DECISION COLONIALE, QUI DECIDE ?
Le CAS du MAROC des années 1909-1912 : avec Joseph Caillaux
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Le scénario
Le scénario, c’est-à-dire le canevas de cette histoire échappait en fait à Caillaux, un Président du Conseil éphémère de quelques mois.
« Le gouvernement qui se constitue à la fin de juin 1911 devait être enveloppé dans la tourmente à laquelle le nom d’Agadir est attaché. » (Caillaux,p,73)
« Au mois de juillet 1911, l’Allemagne, pour signifier qu’elle maintenait ses revendications sur le Maroc, envoyait une canonnière devant Agadir. C’était la répétition de l’affaire de Tanger, une provocation ou un coup de sonde, peut-être une sommation à la France d’avoir à rompre avec l’Angleterre. Pourtant, le gouvernement allemand laissait entrevoir un arrangement. Renonçant à disputer le protectorat du Maroc à la France, il demandait une compensation coloniale et suggérait la cession à son bénéfice d’une partie du Congo. Un refus pouvait entraîner la guerre. Bien que l’Angleterre s’élevât contre une répartition de territoires faite en Afrique, sans son aveu, Joseph Caillaux consentit à traiter. Bien conduite par l’ambassadeur Jules Cambon, la négociation aboutit à une concession minime, que les nationalistes allemands trouvèrent dérisoire. La France, s’écriait un de leurs chefs, nous donne dix milliards de mouches tsé-tsé. » (Bainville, p,273)
« En elle-même, pourtant la transaction n’était pas honteuse. Avec d’autres que les Allemands, elle eut été raisonnable. La France en 1904, n’avait-elle pas abandonné à l’Angleterre ses droits en Egypte et à Terre Neuve ? Le Congo, bien que Savorgnan de Brazza s’y fût illustré, comptait moins sans doute que la terre des pharaons où Napoléon s’était illustré. Bien peu de Français savaient même où trouver sur la mappemonde le « bec de canard. » (Bainville,p,274)
Le lecteur est invité à voir dans cette affaire une des caractéristiques de la façon dont se déroulait le processus de décision en matière coloniale, pour autant qu’il n’en ait pas été de même dans les autres affaires de l’État, c’est-à-dire « le fait accompli » de certains acteurs du scénario.
Ajouterai-je que les mots utilisés par l’historien ressortent du langage des affaires, des ventes ou d’acquisition de propriétaires fonciers, et qu’au surplus la remarque sur le « bec de canard », c’est-à-dire l’ignorance des Français sur « leurs » colonies, me parait assez bien représenter la dose de « culture coloniale » dont ils étaient « infectés » si l’on devait prendre au sérieux les discours du collectif Blanchard and Co.
Ce fut le cas en Cochinchine avec le vice-amiral Rigault de Genouilly, au Tonkin avec Jules Ferry, au Soudan (Mali), avec Archinard, et à Madagascar avec de Mahy.
« Fait accompli », plus engrenage, comme le montre bien l’histoire d’Agadir et du traité du 4 novembre 1911.
Les faits : le bombardement de Casablanca, l’expédition de Fez avec quelques européens pris en otage :
« L’expédition pouvait-elle être évitée ? … Je n’étais pas complètement informé…. Mais la ville de Fez était-elle menacée ? (p,64)
Les ministres de la Guerre et des Affaires étrangères, qui prirent à eux seuls (on le verra) la grave décision, avaient sans doute hâte de délivrer les Européens enfermés à Fez, mais des préoccupations personnelles ne furent pas – je le crains bien – étrangères à leur détermination. » (p,65)
J’ai consacré tout un ouvrage de recherches historiques à l’étude des communications politiques et militaires, en même temps que matérielles, avec leur évolution sur les différents théâtres d’opérations coloniales, pour tenter de comprendre et démontrer le fonctionnement des conquêtes coloniales, afin de déterminer quel avaient été les rôles respectifs des gouvernements et des officiers, compte tenu de la difficulté intrinsèque d’interprétation du concept de mise en œuvre de la liberté de manœuvre, au-delà de l’évolution des moyens de communication entre la métropole et les théâtres d’opérations coloniales.
Dans le cas du Maroc, ce ne sont pas les conditions d’information respective du pouvoir politique et de l’exécutant militaire qui sont de nature à expliquer Fez et Agadir, mais bien le fait accompli politique des deux ministres de la Guerre et des Affaires étrangères, Berteaux et de Selves, les deux personnages déjà évoqués plus haut.
Caillaux décrit très précisément comment cette affaire de rivalité coloniale entre la France et l’Allemagne se déroula, avec ses négociations parallèles, les manœuvres en tout genre, pour aboutir à un accord, le traité du 4 novembre 1911.
Etaient stipulées l’égalité douanière entre les signataires, la reconnaissance du protectorat de la France sur le Maroc, la cession d’une partie du nouveau Congo français à l’Allemagne, afin de lui permettre d’avoir un accès à la mer pour le nouveau Cameroun allemand, séparant donc le Gabon du Congo.
La carrière politique de Caillaux fut alors fragilisée, alors qu’il avait voulu aboutir à un accord qui donne la Maroc à la France, en même temps que sauvegarder la paix, mais l’assassinat du directeur du Figaro par son épouse le 16 mars 1914, l’écarta définitivement de la scène politique française.
A la différence du Kaiser, Guillaume II : « Moi, je voulais délibérément, bien plus obstinément que lui, la paix, mais je voulais non moins fermement le Maroc pour la France. » (p,111)
Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés