« Multipositionnalité de l’Achac » (p,109)
« De fait, l’Achac a immédiatement orienté ses travaux vers des activités variées, savantes et profanes : séminaires, colloques, expositions, débats et publications. Très rapidement, les tribunes médiatiques font partie de la stratégie de visibilité, de même que les publications demi-savantes et les rencontres débats qui regroupent experts et citoyens, sorte de « forums hybrides » c’est-à-dire des lieux destinés à accueillir des débats et à distribuer la parole entre spécialistes et non-spécialistes afin de démocratiser les savoirs et surtout sortir de situations de crise. »
L’auteure propose alors une description du réseau médiatique constitué par l’Achac.
« … A partir de 2007-2008, l’association s’oriente à nouveau davantage vers l’organisation d’expositions. Un très long cycle est consacré à l’histoire régionale des immigrations…
« Cette diversification des activités relève d’une stratégie consciente. Il en est de même d’une autre activité de Pascal Blanchard, plus vertement commentée celle-là, dans le cadre d’une entreprise dont il devient en 1996 l’un des codirigeants : les Bâtisseurs de mémoire (BDM). Cette agence propose aux entreprises d’organiser des expositions sur leur mémoire. » (p,110)
L’auteure note :
« Une visite du site web de l’agence montre quelques analogies conceptuelles avec l’Achac. On lit par exemple la volonté de cheminer de l’«histoire » à la « mémoire » à la culture de l’entreprise. Les accointances de Pascal Blanchard, que Camille Trabendi qualifie de « free lance researcher », avec le monde du marketing agacent parfois ou interrogent pour le moins, car elles soulèvent la question de la rentabilité des opérations lancées par l’Achac, de ses partenariats et, de manière sous-jacente questionnent le caractère désintéressé et neutre de ses productions savantes. Sur le blog des éditions Agone, on trouve une critique très vive de son « postcolonial business ». Pascal Blanchard y est accusé de marchandiser le passé colonial afin de placer ses produits, et au détriment d’une certaine déontologie. L’agencement Achac-BDM place en effet le travail de l’association dans le champ économique et confère une autre dimension à son caractère entrepreneurial. La stratégie du « marketing ethnique » est d’ailleurs assumée et plébiscitée par Pascal Blanchard qui la vante dans quelques revues de marketing. Cette dimension entrepreneuriale se retrouve aussi dans l’une des activités de l’association qui s’est donnée une base de données de plusieurs milliers d’images dont il explique l’origine ici lors d’une conférence à Paris « celui qui maîtrise les images, maîtrise tout », ajoutant, lors de notre entretien :
« Notre dernière idée de l’Achac, la meilleure idée qu’on ait eue, qui nous a donné une totale indépendance (…) 99% du patrimoine était éparse. On est parti de l’idée qu’il fallait qu’on constitue notre propre patrimoine…. Aujourd’hui on doit avoir 20 000 ou 30 000 originaux et peut-être 100 000, 90 000 documents » (p,110,)
« La médiatisation est également l’un des terrains d’action les plus importants. Dans les seules archives audiovisuelles, on compte quatorze passages entre 2005 et 2006. Cette présence agace beaucoup d’historiens du champ académique français. Pascal Blanchard évoque les lettres reçues par les rédactions des télévisions :
« Et là, le sommet que j’ai eu c’est un copain d’Arte qui m’a sorti toutes les lettres d’universitaires dénonçant qu’on passait trop à la télé. Et là tu lis avec grand plaisir, et je fais encore des sourires à tous ces gens-là que je connais très bien. »
Vraie ou pas, l’anecdote témoigne d’un positionnement décalé mais assumé vis-à-vis du monde universitaire. Pascal Blanchard sait du reste reconnaître une faiblesse, le défaut de reconnaissance académique, en force : le positionnement économique et institutionnel. » (p,111)
Commentaire :
Il est dommage que ce type de témoignage d’une historienne n’ait pas été connu en 2010, car il situe parfaitement la configuration du modèle de propagande Blanchard and Co. Il aurait permis de mieux prendre au sérieux les dérives d’une histoire postcoloniale qui en définitive, n’en est pas une, ce que je pense et que j’ai exprimé en détail en 2008.
L’auteure m’excusera sans doute d’avoir cité de longs passages de son analyse, mais ils apportent maintes preuves de l’action tout à fait ambiguë de l’association Achac.
N’est-il pas surprenant pour ne pas dire illégal que l’on puisse faire partie d’un laboratoire du CNRS UP 3255, (un affichage périmé ?), diriger une association qui reçoit des fonds publics, et en même temps codiriger une agence de communication privée, sur le même terrain ?
Ce mélange des genres appellerait incontestablement transparence et contrôle des comptes associatifs et privés!
Je ne retiendrai qu’une seule expression citée par Pascal Blanchard lui-même », le « marketing ethnique » pour caractériser une démarche qui n’appartient décidément pas à l’univers académique.
« Les partenariats institutionnels » (p,111)
« L’ampleur de cette présence médiatique vaut enfin à l’Achac une reconnaissance institutionnelle importante. Des partenariats noués avec les collectivités territoriales permettent de financer les recherches et d’organiser des expositions. A titre d’exemple, en 2006, l’Achac passe un accord avec la mairie du 12°arrondissement pour un programme commun de manifestations sur l’exposition de 1931 et y organise un grand débat-conférence où les piliers du groupe sont présents. De façon plus régulière, le Fonds d’aide et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (FASIDL) devenu l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSE) en 2006 a cofinancé également des enquêtes et rapports. Cet appui institutionnel est un autre élément-clé du succès de l’Achac qui produit (et vend) des ressources (films, expositions, conférences) accessibles au grand public. Oe, depuis les années 1990, les collectivités territoriales se lancent dans des projets de valorisation patrimoniale dans lesquels l’immigration tient une place de choix. C’est le cas de la région Midi-Pyrénées qui, en 2003, commande à l’Achac une enquête financée par la Division interministérielle de la ville (DIV) dans le cadre du programme « Mémoire, ville, intégration et lutte contre les discriminations ».
L’enquête dure six mois. Elle est menée par Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire et Emmanuelle Collignon. Une synthèse des résultats est publiée sur le site du ministère de la Ville en janvier 2005, ainsi que dans le livre LaFracture coloniale… le rapport insiste sur la méconnaissance de l’histoire coloniale par les populations immigrées comme élément constitutif du malaise et du ressentiment éprouvé…
Plus récemment, le Comité interministériel des villes a décidé le 18 février 2013, une nouvelle enquête sur la mémoire collective dans les quartiers populaires… Le rapport est publié cette fois dans son intégralité en octobre 2013… Il y est rappelé le poids de l’héritage colonial, à plusieurs reprises.
« Aujourd’hui, on le constate, l’histoire d’inégalités issues du passé se prolonge sous des formes multiples dans le temps postcolonial » (p,58 du rapport)
« En confiant ce rapport à Pascal Blanchard, les autorités, nationales, cette fois, franchissent un cap dans la reconnaissance de la mémoire coloniale comme ressource patrimoniale et révèlent la place acquise par l’Achac dans le dispositif institutionnel de lutte contre les discriminations. » (p,113)
Commentaire : il peut paraître surprenant que pour procéder à l’enquête de Toulouse, l’administration ait fait appel à une association dont la statistique n’était pas vraiment la spécialité, d’autant plus que son travail d’interprétation des images de la France coloniale en métropole n’avait pas fait l’objet d’une analyse statistique qui l’aurait éclairée.
Pour le reste, la double face publique et privée de cette association, le mélange des genres qu’elle semble pratiquer, a sans doute appelé des contrôles juridiques et financiers dont il n’est pas fait état, alors que l’Achac semble prospérer dans le « business » postcolonial.
« L’usage de la culture coloniale et du continuum comme instruments de catégorisation culturelle. (p,113)
Commentaire : pourquoi ne pas être surpris par la mise en scène du concept savant de « continuum », difficile à définir dans le cas présent, et qui n’a fait l’objet d’aucune mesure scientifique, ne serait-ce précisément que par sondage ?
« Le continuum colonial est le fil rouge des travaux de l’Achac dès sa création. Il complète et explique la notion de culture coloniale fondée sur l’idée –inspirée des postcolonial studies – de la fabrication d’un imaginaire raciste par la situation coloniale (colonisation, moment colonial, décolonisation) qui perdure après la décolonisation et qui imprègne encore les sociétés contemporaines. L’expression continuum colonial soutient l’hypothèse que l’un des facteurs des discriminations au présent réside dans la relégation du passé colonial, voire sa non-prise en compte dans le récit national. Cette interprétation développe l’idée qu’une meilleure appréhension du passé colonial faciliterait l’intégration des populations héritières de l’immigration soucieuses de verser leurs héritages dans le pot commun historique.
Tous les travaux de l’association vont donc tourner autour de l’identification de cet imaginaire, à travers des sources quasi exclusivement de propagande (affiches de propagande, cartes postales coloniales, objets coloniaux), et la pise en avant (voire l’exposition) de la poursuite ininterrompue de ces représentations racialisées depuis la première colonisation du XVIème siècle. »
Commentaire : l’auteure évoque ensuite l’exposition consacrée aux « zoos humains » lancée en 2000 ? Un seul commentaire : l’Achac a complètement caricaturé un sujet qui méritait plus d’objectivité et de sérieux.
De 1877 à 1931, 32 expositions de peuples « exotiques » ont eu lieu au Jardin d’Acclimatation, dont 11 organisées par la troupe allemande Hagenbeck, et sur le total, on trouvait une grande variété d’origines, Lapons, Eskimo, Peaux-rouges, dont 11 venues d’Afrique.
« L’idée de continuum est donc posée comme une ressource pour penser politique. (p,114)
Le moment le plus abouti de l’implantation de l’Achac dans le champ de l’histoire et de la mémoire coloniale est la publication en 2005 de La Fracture coloniale. Pascal Blanchard nous a relaté la genèse de cet ouvrage dont l’écho est considérable… Il est évidemment placé sous le prisme du continuum colonial puisque certains articles traitent des banlieues et de l’immigration quand d’autres sont focalisés sur le passé colonial. »
Cette enquête a été financée par la Délégation interministérielle à la ville.
«Dans le livre, l’article de Sandrine Lemaire est consacré à l’enseignement du fait colonial considéré comme partiel, lacunaire et n’opérant aucun lien avec la question de l’immigration. Cet article est le produit d’un long travail de fond à destination des curricula d’histoire. » (p,115)
« Le marché de l’histoire scolaire (p,115)
Très tôt, les historiens de l’Achac ont sollicité l’école, rouage essentiel de la démocratisation de leurs travaux… Lors de notre entretien, Pascal Blanchard évoque à plusieurs reprises son souci de toucher les enseignants. Sandrine Lemaire, enseignante dans le secondaire, est décrite comme assurant ce rôle d’interface.
« moi je suis pas très compétent là-dessus : ça a jamais été mon territoire ; moi j’avais qu’un seul truc qui m’intéressait c’est la partie illustrative des manuels parce que je pense que les manuels (inaudible) maintenant ça a un peu changé mais l’image coloniale c’était une catastrophe, c’est à dire qu’ils n’expliquaient pas que c’était une image de propagande, disaient pas, c’était illustratif. »
« La stratégie a donc été, d’après lui, de développer un rapport de force avec les éditeurs…. La problématique scolaire intéresse très peu Pascal Blanchard lui-même, qui, n’a d’ailleurs jamais enseigné, mais l’Education nationale est un marché….
… l’article de Sandrine Lemaire dans La Fracture coloniale est en quelque sorte l’aboutissement de cette conquête de marché. » (p,116) (J’ai souligné)
- L’auteure évoque alors assez longuement l’enquête de Toulouse de 2003, trente-quatre personnes seulement interrogées, les enquêteurs s’étant rendus sur place avec une mallette pédagogique pour soixante-huit participants, la mallette proposée par l’Achac…
« Les résultats de l’enquête sont détaillés dans le rapport in extenso que nous avons pu nous procurer. L’enquête prétend avoir choisi une ville neutre sur le plan de la mémoire coloniale. (note 28) L’analyse des questionnaires (aux questions fermées) montre une « défaillance des programmes scolaires qui accordent la portion congrue à cette page de l’histoire » (p,10)
« … Fortes interférences entre la mémoire familiale…. Forte demande sociale « formulée explicitement vis-à-vis de l’histoire coloniale ». Enfin, ils signalent que les principaux schèmes coloniaux élaborés au temps de la colonisation ont conservé une certaine vitalité (p,17), affirmant même que :
« Il ne fait guère de doute que la spectacularisation actuelle du débat sur l’insécurité et les banlieues – sans même parler du mot « jeune » qui opportunément remplace celui de l’esclave, de sauvage, d’indigène, d’immigré ou de sauvageon – constitue une reformulation de ce que l’on pourrait appeler une fracture raciale. » (p,18)
« … Beaucoup de jeunes sont encore plus dans une logique d’humiliation vis-à-vis de cette histoire, disent-ils, il y a donc un gros travail pédagogique à effectuer. » (p,117)
Commentaire : 1- il est évident que Toulouse n’était pas une ville neutre comme le souligne la note 28 (p,117) : « C’est une affirmation très contestable du point de vue de l’histoire et de la réalité sociologique de la région Midi-Pyrénées et de la ville de Toulouse. »
2 – la représentativité statistique de cette enquête ? 34 questionnés, et l’on en tire des enseignements qui permettent d’affirmer « Il ne fait guère de doute » ? L’éditeur a-t-il pu en juger ?
3 – je n’irai pas plus loin dans mon commentaire, sauf à dire que les propagandistes coloniaux n’ont jamais eu l’occasion de tenir et de diffuser leurs images et leur discours comme le font ces nouveaux propagandistes postcoloniaux : seuls les historiens sérieux ont l’occasion de mesurer si les deux propagandes se font à armes égales, étant précisé que la propagande, s’il s’agissait de cela, dans les livres scolaires de la Troisième République, ne représentait que quelques pages de ces livres. En est-il de même pour les œuvres de Sandrine Lemaire ?
L’Achac a obtenu le concours des institutions publiques : « note 30, p,118, Ces documents ont un caractère semi-officiel, élaborés par des chargés de mission mais signés par l’Inspection générale. Publiés par le CNDP, et visés par l’IGEN, ils sont porteurs d’une vision prescriptive même douce. »
Note 31 Au lycée, le manuel Hatier 1ère L,ES,S consacre une double- page aux « représentations de l’indigène », p, 74. Chez Bréal, le manuel de terminale consacre une double-page à « Comment les colonies sont-elles perçues par les Français entre les deux guerres ? »( p,144)
Jean Pierre Renaud