Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ? 5 (F) – Regards indiscrets sur la presse

 Regard indiscret sur la presse de l’entre-deux guerres- 5 (F)

            Complétons cette analyse critique en proposant un éclairage sur le fonctionnement concret de la presse entre les deux guerres, à partir notamment des analyses de l’Histoire Générale de la Presse (PUF 1972).

            Dans le monde d’aujourd’hui comme dans celui de l’entre-deux guerres, et compte tenu de son influence, la presse n’a jamais été une société de blancheur et de candeur. Les journaux étaient toujours à la recherche à la fois de lecteurs, et aussi de sources de financement complémentaires, publicité, subventions ou fonds secrets.

            En 1892, le scandale de Panama  avait montré dans toute son ampleur les subventions occultes versées aux journaux, et le Trésor russe n’avait pas ménagé son soutien à la presse française pour faciliter le placement des fameux emprunts russes en 1905, avec des complicités identifiées dans le système politique de l’époque.

            Entre 1919 et 1939, les journaux continuèrent à solliciter des soutiens financiers d’origine diverse. L’usage des fonds secrets se perpétuait : en 1933, le journal de Briand recevait une subvention mensuelle de 56 000 euros, soit un total annuel de 672 000 euros, montant supérieur au crédit de 550 000 euros que nous avons cité plus haut pour le total des subventions  à la presse métropolitaine et coloniale. (HGP/p, 488)

            Dans les années 1930, le gouvernement grec versa des subventions à la presse française, au Figaro, et au Temps.

            Quel que soit l’angle de l’analyse, on voit bien que les budgets consacrés à la propagande coloniale n’étaient pas à la hauteur des enjeux : presque anodins en ce qui concerne la presse métropolitaine, et transfusionnels pour la presse coloniale, dont les tirages étaient modestes, avec des résultats très mitigés, pour ne pas dire négligeables sur l’opinion publique.

            Arrêtons-nous encore un instant sur un cas concret, celui du Petit Parisien, cité par l’historienne. D’après les procès-verbaux de la commission officielle, ce quotidien reçut une subvention de 39 000 euros en 1937. Le prix de vente au numéro était en 1937 de 52 centimes d’euro, ce qui correspond  à l’achat officiel de 75 000  numéros, alors que le tirage quotidien de ce journal était de l’ordre du million. Donc une contribution anecdotique, pour ne pas dire anodine !

            Rapporté au chiffre d’affaires annuel du quotidien, cette subvention était purement homéopathique.

            Le lecteur aura donc pu se convaincre de la distance qui sépare les propos outranciers de l’historienne et la réalité historique : on voit mal avec l’organisation décrite, les budgets dédiés à la propagande coloniale, comment la Troisième République aurait pu réussir à fabriquer du colonial, à convaincre les marchands d’opinion, à obtenir le ralliement populaire au credo colonial. Non, vraiment, trop c’est trop, c’est vouloir faire prendre aux Français des vessies pour des lanternes historiques !

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« En contrepoint, un grain … de riz et un grain …d’histoire !

Ouf ! Nous avons échappé à la publicité d’Uncle Ben’s et à l’Empire américain dans nos assiettes !

            Mais le lecteur n’échappera pas à notre travail de décorticage du riz indochinois !

            Dans le livre Culture Impériale (CI,p,75), l’historienne nous livre, sous le titre « Manipuler : A la conquête des goûts », son analyse de la propagande impériale à travers quelques cas de produits coloniaux, le thé et le riz, avec pour le riz un sous-titre ravageur

            « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits » (CI,p,82)

Rien de moins !

            Et dans sa conclusion :

            « De toute évidence, au cours des années 1930-1940, la propagande a accaparé les Français dans leur vie quotidienne et tenté de faire passer l’idée coloniale de la pensée aux actes ? Cette démarche n’était pas neutre puisqu’elle visait à imposer la notion de France impériale dans les pratiques journalières afin de nouer puis de consolider les liens avec l’Empire, avec les « autres » France. Leur consommation aujourd’hui banalisée, constitue l’un des indices de cette culture impériale qui a imprégné pour toujours, jusque dans les assiettes, les mœurs et les habitudes quotidiennes  des Français. (CI,p,91)

Je ne sais pas si Madame Lemaire a interrogé ses parents à ce sujet, mais je n’ai moi-même conservé aucun souvenir d’avoir vu du riz dans mon assiette. Alors faut-il faire appel à mon inconscient ? Mais allons à présent au fond des choses ;

            L’historienne rappelle qu’un comité du riz a été créé en octobre 1931, et que celui-ci « avait choisi d’aller à la rencontre des Français afin de transformer leurs goûts et de les « convertir » au produit. Or la seule façon de faire connaître un produit dont on ignore la saveur était d’offrir au maximum de personnes la possibilité d’en consommer avec la préparation adéquate. Ainsi le Comité a-t-il consacré une large part de son budget à cette tactique.

            Il lui fallait aussi « Façonner les goûts des jeunes consommateurs (CI,p,87)… Les jeux n’échappaient pas à la stratégie globale. Un très bel exemple nous est donné par un jeu de l’oie, pour la réalisation duquel une somme de trois cents mille francs sur le budget de 1932 fut accordée à hauteur d’un million d’exemplaires. Il était porteur de l’ensemble des messages de la campagne… Ce jeu a connu une diffusion importante dans la mesure où un demi-million d’exemplaires ont été distribués dans les principales écoles primaires des trois cent cinquante villes de France ayant une population supérieure à dix mille habitants. » (CI,p,88)

Plus loin, l’historienne écrit : « En effet, au-delà de la publicité commerciale, la propagande était décelable dans les orientations politiques des slogans…. La marque de l’idéologique était prégnante et le slogan transformait alors le programme politique en énoncé. « (CI,p,89)

Le décorticage du riz

L’historienne est beaucoup plus avare de chiffres que de paroles : les seuls cités concernent le fameux jeu de l’oie, 300 000 francs en 1932, soit 150 000 euros (2002).

            Rappelons que le budget de l’agence économique de l’Indochine était de plus de 416 000 euros en 1926, et que sur cette base l’opération jeu de l’oie aurait coûté 36% de son budget, ce qui n’est pas démesuré, compte tenu du poids considérable du riz dans les comptes de l’Indochine, aussi bien pour le budget fédéral que pour son commerce.

            Rappelons également qu’en 1937, la même agence consacra 37 000 euros à la seule presse coloniale. En 1935, le budget de la fédération était de l’ordre de 345 millions d’euros, dont plus de la moitié des ressources provenait du commerce du riz.

            150 000 euros par rapport à 345 millions d’euros, l’effort de publicité était négligeable.

            Quant au chiffre qu’il représente par rapport au chiffre du commerce extérieur total (importations  et exportations de l’Indochine, la conclusion est encore plus éclairante, 150 000 par rapport à 646 millions d’euros en 1935, ou à 902 millions en 1936 et 278 millions pour les exportations. Comme disent les journalistes : il n’y a donc pas photo !

            Il n’a pas toujours été possible de faire des comparaisons à même date, mais les écarts sont tels qu’ils ne sont pas de nature à mettre en cause cette démonstration.

            Quelques mots encore sur l’importance capitale du riz pour l’économie et la vie même de l’Indochine, confrontée en permanence aux aléas de la conjoncture internationale du commerce du riz, de la concurrence des autres pays asiatiques, et en métropole, à celle du blé dont le prix venait en concurrence de celui du riz. (Le commerce franco-colonial-R.Bouvier-1936)

Cet exemple est d’autant plus surprenant  que le riz de mauvaise qualité importé d’Indochine pour soutenir ses cours localement allait dans nos basse-cours.

        Conclusion : cette analyse démontre que la propagande coloniale était plutôt chétive, et qu’elle avait peu de chance  de donner une culture coloniale à cette France coloniale réduite à sa plus simple expression.

            Jr reviens sur le vecteur de la presse, qui s’il avait fait l’objet de  recherches statistiques sérieuses aurait sans doute confirmé les observations faites plus haut. En tout cas, c’est ce que nous avons fait en consultant les quelques mémoires universitaires qui ont été défendus sur le sujet.

            (Chap VII, pages 173 à 209, Sup col)

JPR – TDR

Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ? Quatrième partie et fin

Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ?

Quatrième et dernier mouvement du chemin d’analyse et de réflexion, comme  annoncé sur ce thème

Résumé et plein phare sur le cœur de cible historique, la « propagande coloniale »

Source, le livre  « Supercherie coloniale »

&

En prologue

       De quelle histoire postcoloniale est-il question ? Celle racontée par le modèle de propagande Blanchard and Co !

       Il n’est évidemment pas dans mes intentions d’affirmer que cette catégorie d’histoire est représentative de l’histoire postcoloniale dans son ensemble.

        Il est superflu d’indiquer que je ne suis pas un historien de formation, mais que j’ai toujours été passionné par l’histoire. Je suis revenu vers l’histoire coloniale et postcoloniale, en grande partie par curiosité intellectuelle, pour compléter ma culture générale, mais tout autant, afin de mieux comprendre et juger les discours que tiennent certains historiens à la mode qui surfent sur une histoire postcoloniale qui dénature l’histoire coloniale.

       Mes études universitaires, puis les fonctions que j’ai exercées dans la fonction publique, m’ont inculqué une rigueur intellectuelle que je n’ai pas trouvée dans les ouvrages que j’ai analysés.

         L’histoire postcoloniale du modèle de propagande Blanchard and Co soulève maintes questions sur l’écriture de l’histoire postcoloniale, comparables à celles énoncées et analysées dans le livre de Sophie Dulucq « Écrire l’histoire à l’époque coloniale », un ouvrage qui a fait l’objet de ma lecture critique sur ce blog.

       J’y relevais notamment que la question de « servilité » de cette catégorie d’histoire se posait effectivement, mais par rapport à quel pouvoir ?

      Dirais-je en passant, qu’après avoir lu, et souvent annoté de nombreux récits publiés à l’époque coloniale, le plus souvent par des explorateurs, des officiers, des administrateurs, et par des spécialistes, j’en ai conservé le souvenir de récits d’histoire que je qualifierais de « brut de décoffrage », souvent bien rédigés, qui se contentaient de nous faire part des faits et observations de toute nature qu’ils effectuaient alors dans leurs pérégrinations civiles ou militaires ?

       Elles étaient loin d’être « fabriquées » et représentent encore de nos jours une sorte d’encyclopédie coloniale incomparable, fut-elle quelquefois ou souvent entachée d’un certain regard de supériorité blanche !

        Une encyclopédie écrite et en images, à consulter la multitude de croquis, de dessins, de cartes, et de photographies, un potentiel de récits et d’images qui ne paraissent pas avoir trouvé leur place historique dans les livres critiqués !

       La richesse de ces sources a été complètement mise de côté par ce collectif de chercheurs, qui ont choisi comme source historique un échantillon d’images de type métropolitain, supposé représentatif, ce qui n’est pas le cas.

      Est-ce que ces travaux d’histoire postcoloniale ne sont pas à ranger, comme tous les autres, dans la catégorie des histoires qui correspondent aux situations successives de l’histoire de France ? Avec toujours le cordon ombilical du pouvoir ou d’un pouvoir qui tient les manettes, l’Église et la monarchie, puis la République laïque et ses hussards, puis le pouvoir idéologique du marxisme, du tiers-mondisme, et de nos jours le multiculturalisme.

        La « servilité » est toujours omniprésente, et sert d’une façon ou d’une autre les pouvoirs régnant dans chacune des situations historiques décrites !

      De nos jours, il s’agit du marché médiatique auquel les éditeurs sont évidemment sensibles, tant ils ont de peine à rentabiliser les ouvrages en sciences humaines, en concurrence sur les réseaux sociaux, à tel point que la « mémoire »  remplace souvent l’« histoire » avec un grand H.

       La véritable question posée n’est-elle pas celle du pouvoir ou des pouvoirs de l’Université face à ces nouvelles concurrences ?

        En ce qui concerne les thèses d’histoire postcoloniale, et compte tenu de leur impact idéologique, pourquoi n’exigerait-on pas qu’elles ne soient pas frappées d’un secret de la confession qui enveloppe le travail et les conclusions des jurys, c’est-à-dire le manque de transparence sur la scientificité supposée de ces  thèses d’histoire ?

       Une suggestion pour finir ce prologue ! Pourquoi ne pas disposer d’un deuxième volet de l‘écriture de l’histoire à l’époque postcoloniale sous le titre « Écrire l’histoire à l’époque postcoloniale » ?

      Le lecteur trouvera ci-après un résumé récapitulatif des critiques qu’ont appelées de ma part les discours du « modèle de propagande  ACHAC-BDM », en mettant naturellement l’accent sur le dossier de la propagande coloniale.

         Ce type de récapitulation n’évitera évidemment pas quelques redites des analyses déjà publiées sur ce blog.

Jean Pierre Renaud  (JPR) –  Tous droits réservés (TDR)

Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ? – 1 – Ivresse des mots et mots-chocs

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IVRESSE DES MOTS  ET MOTS-CHOCS

         Avant d’aborder le cœur du sujet, pourquoi ne pas citer quelques-uns des  éléments du langage historique auquel il est fait appel ?

        Je rappelle que ces derniers ont été publiés dans les livres suivants : Culture coloniale (2003) (CC), La République coloniale (2003) (RC), Culture impériale (2004) (CI), La Fracture coloniale (2005 (FC), L’illusion coloniale (2006) (IC), avec pour références du « Colloque » de 1993 (C) et du livre « Images et Colonies (IC).

            Sommes-nous ici dans l’histoire coloniale ou dans la médecine de Molière ?

            Introduisons ce petit inventaire à la Prévert, en citant une phrase de La République Coloniale (p,144) : « long serait le florilège de ce qui, dans les discours, poursuit de façon souterraine des régimes d’énonciation structurés pendant la période coloniale. »

A la lecture des ouvrages cités, il est difficile de résister à l’avalanche de leurs mots ou d’expressions, vous invitant rarement au rêve, souvent en coups de feu, un florilège de mots et d’expressions franchement abstrus, pour ajouter à ce mot un qualificatif du grand Hugo, qualificatif aujourd’hui un peu pédant.

            Prenons le risque, non historique, de proposer cette esquisse, en laissant le soin aux spécialistes, aux lexicologues, d’effectuer un travail complet sur le registre de ces mots et expressions.

            Des mots en mal d’évasion ! « Le bain colonial » (C,p,14, Introduction Blanchard-Chatelier (p,14/C) (179/CC), une expression souvent utilisée, alors que dans son acception commune, un bain ne dure jamais très longtemps, sauf dans certaines industries. La profusion des métaphores, des paraboles, des allégories, et le fantôme permanent de l’Autre, toujours l’Autre, la figure indéfinie.

         Le lecteur se rappelle sans doute mon évocation du fandroana, le bain royal des Reines de Madagascar : s’agit-il d’asperger les lecteurs d’une eau lustrale postcoloniale ?

            Une autre formule se veut heureuse : « la colonie est propre, parce que lavée plus blanc ». (IC,p,255)

            Une formulation poétique, mais combien subversive ! « Evanescence idéale des femmes aux seins toujours nus, à l’épiderme foncé (IC,p,255). Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet, sur la manipulation des cartes postales mauresques, sur la méconnaissance du nu africain, tout autant que de l’habillé que l’on trouvait aux mêmes époques en Indochine, à Madagascar, ou en Afrique.

            Il ne faut pas avoir lu beaucoup de récits d’explorateurs, d’officiers, ou d’administrateurs qui n’étaient pas obligatoirement « colonialistes », pour l’avoir constaté à maintes reprises. Je le constatais ces dernières semaines et à nouveau dans le récit de la Croisière Noire Citroën en 1924-1925.

            « Nudité, érotisme,… animalité… restent une constante de l’impensé blanc » (IC, p,255). Les blancs étaient donc tous des obsédés sexuels, en tout cas tous ceux qui se trouvaient aux colonies, même les missionnaires ? Pour assouvir leurs fantasmes sexuels ! Les bordels de métropole leur manquaient tant ?

            Si l’anthropologue Gilles Boëtsch feuilletait le livre consacré au dessinateur et peintre, en même temps que bon petit Français, Patrick Jouanneau « MarocAlgérie, Tunisie – Dessins-Aquarelles- Peintures » (Editions Baconnier/Copagic) », il trouverait sans doute ce livre très frustrant, faute de « Mauresques aux seins nus »

            Des mots et expressions en coups de feu !

       L’Agence des colonies (sa propagande) « inondait » (CC,p,139) – « stakhanoviste » (IC,p,230) – « marteler » (IC,p,230) – « pour déconstruire le récit de la République Coloniale » (RC, V) – « le révisionnisme colonial actuel » (RC,p,36) –  « l’impensé colonial » (RC,p,150) – « ce qui signifie que la pensée républicaine n’est pas ontologiquement coloniale » (RC,p,104) – « une société de l’antimémoire coloniale » (RC,p,147) – « la déconstruction des impensés » (FC,p,182) – « érotisation et prédation sexuelle » (FC,p,200) – « à la mémoire du sang qui a abreuvé les villages algériens » (FC,p,236).

            Quelques autres mots savants ou pédants, et décidément abstrus !

          Quelques perles tout d’abord ! « richesses (Chrématistique) », «  formes excessives de jouissance (pléonexia) » (FC,p,143) « les aspects les plus galliques » (FC,p,148) « le vacillement sémantique du mot jeune » (FC,p,280).

        Il y a de quoi effectivement vaciller !

            Dans la description historique supposée de l’époque coloniale : « un espace désormais quadrillé, contrôlé, normé (CC,p,179)- « l’idéal type de l’anthropophage (CC,p,149) – « la majorité des Français ont connu… à travers le prisme déformant de cette iconographie – il semble que ces images soient devenues des réalités… pour une majorité de Français qui ne doutent pas de leur véracité » (C,p,15, Introduction Blanchard Chatelier) – « la torture : elle fut consubstantielle de la colonisation dès ses origines » (RC,p,155) – « sur des dispositifs d’animalisation et de bestialisation de l’autre (FC,p,141) – « la perception de l’autre résulte d’un bricolage identitaire où la mémoire fonctionne comme  filtre » (FC,p,233)

        Comprenne qui pourra un langage aussi obscur ! Mais s’agit-il encore d’histoire ?

         L’ambition du trio d’historiens : « il est temps de décoloniser les images » (IC,p,8) – « et de déconstruire » (RC,p,9)

            Le résultat de la colonisation : « elle a fait rêver cinq générations de Français » (RC,p,11) – « il faut sortir de l’idée prégnante forgée par l’iconographie (IC,p,227) – « comment construire une mémoire ? » (RC,p,140) – « une réécriture de cette  histoire tronquée pour rendre compatible l’incorporation de la mémoire à l’imaginaire social » (RC,p,153) – « la persistance d’une figure de l’indigène logée dans leur corps » (FC,p,200)

         Ou Satan es-tu là ?

       « –Dans la partition sexuée de l’indigénisation contemporaine. » (FC,p,204).

         Tentons à présent d’entrer dans le corps du sujet, c’est-à-dire de plonger dans le « bain colonial » critique.

                 Jean Pierre Renaud   (JPR) –  Tous droits réservés (TDR)

Agit-prop postcoloniale contre propagande coloniale ? Exemples de critique historique : livres de la jeunesse et cinéma

Quelques exemples de critique historique, avant d’aborder le thème principal de la propagande coloniale.

         1 – Les livres de la jeunesse – Un sujet capital pour qui apprécie à sa juste valeur le formatage intellectuel qui peut en résulter, un formatage dont les « hussards noirs » de la Troisième République avaient fort bien compris le sens et l’importance.

        Les chercheurs de ce collectif développent à ce sujet un discours tonitruant qui tendrait à démontrer que l’école laïque de Jules Ferry aurait réussi à modeler l’imaginaire « colonial » des jeunes cerveaux au cours de la Troisième République :

      « Modeler l’esprit des écoliers. Les textes et plus encore les images des manuels scolaires de la 3ème République ont modelé l’esprit de plusieurs générations d’écoliers. » (CC/94)

       Seul problème, les travaux du Colloque savant ne permettaient pas d’en tirer une conséquence aussi simpliste, comme l’historien bien connu Gilbert Meynier le notait lors de ce colloque :

        « L’organisation de la propagande : en fait, sur un échantillon de quatre-vingt-sept manuels d’histoire, la part des colonies reste très modeste si elle ne régresse pas, comme l’a montré Patrick Haus (Mémoire de maîtrise, Nancy, 1990)-(IC, p,113)

      « Le même historien joignait à la page 124 une annexe 2 intitulée : « Pourcentage de la place des colonies dans les manuels d’histoire ». Les chiffres concordent avec ceux d’une étude faite par MM. Carlier et Pédroncini.

         Ces derniers auteurs avaient calculé que ce thème représentait quelques pour cents au cours de la période 1870-1940, dans l’enseignement primaire, supérieur, et secondaire.

        Dans les pas de l’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch, le même collectif faisait un sort au Petit Lavisse, le petit livre scolaire bien connu, mais les espaces consacrés au colonial, en textes comme en vignettes, représentaient dans l’édition de l’année 1930 moins de 5% sur un total de 182 pages : une culture coloniale à 5% ?

      Dans un  article intitulé « Les colonies devant l’opinion publique française », paru dans la Revue Française d’Outre-Mer, numéro 286, l’historien Charles Robert Ageron écrivait en 1990 :

       « L’étude des colonies avait certes déjà sa place dans l’enseignement, mais une place bien minime… Elle ne l’était pas à coup sûr pour forger cette mentalité coloniale ou impériale que souhaitaient les apôtres de l’idée coloniale »

        Il serait tout à fait intéressant d’avoir le même type de statistique  des livres scolaires patronnés par Sandrine Lemaire, et de mesurer les effets d’une déconstruction coloniale supposée. (Chap I, p, 31 à 63- Sup Col.)

       2 – Le cinéma colonial   Le cinéma colonial a-t-il bien existé et quelle place a-t-il occupée dans l’agenda du cinéma français de l’époque coloniale ?

       « Leur discours :

        Sous le titre « Rêver, l’impossible tentation du cinéma colonial » dans le livre Culture Coloniale, et dans la partie consacrée à la fixation d’une appartenance (après 1914) le critique de cinéma Barlet et l’historien Blanchard, en décrivant la situation du cinéma, écrivent :

         « En s’inscrivant dans la construction d’une  identité nationale, le cinéma colonial a de toute évidence puissamment contribué à la conceptualisation d’un  imaginaire en permanente évolution et encore à l’œuvre dans la France contemporaine. Il a surtout touché un vaste public qui, avec ces westerns coloniaux, va découvrir un monde, une épopée, un espace de conquêtes in connu. Une sorte d’initiation à la France coloniale, ludique et romanesque, où les rôles entre les « gentils » administrateurs, colons, médecins, missionnaires, légionnaires… et les « méchants indigènes » rebelles, fanatiques religieux… sont parfaitement répartis. » (CC, p, 122)

      J’ai souligné les expressions grandiloquentes ou trompeuses : « construction d’une identité nationale » : rien que ça !

       « Conceptualisation d’un imaginaire » dans ce cinéma colonial tout à fait limité en productions dans le temps et des espaces visités ?

      « Vaste public », alors que les deux auteurs se sont bien gardés de donner quelques chiffres documentés sur les films « coloniaux », en distinguant les époques, leur champ géographique, Maghreb ou Afrique, ainsi que les chiffres d’entrées de spectateurs qui ont pu être enregistrés dans les cinémas de l’époque.

       Plus loin, les mêmes auteurs écrivent : « La rhétorique du cinéma colonial découle d’un code proprement manichéen. » (CC,p,124)

        Plus loin encore : « Les schèmes coloniaux se déploient souterrainement dans les consciences, s’ancrent en silence dans les mentalités. «  (CC,p,183)

      Rien que cela ! Nous y voilà ! Le ça colonial !

      Ce qui n’empêchait pas le même historien, en 2005 de déclarer en toute cohérence intellectuelle et « sans doute » historique :

      A l’occasion du Cycle « Colonies » au Forum des Images, l’historien Blanchard a eu l’occasion de s’exprimer sur le cinéma colonial. Il y déclarait le 13 avril 2005 :

     « Toutefois il est certain que cette production est en marge du cinéma français, comme porteuse d’une malédiction en rapport avec le contexte de l’époque. Elle est donc peu diffusée, cachée, et même en grande partie « oubliée ».

      Le lecteur aura noté « oubliée », adjectif qui figurait dans le livre Boulanger. »

      Pierre Boulanger avait publié un livre fort bien documenté sur ce sujet, intitulé « Le cinéma colonial de l’Atlantide à Lawrence d’Arabie » (1975).

     Les lecteurs intéressés pourront consulter les pages que j’ai consacrées à cette critique que je concluais ainsi :

      « Et en conclusion, une grave insuffisance de chiffrage des pellicules et de leur audience comparative ! A croire que la nouvelle école de chercheurs est fâchée avec la statistique ! Absence complète d’évaluation de l’écho presse, ou radio à partir de 1935, que ces films ont reçu à chacune des périodes considérées ! » (Chapitre V, page 142, Sup Col)

     Et à partir d’un corpus très modeste, avant tout maghrébin, des affirmations et conclusions dont le lecteur pourra apprécier la pertinence, l’audace, sinon la mystification.

      Cette école de chercheurs a encore beaucoup de chemin à parcourir pour démontrer, et dans la rigueur de la recherche historique et du raisonnement, que le cinéma a été « un acteur de premier plan du mythe en construction de la culture coloniale en France ». »

JPR – TDR

Les Quartiers sensibles et le plan Borloo

A lire le contenu des propositions Borloo et des réactions suscitées, on voit bien que le dossier n’est pas encore bien arrimé, alors qu’il existe une attente importante de tous les acteurs de terrain, face aux enjeux à affronter.

            Borloo n’était peut-être pas le meilleur interlocuteur pour élaborer un nouveau programme d’action, car il fut beaucoup trop l’homme de la solution béton, laquelle souffrait d’une carence évidente d’action systématique et parallèle sur la réintégration de ces quartiers dans la vie républicaine française, touchant aussi bien à la sécurité, à la tranquillité publique, à l’action culturelle, sociale, et scolaire, à la formation professionnelle, qu’à l’emploi.

            C’est vrai qu’à lire les propositions Borloo, on a l’impression de consulter quelquefois un catalogue de gadgets, car l’homme politique a toujours fait preuve d’une imagination débordante, mais il ne faudrait pas que le sillon de solutions qui vient d’être à nouveau tracé ne permette pas de faire fructifier ces terres trop abandonnées de la République, et redonner l’espérance à ses habitants.

            En tout état de cause, et pour animer cette politique, le Président doit confier cette mission d’intérêt national à un élu de terrain qui a manifesté déjà compétence et intérêt pour cette politique exaltante, un ministre à temps plein, à compétence interministérielle, et doté d’importants moyens financiers.

            Cela vaut largement les challenges des Jeux Olympiques ou des Expositions Universelles ! 

            Ajouterais-je in fine que ce type de programme tout à fait républicain pourrait trouver partiellement un financement « éthique » en le faisant bénéficier des ressources de la Française des Jeux et du PMU !

                 Jean Pierre Renaud

Où va la France de Macron ?

  A suivre les coups de com’ politiques permanents du nouveau Président, à la suite d’une accession au pouvoir surprise, en mai 2017, il est évident que le citoyen est en droit de se poser la question : où va la France de Macron ?

          Coups de com’ politiques et « bombes » ?

          Dans le Figaro du 30 avril 2018, page 4 « Macron en tournée au bout du monde » :

        « Dans l’entourage d’Emmanuel Macron, on nie toute volonté de sa part de vouloir détourner l’attention de la contestation sociale. Il n’empêche, depuis quelques semaines déjà, le chef de l’État s’affiche en toute occasion. « Sa communication intensive des derniers jours était tout à fait volontaire, assure l’un de ses conseillers de l’ombre. Avec cette grande séquence internationale, il a organisé un « tapis de bombes » pour que l’on parle de lui. »

           Vous avez bien lu « un « tapis de bombes » ? On n’y va pas de main morte dans ce nouveau « milieu » de la com’ politique du « nouveau monde » !

            La France baigne dans un sorte de halo médiatique qui trouve toujours sa source dans le « système » médiatico-politico-culturel de la capitale, Paris, et dans la gouvernance technocratique d’une énarchie française omniprésente.

            Les dernières élections présidentielles se sont déroulées sur un fond de désarroi lié aux effets d’une mondialisation non régulée, d’une Union Européenne où personne ne sait qui exerce le pouvoir légitime, qui fait le jeu des minorités nationales et des paradis fiscaux, et à une sorte de décomposition de notre tissu national, démographique, religieux, politique, culturel, économique et social.

            Face à cette évolution délétère, les gouvernements de gauche ou de droite sont restés immobiles, ont montré leur incapacité à se réformer et à réformer les institutions du pays, avec la montée en puissance, à ses deux extrémités,  de la France des banlieues sensibles et des territoires ruraux laissés à l’abandon.

            La représentativité des corps intermédiaires, politiques, économiques, et sociaux,  nationaux ou locaux, a été très sérieusement mise à mal par cette évolution du pays, alors qu’ils ont longtemps constitué sa colonne vertébrale, tout en notant que les fondations communales et départementales y ont mieux résisté.

            L’élection du nouveau Président a été le produit politique inédit de cette situation à la fois fluide, floue, et critique, et il serait exagéré d’affirmer que le Président actuel ait été élu dans des conditions de représentativité bien supérieures à celle de certaines organisations syndicales ou patronales.

            Face à cette décrépitude, et dès qu’il a été élu, le Président actuel n’a eu de cesse que de saper les quelques bases encore solides, mais fragiles, de ces représentativités, les colonnes du temple de la République Française.

          Une fois élu, et au lieu de négocier un accord de gouvernement avec les partis politiques sauvés des décombres, il a tout fait pour les affaiblir, les détruire, alors que la Constitution Française reconnait de façon claire et précise le rôle des partis politiques : le sien n’existait pas.

          Tout au long des derniers mois, et au fur et à mesure que le Président déroule son programme  de réformes, son gouvernement n’a pas montré beaucoup  de zèle pour  jouer le jeu des organisations politiques et sociales, et faire avancer des solutions sans chercher à les affaiblir, alors qu’elles constituent à l’évidence des éléments importants de la cohésion du pays.

            Le déluge des réformes, ordonnances, lois ou décrets, crée le trouble et l’inquiétude  dans la plupart des compartiments de la vie nationale, une ambiance de vie au jour le jour, et pose deux questions : quelle est la stratégie politique de ce Président, et quelle est la hiérarchie de ses objectifs ?

          L’épreuve de vérité risque fort d’arriver en fin d’année ou au début de l’année prochaine, lorsque les Français et les Françaises entreront dans le tunnel financier de deux autres réformes capitales, le prélèvement fiscal à la source et la suppression de la taxe d’habitation, les deux nouvelles usines à gaz politiques et administratives simultanées qui provoqueront inévitablement incompréhension, mécontentements, et contestations.

        La suppression de la taxe d’habitation ? Telle qu’annoncée successivement, il s’agit d’une mesure démagogique, aux effets mal évalués, confiscatoire des pouvoirs des collectivités locales, et une parfaite illustration de l’adage populaire « mettre la charrue avant les bœufs ».

           S’il est évident qu’il convient de réformer la fiscalité locale – cela fait plus de trente ou quarante ans que les gouvernements sont restés quasiment l’arme au pied -, il est non moins évident que la promesse gouvernementale, maintes fois répétée, de compensation à l’euro près, ne vaudra que pour les citoyens qui y croient.

          Compte tenu de notre histoire et du montant phénoménal de la dette publique, qui peut croire qu’en cas de tsunami sur les marchés financiers, et faute de pouvoir dévaluer l’euro, comme c’était le cas pour le franc, l’Etat tiendra ce type de promesse ?

            Enfin, un mot sur l’Europe ! L’objectif numéro 1 de la France et de l’Europe doit être à l’évidence celui du renforcement de l’Union européenne des pays qui partagent vraiment les mêmes objectifs.

          Pourquoi ne pas s’inspirer des solutions quasi-opérationnelles proposées par Christian Saint Etienne dans son livre « Osons l’Europe des nations » ?

            Jean Pierre Renaud