« La Parole de la France ? -Conclusion Deuxième partie et fin

Déposition du général Gracieux,  Audience du 19 mai 1962 (page345)

            Le nom du général Gracieux me rappelle évidemment deux souvenirs :

     – l’Opération Jumelles en Petite et Grande  Kabylie, au cours de l’été 1959 : il commandait les troupes de cette grande opération et après le parachutage de ses hommes, il avait implanté son PC à la cote 1621, eu dessus de la forêt d’Akfadou qui jouxtait la SAS de Vieux Marché, sur un des contreforts du massif de Djurdjura. – Cette grande opération fut un des succès militaires de la pacification, J’ai déjà rappelé ce souvenir plus haut.

            – le témoignage des officiers de Chasseurs Alpins qui furent invités à un briefing du général Crépin Commandant en Chef, le  14 ou 15 juillet 1960, en mission d’inspection dans mon secteur militaire.

            Les échos de son passage laissaient croire encore aux officiers que la France continuait à défendre ses couleurs en Algérie.

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       M. le général Gracieux. – «  Les liens qui m’attachent au général Salan sont en effet très anciens. J’ai connu le le général Salan en 1937, au ministère des Colonies. Je l’ai connu ensuite à Dakar en 1941-1942, à Alger en 1943, et c’est à partir de 1944 que ma carrière s’est faite, si je puis dire, à l’ombre de celle du général Salan et sous sa houlette.

            En 1944 en effet, je suis parti comme chef d’état- major du 6°R.T.F que commandait le général Salan, régiment formé en Algérie, mixte, Sénégalais et en grande partie un personnel pris parmi les réservistes de l’Afrique du Nord, d’Algérie particulièrement.

            Le colonel Salan, si en tant qu’inférieur, je puis me permettre de le juger, a été un chef de corps remarquable en tant que conducteur d’hommes. Je puis dire que nous l’aurions suivi n’importe où et de fait je pense que nous l’avons suivi dans beaucoup d’endroits. Je voudrais y insister, quand je dis nous, je je ne parle pas des officiers de l’état-major seulement, je parle de tout son régiment. Le colonel Salan était réputé, soit dans les périodes d’action, soit dans les périodes de repos, pour être au plus près de la troupe, sans aucun geste théâtral, sans aucun geste de démagogie, mais toujours présent là où il fallait. »

            Le témoin expose comment sa carrière a été liée souvent à celle du général Salan et qu’il l’a toujours vu tant en Indochine qu’ailleurs attaché à rester dans le cadre des directives qui lui étaient  données.

            M. le général Gracieux – « Du moment qu’il estimait ne plus pouvoir servir en Indochine, il a demandé sa relève, je l’ai suivi d’ailleurs, et il est totalement rentré dans le rang, sans faire, je pense, absolument  aucune objection spectaculaire ou aucun geste contre la discipline.

            Après avoir servi en métropole en dehors du général Salan, je l’ai retrouvé en Algérie, où j’ai servi sous ses ordres en 1957 et 1958, jusqu’au moment où il est rentré en métropole.

            En 1957, j’ai fait un séjour comme adjoint  de corps d’armée, et  ensuite comme adjoint de la 9ème Division parachutiste. En 1958, je commandais une zone, la zone d’Orléansville, et à cette époque j’ai eu évidemment de fréquents contacts avec le général Salan, j’ai eu l’occasion de vivre toute la période du 13 mai, et  j’ai donc eu aussi, en 1957-1958, l’occasion de voir ce que je peux appeler l’engagement total de l’armée en Algérie, engagement total dans le domaine de la lutte contre les fellaghas et dans le domaine de la pacification.

            On a dit beaucoup de choses sur le 13 mai et  la période qui a suivi. On a surtout beaucoup parlé d’Alger, des manifestations de masse sur le forum. Je  voudrais, moi, parler de ce qui s’est passé dans le bled. Je pense en effet que lorsqu’on cherche les mobiles de ce qui a pu faire agir le général Salan, c’est un problème extrêmement important ; je pense même que c’est le problème numéro un, et que c’est le cas de conscience dont on a tant parlé pour beaucoup de colonels en Algérie. Le  général Salan devait se le poser en premier, puisqu’il avait été le chef suprême à l’époque.

            On a tendance depuis quelque temps, à faire passer ce mouvement  d’émotion de 1958 comme une erreur monumentale ou comme une gigantesque mascarade. Sous la foi du serment, je peux assurer qu’il y a eu vraiment de la part des masses musulmanes un mouvement d’espoir et de confiance totale envers la France.

            En résumé, connaissant  le général Salan et  l’aimant comme le chef qu’il a toujours été pour moi, j’estime que le mobile de ses actes est un mobile noble, et  absolument pas, comme on a voulu le dire aussi, un mobile d’esprit d’aventure et d’ambition. »  (pages 345, 346)

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Déposition du général Valluy  Audience du 17 mai 1962 (page 85)

        Camarade de promotion de Saint Cyr, le général Valluy eut maintes occasions de servir sur les mêmes théâtres d’opérations que le général Salan.

      M. le Général Valluy – «  Lorsque j’évoque le 13 mai, tout cela est si peu en correspondance avec son sort actuel qu’il nous faut découvrir le choc extérieur qui a, à un moment donné, bouleversé cet homme et qui a fait de lui le chef d’une organisation secrète.

     Sentiment de frustration ? Au cours de notre dernier et bref entretien qui date déjà de plus de deux ans, j’avais eu, en effet le sentiment d’une grande amertume que j’ai retrouvée, du reste, neuf mois après chez le général Challe et pour les mêmes raisons, l’amertume de bons ouvriers experts et consciencieux qui n’ont pas pu, qu’on n’a pas laissés achever leur besogne, cette pacification qu’ils avaient si bien commencée.

     Frustration individuelle, personnelle ?…

    Non le général Salan a, en soldat, comme la plupart d’entre nous, éprouvé cette révolte naturelle qui, à un moment donné, s’est extériorisée en France contre les perspectives d’abandon d’une fraction du sol national et des gens européens ou musulmans qui y habitaient… » (page 186)

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Juillet 1960 : les flottements de la politique du Général de Gaulle : Algérie Française ou largage ?

Guerre d’Algérie

Souvenirs personnels de juillet 1960

            Après l’Ecole Militaire de Saint Maixent d’octobre 1958 à mars 1959, je fus affecté dans les SAS. Je rejoignis la SAS de Vieux Marché (arrondissement de Sidi Aïch) en avril 1959, une SAS « pourrie » dans le douar « pourri » des Béni Oughlis, en Petite Kabylie, dans la belle vallée de la Soummam.

            Après la grande opération Jumelles, la pacification avait battu son plein, la paix civile était quasiment revenue dans le douar, et j’avais la possibilité de me rendre à pied dans tous les villages de la SAS avec mon seul garde du corps, un ancien fel formidable.

            La situation politique semblait complètement retournée.

            En septembre 1959, le Général avait pris l’engagement d’un référendum d’autodétermination avec trois options, 

            Ce référendum avait commencé à troubler le monde des officiers de même que celui des pieds noirs, d’autant plus que l’on connaissait l’existence de pourparlers secrets avec le FLN.

            Le climat politique avait changé et beaucoup d’officiers se posaient des questions sur la politique du Général, d’autant plus qu’à la fois le général et son entourage continuaient à prodiguer leurs encouragements à l’armée française en Algérie.

            Sur le terrain, j’ai moi-même eu des échos très précis sur les consignes que le général Crépin, Commandant en Chef, donna aux officiers présents de mon secteur militaire, lors de sa tournée d’inspection de juillet 1960.

            Le général Crépin avait été nommé en remplacement du général Massu Commandant en Chef de l’Armée en Algérie le 25 janvier 1960.

                        Chemini, le 15 juillet 1960

            « … Je rentre de la popote. C’est vraiment dramatique !

            Longue discussion à la suite de la visite du général Crépin, Commandant en Chef en Algérie. … il a dit à peu près ceci (propos répétés).

            Alors ces villages ! Lesquels sont pour vous, lesquels sont contre vous ?

            Nous ne savons pas. La plupart continuent sans doute de payer les fellouzes.

            Qu’est-ce que vous attendez pour descendre ceux qui ne veulent pas être pour vous. Cela fait trop longtemps que dure ce petit jeu !

            Votre Compagnie ne sert à rien. Depuis trois mois combien de fellouzes au tapis ? Zéro ! Je veux des bilans ou je retire les troupes. »

            En juillet 1960, et alors que l’armée française avait repris le contrôle de l’Algérie, il semblait en effet que le gouvernement avait toutes les cartes en mains pour conduire autrement que cela a été fait la politique algérienne.

            Le général Crépin quitta d’ailleurs son commandement le 1er février 1961, remplacé par le général Gambiez.

        Il convient de noter que Gambiez comme Crépin faisait  partie de la grande cohorte d’officiers qui avaient partagé les mêmes combats, en France, en Indochine, puis en Algérie.

      Longtemps après la fin de cette guerre, j’ai eu l’occasion de faire la connaissance du général Gambiez, un des théoriciens des guerres indirectes, un thème sur lequel je travaillais et qui a nourri le petit livre « Chemins Obliques » : ce livre a pour préface la lettre que le général Gambiez m’avait adressée sur cet essai.

     Le petit-fils du général Crépin, Jean-René Van der Plaetsen a publié une biographie de son grand-père dans le livre « La nostalgie de l’honneur » (2017), un ouvrage intéressant qui retrace toute la carrière du général Crépin avant, pendant la Deuxième Guerre Mondiale, et après, avec les guerres d’Indochine et d’Algérie, sa contribution à la mise au point de la bombe atomique, enfin ses hauts commandements sur le théâtre européen.

      A lire le parcours de ce général, je me suis posé la question de savoir si le gaulliste qu’il était, et face au guêpier algérien, ne partageant pas les choix du général de Gaulle, et ce dernier le sachant, tout en comprenant ses états d’âme, ne l’avait pas « exfiltré » de cette guerre pour pouvoir continuer à compter sur lui dans le redéploiement stratégique qu’il avait décidé de mettre en œuvre en redonnant la priorité au théâtre d’opérations européen de la Guerre Froide et à l’arme atomique.

      En janvier 1961, le général Crépin avait en effet rédigé une note dans laquelle il faisait de sérieuses réserves sur les modalités qui étaient envisagées dans l’hypothèse d’un cessez-le feu éventuel, en cas de trêve unilatérales des opérations offensives : il ne les approuvait pas.

     Ci-après un des passages qui est consacré à l’une des versions proposée sur les propos tenus par le général Crépin, à l’occasion de sa tournée d’inspection dans mon secteur militaire, propos dont j’ai rappelé plus haut à la teneur rapportée par les officiers de Chasseurs Alpins du 28ème BCA :

       « Gaulliste un jour, gaulliste toujours ? »

      « … Alors, gaulliste un jour, gaulliste toujours ? Derrière cette formule en forme de boutade se dissimule une question, voire une possibilité, disons même une éventualité, qui m’a tourmenté et taraudé l’esprit pendant plusieurs années. Tout était parti de la lecture d’un livre intitulé : Les Gaullistes ? Rituel et annuaire, paru en 1963, de Pierre Viansson-Ponté, ancien rédacteur en chef de l’Express, puis éditorialiste au Monde. Dans cette enquête approfondie sur les us et coutumes de la famille gaulliste, ce journaliste chevronné consacrait un chapitre à Grand-Père, titré : « Le général Crépin a viré sa cuti », puis de façon extrêmement habile et persuasive, il reprenait, l’élaguant à grands coups de serpe, la vie de mon grand-père pour en tirer la conclusion que celui-ci avait rompu avec le général de Gaulle au cours de la crise algérienne, et qu’il fallait y voir la raison pour laquelle il avait été démis du commandement en chef au début de l’année 1961. J’avoue avoir été profondément ébranlé par la lecture de cet ouvrage dont j’avais découvert l’existence par hasard, chez les bouquinistes au bord de la Seine. En réalité, je l’appris par la suite, l’auteur de ce livre se fondait sur une rumeur qui avait couru les popotes au cours de l’été 1960 par les partisans de l’indépendance de l’Algérie afin d’enfoncer un coin entre le général de Gaulle et Grand-père, qui étaient unis l’un à l’autre par un lien quasi féodal, comme celui qui attachait autrefois le vassal et son suzerain. » (pages 174, 175)

     Le général Crépin ne fit pas de déposition au Procès du général Salan en mai 1962.

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     Comme je l’ai déjà écrit, je n’étais pas pour « L’Algérie Française » de papa, mais pour l’indépendance de ce pays en association étroite avec la France, ce qui n’a pas été le cas, alors que fin 1960, cette solution aurait été possible à la condition de ne pas brader ce pays, comme cela a été fait, notamment, dernière chance, en bâclant la mise en œuvre des accords d’Evian et en laissant le pouvoir à un FLN qui n’était pas préparé à l’assumer, et alors que l’armée française avait encore les moyens militaires d’assurer la paix civile.

Conclusion : Fin

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