Les Empires coloniaux anglais et français face aux cultures de pouvoir local

1850-1900 : au Soudan, avec Samory, Almamy, en Annam, avec Than-Taï, Empereur d’Annam, à Madagascar, avec la Reine Ranavalona III

            A la différence du Royaume Uni, la République Française n’a pas cru bon de respecter les institutions de gouvernance politique ou religieuse de nature très variée qui existaient dans ses colonies, bonnes ou mauvaises à ses yeux, qu’il s’agisse de l’Afrique, de l’Indochine ou de Madagascar.

       Je serais tenté de dire qu’une partie, une partie seulement, des difficultés que connaissent encore aujourd’hui certaines des anciennes colonies françaises procèdent de cette  conception républicaine de gouvernance centralisée à ambition universaliste mise en œuvre par les proconsuls qu’étaient les gouverneurs généraux et les gouverneurs, sur le modèle napoléonien de la métropole.

      Je ne suis pas sûr que la solution de l’administration coloniale directe telle qu’elle fut pratiquée outre-mer ait toujours été une bonne solution, même si concrètement cette administration n’aurait jamais pu y subsister sans s’appuyer sur les réseaux de pouvoir traditionnels, c’est-à-dire grâce au truchement. Dans beaucoup de cas, l’administration directe fut une fiction.

        Le truchement fut la solution administrative concrète qui permit d’agir à l’ombre des structures et superstructures bureaucratiques de  type centralisé des colonies.

       Il est évident qu’au moment de la décolonisation, ce fut évidemment un choc, faute de pouvoir s’appuyer sur des peuples prêts à accueillir la démocratie, compte tenu du patchwork religieux, culturel, et ethnique qui était le leur, et de la disparition de leurs anciens régimes politiques.

        Faute pour eux de pouvoir tirer profit de traditions de pouvoir religieuses et culturelles encore solidement ancrées dans la population, l’histoire postcoloniale a mis en évidence la recherche de nouveaux leaders par ces peuples !

        Une fois indépendants, et en raison du succès mitigé des processus de démocratisation en cours, la plupart de ces pays sont allés de crise en crise, sans doute parce que la démocratie à l’occidentale était soit prématurée, soit inadaptée aux cultures locales de ces pays et aux modes de gouvernance auxquels leurs habitants étaient habitués.

       Ce que ce qu’on a appelé récemment les « printemps arabes » ne relèveraient-ils pas de la même erreur d’analyse des contextes historiques, ce qu’il conviendrait d’appeler nos œillères historiques, et peut-être démocratiques ?

    Nous proposerons donc d’illustrer cette problématique historique dans  trois cas, avec l’Almamy Samory, dans le bassin du Niger, la reine Ranavalona III à Madagascar, et Than-Thaï, l’Empereur et « Fils du Ciel » d’Annam en Indochine.

      Comme nous le verrons, le contexte colonial n’était pas du tout le même en Afrique, en Indochine, ou à Madagascar.

       Il faut avoir lu des témoignages historiques de cette époque pour apprécier les perceptions religieuses et culturelles d’un rôle quasi-divin qu’avaient les Annamites ou les Malgaches à l’égard de leur Empereur, Fils du Ciel, ou de leur Reine, dans un halo de croyances, de superstitions, et de soumission.

      A titre documentaire, nous citerons un échantillon de ce type d’état culturel au Tonkin, avec l’histoire de l’Enfant du Miracle que nous avons contée dans le livre « Confessions d’un officier des troupes coloniales-Marie Etienne Péroz »

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      Jusqu’à la fin du XIXème siècle, l’Afrique était largement inconnue, et  dans sa partie ouest, seules ses côtes étaient un peu fréquentées par des bateaux venus d’Europe, car la barre rendait difficile les accostages.

      Comme l’avait noté le géographe Richard Molard, l’Afrique souffrait de son immense continentalité.

      Lorsque les Français se mirent dans la tête de partir à la conquête de ces territoires, les troupes coloniales découvraient une Afrique très morcelée, constituée d’une myriade de peuples, de cultures, de langues et de croyances.

        Après avoir lu de très nombreux récits d’explorations ou de campagnes militaires, je me suis très souvent demandé pourquoi la France s’était engagée dans de telles aventures, alors que les terres conquises n’avaient pas beaucoup d’intérêt économique, à la différence des territoires africains conquis par les Anglais, tels que la  Nigeria ou le Ghana actuel.

      Au fur et à mesure de leur pénétration, ces troupes affrontèrent successivement des rois, mais surtout des Almamy de religion musulmane qui défendaient ou s’efforçaient d’arrondir leurs territoires, souvent d’ailleurs au prix de guerres intestines.

       Tel fut le cas du sultan Samory que la France affronta au cours de la montée des troupes coloniales vers le bassin du Niger tout au long des années 1885-1900.

    Samory, comme le sultan Ahmadou plus à l’est, menait une guerre permanente avec les royaumes bambaras du même bassin.

            Sur le fleuve Niger, la France fit la guerre aux rois et aux sultans qui s’opposaient à la conquête française, notamment aux sultans Hadj Omar, Ahmadou, et Samory qui avait réussi à fonder un grand empire, unième tentative d’unification territoriale dans cette zone géographique marquée alors par un patchwork de dialectes, de croyances, et de coutumes, un patchwork qui dure encore.

            Aussi bien au Ghana, l’ancienne Côte d’Or, qu’en Nigeria, les Anglais laissèrent en place les pouvoirs traditionnels, le chef des Ashantis au Ghana, et les émirs du Sokoto et de Kanem en Nigéria.        

            En Afrique occidentale, quelques officiers ne partageaient pas la conception de prise en charge politique directe, qui consistait à se substituer aux rois ou sultans qui gouvernaient alors ces territoires.

            Dans les années 1880, le colonel Frey et le lieutenant Péroz faisaient partie de cette petite cohorte, dont le regard était beaucoup plus lucide que celui des nombreux ministres de la Marine et des Colonies qui eurent la responsabilité des conquêtes coloniales, laissant les événements marcher selon le propos de l’un d’entre eux, les décisions étant, soit prises sur le terrain, soit à Paris, par des experts, le plus souvent des officiers de marine..

            A lire les nombreux récits et témoignages de l’époque, rares étaient ceux qui dans le monde politique auraient peu définir ce qu’était un protectorat par rapport à un régime colonial d’administration directe.

            Un seul exemple, celui d’un ministre qui fut un des plus grands colonialistes de cette époque, Hanotaux, lequel s’illustra dans la conquête de Madagascar en 1895, et dans l’affaire de Fachoda, en 1898.

       Sa doctrine fut on ne peut plus fluctuante pour savoir si la France devait établir un protectorat dans la Grande Ile malgache ou mettre en place une administration directe, ce que fit Gallieni, comme nous le verrons.

        Commandant du Soudan français en 1885, le colonel Frey avait tenté d’amadouer indirectement l’Almamy Samory en tentant de « franciser » Karamoko, son fils préféré. Dans ce but, il organisa un voyage dans notre pays, en vue de le convaincre, par l’intermédiaire de son fils, qu’il était possible de nouer une alliance fructueuse avec la France, ce qui ne fut pas le cas.

       Dans le livre « Les confessions d’un officier des troupes coloniales Marie  Etienne Péroz », j’ai consacré le chapitre 8 à cet épisode historique, sous le titre :

« 1886, le voyage extraordinaire en France de Karamoko, fils préféré de Samory, une occasion manquée »

       Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés