» La Piastre et le Fusil » – 3

« La Piastre et le Fusil »

suite

    Deuxième Partie

       Evaluation du coût de la guerre (p,171)

     Dans cette deuxième partie, l’auteur procède à un analyse financière rigoureuse de coût de la guerre d’Indochine, ce qui n’a pas été fait sans doute pour la guerre d’Algérie qui lui a succédé.

      « Le coût de la guerre d’Indochine – c’est-à-dire l’ensemble des dépenses militaires liées au conflit – est à peu près connu du côté français (France, Etats associés, Etats-Unis), même si les différentes sources n’en donnent pas tout à fait la même répartition annuelle : environ 3 000 milliards de francs 1954. Il reste par contre un mystère pour « l’autre coût » (Viet Minh, ou RDV et ses alliés). Mais les choses ne sont pas aussi tranchées : à Paris, d’une part, les sources reviennent périodiquement sur la difficulté d’évaluer vraiment le coût financier du conflit, une partie de celui-ci  demeurant cachée ; il n’est d’autre part, pas complètement impossible de mesurer en termes économiques et financier l’effort de guerre du Viet Minh, ou du moins de rassembler quelques indications significatives sur le sujet… » (p,173)

     Chapitre IV (p,175)

    Les dépenses

    « Les généraux ne commandent sans doute pas avec en permanence une feuille de calcul : ils raisonnent plutôt en « moyens », moyens en hommes ou en matériel… La France débourse pour l’Indochine plus d’un milliard de francs par jour dans les dernières années de la guerre… »

  1. Les hommes

   « A la fin du conflit, de 500 000 à 600 000 hommes en armes affrontèrent en Indochine l’armée populaire : 553 425 exactement au 30 avril 1954…

  Du côté Viet Minh, mais les estimations restent incertaines, l’armée populaire aurait regroupé quelques 400 000 hommes. Cela représente donc environ un million de combattants sur le sol indochinois, principalement vietnamiens : ces combattants représentent l’élément le plus précieux et le plus onéreux du rapport des forces…

   Pour la troupe proprement dite, le recours à des soldats recrutés hors métropole s’est progressivement imposé, en dépit de la volonté d’origine de n’envoyer en Indochine que des unités « blanches ». Les premiers contingents d d’Afrique du Nord – les Tabors marocains joueront un rôle important sur le terrain – et du Sénégal respectivement 6 172 et 615 rejoindront le corps expéditionnaire en avril 1947. Dès lors, leur poids ne cessera de croître, passant en cinq ans de 18% à 31% du corps expéditionnaire, ce qui ajoute à sa diversité. Visitant la cuvette de Dien Bien Phu avant la bataille, Robert Guillain, envoyé spécial du Monde, rapporte son étonnement devant « le plus extraordinaire mélange de couleurs et de races qui campent dans la place forte : « Marocains, Annamites, Algériens, Sénégalais, légionnaires, Méos, Tonkinois, Thaïs, Muong… rares sont d’ailleurs les Français restés simples troupiers, observe-t-il, ils forment pour la plupart les cadres d’officiers et sous-officiers… »

  1. La vietnamisation des effectifs (p,182)

    « La question des effectifs du corps expéditionnaire, notamment de l’encadrement, se pose jusqu’en 1954, mais elle se déplace en même temps vers le développement des armées nationales : la grande idée qui s’impose au fil des ans s’appelle selon un mot qui porte la marque de l’époque, le « jaunissement «  des troupes.

    En 1946 effectif armées nationales, égal à 0 contre 75 000 pour le Corps expéditionnaire, 1947, toujours 0 contre 105 000,  1948 égal à 20 900 contre 111 000… en 1954, 292 000 contre 184 000. (p,186)

   Pertes de la guerre d’Indochine 40 450 nationaux contre 12 290 autochtones, dont un officier par jour (p,190)

   III Les Opérations

    « Le caractère atypique de la guerre d’Indochine, en particulier pour les forces françaises, réside largement dans sa double nature : un conflit à la fois politique et militaire qui, sur un second plan, oppose des unités constituées à un adversaire qui se cache ou n’accepte le combat que lorsqu’il est sûr de marquer des points, mais qui se développe finalement assez pour faire manœuvrer à son tour des unités régulières. Dans un tel contexte, l’activité militaire est à inventer et à réinventer périodiquement, mais le choix des opérations est aussi financier.

  L’unité de la guerre, si l’on peut dire, est l’opération. Trois cents-treize ont été répertoriées, soit en moyenne une opération par semaine…

  1. L’occupation du territoire

   « Les forces françaises se sont vite rendues compte qu’il ne suffirait pas de reconquérir le territoire perdu en 1945, mais qu’il faudrait encore le tenir pendant toute la durée de la guerre, la « pacification » constitue ainsi l’une des deux grandes missions des troupes terrestres Indochine, l’autre étant le combat. Par le terme de pacification, précise une fiche d’état-major en 1950, « il faut entendre le retour, puis le maintien de l’ordre et de la sécurité dans une zone insoumise et petit à petit réduite…

   Etant donné le flou entourant les buts de guerre français en Indochine, l’occupation du territoire constitue finalement par défaut, une sorte d’activité par défaut contenant sa propre finalité. La grosse difficulté d’action de cette armée, notait le général Revers en 1949 en conclusion de son rapport, c’est que jamais son rôle n’a été défini avec précision, jamais une directive n’est venue réellement orienter le commandant en chef, le commandant en chef, le commandant supérieur et leurs principaux subordonnés… Une des causes de ce moral en équilibre instable, écrit également Revers, est due  en grande partie à ce que personne ne sait pourquoi on se bat » François Mitterrand, qui avait vainement essayé d’interpeller le gouvernement sur ses buts de guerre, ne dira pas autre chose en 1954 : « Je cherche la raison pour laquelle la France s’est battue…Cet aspect des choses faisait évidemment l’affaire du Viet-Minh. Le général Giap note ainsi combien « la poursuite de la guerre d’agression a été un processus continu  de dispersion des forces. Plus ces forces sont dispersées et vulnérables, plus les conditions sont favorables pour nos troupes, qui peuvent les anéantir par petits groupes. »  (p,206, 207).

     Commentaire :

    Le texte qui précède appelle un commentaire pour deux raisons principales, mon expérience personnelle de la « pacification » dans la vallée de la Soummam, en Algérie, en 1959-1960 et les recherches que j’ai effectuées sur les stratégies indirectes et les guerres subversives.

     Notons au passage qu’en 1954, Mitterrand avait déjà été ministre à trois reprises, notamment au ministère de la France d’Outre-Mer en 1950-1951, et qu’il n’était déjà plus un perdreau de l’année, mais allons à l’essentiel, l’analyse de la stratégie française.

    Avant la Deuxième Guerre Mondiale, de Gaulle avait été un précurseur de l’évolution nécessaire de la stratégie française avec l’introduction de l’arme blindée  au sein de nos forces militaires, une transformation réussie par l’Armée du Reich et cause majeure de la débâcle de nos forces armées.

       De Gaulle n’a pas été le même précurseur de la nouvelle stratégie qu’il fallait inventer face aux nouveaux adversaires rencontrés dans les guerres coloniales françaises que la France ne réussit pas, ,jusqu’au bout, avec la guerre d’Algérie, à maîtriser, un type de guerre contre-révolutionnaire, totalitaire, avec la prise en mains d’une population dopée par une propagande révolutionnaire le plus souvent inspirée, sinon contrôlée, par le communisme des Soviets, ou celui de Mao Tsé Tung, dont la doctrine concrète était bien adaptée aux mondes coloniaux.

« B. L’évolution de la stratégie

     « La menace communiste », représentation résumant à partir de 1949 la proximité de la Chine populaire et la montée en puissance du Viet Minh, parait – enfin ! – avoir donné une raison d’être de la présence militaire de la France en Indochine et y justifier les dépenses, à défaut de les financer. Jusqu’en 1949, on le sait, personne ne pouvait vraiment dire pourquoi on se battait ; cette fois, l’affaire est entendue, comme de Lattre le résume en septembre 1951 à la télévision américaine, en réponse à une question relative à la Corée où la guerre  se déroule depuis un an : « Je crois qu’il y a non seulement un parallèle à faire entre la Corée et l’Indochine, affirme-t-il. C’est exactement la même chose. En Corée, vous vous battez contre des communistes. En Indochine, nous nous battons, contre des communistes. La guerre d’Indochine, la guerre de Corée, c’est la même guerre, la guerre d’Asie… « , ajoute-t-il, avant de faire un parallèle avec l’Europe. » (p,210)

    Chapitre V

    Les ressources (p,225)

     « Le problème du financement des dépenses militaires s’est posé dès le début du conflit mais, dans un premier temps, on le sait, la France a pu faire face pat elle-même, au défi que représentait la prolongation de la guerre. Les choses changent à partir de 1949 quand, d’une part la « menace chinoise » ajoute aux tensions et que, d’autre part, la France entreprend un important réarmement dans le cadre européen et atlantique. La guerre d’Indochine devient progressivement l’ennemi n°1 des budgets – d’autant plus que nul n’envisage sérieusement qu’elle puisse être gagnée – et son financement s’internationalise.»

    I Les Ressources budgétaires (p,225)

    «  Les moyens mis en œuvre pour faire la guerre d’Indochine ont d’abord été, et sont essentiellement restés, d’ordre budgétaire… »

  1. La contribution du budget français

    « La France consacre à la guerre d’Indochine une part respectable de son budget, entre 6 et 10% selon les années, le taux le plus fort ayant été atteint en 1949, avec un peu plus de 10 % de l’ensemble des dépenses françaises….

   Tableau 8 Couverture des dépenses de la guerre d’Indochine par le budget français, en milliards de francs 1953 :

1946 : 100 %, soit 108 milliards

1949 : 100 %, soit 169,5 milliards

1952 : 59 %, soit 334 milliards

1953 : 48 %, soit 265 milliards

    Au fur et à mesure des années, la France réussit à mobiliser des financements locaux, mais avant tout à compter sur l’aide militaire américaine, 40 milliards de francs en 1950, 70 en 1951, 103,5 en 1952, et 119 en 1953. (p,260).

     Comme toute guerre, et encore plus en Extrême Orient, cette guerre a alimenté l’inflation, des spéculations de toute nature, notamment celle du trafic des piastres, avec toutes sortes de trafics parallèles qui ont toujours existé dans cette zone du monde, alors que l’Indochine comptait depuis très longtemps une minorité de culture chinoise très agissante dans les affaires.

   Le Vietminh savait de son côté s’insinuer dans tous ces circuits parallèles, notamment celui traditionnel de l’opium.

   L’ouvrage cite en particulier l’usage qu’en fit aussi le GCMA, Groupement des commandos mixtes aéroportés, lié au SDEC, animé par un certain capitane Trinquier chargé d’animer les maquis des minorités montagnardes : « Trinquier revendiquera le recrutement de 40 000 hommes dans les minorités… » (p253)

    Au cours de la guerre d’Algérie, le colonel Trinquier eut un rôle important dans la transmission de l’héritage de la stratégie mise en œuvre pour lutter contre des mouvements insurrectionnels.

   Le colonel Trinquier  fut l’auteur d’un très bon livre d’analyse sur ce type de guerre subversive intitulé « La guerre moderne ».

 » A partir des années 1950, les Etats Unis financèrent une aide économique et militaire aux nouveaux Etats Associés.

  Le Viet Minh pouvait de son côté compter sur l’aide chinoise que l’auteur a tenté d’identifier et d’évaluer, l’aide d’experts militaires, de matériels, et d’entrainement :

   « Une synthèse de renseignements français donne la répartition suivante pour le second semestre 1951 : 1 900 tonnes d’armement, 900 d’explosifs, 700 d’habillement, 500 de vivres, 130 de matériel de transmission, 20 de médicaments… L’aide chinoise couvrait aussi bien l’entretien que l’équipement des forces armées de la RDV… Une estimation personnelle reposant sur de multiples paramètres , et qui reste grossière, permet de penser que par son aide militaire, la Chine couvre progressivement entre 20 et 50% des dépenses militaires du Viet Minh… On ne prête qu’aux riches… Quelle que soit la réalité de ces mécanismes, la Chine populaire et le Viet Minh ont dans les dernières années de la guerre, de plus en plus partie liée. Et même si plusieurs sources suggèrent, en début plutôt qu’en fin de période d’ailleurs, que le Viet Minh réglait par ses  propres livraisons une partie des fournitures chinoises, il ne pouvait le faire longtemps à cette hauteur : le poids financier de la Chine dans le conflit, aux côtés de la RDV, parait du même ordre que celui pris par les Etats Unis dans le camp adverse. «  (p,275)