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Propagande coloniale (D)
L’avis d’un expert
A la session parlementaire de 1928, le député Archimbaud, longtemps rapporteur inamovible du budget des colonies à la Chambre, appelait le pays à faire un effort de propagande « pour parvenir à créer en France une mentalité impériale, le premier effort devait être tenté par la presse, le second par l’école, à tous les degrés d’enseignement… le gouvernement doit tendre à obtenir de la grande presse quotidienne qu’elle accorde à l’information coloniale la place qu’elle mérite, et que les honneurs de la première page ou des « leaders » ne soient pas uniquement réservés à l’exposé des grands scandales coloniaux. » (ASOM)
A la session de 1930, le même rapporteur du budget consacrait une partie de son exposé à la propagande coloniale :
« Quelle ignorance le Français moyen n’a-t-il pas à l’endroit de cet admirable domaine ! Que de préjugés à vaincre ! »
Le rapporteur proposait que la bonne propagande touche l’enfant, le Français au régiment, l’industriel et le commerçant.
« A l’heure actuelle, les questions de propagande coloniale sont entièrement laissées à l’activité des agences relevant des gouvernements coloniaux. Grâce aux moyens financiers dont elles disposent, les agences ont pu jouer un rôle incontestable. Il n’en est pas moins vrai qu’il n’y a actuellement aucune coordination dans l’effort de propagande…
Les questions de propagande revêtent une trop grande importance pour qu’elles ne soient pas placées immédiatement sous l’autorité du Ministre et il est regrettable qu’il n’existe pas encore au Ministère des Colonies un service de propagande, comme il est regrettable qu’un service bien organisé de la colonisation, disposant de crédits suffisants, n’ait pas encore été organisé au sein de ce même département. » (ASOM)
A la lecture de ces textes, le lecteur constatera qu’en 1930, à la veille de la fameuse exposition de 1931, aucun chef d’orchestre n’existait pour la propagande coloniale, contrairement aux assertions de l’historienne Lemaire, qu’il n’existait pas de service de propagande au sein du gouvernement, et qu’un rapporteur du budget des Colonies constatait à la fois l’insuffisance notoire de la propagande et le peu d’intérêt des Français pour leurs colonies. Il faudra attendre les années 1937 pour qu’il y soit remédié, mais dans une conjoncture tout à fait particulière celle de l’avant-guerre. Nous rappelons que la fameuse Agence générale a été supprimée, sans être remplacée, entre 1934 et 1937 !
L’Agence n’a jamais été, en tout cas jusqu’en 1931, une « machine à informer et à séduire, l’épicentre de l’information coloniale », ou alors un petit épicentre, l’Agence n’a jamais « inondé », elle n’a jamais été capable de « manipuler l’opinion ou de marteler un discours, ni de fabriquer du colonial, » et n’a jamais eu de « stratégie ».
Il n’y a pas eu de « réseau tentaculaire d’individus, de marchands d’influence que sont les journalistes », et contrairement au dire de l’historienne, « l’ensemble de cette propagande savamment organisée (n’) a (pas) contribué à bâtir une chape de plomb qui rendit impossible la faculté de penser le réel de la domination coloniale. »
Comment une telle chose aurait-elle été possible ? Alors que les agences déployaient une activité qui avait plus avoir avec le travail d’une représentation diplomatique ou d’une agence d’information, dont le rapporteur du budget des Colonies reconnaissait qu’elle n’était pas suffisante en matière de propagande, et cela jusqu’en 1931.
Les agences firent un travail remarquable de documentation générale et économique sur les territoires qu’elles représentaient, mais s’agissait-il de propagande ?
Des crédits de propagande crédibles ? Dans une échelle de grandeurs crédible ? Encore non !
Nous allons à présent nous intéresser aux budgets de l’agence générale et des agences économiques des colonies, afin de mesurer leur capacité financière d’action en matière de propagande coloniale, car comme nous l’avons déjà relevé, les agences développaient une activité variée, et l’examen rapide de leurs budgets permettra de démontrer que les crédits de propagande étaient très modestes.
Les subventions des agences à la presse métropolitaine et coloniale feront, plus loin, l’objet d’un examen particulier, compte tenu de leur caractère sensible, et de l’interprétation qu’en donne l’historienne.
Tout d’abord, les crédits de l’agence générale des colonies : il faut savoir que le budget de l’agence générale était alimenté par les budgets des colonies, ainsi que les budgets des différentes agences économiques, AOF, AEF, Indochine, Madagascar, et territoires sous mandat. Cela ne coûtait donc pas trop cher au contribuable de métropole, et donc au budget de l’Etat !
J’ai rappelé à plusieurs reprises sur ce blog que la France, comme l’Angleterre, avait décidé de laisser aux colonies le soin de se financer elles-mêmes.
En 1923, le budget de l’agence générale était de 1,3 million euros (2002), et en 1926, quasiment du même montant (FM/408). Le budget de l’agence ne représentait pas plus de 0,09 % du budget du ministère des Colonies, 142 millions euros, et plus de 95% des recettes de ce budget provenaient des contributions des colonies associées à chacune des agences économiques. Le budget du ministère des colonies représentait lui-même 0,007 % du budget de l’Etat. (Archives/Finances)
En 1926, les budgets de l’Indochine, de l’AOF, et de Madagascar, y contribuaient respectivement pour 416 224 euros, 370 480 euros, et 268 137 euros.
En 1926, l’essentiel du budget de l’agence était consacré aux dépenses de personnel, et le budget des ports de commerce représentait 38% du budget de l’agence.
Indiquons au lecteur, que le crédit dédié à la propagande coloniale, participation aux foires, expositions et conférences se montait à 10 540 euros.
Vraiment pas de quoi inonder le pays de propagande coloniale ! (FM/Agefom/408, chap.16 du budget).
Rappelons que le commerce extérieur de la France en 1930 (exportations, plus importations) était de 17 500 millions d’euros, dont pour le commerce colonial, polarisé sur l’Algérie, 2 891 millions d’euros. (Empire colonial et capitalisme français, J.Marseille)
La propagande coloniale au sens strict représentait une fraction infinitésimale du commerce extérieur, dans l’ordre des fractions de millièmes.
En 1937, année au cours de laquelle le gouvernement décida d’intensifier la propagande coloniale, le budget de cette propagande était de 1,9 million d’euros (FM/Agefom/908), à comparer au chiffre du budget du ministère des colonies, soit 0,005 % de 360 millions euros (Archives/Finances). Le ministère lui-même représentait 0,016 % du budget de l’Etat.
L’ensemble de ces chiffres situe les ordres de grandeur que l’historien est bien obligé de prendre en compte pour porter un jugement historique sur la propagande coloniale.
Examinons à présent les budgets des agences économiques pour mesurer leur poids relatif sur le plan financier et économique, et voir la part qu’elles accordaient au poste documentation propagande.
En 1933, le budget de l’agence de l’AOF était de 681 000 euros. Le poste publicité et propagande se montait à 76 000 euros. Sur ce crédit, les subventions à la presse de métropole étaient de 56 000 euros. Le montant du budget de l’agence représentait 5,6% du budget de l’AOF, ce qui n’était pas négligeable pour la fédération, mais beaucoup moins significatif sur le plan métropolitain. (FM/Agefom/744)
Pour donner un exemple, en 1931, année de l’Exposition coloniale, la Ville de Paris avait consacré plus d’un million d’euros à ses réceptions, fêtes et cérémonies. Le budget de la Ville était alors de plus de 2 milliards d’euros, à comparer aux 1,2 millions d’euros du budget de l’AOF.
En 1934, le budget de l’agence de l’AEF était d’environ 524 000 euros, dont 83 000 euros pour la propagande et les expositions, et le budget de la fédération était de l’ordre de 57,7 millions d’euros, soit 9,9% du budget fédéral, un chiffre relativement important, mais qui marquait à la fois le besoin de cette fédération de se faire connaître, et la disproportion existant dans l’échelle des valeurs entre métropole et colonies. (FM/Agefom/408 et 901)
Ces budgets étaient sans commune mesure avec les budgets métropolitains, même s’ils pouvaient faire illusion dans leur rapport avec les budgets coloniaux. L’analyse des subventions à la presse confirme cette appréciation et démontre que la presse métropolitaine et coloniale n’était certainement pas en mesure de propager la bonne nouvelle coloniale grâce aux subventions qui lui étaient versées par les agences économiques des colonies.
Nous ne reviendrons pas sur les affirmations trompeuses de l’historienne quant au rôle et à l’efficacité de l’Agence dans les années 1871-1931, dans Culture coloniale, alors que nous avons vu qu’elle n’avait existé qu’à partir de 1919, et que son activité était loin d’être à la hauteur des jugements rétroactifs de l’historienne.
Comment est-il possible d’écrire dans ce livre au sujet de cette Agence, et pour la même période :
« Elle fut par conséquent l’un des plus grands outils fédérateurs de l’opinion publique. » (CC,p,142)
Et grâce à elle : « Ainsi la légitimité de l’ordre colonial était-elle parfaitement intériorisée. « (CC,p,147)
JPR – TDR