privilégié par M.Cooper.

Quatrième remarque : la phrase « quand les premières fissures apparurent dans l’édifice impérial de la France », ne correspond pas plus aux réalités historiques de l’époque coloniale.

J’ai par exemple souvenir d’un texte de l’africaniste Delafosse où ce dernier, dans les années 1900-1920, évoquant un attentat qui venait de se produire en Indochine, ne cachait pas qu’il pourrait y en avoir un jour dans d’autres colonies.

Pour ne citer qu’un autre exemple, mais ils seraient nombreux, le gouverneur général d’Indochine Varenne évoquait déjà, et bien avant 1945, les perspectives d’évolution de l’Empire qui n’étaient pas obligatoirement celles de l’assimilation et de la citoyenneté.

Cinquième remarque : qu’entendait-on par « citoyenneté » ?

Est-ce que l’appellation de « citoyen de seconde zone » est appropriée pour caractériser l’analyse juridique et historique que propose l’historien ?

Rien n’est moins sûr, car sa démonstration vise à faire apparaître la complexité du débat constitutionnel engagé en 1945, avec une superposition et une juxtaposition de statuts politiques ou personnels qui rendaient quasiment toute solution standard et cohérente impossible.

Sixième remarque : cette analyse de type historique fait quasiment l’impasse sur l’histoire de la France, avant et après 1945, et sur l’histoire des sociétés coloniales de l’Afrique de l’ouest, une fois la conquête à peu près achevée.

Septième et dernière remarque : l’ouvrage de M.Cooper fait une impasse complète sur le volet des relations économiques et financières entre l’Afrique noire et la France, ce qui est bien dommage.

Pourquoi ne pas penser en effet, et c’est tout le sens de la critique que j’ai faite de la thèse Huillery sur ce blog, que la balance financière entre l’Afrique noire et la France n’était pas si mauvaise ou détestable pour les Africains, puisque les nouveaux dirigeants de ces pays auraient bien voulu continuer, comme avant, avec cette fois tous les droits et avantages de la citoyenneté politique et sociale.

Pour en terminer provisoirement avec cette première lecture, il conviendra de répondre à quatre questions :

La première : Africains de seconde zone ou Français de seconde zone en Europe ? Compte tenu du gouffre qui séparait les niveaux de vie de la métropole et de l’AOF, puisqu’il s’agissait d’abord de cela, même après le désastre que fut la Deuxième Guerre mondiale pour le pays.

La deuxième : la thèse de Frederick Cooper d’après laquelle les deux partenaires de cette négociation, Africains et Français, auraient eu le choix des solutions constitutionnelles et institutionnelles, est-elle pertinente sur le plan historique ?

La troisième : dans quel registre d’histoire s’inscrit ce type d’analyse, histoire centrée ou décentrée, histoire globale ou sectorielle, connectée ou déconnectée …, pour user de termes aujourd’hui à la mode ?

La quatrième : est-ce qu’en 1945, la situation d’une France détruite et ruinée par la guerre n’attestait pas du fait que ce type de débat passait largement au- dessus des préoccupations des Français ?

Nous poserons en définitive la question de savoir s’il ne s’agit pas d’une histoire hors sol, hors temps historique, c’est-à-dire d’une histoire insuffisamment « connectée ».

Jean Pierre Renaud

« A quoi résister » Panthéon L’humeur des jours Bruno Frappat

« A quoi résister »
Panthéon
« L’humeur des jours » La Chronique de Bruno Frappat dans La Croix des 6 et 7 juin 2015

J’aimerais proposer mes propres réflexions sur les sujets très variés que traite cette intéressante chronique de l’ancien directeur des journaux Le Monde et La Croix sous trois thèmes : la République et les Républicains, le Panthéon, l’acte de « résister ».

La République et les Républicains

Le chroniqueur écrit : « Annexer un nom commun pour en faire une marque déposée excluant la concurrence s’apparente à une discutable rapine. »

Est-ce le cas ? Je n’en sais rien et n’ai rien su ou entendu à ce sujet, de véritablement justifié, mais j’ai été un peu surpris, tout en regrettant que les partis politiques changent de nom pour faire oublier le rôle politique qu’ils ont pu jouer dans le passé, que cette affaire ait pris une telle proportion, alors que dans l’histoire de France, et au fur et à mesure des régimes républicains qui se sont succédé, le monde politique n’a jamais répugné à choisir cette appellation seule ou accolée.

Pourquoi ne pas rappeler que dans les premières années de la Troisième République, un certain Président du Conseil, Jules Ferry, fut un leader d’un mouvement qui se dénommait « Les Républicains », un Jules Ferry ardent défenseur tout autant de la laïcité que du colonialisme ?

Le Panthéon

L’auteur a salué à juste titre la « panthéonisation de quatre résistants et résistantes… et apprécié le discours du Chef de l’Etat : « Chapeau quand même »

Très bien, mais ne s’agit-il pas d’une autre forme de « rapine » républicaine de la part d’un Président qui s’est emparé de l’exaltation de la République, en oubliant que la Résistance n’a pas été de droite ou de gauche, que la République est autant de droite que de gauche, et qu’après les manifestations consensuelles qui ont suivi les attentats de janvier 2015, le Président n’a pris aucune initiative pour faire vivre un consensus politique nécessaire au redressement du pays ?

A mes yeux donc, et tout autant, la manifestation d’un Président qui décide de tout, et qui se comporte beaucoup plus en monarque qu’en président républicain !

Résister, oui, mais à quoi ?

Monsieur Frappat évoque tour à tour une série de situations au sein desquelles il est possible de se poser la question de savoir à quoi il faut résister, au risque de perdre de vue l’ordre de gravité des enjeux à relever, car il est exclu de mettre sur le même plan tous les « non », quels qu’ils soient.

Le chroniqueur écrit : « Est-ce héroïque de résister à tout cela ? A l’emprise du fric, vrai maître de l’époque ? Incomparables, les combats d’aujourd’hui par rapport à ceux de la résistance avec un grand R. Pas les mêmes enjeux, mais ces « faits de résistance » ont le mérite d’être à notre portée, petite, médiocre pour le coup. Au total, la résistance aux tentations devrait être une grande cause nationale pour les années à venir… »

Cette assimilation conceptuelle de tous les enjeux énumérés par l’auteur les banalise à tort, alors qu’il ne s’agit pas du tout de la même chose, lorsqu’il s’agit de prendre le risque de la torture et de la mort pour les siens ou pour soi-même, une carrière brisée pour les élus ou hauts fonctionnaires qui auraient dit non à la corruption du système chiraquien, au cours d’une période que l’auteur de cette chronique a bien connue.

Dire non dans un contexte de paix et sans risque personnel et familial n’a rien à voir avec un non dans la situation qui était celle des quatre résistants, les deux hommes et deux femmes qui ont été « panthéonisés ».

Ma réponse personnelle à la question « A quoi résister » sera simple, sur le thème, d’une vraie cause nationale :

  • résister à l’entreprise continue de désinformation et d’intoxication sur l’histoire coloniale de la France, d’autoflagellation nationale permanente, en feignant d’oublier l’histoire de toutes les dictatures de la planète, anciennes ou récentes, sous couvert de repentance et d’assistance ad vitam aeternam,
  • résister à toutes les initiatives clandestines ou affichées d’atteinte à une des grandes conquêtes de la République Française, la laïcité de nos institutions, garante de nos libertés et de la paix civile.

La démocratie française comme les autres grandes démocraties du monde ont non seulement à résister contre toutes les tentatives de destruction venant de l’islam radical, mais à porter le fer au cœur même de cette nouvelle barbarie religieuse.

Jean Pierre Renaud

Le film « Le labyrinthe du silence »

Le film « Le labyrinthe du silence » de Guilio Ricciarelli

Durée 2 heures 03, une durée de nature à inquiéter un spectateur, compte tenu du sujet, et bien non, le film déroule son sujet, difficile, comme un polar.

Pourquoi ce film a un grand intérêt ? Tout autant sur le plan historique que sur le plan de la morale publique et privée des citoyens et autorités qui exercent un pouvoir ?

Dans l’Allemagne de l’Ouest de l’après- guerre, en 1958, et donc avant la chute du mur de Berlin, un jeune procureur a l’ambition de traduire en justice des officiers nazis qui ont commis des crimes de guerre dans le camp de concentration d’Auschwitz.

Le jeune procureur y réussit en dépit de toutes les oppositions rencontrées.

Sur le plan historique : il est encore très difficile de comprendre comment la nation allemande, ou pour le moins une grande partie de son élite, a pu cautionner un régime dictatorial qui a légitimé l’extermination de populations au moyen des camps de concentration et des fours crématoires.

Car peu nombreux ont été les exemples de désobéissance et de révolte !

Le film montre bien que longtemps après, l’Allemagne a refusé la vérité, et qu’il a fallu beaucoup de persévérance pour que la justice accepte de poursuivre et de condamner les quelques bourreaux survivants.

Les explications qui sont proposées après coup sont nombreuses, mais en dehors de toute intoxication idéologique ou politique, et compte tenu du rouleau compresseur de la propagande hitlérienne et de ses très nombreux instruments de contrôle, reconnaissons qu’il fallait du courage, beaucoup de courage pour oser défier les organes de la dictature hitlérienne, au risque d’être fusillé ou d’aller soi-même dans un camp d’extermination.

Dans tous les régimes totalitaires, qu’il s’agisse de l’URSS ou de la Chine, toute révolte ou refus d’obéissance se fit au risque de sa vie et de celle de ses proches.

La France de l’Occupation connut le même type de problématique, surtout après 1942, lorsqu’il fut de plus en plus clair que le régime de Pétain s’était rallié au régime hitlérien.

Cette année, de nombreux documentaires ont été diffusés sur ces sujets et montré les risques que les plus courageux des Français et des Françaises ont pris pour lutter contre l’occupant.

Sur le plan de la morale publique et privée :

Deux exemples de nature tout à fait différente pour bien comprendre les enjeux de l’obéissance aux ordres ou à la loi, pour ne pas parler de la servilité, car il est évidemment impossible de mettre sur le même plan un « non » en état de guerre et un « non » en état de paix.

La guerre d’Algérie ou l’obéissance aux armées : les limites d’une obéissance imposée aux soldats, sous-officiers et officiers, sous le précepte bien connu de « La discipline fait la force des armées », la discipline jusqu’à quel point ? Fusse en commettant un crime de guerre ? Comme il en fut commis ?

Il est évident que dans toute guerre, comme ce fut le cas en Algérie, mais pas dans tous les secteurs, ni tout au long de la période, les affrontements furent souvent d’une telle violence dans les deux camps, qu’il pouvait être difficile d’empêcher ce qu’on dénommait gentiment de « bavure ».

Au cours de cette guerre civile et fratricide, beaucoup plus d’officiers ou de sous-officiers qu’on ne dit ou écrit, ont refusé toute « bavure ».

L’amnistie des crimes de guerre dans les deux camps fut un erreur que nous payons encore de nos jours en donnant du grain à moudre à une histoire postcoloniale de type idéologique.

Au service de l’Etat : le service de l’Etat créée des situations où l’on peut se trouver confronté au problème de l’obéissance aux ordres, conformes ou non à la loi, mais dans des conditions de tension et de gravité qui n’ont pas grand-chose à voir avec celles d’une guerre.

Je me souviens d’une déclaration de M.Jospin faite dans les années 2000 qui invitait les fonctionnaires à dénoncer auprès des juges les cas de violation de la loi par telle ou telle autorité publique, en vertu d’un article 40 qui était alors une nouveauté.

Pourquoi ne pas dire tout simplement, que cela revenait sans doute, et tout d’abord, à dire non à son ou ses supérieurs, en prenant le risque de voir sa carrière brisée ?

Dans les années 1980-1990, y-a-t-il eu des élus de droite ou de gauche, ou des hauts fonctionnaires témoins de la corruption engendrée par le système chiraquien, un mélange des genres entre le RPR et la Ville de Paris (emplois fictifs très nombreux et marchés truqués), qui l’ont dénoncée ?

Il faut donc avoir un certain courage, pour ne pas dire du courage, pour dire non, sauf à le faire, comme certains élus ou fonctionnaires, de façon anonyme.

On voit bien que dans ce type de situation au fond confortable, où on ne risque pas sa vie ou celle de ses proches, le saut n’est pas toujours facile.

Jean Pierre Renaud

« Situations coloniales », avec le regard de voyageurs romanciers et géographes – 4ème Partie

« Situations coloniales » d’Afrique ou d’Asie, avec le regard de voyageurs romanciers et géographes

Années 1905- 1931

La 3ème Partie a été publiée le 2 juin 2015

4ème Partie

II – Les scènes coloniales

« Noirs et Blancs » A travers l’Afrique nouvelle –De Dakar au Cap de Jacques Weulersse (1931)

A la différence des récits précédents, œuvres romanesques ou reportages de presse, ce dernier reportage était le fruit d’un travail de spécialiste, d’un esprit formé à l’observation, celle d’un géographe.

Avec Jacques Weulersse, nous parcourons les scènes de l’Afrique coloniale des années 30, et nous en découvrons à la fois l’extrême variété, les inégalités phénoménales de richesse et de développement qui existaient déjà entre le Soudan français, la Nigéria du nord avec la grande ville qu’était déjà Kano à plus de mille kilomètres de la côte, et l’explosion minière, industrielle, et urbaine qui affectait l’Afrique centrale belge et sud-africaine, déjà un autre monde.

Jacques Weulersse donnait également la parole aux acteurs de la scène coloniale française, anglaise ou belge, et ces conversations illustraient clairement les conceptions très différentes des colonisateurs.

Au Soudan 17 février, faute d’autres acteurs, le géographe rencontrait inévitablement un « Commandant », à l’exemple d’un de ses prédécesseurs, Albert Londres.

Le géographe décrivait les écoles et les routes et faisait écho au propos du « Commandant » :

« Vous passez ici ; vous avez votre auto, les routes sont bonnes, larges et sûres. Aux Arrêts, vous parlez savamment politique ou économie, droit de vote, écoles, arachides ; coton, voies ferrées, mise en valeur, rendements à l’hectare, amélioration du cheptel et le reste. Mais tout cela n’est qu’un placage d’Europe. Le vrai Soudan, vous venez de le voir. Votre impeccable chauffeur et mon digne interprète, tous deux j’en suis sûr, bien qu’ils ne l’avoueraient pour rien au monde, sont là-bas dans la foule qui délire au son des tambours. Ce n’est pas en vingt ans que l’on change l’âme d’un peuple. Allez, la vieille Afrique Noire demeure, et pour longtemps encore. Terre légendaire des sortilèges meurtriers et des charmes irrésistibles, elle garde bien son peuple. » (p,23)

La forêtà Bouaké, 23 février, en Côte d’Ivoire, le propos d’un industriel, l’un des premiers d’une espèce plutôt rare :

« Trois camps de partenaires : les colons blancs, les chefs noirs, et les pauvres diables de nègres ; un arbitre : l’administration ; et pour théâtre, l’obscure forêt, l’étincelante lagune, ou la brousse, tour à tour marais verdoyant ou savane poudreuse…. »

A titre d’’exemple, la production d’arachide, ou ce qui se passait :

« Vient la récolte : le chef à nouveau sert d’intermédiaire. La tentation est trop forte : il se mue en trafiquant ; c’est lui qui vend la récolte, empoche l’argent. Bien peu en revient au malheureux cultivateur, qui n’ose se plaindre : n’est-ce pas pour la « part du Blanc » qu’il a travaillé ? Et la « part du Blanc » fut- elle jamais payée ? Quant aux chefs, s’ils sont habiles, ils peuvent bientôt « gagner camion ». Comme l’appétit vient en mangeant, les voilà tout prêts à recommencer de plus belle l’année suivante, à exiger de leurs « sujets » de nouveaux et plus lourds travaux, toujours sous le même terrible prétexte : « ordre du Commandant », « part du Blanc ».

La production augmente, les affaires marchent, le « Commandant » reçoit de l’avancement, et nos journaux coloniaux triomphent ; mais, par un singulier retour des choses, c’est bien une sorte de servage économique que nous rétablissons, le servage que nous étions venus abolir…(p,28)

Le géographe passait sur « LA CÔTE DES ESCLAVES », par Porto Novo, pour se rendre en Nigéria, la grande colonie anglaise, une cité côtière anémique comparée à la grande cité de Lagos qu’il décrivait :

« Voici maintenant le large pont qui enjambe la lagune et unit Lagos à ses annexes : Ido terminus de la voie ferrée ; Ebutte- Meta sur la terre ferme, avec ses usines et ses grands ateliers ; Agapa le port en eau profonde. Plus un seul Blanc ici : du maigre mendiant assis dans la poussière et absorbé par le soin de sa vermine, au gros marchand roulant auto, absorbé par ses affaires, tout est nègre 100 p.100. Et pour la première fois, je vois se dessiner l’image d’une cité noire, non plus d’une cité du passé comme Abomey ou Tombouctou, mais d’une métropole de l’avenir, où le Noir maître de ses destinées, aurait adopté notre civilisation à son génie propre, à son climat, à son pays. » (p,57)

Le géographe se rendait alors à Kano la grande capitale d’un des Etats musulmans du nord de la colonie, en passant par Ibadan, où il faisait partager ses conversations sur la colonisation anglaise comparée à la française, dans le chapitre intitulé « Ibadan et la colonisation anglaise »

15 heures, Ibadan. – Mr B…, haut fonctionnaire anglais m’emmène dans sa voiture à travers la ville… la découverte de la ville, la cité anglaise, la cité indigène :

« A l’autre bout de la cité indigène, champ de courses, golf, terrains de cricket et de tennis, sports sacrés de la race que l’Anglais emporte religieusement partout avec lui, comme le Romain ses dieux tutélaires, pour y sacrifier journellement en tous lieux… Tout ce qu’Ibadan compte de hauts fonctionnaires est là, jambes, bras et têtes nues malgré l’ardeur du soleil – mais 5 heures ont sonné !-… »

A la même heure à Porto Novo, Abidjan, Bamako. – Sur la véranda, devant les grands verres d’apéritifs, cancans, médisances et théories vont leur train ; l’on parle, l’on discute, l’on s’échauffe… On parle des voisins, des rivaux, des anglais : « Ce sont de grands enfants… Ils n’ont point de cerveaux, des muscles seulement… « (p,63)

Kano ou les Emirats musulmans, 29 mars

« Kano, capitale de l’émirat du même nom, et terminus du chemin de fer, à plus de 1 100 kilomètres de Lagos, bien que faisant partie de la Nigéria anglaise, possède un « Campement français ». C’est par là que passent les fonctionnaires de notre colonie du Niger : Zinder est à quelques heures d’auto de Kano lui-même, par les trains express, n’est qu’à quarante- deux heures de Lagos. C’est donc un voyage facile, comparé à celui qu’il faudrait faire à l’intérieur du Dahomey. Le gouvernement anglais nous a même permis des transports militaires, et c’est l’autorité militaire française qui dirige le « Camp ». – Entre des murs bas, une vaste cour sans arbres, brûlée de soleil ; tout autour, de pauvres bâtisses en banco » (boue et boue séchée), une série d’alvéoles monacales ; pour tout mobilier, un lit de sangle, une table, une chaise, le tout boiteux ; une porte qui ne ferme pas ; sol de terre battue, couverture de tôle ondulée, qui crisse et ferraille sans fin sous les serres de vautours sans nombre ; et 40 ° de chaleur la nuit comme le jour, car les matériaux et le style choisis réalisent à merveille l’idéal du « four à soleil ».

A quelque distance, de larges avenues, de gais bungalows, des arbres, de l’ombre de la fraicheur : c’est le quartier des officiels anglais. » (p,70)

Kano, dimanche de Pâques…

« Mais Tombouctou, n’est plus que l’ombre d’un grand nom ; Marrakech, Tripoli et Khartoum ont perdu leur mystère : Kano reste elle-même. Grâce à son isolement et de par la politique anglaise ; elle a gardé ses lois, ses rites et sa puissance ; son émir règne sur plus de 2 millions de sujets, et ses fauves murailles en interdisent encore le séjour à tout infidèle.

Kano est une des forteresses de l’Islam… » (p,72)

Le géographe décrivait cette immense cité, son marché, son quartier aristocratique, la ville indigène et rapportait la conversation qu’il avait eue avec le « District Officer », adjoint au Résident :

« Notre politique ici fut simple, extraordinairement simple : ne pas toucher aux organismes indigènes, les laisser faire, disparaître derrière eux, suggérer plutôt qu’ordonner ; faire administrer, mais ne pas administrer nous-même. Economie d’hommes et d’argent : la province de Kano possède plus de 2 300 000 habitants et vous pouvez compter les fonctionnaires anglais presque sur vos doigts… Surtout, nous avons rejeté le mythe dangereux de l’assimilation. Nous nous refusons à apprendre notre langue aux indigènes… Nous nous refusons à en faire des singes d’européens…. Ici, nous avons été des conservateurs, et pourtant regardez, ajouta-t-il en m’entrainant vers la véranda, nous avons créé cela. »

Sous mes yeux, au cœur du Soudan, c’est le calme confortable du quartier officiel, une grande gare de marchandises encombrée de wagons, tout un quartier commerçant avec ses factoreries, ses entrepôts et ses camions. »

Commentaire et parenthèse historique :

Un premier commentaire entre la scène coloniale de la Nigéria du nord et le Soudan ou le Niger français de la même époque : aucune des capitales de ces deux colonies, Bamako ou Niamey, ne soutenait la comparaison avec Kano, aussi bien dans leur rayonnement culturel que dans la modernité qui était à présent celle de la capitale de l’émirat.

Un deuxième commentaire : la gestion de l’émirat de Kano illustrait bien le modèle de gestion indirecte, l’« l’indirect rule » que prônait Lugard, et que nous avons déjà analysé dans d’autres textes.

Une parenthèse historique que nous renvoyons en fin d’analyse sur la situation étrange de ce fameux « Camp » de transit français vers Zinder, le témoin historique, pour ne pas dire l’échec d’une politique coloniale qui avait l’ambition de tracer une ligne continue entre le Niger et le Tchad, qu’un accord franco-anglais de 1890 avait entériné, c’est-à-dire l’impossibilité pour la France de disposer d’une ligne de communication sécurisée et viable entre les deux territoires.

Dans le livre « Confessions d’un officier des troupes coloniales » (chapitres 22 et 23), que nous avons consacré au colonel Péroz, nous avons analysé longuement ce type de sujet, car cet officier fut un des grands acteurs de cet épisode de notre histoire coloniale.

Le géographe en Afrique Centrale

L’Afrique basculait dans un autre monde, celui d’un capitalisme cosmopolite et sauvage, une sorte de répétition du premier âge du capitalisme européen de la fin du dix-neuvième siècle.

C’est sans doute dans la deuxième partie du voyage que se marquait véritablement la coupure, le fossé qui existait entre le stade de développement de l’Afrique de l’ouest et celui de l’Afrique centrale et du sud, car le lecteur entrait alors dans un autre monde, celui d’un capitalisme sauvage, cosmopolite qui faisait surgir de terre cités nouvelles, usines, mais aussi des « camps » de travail.

Le géographe passait tout d’abord par le chantier du Congo Océan, toujours en cours, et ne pouvait que confirmer les observations d’Albert Londres :

Le Directeur du chantier :

« Que voulez-vous ! Nous sommes ici les maîtres. Il faut tirer quelque chose de ce pays ; ou bien l’abandonner, en plaquant sur toute l’A.E.F un grand écriteau avec « Pays à vendre ou à louer ».

Pourquoi travailler ici ? Vous souvenez-vous de Tacite dépeignant les horreurs de la forêt Hercynienne avec ses marais infranchissables, son silence et sa sinistre horreur qui glaçait les légions ? C’est là que s’élèvent Berlin et l’Allée des Tilleuls, « Unter den Linden », dont je vous parlais tout à l’heure…

Cela vaut-il les cadavres que nous accumulons ? Je ne veux point juger. Le portage aussi en a semé pas mal tout le long des pistes africaines. Et ce qu’il y avait avant notre arrivée ne valait pas mieux : guerres, razzias, famine chronique, anthropophagie, et par-dessus tout cela, la terreur sans nom des superstitions et des féticheurs. Il n’y a pas bien longtemps encore, dans un poste voisin, cinq de nos miliciens ont été proprement tués et mangés par ces bons sauvages. » (p,107)

Le géographe plongeait alors dans le nouvel univers de l’industrie minière et de l’explosion urbaine du Kassaï.

A Tchikapa« une vraie ville », au Kassaï, il faisait alors connaissance avec la toute-puissance de la Forminière et ses mines de diamant.

« Une lourde croupe herbeuse vient mourir au confluent. En face, sur la hauteur, les baraques de la « Forminière » – Société internationale forestière et minière du Congo – type achevé de ces puissantes organisations capitalistes qui ont fait le Congo Belge. Tout le long de la grande allée de manguiers s’échelonnent les maisons des agents blancs, vastes, solides, entourées de jardins. Plus bas, massifs, les bureaux puis les ateliers, les magasins, l’atelier de piquage des diamants, et tout en bas, au bord du fleuve, la Centrale électrique. Sur l’autre rive, les campements des travailleurs indigènes, où s’allument déjà les feux du soir. Devant ma porte, c’est un défilé de boys, d’ouvriers, de camions, de voitures.

L’ingénieur qui me pilotera demain sourit de mon étonnement. N’est-ce point là un spectacle un peu imprévu, au cœur de l’Afrique Centrale, en cette province ignorée qui s’appelle le Kassaï ?…Travailler dans de pareilles conditions suppose une masse de capitaux extraordinaire ; et pour les attirer, des conditions extraordinaires elles aussi, des privilèges quasi régaliens. Ici, la Forminière est presque souveraine. Nul ne peut entrer sur son territoire sans une autorisation écrite ; elle a ses frontières, sa flotte, ses routes, son chemin de fer, sa main d’œuvre, j’allais presque dire ses sujets.

Tout lui appartient, depuis le champ d’aviation sur lequel vous avez atterri jusqu’à l’assiette dans laquelle on vous servira tout à l’heure ; jusqu’au bœuf même que vous y mangerez. Car il a fallu créer des fermes pour nourrir tout le personnel : songez que la compagnie emploie plus de 15 000 Noirs, et plus de 200 agents européens. Le vieux Léopold n’a pas craint de faire appel à l’étranger : les capitaux sont américains, et les hommes de toutes les nationalités….

De Tchikapa à la frontière portugaise de l’Angola, sur plus de 100 kilomètres, s’étend le domaine de la Forminière… » (p,116,117)

A Kamina, au Katanga, autre province du Congo Belge, où règne une autre puissance capitaliste, l’Union Minière.

A travers le Katanga, au pays du cuivre

Dilolo, 29 mai

Sur le chantier du « Leokadi », la nouvelle ligne de chemin de fer Elisabethville-Lobito, en Angola portugaise, sur la côte atlantique :

« Vous avez vu la ville de Dilolo-Gare, me dit A…, directeur des travaux, ses résidences, ses bureaux, sa Centrale électrique, sa glacière, son hôpital, ses avenues, ses jardins, son potager. Il y a moins de trois mois, jour pour jour, c’était la forêt et le marécage, sauvages comme aux premiers jours du monde.

« Regardez la gare : il y a vingt- cinq jours seulement que le premier coup de pioche fut donné.

  • Sur le Congo Océan, quelle est la vitesse d’avancement de la ligne ?
  • Au Mayombé, il y a des tunnels à creuser. Mais du Côté Brazzaville – Mindouli, l’on compte bien 25, 30 kilomètres par an.
  • Ici nous faisons déjà du 30 km par mois et nous espérons faire mieux…

-Les méthodes belges, dis-je…

  • Le Katanga entre dans la civilisation en 1900, avec la création du fameux C.S.K. « Comité Spécial du Katanga _ auquel le Roi-Souverain abandonnait pour dix ans tous ses droits avec des pouvoirs illimités sur tout le territoire. C’était une tâche d’Empire confiée audacieusement à des particuliers : ils découvrirent le cuivre.

C’est alors, en 1906, que Léopold conçut et mit sur pied, coup sur coup, les trois grandes sociétés qui ont fait le Congo Belge : la B.C.K (Chemin de fer du Bas-Congo- Katanga), l’U.M.H.R. (Union Minière du Haut Katanga) et la Forminière… « (p,145)

Commentaire les propos rapportés sont un raccourci de deux histoires coloniales comparées, mais un raccourci un peu rapide qui fait l’impasse sur les origines du fameux Congo Belge, sur les ressources et communications naturelles comparées des deux Congo, français et belge, mais la tonalité générale n’est pas dénuée de fondement.

Au Katanga ; à Elisabethville, 4 juin, le propos de son hôte, un compatriote :

« La capitale du Katanga : un vaste damier régulier d’avenues poudreuses s’allongent dans la brousse ; des bungalows bas, au milieu de jardins poussiéreux, sous un ciel d’un bleu sombre, net de toute brumes. Des banques, des magasins de luxe aux somptueuses vitrines, de larges cafés, des autos innombrables, des bâtiments qui sortent de terre, des gens qui se hâtent malgré le soleil, des femmes en toilette claire, et dans l’air sec, l’on ne sait quelle ardeur, quelle fièvre d’action…

C’est du Sud immédiat, de l’Union Sud-Africaine et de la Rhodésie, que vinrent les capitaux et les hommes, l’audace et l’expérience.

Dans toute l’Afrique australe, la colonisation s’est faite « northwards » ; après Kimberley, Joh’burg ; après Joh’burg, la Rhodesia ; après la Rhodesia, le Katanga. Si paradoxal que ce soit, d’ici le plus court chemin vers l’Europe passe encore par Cape Town, à cinq jours de rail et à 22° de latitude de plus vers le pôle…

Pourtant, E’ville reste encore la cité-champignon, création commune de toutes les races, unis seulement par la fièvre de la fortune et l’orgueil du succès. En 1910, il n’y avait ici que la savane, les moustiques et les tsétsés ; en 1910, il n’y avait pas soixante Blancs dans le Katanga ; aujourd’hui, nous sommes plus de 8 000…

La création soudaine d’une gigantesque industrie dans un pays reculé, peuplé de primitifs, pose d’angoissants problèmes. La question de la main d’œuvre prime toutes les autres… il faut à tout prix du travail noir, et chaque jour davantage. Mais le recrutement intense – vous l’avez vu se développer le long de toutes les pistes – dissocie la vie indigène ; les villages se désagrègent, les antiques coutumes périssent…

Et, par une singulière contradiction, au moment où l’on impose aux Noirs l’effrayant fardeau de notre civilisation matérielle, on les prétend incapables de participer jamais à notre civilisation morale… » (p,161)

Commentaire : en parcourant ces extraits de textes, le lecteur aura déjà pu prendre la mesure des écarts de « modernité » qui pouvaient exister dans l’Afrique des années 30, avec la naissance d’un nouveau monde en Afrique centrale, des villes sorties de terre et de la forêt, la création de voies de communication routières ou ferrées, tout en constatant aussi que le choc de cette nouvelle colonisation bouleversait complètement les sociétés traditionnelles, en même temps qu’il s’accompagnait de nouvelles formes d’esclavage.

Et le géographe de prendre le train pour aller d’Elisabethville à Johannesburg :

Johannesburg, 22 juin

« Hier au soir le soleil se couchait sauvage et splendide, sur les solitudes violettes du Kalahari : il se lève aujourd’hui, sombre et comme ennuyé de naître dans une atmosphère de fumées et de poussières, au milieu de monstrueux buildings. Le long des rues, trop étroites déjà, les gratte-ciel en ciment se pressent, s’escaladent les uns les autres. Ecrasés sous leur masse, de vieilles maisons surannées, à un ou deux étages, aux balcons de fer forgé, aux murs de brique, aux toits à pignons, répliques coloniales des cottages anglais, disparaissent presque, vestiges précaires d’un temps révolu, d’un autre monde, d’il y a vingt ans ! Partout, aux portes des buildings, aux fenêtres des « bureaux », sur les panneaux-réclame, flamboient les mots fatidiques : « Mines », « Or », « Diamants ». Pour la première fois, voici donc matérialisés ces noms fameux, symboles de fabuleuses richesses : « De Beers », « Crown-Mines », « Langstate Estate », « East-Rand », « Randfontein », « Jagersfontein » »… Et vivante image de la cité, l’affiche du « Cinquantenaire » dresse sur les murs son accumulation de gratte-ciels géants sur fond rouge, commeson ciel à cette heure, avec l’orgueilleuse devise : « Fifty years ago bare veldt, now world –famous ».

Johannesbourg est la vraie capitale de l’Union….

« Joh’burg, me dit mon hôte, est devenue une ville, mais elle a gardé l’âme qu’elle avait quand je l’ai connue, l’âme d’un camp de chercheurs d’or, avec son égoïsme sacré, et sa loi d’airain envers les faibles. Sous vos yeux trois cités, trois castes. Ici, les riches, les maîtres ; là, les ouvriers blancs ; et enfin, là-bas, les Noirs « (p,177)

En 1922, les ouvriers blancs se sont révoltés contre les riches, mais :

  • Une telle masse de main-d’œuvre à vil prix était une menace constante pour les travailleurs blancs, qui jouissent ici de salaires exorbitants, inconnus même en Amérique. On inventa alors la « Barrière de couleur », la « Colour Bar ». C’est une règle qui réserve aux ouvriers blancs, et aux blancs seuls, tous les travaux qualifiés. » (p,178)

Dans les pages qui suivent, Jacques Weuleursse faisait une description apocalyptique du système de main d’œuvre confié à la W.N.LA, la « Watersrand Native Labour Association » qui avait le monopole du recrutement des Noirs, de leur confinement dans des camps de travail, les « compound-prisons », de leur misère, et des ravages de la « détribalisation ».

Le géographe consacrait alors quelques pages, une sorte de contre-point,à la situation du Lessouto (Bassoutouland) qui avait réussi à conserver ses coutumes, grâce notamment à l’influence de missionnaires, et où, à la différence de l’UnionSud-africaine, les Blancs n’étaient pas les maîtres.

Le reportage se terminait à Durban, capitale du Natal, un des quatre territoires de l’Union, un Etat qui comptait un nombre important d’Indiens (175 000).

Le géographe visitait la ville et notait, comme ailleurs dans l’Union, que la ségrégation imprégnait toute la société,notamment la ségrégation urbaine :

  • Mais derrière la colline, sur le versant qui regarde l’Afrique, c’est l’envers du bonheur. De sinistres baraques en ciment nu alignent leurs étages d’alvéoles… les compounds nègres… » (p,231)

Le récit du reportage s’achevait avec l’évocation de Gandhi :

« Et comment oublier que c’est sur cette terre, en cette ville, que résonna pour la première fois la voix qui devait ébranler l’Inde… » (p, 237)

« Une histoire birmane » de George Orwell (1926)

Il s’agit d’un roman qui n’a rien à voir avec les romans d’aventure de Rudyard Kipling, tels que « Kim » ou« Le livre de la jungle » qui plongent le lecteur dans l’univers féerique de l’Empire des Indes, c’est-à-dire l’Inde elle-même, à la découverte de ce continent, de ses mœurs et religions, et naturellement à la gloire de l’impérialisme britannique.

Le récit d’Orwell se déroule dans une colonie subordonnée des Indes, celle de Birmanie, et plus précisément en Haute Birmanie, et prend pour décor la vie coloniale d’un des postes de cette région, celui de Kyaut-hada, mais plus précisément celle de son « Club » qu’animait un petit cercle d’européens fonctionnaires ou chefs d’entreprise, moins de dix.

L’auteur y décrivait l’envers du décor colonial anglais, dont le Club était l’élément essentiel et qui s’était toujours gardé jusque-là d’accueillir un membre birman.

« Dans chacune des villes de l’Inde, le Club européen est la citadelle spirituelle, le siège de la puissance anglaise, le nirvana où les fonctionnaires et les nababs indigènes rêvent de pénétrer. Le Club de Kyaut-hada était le plus fermé de tous, car il était pratiquement le seul en Birmanie à pouvoir s’enorgueillir de n’avoir jamais admis un Oriental parmi ses membres. » (p,23)

Tout dans un Club respirait l’air de l’Empire britannique, le bâtiment avec son bar, ses salles de réunion, ses journaux anglais, son rythme de vie collective à partir de la fin de l’après-midi, un environnement soigneusement entretenu de terrains de tennis ou de golf, au cœur d’un quartier résidentiel jalousement préservé le long d’un « maiden ».

C’est l’histoire d’un marchand de bois, Flory, qui voudrait faire entrer au Club, « le véritable centre de la ville » (p,231) son ami le docteur birman Veraswami, « ce sale petit nègre de docteur » (p,31), mais qui rencontre toutes sortes de difficultés pour y réussir, un complot ourdi par un rival birman du médecin, U Po Kyin, et l’opposition farouche des autres membres du Club.

Au cours du récit, Flory faisait part à son ami médecin du dégoût qu’il éprouvait à l’endroit de l’Empire britannique : « L’empire des Indes est un despotisme qui a le vol pour finalité » (p,91)

« C’était le monde renversé, car l’Anglais se montrait violemment antianglais et l’Indien, farouchement loyaliste. » (p,53) …« Nous sommes des voleurs » (p,53… « Mais nous ne civilisons pas les Birmans : nous ne faisons que les contaminer. » (p,59)

Flory, entretenait une petite maîtresse birmane qu’il avait achetée à ses parents.

Arrive de façon tout à fait inattendue la nièce d’un couple du Club, Elisabeth, qui devient rapidement un enjeu mortel pour Flory : comment se débarrasser de la petite maîtresse ? Comment ensuite rivaliser avec un bel officier de cavalerie anglais, Verral, venu occuper un poste dans la police militaire du lieu, et fils de pair, excusez du peu, et donc classé immédiatement comme « L’Honorable » Verrall.

Un autre personnage figurait aussi comme un rival potentiel, le Commissaire Adjoint Macgrégor.

Le fonctionnaire birman subordonné U Po Kyin voulait à tout prix écarter le docteur de son chemin et entrer dans ce fameux Club. Il continua à ourdir son complot contre le médecin, et réussit à monter de toutes pièces une révolte indigène au cours de laquelle Flory joua un rôle héroïque qui ne suffit toutefois pas à lui faire gagner le cœur d’Elisabeth.

Il finit par se suicider.

Ce roman est intéressant parce qu’il met en scène des personnages dans une sorte d’alcôve coloniale, pour ne pas dire une serre coloniale où il fait effectivement très chaud, ce « Club » de la Haute Birmanie strictement fermé, raciste, et typiquement anglais.

Une sorte de modèle réduit de la société coloniale britannique !

Jean Pierre Renaud

PS: Les tribulations coloniales de la France entre Niger et Tchad

Avec le colonel Péroz (années 1900-1901), dans « Confessions d’un officier des troupes coloniales » (Chapitre 22,« Le colonel à la tête du 3ème Territoire Niger Tchad (1900-1901) », page 267)

Dans les extraits de texte tirés du voyage du géographe Weulersse, et à l’occasion de son passage dans l’Emirat de Kano, au nord de la Nigéria, et à Kano même, nous avons noté la particularité de l’existence d’un camp de transit le « Camp » qui accueillait les fonctionnaires français en route pour Zinder, dans la colonie française du Niger.

Cette situation illustrait parfaitement la sorte de curiosité coloniale que l’expansion coloniale de la France entre Niger et Tchad avait créée dans ce territoire colonial, mieux desservi par la ligne de chemin de fer Lagos Kano que par les pistes qui reliaient la capitale de la colonie du Niger, Niamey, à la capitale du Tchad, Fort Lamy.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés