Je ne reviendrai pas sur la méthode de concertation retenue, longue à souhait et qui trouve le moyen de déboucher sur un projet on ne peut plus touffu quelques semaines avant les fêtes de fin d’année.
Cette réforme soulève de nombreuses questions de nature très complexe, politique, sociale, économique et financière dans ses propositions et dans sa mise en œuvre.
Une réforme déjà qualifiée d’«historique » ! Comme celle des années 1980-1982, avec l’héritage de la retraite à 60 ans, dont nous payons encore les effets, ou comme les nationalisations coûteuses du même Président, ou aussi celle des 35 heures de Mme Aubry ?
Il s’agirait d’une réforme de justice sociale d’un caractère « universel » capable de régler au fond le dossier du financement des retraites, la suppression des privilèges des régimes spéciaux, la prise en compte de publics jusqu’à présent négligés, jeunes, femmes, enseignants ou agriculteurs… l’assurance d’un minimum de retraite donnée à tous les citoyens et citoyennes de 1.000 euros ? Rien n’est moins sûr.
Le gouvernement met en ligne de mire un déficit à couvrir des régimes de retraites à l’horizon 2025, de l’ordre de 15 ou 20 milliards, mais en oubliant que pour calmer la crise des gilets jaunes, il a mis dans la poche des Français une dette supplémentaire de 15 à 20 milliards, et qu’en même temps, la suppression démagogique de la taxe d’habitation, dont le produit annuel est de l’ordre de 20 milliards n’a pas non plus été compensée par des économies sur les charges publiques de l’Etat.
Cette réforme est-elle le produit électoral d’une technocratie politique capable de la concocter en s’appuyant, comme savaient le faire les meilleurs services de prévision de Bercy, sur des projections de l’évolution de notre système socio-économique entre quantités sérieusement évaluées ? Rien n’est moins sûr.
Il ne s’agit en effet plus du célèbre couple d’analyse classique entre le capital et le travail des époques passées qui a fait le régal des théoriciens et praticiens des grandes écoles d’économistes , libéraux, protectionnistes ou marxistes, ou de la répartition de valeurs entre des facteurs encore classiques du produit intérieur brut et du revenu national.
La valeur « capital » des nouvelles technologies de l’économie mondiale échappe aux anciennes règles du jeu économique et financier, avec ses combinaisons d’immédiateté planétaires et son immatérialité, alors qu’elles produisent déjà beaucoup d’effets sur la valeur travail, et sur la répartition entre la valeur capital et la valeur travail, avec la domination explosive des fameux GAFA, et leurs capacités exponentielles à « capturer » les bénéfices des échanges mondiaux.
Amarrer un nouveau système de retraite sur la valeur travail parait être une sorte de subterfuge, étant donné qu’avec l’évolution actuelle, le contenu du travail subira une révolution sous toutes ses formes, avec notamment des effets sur les jeunes générations.
La France, comme les autres pays, sera condamnée à financer le déficit des régimes de retraite : la question de fond est celle de la solidarité nationale.
Pour y arriver, il est possible d’emprunter plusieurs chemins. Point n’est besoin pour ce faire de se lancer dans un grand chantier de réforme tous azimuts, mais il convient de poser effectivement les bases de la nouvelle « architecture » de solidarité qui est nécessaire, avec la suppression programmée des privilèges existants et un âge de retraite qui tienne compte globalement de l’évolution démographique et de la durée moyenne de vie, ainsi que des aléas qui pèsent sur les salariés de certaines branches professionnelles, en conservant toujours à l’esprit qu’une grande révolution de la « valeur » travail est à l’ «œuvre » .
La France n’est pas la Suède, dont les caractéristiques géographiques, démographiques, culturelles, sont assez loin des françaises, outre le fait que nous sommes dans une République et non dans une Monarchie.
Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés