Exercice : l’objet d’art africain dans une glace sans « tain » !

Prologue

Pourquoi un tel titre ?

            Chacun connait l’usage d’une glace, usage modéré ou immodéré selon les jours, l’âge, la société, ou l’époque dans laquelle on vit. Chacun sait tout autant que cet exercice peut être aussi bien agréable que désagréable : tel est aussi le regard que nous sommes capables de poser sur notre passé national.

            Une glace a l’avantage de refléter une image d’un soi, qui est, ou n’est pas celle de son vrai soi, et il en est de même pour le passé d’un pays qui se regarde dans une glace : il n’est pas toujours facile d’assumer totalement son passé, pour autant qu’il soit d’ailleurs connu, ou qu’il puisse l’être au fur et à mesure des siècles, et sur tous les continents.

            Tenter de mettre devant la glace du passé, les objets d’art africain que l’on trouve dans les musées ou sur les marchés, constitue donc un art difficile, truffé d’énigmes, alors que les histoires ou les mémoires ont toujours fait l’objet de manipulations d’écriture dans tous les pays et à toutes les époques, soit par servilité – l’obéissance à l’autorité ou à une idéologie -,  soit par l’absence de sources écrites crédibles, soit tout simplement par ignorance ou incompétence.

          Le dossier de « restitution » d’objets d’art « conservés » soulève, comme nous le verrons, de redoutables questions de lecture historique des objets en question.

         Si une glace est un bon instrument d’analyse historique du passé, une glace sans tain ne peut manquer de fausser le regard, à condition de le savoir ou de s’en douter, à partir du moment où quelqu’un nous voit, sans qu’on le voie et qu’on le sache, et dans le cas de l’histoire, joue son jeu.

      Dans le cas considéré, je n’aurai pas la cruauté de faire un jeu de mot facile en hésitant entre les deux écritures de tain et de tin, pour ne pas nommer un Monsieur qui, au fil des années, tisse sa toile anachronique de revendication et de réparation.

             En prélude :

       Premier prélude, celui de Monsieur Marsal, un excellent professeur de philosophie et de logique qui, à Louis Le Grand, forma ses élèves à l’esprit critique et à la réflexion : dans son exercice intellectuel favori, il nous faisait commenter un texte en exposant son contenu, premier mouvement, et en le critiquant, deuxième mouvement contraire. (auteur du Que sais-je « L’autorité »)

       Dans ce bel établissement, nous avions aussi d’excellents professeurs d’histoire, de géographie, de littérature, et d’anglais.

        Ce premier prélude, en véritable parrainage,  m’autorise à inviter de nombreux chercheurs postcoloniaux à confronter leurs discours à un passé africain qu’ils connaissent mal ou pas du tout, je parle avant tout ici de l’Afrique de l’Ouest.

       Je vise ici tout particulièrement les livres du « modèle de propagande postcoloniale Blanchard and Co » issus d’un ouvrage collectif « Images et  Colonies- 1993) dont le contenu n’infusait pas  une propagande coloniale ou postcoloniale.

      Dans le cas des objets d’art, je les inviterais volontiers à confronter leurs  thèses à la réalité de l’histoire africaine des années de la colonisation française, « face à une glace sans tain ».

     En deuxième prélude, une compétence revendiquée de chercheur historien amateur qui vaut largement celles de chercheurs qui se piquent de savoir interpréter les images de propagande coloniale, sans avoir une connaissance approfondie de l’histoire coloniale, ou qui se piquent de savoir interpréter ces images sans formation sémiologique, ou encore en oubliant complètement les données de l’histoire quantitative (évaluation des vecteurs et des effets), quand il ne s’agit pas de faire tout simplement son « marché » éditorial postcolonial.

      Les lecteurs intéressés peuvent consulter les chroniques de ce blog que je publie depuis 2010, et les ouvrages que j’ai publiés à compte d’auteur, notamment le livre « Supercherie coloniale », une récapitulation, en 2008, des critiques que je portais à l’endroit des ouvrages du modèle de propagande cité plus haut.

       En troisième prélude, celui d’une France donatrice, pourquoi pas ? Afin que les nouveaux Etats d’Afrique de l’Ouest connaissent mieux leur passé, si tant est qu’ils l’ignorent, une France coloniale qui fut aussi « conservatrice » de leur patrimoine, avec le concours capital de l’IFAN.

      L’exercice historique portera sur deux points essentiels :

     Premier point, l’art du Bénin, ou de l’ancien « Dahomé » (dans le « ventre de Dan »), centré sur l’ancien royaume de Béhanzin

    Deuxième point, les très nombreuses questions religieuses, culturelles, juridiques, monétaires, ne serait-ce que leur datation,  que ces revendications d’objets d’art posent dans le contexte historique de l’époque coloniale.

      Pourquoi ne pas souligner que ce dossier est plein d’énigmes ?

 2 – L’art africain du Bénin

      Tous ceux qui ont depuis longtemps apprécié l’art africain, souvent des découvreurs, amateurs, collectionneurs, artistes ou marchands dans les premiers temps, puis de plus en plus nombreux au fur et à mesure qu’on les exposait en Europe ou ailleurs, trouveront peut-être que le débat actuel est tout à fait dérisoire, d’autant plus que les transferts en question ont contribué à mettre en valeur les œuvres d’art du continent africain, alors que cet art n’était le plus souvent pas reconnu comme un art, en Afrique ou ailleurs.

      Pourquoi ne pas souligner dès le départ, qu’un tel sujet aurait vivement besoin d’un bon « récadère » historique, de compétence égale dans ce domaine à ceux qui ouvraient la voie à l’étranger avec leurs « bâtons » dans les royaumes du Dahomé de l’époque au nom de leurs rois ?

Première interrogation :le mot « Bénin » ne serait-il pas un piège ? L’ouverture d’une boite de Pandore ?

    « Il ne faut pas en effet « confondre le Bénin historique – royaume prestigieux connu depuis le XVème siècle et situé dans le centre-Ouest de la République fédérale du Nigéria (ville de Bénin City sur la carte) – avec la « République populaire du Bénin » qui a  succédé en 1975 à la République du Dahomey.

     C’est le commandant Kérékou (un Somba du massif de l’Atakora), alors adepte du socialisme scientifique qui a mis en avant ce nouveau nom. .. Peut-être voulait-il prendre ses distances vis-à-vis des gens d’Abomey.

     Quand il est question dans les ouvrages spécialisés et les expositions de « l’art du Bénin », c’est le Bénin historique dont il s’agit. Ce sont surtout des bronzes, (têtes commémoratives, plaques de piliers).

     Ces objets ont fait leur apparition dans les collections à la suite d’une « expédition punitive » des Anglais contre le roi du Bénin (l’iba) en 1897. Les Anglais ont conservé une partie de ce trésor royal pour le British Muséum et vendu l’autre pour couvrir les frais de « l’expédition punitive ». Le Musée ethnographique de Vienne avait été un gros acheteur ; en 1990, il a présenté à la Fondation Dapper un échantillon de ses acquisitions.

     Pour les connaisseurs, c’est du grand art, sans doute au-dessus des productions du Dahomey.

     Par ailleurs à son apogée, au XVIème siècle, le Royaume du Bénin s’est étendu vers l’Ouest jusqu’à Ouidah, les étudiants qui entouraient Kérékou lui ont peut-être dit. » (M.A, un vieil ami de promotion, bon connaisseur du sujet).

     Les revendications du Bénin ne risquent-t-elles pas d’inciter l’Etat voisin de Nigéria à revendiquer les mêmes objets, étant donné que le siège du royaume puissant du Bénin était situé en Nigéria ?

     Dans d’autres pays d’Afrique, leur dénomination officielle risque de poser le même type de question.

      Deuxième interrogation : il est tout à fait exact que la conquête du Dahomé s’est traduite lors de la prise d’Abomey par un pillage des œuvres qui se trouvaient dans le Palais de Béhanzin, mais les conditions historiques de cette conquête mériteraient sans doute d’être mieux connues, pour au moins deux raisons, les coutumes sanguinaires de ce royaume – avec des sacrifices humains d’importance (esclaves ou prisonniers) – et d’autre part les pratiques esclavagistes du Dahomé.

       De multiples témoignages existent à la fois sur ces sacrifices – Mme Zinzou a d’ailleurs fait, sauf erreur, l’acquisition d’un des grands plateaux de sacrifice de la Cour royale -, de même que sur le soulagement qu’éprouvèrent alors les habitants des royaumes voisins, les Nagos, les Mahis, de Savé, ou encore les Baribas, très guerriers eux-mêmes, des royaumes dévastés par les razzias du Dahomé, aussi bien pour se procurer des esclaves que pour piller les richesses locales.    Il serait donc intéressant de savoir ce que les descendants des royaumes en question pensent des restitutions demandées, de la destination prévue, et de leur contexte historique de présentation locale.

     « J’oubliais, mais ce peut être intéressant pour un « historien amateur ». Le Royaume du Bénin avait lui aussi des « coutumes barbares » (sanguinaires ».(M.A.)

     Ceci dit, et à mes yeux, pour avoir beaucoup fréquenté l’histoire de la colonisation française de l’Afrique de l’Ouest, trop peut-être, je me suis souvent demandé quel pouvait être l’intérêt, pour ne pas dire la justification de la conquête du Dahomé, du Soudan, ou de la Mauritanie, sans citer d’autres territoires, Haute Volta, Niger ou Tchad…

      3 – De multiples questions posées :

       Quelle est la définition de l’art africain ? Ce que nous appelons l’art africain existerait-il sans la période des conquêtes coloniales et des colonisations de l’Occident.

     A l’époque de leur création, s’agissait-il d’art, d’objets de culte, d’ornements ou de signes de pouvoir ?

       Ces objets ne baignaient-ils pas dans un univers culturel ou religieux, visible ou invisible, bénéfique ou maléfique selon les époques ou leur origine ethnique ?

     L’énigme de la datation – Faute de pouvoir dater beaucoup d’objets, nombreux ont été les objets, masques, statuettes, ou sculptures,  qui ont été mis en vente sur le marché, sans qu’ils soient authentiques, un trafic on ne peut plus lucratif.

      Une fois ces premières difficultés résolues, il conviendrait de pouvoir identifier les conditions de la cession de tel ou tel objet, – cadeau, troc ou cession en cauris, vol – en fonction de sa contrée d’origine (Sahel, savane ou forêt), sinon de son ethnie d’origine, en pouvant distinguer entre celles sous influence musulmane, disposant d’une armature de lettrés et de textes écrits, mais réfractaires à toute image, et celles sous influence animiste ou fétichiste, de civilisation verbale.

      Dans ce dernier domaine géographique, le  rayonnement des objets « récoltés » est historiquement difficile à identifier, tant ce domaine de la création nous plonge dans un univers à clés de type magique détenues par des féticheurs ou des sorciers. Est-ce que ça ne pourrait pas être le cas dans le Bénin d’aujourd’hui, un pays où les couvents de féticheurs et féticheuses, notamment à Ouidah, ont toujours eu beaucoup d’adeptes ?

       Il est évident que derrière ce type de revendication que l’on peut considérer comme en partie légitime, l’on voit en permanence la main d’un courant idéologique, politique, culturel, universitaire, encore puissant, lequel, comme à son habitude, met les pleins feux sur la « face nocturne », et peu ou pas du tout, sur la « face diurne », la distinction historique que proposait Hampâté Bâ pour faire le bilan de la colonisation française.

            Une sorte de concours de beauté historique est entre les mains d’un courant d’autoflagellation historique, comme si nous avions réellement caché le passé de la France, avec sans le dire ou en le disant (voir M.Tin), la revendication d’une réparation en monnaie sonnante et trébuchante.          

      Je conclurai volontiers ma chronique en élargissant ce débat par nature austère, difficile, et relatif, à la question de la définition de ce qu’est l’art

      Dans les domaines de la sculpture ou de la peinture, chacun sait que, chez nous, à l’époque moderne, la peinture impressionniste ou abstraite n’a pas eu beaucoup de succès, alors qu’un Picasso a été un des premiers à reconnaître certaines formes de l’art africain.

       Que dire enfin, lorsqu’il s’agit de très grosses sommes de monnaie bien sonnante et bien trébuchante telles que celles de certaines ventes aux enchères internationales !

       Jean Pierre Renaud