Laïcité et République Française, la laïcité est le gage de la paix civile !

En écho aux déclarations du Président devant les évêques de France, le 8 avril 2018…

Laïcité et République Française, la laïcité est le gage de la paix civile !

            Il s’agit d’un sujet auquel je suis particulièrement sensible et attaché pour de multiples raisons que je vais rapidement évoquer.

            Des raisons familiales tout d’abord : petit enfant d’une famille grand-paternelle issue du Plateau de Maîche, dans le massif du Jura, dans ce que certains commentateurs baptisèrent alors du nom de « Petite Vendée », ma famille s’illustra dans la bataille de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, en luttant contre les inventaires des églises.

            Arrêté comme meneur de la révolte du Russey, mon grand-père paternel, éleveur sur ce plateau, fut arrêté par la gendarmerie et fit un séjour de quinze jours de prison à Montbéliard.

            Ses convictions religieuses ne l’ont évidemment  pas empêché, comme citoyen, de trouver naturel que ses quatre fils fassent leur devoir de citoyen pendant la guerre de 1914-1918 : le plus jeune, gravement blessé,  mourut la veille de ses vingt ans, et parmi les trois autres, l’un fut gazé, le deuxième mutilé, et le troisième plusieurs fois blessé.

            Je n’ai généralement pas l’habitude d’exposer ma vie privée, mais les circonstances actuelles m’appellent à le faire, compte tenu de l’irresponsabilité généralisée qui semble dominer le débat sur la laïcité.

            Tout en comprenant plus tard les raisons de l’opposition de ma famille paternelle à cette époque, je n’ai jamais partagé leur opinion, car tout au long de ma jeunesse, de mes études, de mes expériences professionnelles à l’étranger ou en métropole, j’ai eu maintes occasions de me féliciter de l’existence de cette loi.

            Dans le Pays de Montbéliard, terrain tardif de lutte entre les catholiques et les protestants, j’avais vécu au quotidien, plus de cinquante ans après la loi, les difficultés et les fragilités de leur cohabitation religieuse, d’autant plus que la présence de deux temples protestants, témoins du lointain passé allemand du pays, attestait de la force des liens protestants luthériens et calvinistes.

            Ajouterais-je qu’au cours de la première moitié du vingtième siècle, la communauté protestante avait sans doute  ressenti, dans une partie de ses éléments, la nouvelle présence catholique venue d’une immigration de proximité comme une sorte d’invasion.

          Vous n’y verriez pas un rapprochement avec la perception qu’une partie de la population de ce Pays ressent de nos jours à l’endroit d’une immigration musulmane relativement importante, souvent venue de loin ?

         Dans les années 60, qui dans ce Pays avait fait connaissance avec l’Islam ? Alors qu’au cours des dernières années, cette dernière religion a introduit dans notre pays une source incontestable de contestation, de division, de fragilité, à partir du moment où la religion islamique n’a pas encore reconnu, si cela arrive un jour, le précepte d’après lequel ce qui est à César est à César, et ce qui est à Dieu est à Dieu, c’est-à-dire la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat.

      Rappelons que pour une majorité de musulmans, il n’existe pas de séparation entre les domaines religieux et civil, comme ce fut longtemps le cas chez nous.

         Il y a quelques années encore, à l’occasion d’un mariage, j’avais recueilli le témoignage d’un couple mixte, mari catholique et épouse protestante, dont le mari avait fait l’objet d’une exclusion de l’Eglise catholique à la suite de leur mariage dans les années 1960.

        Je n’ignorais pas non plus le lourd passé de nos guerres religieuses qui ont ensanglanté la France pendant des siècles, et l’Eglise catholique, apostolique, et romaine serait bien inspirée de ne pas l’oublier. J’en donnerai un exemple historique en annexe de ce texte.

 Des raisons culturelles et professionnelles :

          Au cours de mes études, j’avais été sensibilisé aux problèmes de l’athéisme et des religions du monde, aux conceptions de l’islam, de l’hindouisme, du bouddhisme, du confucianisme, du shintoïsme, ou de l’animisme, mais c’est au cours de mes séjours en Afrique noire et en Algérie, que j’ai eu véritablement l’occasion de faire connaissance avec l’emprise de l’islam, de moins en moins rigoriste en Afrique noire, en descendant du Sahel vers la côte, cette dernière étant encore le terrain d’une profusion de croyances animistes aux prises avec l’islam et le christianisme.

        Cet islamisme mâtiné de l’influence de nombreuses confréries, telle celle, puissante, des Mourides au Sénégal, était très différent de celui de l’Algérie, plus structuré. Pourquoi ne pas noter que dans les pays d’influence musulmane, leurs lettrés considéraient que les blancs étaient des « nazaréens », c’est-à-dire des infidèles, pour ne pas dire des mécréants ?

      Dans son livre, «  La France en terre d’islam », Pierre Vermeren  a fort bien analysé les relations que le pouvoir colonial entretenait avec le monde musulman.

      Dans la plupart des cas, il s’instaurait une sorte de tolérance respective et bienveillante entre les deux pouvoirs, les religions étant considérées comme faisant partie des coutumes qu’il convenait de respecter, car il n’était évidemment pas question d’instaurer la laïcité.

      Il en fut à peu près de même en  Algérie, sauf que dans ce pays, et cela changeait déjà tout, les Européens y constituaient une très forte minorité dominante.

     Sur le long terme, chacun vivait ses convictions religieuses de son côté, pour autant qu’elles existaient. Pierre Vermeren  décrivait dans son livre « Une contre-société coupée de l’Algérie française » (p,218)

      La guerre d’Algérie a plutôt renforcé cette « contre-société ».

     Récemment, plus d’une centaine d’intellectuels de France ont dénoncé le « séparatisme » musulman, comme s’ils découvraient un problème qui a toujours existé et dont les conséquences ont été régulièrement renforcées avec l’immigration : l’islam de France n’a jamais accepté la séparation des Eglises et de l’Etat, ne serait que parce que l’expression « Islam de France » n’a pas de traduction doctrinale et institutionnelle, ou ce qui est plus grave, ne peut pas en avoir, dans un contexte théocratique.

      Dans notre pays, le citoyen a quotidiennement la preuve que les responsables politiques découvrent toujours, après coup, la nature des problèmes  à résoudre.

       En 2012, j’ai publié sur ce blog une petite analyse du livre de John R Bowen, intitulé «  L’Islam à la Française », résultat d’une enquête qu’il avait effectuée dans tous les compartiments de cette religion. Ses diagnostics étaient concluants : à cette lecture, il était clair que le plus grand désordre régnait dans les institutions supposées de la nouvelle religion « française », sa doctrine ou ses doctrines, une organisation faite d’improvisation et  d’amateurisme religieux et prosélyte nourri d’internet. (blog des 19/10/12, 7/11/12, et 15/07/17)

      L’auteur notait, de façon peut-être optimiste, qu’il semblait exister des chemins de rencontre entre l’Islam à la Française et les institutions de la République.

      Il est évident que l’éphémère Califat de Raqqa, les nouvelles guerres du Moyen Orient, les attentats commis en France (Assassinat du père Hamel et du colonel Beltrame, et de beaucoup d’autres victimes) et en Europe, ont changé la donne, et fait craindre les initiatives répétées et mortelles d’un Islam radical.

        Le récent appel de plusieurs centaines d’intellectuels condamnant le nouvel antisémitisme qui sévit en France sonne le tocsin, et ces violences légitimement dénoncées trouvent évidement des aliments dans la démographie actuelle de la France et dans la paralysie persistante qui empêche la naissance d’un État Palestinien.

La problématique actuelle :

       De nos jours encore, le sujet est à nouveau inflammable, à voir les réactions qu’a suscitées le discours d’un Président de la République à la dernière Conférence des Évêques de France, en affirmant  vouloir restaurer « le lien abîmé entre l’Église et l’État » une expression ambiguë qui a donné l’occasion à certains groupes de pression influents de condamner le propos.

      Il est évident que l’arrivée d’une nouvelle religion chez nous, l’Islam, et d’autres mouvements culturels divers d’origine étrangère, prônant souvent un multiculturalisme niveleur et relativiste à la mode, ont agité la société française tout au long des dernières années, comme ils ont interpellé à maintes reprises notre système républicain de séparation des pouvoirs entre les Églises et l’État.

       Il est non moins évident que l’Islam de France n’a pas encore réussi, pour autant qu’il le puisse, à accepter une séparation des pouvoirs méconnue par la religion professée.

       De son côté, l’Église catholique a quelquefois adopté des positions qui remettaient en cause une conception trop rigide, à ses yeux, de la laïcité.

     Les rapports historiques qui ont été ceux de l’Église catholique avec le pouvoir politique devraient l’inciter à faire preuve de réserve, sinon de prudence, car, à dire la vérité, la fameuse loi de séparation de l’Église et de l’État constitue pour elle un rempart auquel il ne faut pas toucher.

       Que les institutions ecclésiastiques laissent le soin à l’État de faire son métier, c’est-à-dire appliquer cette loi, et de faire en sorte que de nouvelles formes de théocraties avouées ou masquées ne viennent pas empiéter sur le domaine public !

         De leur côté, les défenseurs de la laïcité n’ont pas toujours fait preuve du même élan que leurs ancêtres pour défendre la laïcité, en menant le combat contre les prières dans les rues, le port du  voile dans les établissements scolaires publics, la défense de l’égalité entre les femmes et les hommes, le refus de serrer la main des femmes, la venue d’imams étrangers dans les nouvelles mosquées, leur financement par des puissances étrangères, etc…

       Les silences d’une franc-maçonnerie jadis puissante dans l’Afrique coloniale et en métropole ont été assourdissants : elle se réveillerait enfin ? De même que certains partis politiques plus soucieux d’engranger des suffrages que de défendre le bien commun ?

       « Grand-Orient : « L’esprit de la loi a été mis à mal » (Le Figaro du 11/04/18,  page 3)

       Est-ce que la société maçonne a toujours été aussi réactive face aux nombreuses dérives de la religion musulmane sur le terrain public ?

     Je n’ai pas l’impression non plus que tous les mouvements d’action féministe aient toujours mené un combat permanent et efficace contre la condition inégalitaire faite trop souvent à des femmes d’origine musulmane.

       A plusieurs reprises sur ce blog, et à titre d’exemple, j’ai rappelé le combat nécessaire contre l’excision de jeunes filles d’origine africaine, dont le nombre représenterait encore dans notre pays de plus de 60 000 femmes,  plus de soixante ans après les indépendances coloniales (voir article Ondine Debré, Le Monde du 22/12/2016).

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En petite annexe pour la France de la mémoire courte, un petit rappel :

Les guerres de religion en France

« Le vrai, le faux et la fin de l’histoire », par Jean d’Aillon dans son livre « « Béziers, 1209 » page 591

            Dans plusieurs de ses livres, l’auteur a décrit les guerres intestines de cette France du XIIIème siècle, et notamment les guerres religieuses qui ont été menées contre les Cathares, considérés par l’Église romaine comme des hérétiques. A ce titre, ils étaient persécutés, et sauf abjuration de leurs croyances, assassinés et brûlés.

            Le livre « Béziers, 1209 » décrit toutes les horreurs de ces guerres, résumées dans la prise de Béziers qui connut alors toutes les violences imaginables, qu’il s’agisse d’enfants, de femmes ou d’hommes, combattants ou non, commises à l’instigation des institutions religieuses, d’alliés laïcs, et d’une foule de ceux qu’on appelait les ribauds ou les ribaudes, c’est-à-dire des hordes de manants prêts à tout.

        Afin d’illustrer ces tragédies, je me contenterai de reproduire le texte de la relation (page 591) qu’en fit le pape Innocent III, lequel « approuva sans réserve le sac de Béziers » :

      « Bien que les citoyens de Béziers eussent été scrupuleusement avertis par nous et par leur évêque et que nous leur eussions ordonné, sous peine d’excommunication, soit de livrer aux croisés les hérétiques avec leurs biens, soit, s’ils ne pouvaient pas, de sortir eux-mêmes de la ville, sans quoi ils partageraient le sort des hérétiques, ceux-ci pourtant n’obéirent pas à nos sommations et à nos demandes ; bien plus, ils convinrent par serment avec les hérétiques de défendre la ville contre les croisés.

       Le jour de la Sainte-Madeleine, la ville fut assiégée un matin. Par la nature du lieu, par ses forces et ses provisions, elle semblait suffisamment munie pour pouvoir résister longtemps à n’importe quelle armée. Mais, comme aucune force ni aucun dessein ne peut s’opposer à Dieu, tandis que l’on parlementait avec les barons pour libérer ceux de la cité qui semblaient catholiques, les ribauds et d’autres personnes viles et sans armes, sans attendre l’ordre des chefs, lancèrent l’attaque et, à l’étonnement des nôtres aux cris de « Aux armes, aux armes : », en l’espace de deux ou trois heures, les fossés et la muraille franchis, la ville de Béziers fut prise.

        Les nôtres, sans regarder l’état, l’âge ni le sexe, passèrent au fil de l’épée presque vingt milles hommes. Après cet énorme carnage des ennemis, toute la ville fut pillée et incendiée, la vengeance divine se déchaînant miraculeusement contre elle. »

      « D’autres contemporains parlèrent de soixante mille morts. »

      Jean d’Aillon, « Béziers 1209 » (pages 591,592) 

        Heureusement, et depuis, les Églises chrétiennes ont retrouvé leur vrai visage d’amour et de paix, mais il n’est jamais bon d’oublier son histoire, fut-elle déplaisante, encore moins de nos jours, alors que sont semées dans notre pays les premières graines de nouvelles guerres de religion.

         Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

La circoncision en Islande : décryptage !

Pourquoi décryptage ? Car les médias adorent le mot et la nécessité de décrypter, de tenter de comprendre ce qu’ont voulu dire ou écrire confrères et consœurs, alors que chacun sait qu’ils se tiennent presque tous par la barbichette… redevenue d’ailleurs à la mode.

            Comment décrypter dans le Figaro des 28 et 29 avril 2018, à la page 8, deux articles sur une moitié de page, avec pour titres : « L’Islande voudrait interdire la circoncision » et « Lewin : «  Il ne faut pas faire d’amalgame avec l’excision »

Curieuse idée que celle de l’Islande, cette petite île des mers du nord, alors que la circoncision a dans beaucoup de civilisations une signification religieuse, culturelle et sociale à laquelle leurs peuples restent attachés !

        Cette signification dépassait et dépasse encore souvent une croyance religieuse, juive ou musulmane, même si les lettrés d’Afrique noire dénommaient les blancs, au choix de « nazaréens » ou d’« incirconcis ».

        La circoncision était une fête coutumière de classe d’âge, et correspondait à une cérémonie importante d’initiation, de symbole du passage des garçons à l’âge adulte, une cérémonie célébrant l’esprit de solidarité collective de cette classe d’âge qui nous fait peut-être défaut de nos jours.

        A Madagascar, la grande île de l’Océan Indien, sur les plateaux, la circoncision était une coutume importante, car, avant d’être circoncis, un garçon n’était pas considéré comme un homme.

          « … le prépuce coupé est placé entre deux tranches de banane mûre et avalé sans être mastiqué par l’un des oncles (consanguin ou utérin) de l’enfant. » ( Louis Molet L’Homme-1976- p,33-64)

          Terminons en indiquant que l’incidence sanitaire de l’opération n’est pas à négliger !

          Certains n’ont pas manqué de se demander si les Islandais n’avaient pas plutôt en tête d’interdire le trafic de prépuces de poissons ?

         En ce qui concerne l’excision, un sujet autrement sérieux, les lecteurs connaissent mon opinion sur cette forme de barbarie.

         Jean Pierre Renaud

Propagande postcoloniale contre propoagande coloniale ? « Fragments du jeu académique postcolonial » par Vincent Chambarlhac

L’ACHAC/BDM, fausse ou vraie sirène postcoloniale ?

Le moteur d’une subversion postcoloniale.

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La sirène ACHAC/BDM

« Fragments du jeu académique postcolonial (à propos d’un collectif, l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine, ACHAC)

Vincent Chambarlhac – CAIRN INFO

            « Pour emblématique qu’il soit, le débat sur l’article 4 de la loi du 23 février 2005 vaut palimpseste, effaçant parce que le réécrivant le texte des polémiques intellectuelles qui contribuèrent à la structuration de la controverse coloniale. Partant, il ne s’agit pas pour autant de restituer un sens caché à ce débat (1), mais plutôt d’évoquer à grands traits un faisceau de pratiques universitaires, éditorialistes et militantes qui concourent à cette structuration dont le nœud gordien serait le lien tissé entre le passé colonial et le présent républicain. Soit l’irruption  des postcolonial studies dans le champ académique. Si l’essentiel de mon propos vise à restituer à une part des acteurs de ce débat leur rôle singulier, le politique dans sa version parlementaire et partidaire demeure en hors-champ de l’analyse. Dans la genèse intellectuelle du débat, ces jeux d’acteurs se saisissent à mes yeux dans l’horizon du postcolonialisme comme enjeu conceptuel simultanément universitaire et militant, à l’orée des années 1990 dans le monde anglo-saxon (2), aujourd’hui en France. Embrasser l’ensemble du champ français du postcolonialisme outrepasse évidemment le cadre de cet article : il se restreint à la part active prise dans le développement de ce champ par Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et plus largement le collectif qu’est l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine (ACHAC) dans son lien avec l’histoire contemporaine. Dans l’historiographie française, leurs publications, et les stratégies qui les animent, constituent à mes yeux une part des débats en cours sur le postcolonial.

            L’hypothèse d’un transfert culturel ouvre l’analyse : elle n’est pas inédite, reprend un argument souvent brandi dans les débats. Cette hypothèse débouche sur la saisie de deux logiques complémentaires. L’une se situe aux confins des pratiques universitaires et médiatiques ; elle désigne autant un projet qu’une manière de se situer dans le champ de l’histoire universitaire. La seconde désigne l’appropriation politique de la problématique postcoloniale dans l’espace public, et postule que celle-ci participe de l’inscription du postcolonial dans le jeu académique. Toutes deux signalent des lieux et des passeurs par quoi et par qui les débats adviennent, se structurent et s’arriment au champ historique dans la récurrence des polémiques.

L’HYPOTHÈSE D’UN TRANSFERT CULTUREL

        «Sur le fond, ce qui se joue dans ce débat sur le fait colonial tient à ce que l’histoire de ce passé fait aux universaux républicains. Cette position travaille finalement peu le monde colonial : seule importe la métropole. Lié au présentisme des enjeux mémoriels, ce questionnement de la République à partir du fait colonial convoque les apports des postcolonial studies anglo-saxonnes. Ce mouvement, qui commence à partir du débat des années 1990, se déploie à partir de la culture comme objet. Significativement, l’une des premières manifestations de cette irruption des problématiques des postcolonial et cultural studies dans l’historiographie française est la longue recension que Christophe Prochasson donne de l’ouvrage d’Hermann Lebovics pour les Annales HSS (3) ce livre est finalement traduit chez Belin en 1995. Pour Christophe Prochasson, « le retour à une histoire politique passe par la publication » de tels ouvrages (4). C’est dans la conjoncture du renouvellement de l’histoire politique par l’histoire culturelle que se déploient l’appel aux travaux anglo-saxons et, dans le cas présent, la question du postcolonialisme. La situation peut se lire dans la problématique de l’appel au profane : en recourant aux travaux anglo-saxons, une partie des historiens français se distingue dans la reconfiguration en cours du champ historiographique par l’histoire culturelle (5)…

        On peut ainsi risquer l’hypothèse, à propos de la question coloniale, d’un transfert culturel paradoxal… L’irruption des thématiques propres au postcolonial studies bouscule en partie l’histoire du fait colonial naguère pratiquée à partir de l’histoire politique et de l’histoire sociale. Déplaçant sur le sol métropolitain la prise en compte du fait colonial, elle fragilise l’équilibre des découpages jusque-là dominants où l’histoire coloniale occupait un secteur historiographique marginal.(6) Cet appel au profane présuppose l’hybridation des synthèses prévalant, multiplie les controverses possibles puisqu’elle postule dans la trame du national (réduite spatialement au métropolitain) la part du colonial, soit l’argument emblématique des racines coloniales de la république au sens de l’histoire politique.(7)…

          Ici, le rôle de l’ACHAC et des publications qui lui sont liées paraît déterminant. Son action se déploie à la charnière de ces deux logiques. L’une est militante et universitaire ; éditoriale la seconde se marque davantage à partir de 2003 des  signes propres au spectaculaire. Cumulées, ces logiques concourent simultanément à la légitimation universitaire d’une part des travaux d’un collectif au titre du postcolonialisme, et à l’évidence prescriptive de ces thématiques dans l’espace public. Dans son rapport à la société, l’historien parait ici thaumaturge puisque légitimant scientifiquement les nécessités d’une politique de la reconnaissance ; dans son rapport l’historiographie, l’historien paraît là challenger. La possibilité des polémiques et l’impossibilité des controverses naissent de ce positionnement singulier. » (11)    

         Commentaire :   

         Ce quime frappe dans cette analyse fort intéressante du type de problématique historique ou mémorielle rencontrée,  de la nature d’historicité racontée, c’est en arrière-plan, la question d’une historicité légitimée par sa scientificité, et dans le cas présent sa représentativité, sa validation dans une histoire quantitative dans le contexte historique métropolitain de la période coloniale, dénombrement des vecteurs et de leurs effets, mesure de la mémoire « coloniale » post-indépendance,  et d’un transfert supposé entre populations.

        Transfert culturel ou politique, pourquoi pas, mais comment en effet tirer une conclusion, une prescription, à partir du moment où les historiens, les sociologues, les anthropologues, les politologues, et ici les sémiologues, « bâtissent » une histoire ou une mémoire, en fondant   interprétation, mais pis, « prescription », sans évaluation scientifique des sources de validation ?

       Car, tel est bien le cas du discours pseudo-historique tenu par ce collectif.

        Les lecteurs de ce blog qui ont eu la curiosité de lire mes analyses des œuvres d’Edward Said, ont constaté que je posais la question de base du « quantitatif », à savoir si les « structures d’influence » supposées avaient été effectivement mesurées. Indiquons en passant que les travaux d’Edward Said se situent à un autre niveau d’exigence intellectuelle que ceux de ce collectif.

        L’auteur poursuit :

       « Une trajectoire historiographique

        L’ACHAC participe depuis 1989 d’une manière souvent déterminante à la promotion du concept de culture coloniale. La structure de l’association articule le monde de la recherche (Bancel, Blanchard et alii), des écrivains (Daeninck), des cinéastes et des artistes militants, et reproduit en partie la morphologie anglo-saxonne des postcolonial-studies. Son action repose sur des supports variés : l’exposition, le livre, l’article, le documentaire vidéo, la radio…  A l’ACHAC, on peut adjoindre, au moins pour son savoir-faire l’agence les Bâtisseurs de mémoire créée par Pascal Blanchard qui considère l’histoire comme un vecteur de communication au service des entreprises. Les travaux de l’ACHAC ont graduellement balisé l’irruption des thématiques postcoloniales. Ils se déportent progressivement de l’Afrique à la métropole, interpellant alors la République par le biais de la question coloniale. »

         Commentaire :                  

       Le texte ci-dessus est intéressant parce qu’il pose  plusieurs problèmes : – sur le qui fait quoi entre l’associatif, ou le public, et le privé, c’est-à-dire sur le mélange des genres, d’autant plus que Pascal Blanchard était répertorié dans un laboratoire du CNRS de Marseille ?

  • Sur le sens à donner à la dernière phrase sur le déport progressif de l’Afrique à la métropole… par le biais de la question coloniale »   

      A proprement parler, le déport n’a pas été fait de l’Afrique à la métropole, mais de la métropole à la métropole, à partir d’un corpus de représentations coloniales diffusées en métropole, des représentations qui n’avaient pas été manipulées par le Colloque savant de janvier 1993, comme le fit l’ACHAC.

        L’auteur découpe trois étapes :

       « Trois étapes marquent ce processus

        Dans une première phase, les travaux de l’ACHAC procèdent de la mission fondatrice de l’association, organisant autour de la bibliothèque de documentation internationale (BDIC) et de ses fonds des expositions sur l’Afrique coloniale. Le choix d’une entrée par la culture coloniale implique l’étude des représentations métropolitaines sur le fait colonial. Le catalogue d’exposition prend ainsi comme cible la propagande coloniale, mais aussi dans le sillage d’Edward Said, le regard des Occidentaux sur l’Orient, et ce jusqu’en 1962. L’empire colonial français fut également en 1997, l’objet d’une exposition.

       A partir de ce capital, une inflexion décisive se dessine avec la publication d’un ouvrage collectif consacré aux zoos humains. Ici, la traduction spatiale s’achève. La métropole seule importe comme cadre géographique des représentations coloniales, et la séquence chronologique embrassée par le titre (De la Vénus hottentote aux reality shows) signifie la pertinence d’une grille de lecture postcoloniale. Ce travail sur les zoos humains fut préparé par la publication d’un ouvrage portant sur la continuité de l’indigène à l’immigré. Les travaux d’Abdelmalek Sayad innervent cette problématique. L’essentiel de cette translation tient à sa dimension anthropologique où les représentations du corps, ses usages, deviennent le lieu déterminant de l’analyse. La problématique se noue à la discrimination positive, où le corps vaut marqueur social ; elle établit également un pont avec la question de l’esclavage. Au cours de cette seconde étape, l’approche s’institutionnalise scientifiquement par la création du groupe de recherche GDR CNRS 2332 « Anthropologie des représentations du corps » créé en janvier 2001 dans lequel entre l’Agence des Bâtisseurs de mémoire, représentée par Pascal Blanchard et Eric Deroo. Au cours de cette seconde étape, les problématiques employées se resserrent, à partir du concept de culture coloniale, sur la question du rapport à la métropole en termes de représentations. Les objections de Claude Liauzu à ces travaux désignent cette réduction du fait colonial au seul registre des représentations métropolitaines. A ce stade également, l’argument de la culture coloniale s’entend dans la configuration plus ample du succès d’une histoire des représentations dans le champ historique où Sylvain Venayre décèle la fin de la soumission du monde mental au social. Le propos de Claude Liauzu procède en partie du refus de cette fin, comme d’une historiographie aux paradigmes érigés avant le tournant culturaliste.

        La troisième étape voit la systématisation de cette entrée sur le fait colonial maintenant placé au cœur du récit national républicain. L’argument d’une République coloniale publié sous forme  d’essai prolonge la trilogie des Editions Autrement sur la culture coloniale. La publication en 2005 de l’ouvrage consacré à la culture coloniale clôt momentanément cette étape. Avec ce dernier opus, la grille postcoloniale se donne comme une clé d’explication possible de la question sociale contemporaine…Cinq ans plus tard, le volume Ruptures coloniales. Les nouveaux visages de la sociétéfrançaise  procède du même mouvement…

            Cette relecture de l’histoire politique au miroir du colonial emprunte nombre de ses arguments au questionnement des colonial studies anglo-saxonnes comme en  témoignent les entrées de Ruptures postcoloniales. Les racines intellectuelles d’un collectif s’affirment face à la polémique dans le champ scientifique ouverte par l’irruption de ce postcolonialisme académique.

      Ainsi ramassée, cette trajectoire historiographique nouée autour des publications de Nicolas Bancel et de Pascal Blanchard montre comment ceux-ci peuvent apparaître comme des passeurs dans le cadre d’un transfert culturel des problématiques postcoloniales. Peu à peu autour de leurs publications, s’ébauche un système éditorial qui construit progressivement leur position dans le champ universitaire à partir d’une critique sans cesse plus resserrée des représentations républicaines. En ce sens, leurs travaux s’apparentent à l’émergence d’une nouvelle génération de  chercheurs légitimant ces nouveaux champs de recherche par l’appel aux cultural studies. Les controverses universitaires suscitées par ces travaux construisent également par leur médiatisation, la réputation de ces chercheurs. Cette stratégie part des marges de l’institution universitaire (l’ACHAC, l’agence les Bâtisseurs de mémoire), elle trouve des points d’appui dans le monde universitaire anglo-saxon et se nourrit de chantiers proches tel celui de l’esclavage pour proposer in fine une autre écriture du récit républicain. Ce système éditorial ne set pas seulement cette position historiographique. La stratégie qui anime son progressif développement structure pour  partie la réception des problématiques postcoloniales dans l’espace public, ouvrant ainsi intellectuellement la voie à une appropriation large de ces travaux, questionnant le rôle social de l’historien dans la CitéLes enjeux politiques de l’histoire coloniale (de Mme Coquery-Vidrovitch , sorte de marraine de guerre idéologique de Pascal Blanchard ne cessent ainsi de scander dans l’espace public la question du postcolonialisme depuis 2005. Nécessairement celle-ci n’est donc pas uniquement académique, accolant ainsi systématiquement à la figure du chercheur celle du militant. L’assomption des propositions historiographiques de l’ACHAC tient à ce moment politique où la colonisation est convoquée dans l’espace public.

             Commentaire :

             Comparé à ces historiens entrepreneurs d’un nouveau genre, et pour les initiés, l’historien Lavisse était un ange !

        Il faut dire les choses, et pas à demi-mot, face à beaucoup de ces chercheurs qui ignorent beaucoup de choses, sur l’histoire coloniale et postcoloniale, mis à part le cas de l’Algérie, grâce, entre autres, au zèle médiatique et mémoriel de Benjamin Stora, animateur du modèle de propagande des Raisins Verts, que j’ai qualifié ainsi dans une de mes chroniques, l’agit prop d’un nouveau Trotskisme, faute de l’autre !

        Est-ce qu’ils ne sont pas définitivement fâchés avec les chiffres, ceux de l’histoire quantitative ? Ont-ils eu la curiosité, comme je l’ai fait, de tenter de mesurer l’activité des vecteurs d’une culture coloniale supposée, ainsi que de leurs effets qui n’a jamais existé ?

        Histoire, mémoire ou plutôt politique, car ce collectif fait semblant d’ignorer l’importance des flux d’immigration régulière et irrégulière qui sont venus dans notre pays depuis près de trente années, dont une majorité d’entre eux ignoraient presque tout de leur histoire coloniale.

         Il faut donc dire que ce collectif surfe depuis le début sur un créneau politique nouveau, un nouveau « marché », comme les analyses sérieuses l’ont démontré, en pratiquant un mélange des genres entre associatif, public et privé, surprenant et choquant pour tout connaisseur des affaires publiques.

       Le nom de baptême que l’auteur a décerné à Mme Coquery-Vidrovitch m’est allé droit au cœur : « sorte de marraine de guerre idéologique de Pascal Blanchard », car il s’agit bien d’une « sorte de guerre » masquée, qui ne dit pas son nom, mais qui sait y faire dans la marchandisation de l’histoire, à supposer quand même qu’il s’agisse bien d’histoire.

      Jean Pierre Renaud

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? Vincent Chambarlhac – fin

 « Un dispositif éditorial militant

        A rebours de cette trajectoire de ce collectif une stratégie éditoriale s’esquisse. A sa racine, il y a sans doute la crise de l’édition en  sciences humaines. Parce qu’elle suppose la mise en concurrence des auteurs et des éditeurs, cette crise réclame un savoir-faire spécifique dans le mode d’apparition de travaux qui concourent à la réputation d’un auteur. Il s’agit là de solliciter la polémique plus que la controverse scientifique. La première permet d’asseoir une réputation scientifique dans l’espace médiatique et par contrecoup, de construire une espace dans le dispositif institutionnel de la recherche (fondations, musées, chargés de recherche…) Le dispositif médiatique déployé joue sur deux registres noués par la figure du refoulé de la mémoire coloniale. Il reprend le « modèle » heuristique vichyssois, l’appliquant au postcolonialisme. Il s’agit de réaliser la « paxtonisation » du champ de l’historiographie du fait colonial en France selon Nicolas Bancel et Pascal Blanchard. L’expression saisit la stratégie poursuivie et souligne un mode d’apparition dans l’espace public. Ce « modèle vichyssois » s’exprime en grande partie dans de courts articles au Monde diplomatique. Ici, l’écriture collective, se charge d’une évidence militante. L’essentiel est d’avancer l’argument quasi pathologique d’une amnésie, du refoulé d’une mémoire coloniale : le spectacle des zoos humains était ainsi routinier naguère, occulté aujourd’hui. D’un syndrome l’autre, l’emprunt au lexique d’Henri Rousso est patent. Ces prises de position, qui sont le fait de chercheurs, s’entendent dans l’espace public, comme un rapport singulier à l’histoire, construit sous les auspices du devoir de mémoire : animée par une écriture militante, la plume universitaire assoit la démonstration dans une revue de vulgarisation scientifique. L’essentiel du dispositif éditorial tient à cette circulation incessante entre les pôles militant et heuristique.

        La société française doit donc entrevoir et se questionner au prisme del’héritage colonial. Amorcée dès 1997, cette logique culmine avec la fracture coloniale qui outrepasse l’essai d’histoire immédiate, posant les membres du collectif en praticiens et/ou experts des pathologies sociales. L’ouvrage devient en 2010, sous la plume de Marie-Claude Smouts, le catalyseur des études postcoloniales sur la scène française : le collectif fournit ainsi une première réponse à une demande issue du mouvement des indigènes de la République comme des débats autour de l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 1995. Les émeutes de novembre 2005 renchérissent médiatiquement l’hypothèse d’une pertinence de la grille postcoloniale comme lecture du social. Un effet de seuil a été franchi. Dans ce franchissement, l’évidence d’une situation postcoloniale s’est imposée. La logique du palimpseste, inhérente à l’intrication des enjeux dans la polémique sur la question coloniale, recouvre alors la part de la structuration intellectuelle du débat…

         En son moment politique, la trajectoire de l’ACHAC consacre l’irruption médiatique du postcolonialisme dans le champ scientifique. Un « tournant postcolonial » serait là à l’œuvre dans l’ouvrage Ruptures postcoloniales entend sonder les contours, tout en gardant à « l’esprit l’illégitimité universitaire de l’histoire postcoloniale » en 2010. Puisque l’engagement du collectif peut se « concilier avec des approches plus distanciées d’une construction de l’objet respectant une certaine façon de se rapporter aux événements, aux autres et à soi-même », la capacité de ces historiens à diagnostiquer les pathologies sociales certifie leur scientificité. Dans cette configuration tautologique, l’historien du postcolonialisme est scientifique car intrinsèquement militant. La boucle est bouclée, la reconnaissance scientifique procède de la capacité militante à distancier son engagement pour construire un objet, posé ensuite comme central dans le réagencement du champ académique. L’illégitimité universitaire du postcolonialisme procède d’un combat d’arrière- garde. Coda, donc ?

        Commentaire :

       J’ai souligné plusieurs phrases qui me paraissent importantes dans cette analyse de grande qualité, par ce qu’elle devrait interroger le monde universitaire sur la scientificité de « ses productions ».

       A plusieurs reprises, j’ai posé la question, au départ, de la scientificité des thèses, alors que les débats éventuels des jurys et leurs votes restent secrets, et que le ou les rapports  de lecture le sont aussi.

      J’ai buté sur cette difficulté surprenante lorsque j’ai voulu obtenir ce type d’information sur les deux thèses de doctorat de Pascal Blanchard et d’Elise Huillery.

       « Tautologique » sûrement, étant donné que ce collectif renvoie ses auteurs les uns vers les autres, en boucle, sans avoir validé ou fait valider les sources – les représentations- qu’ils ont manipulées dans un but médiatique et idéologique.

            « Diagnostiquer les pathologies sociales » dans leur qualité de médecins de Molière du siècle, incontestablement, comme je l’ai souligné au début de ma conclusion du livre « Supercherie coloniale », en y ajoutant un zeste de psychanalyse avec l’invocation du refoulé, de l’inconscient collectif (voir Cocquery-Vidrovitch), du ça colonial ou postcolonial.

     « S’inscrire en challenger

       Ce dispositif éditorial se singularise par sa dynamique réflexive entre des pôles discursifs, schématiquement, qualifiée de militant (Le Monde diplomatique, les pages « Débats » du Monde, les interventions radiophoniques de Daniel Mermet…) d’heuristique (des revues de haut niveau de vulgarisation comme les Cahiers français, Hommes et migrations…) et les thématiques développées dans l’espace public par les politiques de mémoire et les luttes pour la reconnaissance. C’est dans cette réflexivité que se saisit  la part du jeu à l’œuvre, par quoi des challengers tentent de s’inscrire dans le champ scientifique, certes au prix de frottements. Lire cette stratégie en termes d’inscriptions académiques implique à nouveau la périodisation ; des figures et des rhétoriques s’enchâssent qui représentent autant de modalités d’être académiquement à ce « concept circulant » selon la formule de l’introduction de Ruptures postcoloniales qu’est le postcolonialisme.

       Née du combat pour les droits civiques aux Etats-Unis, la discrimination positive permit le développement de la Public history. La naissance, puis le développement de l’agence des Bâtisseurs de mémoire, comme celui de l’ACHAC, procèdent sans doute de ce lien. La charge critique de Camille Trabendi pour Agone sur Pascal Blanchard, free lance researcher, s’entend dans cette configuration. La polémique qui s’ensuit sur le blog d’Agone porte comme titre le néologisme de «  Postcolonial business ; l’article indique qu’il y avait dans « l’interprétation économique et sociale du malaise des classes populaires » comme un « marché à conquérir » pour Pascal Blanchard. Articulée sur la trajectoire de l’ACHAC en son moment politique, la charge déconstruit la posture d’l’historien ; elle dit peu sur l’inscription de ce Postcolonial business dans le champ académique, sinon par l’appartenance au laboratoire GDR 2322 du CNRS lu comme « une amulette qui préserve des pairs malveillants ».

Larges extraits du texte de Vincent Chambarlhac avec quelques commentaires

Jean Pierre Renaud

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? Revue Agone « deuxième ou troisième couteau (de poche » Camille Trabendi »

La sirène ACHAC/BDM

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Revue Agone n°41/42- 2009

         « Sur la fonction de deuxième ou troisième couteau (de poche) »

Camille Trabendi

Jean-Jacques Rousseau La Nouvelle Héloïse : «  il y a comme cela une poignée d’impertinents qui ne comptent guère dans l’univers, et ne valent guère la peine qu’on les compte, si ce n’est pour le mal qu’ils font. »

Et l’auteur de préciser : « Mais il ne prétend à aucune grandeur, voulant au contraire donner à l’attaque ad hominem ses lettres roturières.» (p,166)

L’auteur ou les auteurs visent trois personnes, « L’intellectuel de la Région : Thierry Fabre, « La puissance d’agir » de Jérôme Vidal, et Pascal Blanchard, un « Free Lance Researcher »

            «  Les accointances des intellectuels avec le monde de la com’ et de l’argent – pardon, du business – ont longtemps été mal vus dans le pays des droits de l’homme. Mais c’est devenu un sujet has been de refuser de mettre les ressources du marketing au service des justes causes opportunément amarrée aux débats pesants de société…(p,185)

        Dans le monde des intellectuels médiatiques, la « cumulite » n’est pas une maladie rare…

       « De quels mondes souffre le monde contemporain ? » se demande l’historien fashion qui s’apprête à monnayer ses compétences et sa personne pour remédier aux défaillances de la société dans la gestion de son passé. Comme par une succession de symptômes : « inégalités sociales » ? Trop mou ! Passéiste. Il faut (post) moderniser le concept. « Fracture sociale » ? Plus de pêche mais déjà pris. Et puis ça penche un peu trop à droite. Pas sûr en outre que le « social » soit encore très porteur. Mieux vaut vanter les « malaises identitaires », les « clivages ethniques », les sociétés qui se « débrident et s’hybrident », les liens qui se « détissent et se métissent ». Bref, trouver des propositions sexy pour colorer un peu le monde des opprimés en détournant les regards du gris de leur porte-monnaie….

         Pour un historien du colonialisme comme Pascal Blanchard, il y avait là comme un marché à conquérir. Et il s’y connait en marchés, notre historien codirecteur de l’agence de communication « Les Bâtisseurs de mémoires » (BDM).

         Depuis qu’il la rejointe en 1999, cette agence propose aux entreprises une valorisation d’images par le biais d’un travail sur leur « mémoire » car, nous expliquent nos « bâtisseurs », le « lien entre l’individu et l’entreprise a besoin de mémoire pour être légitime. Pour construire cette légitimité, quoi de plus simple que de faire appel au passé… à la mémoire des hommes » (quoi de plus simple en effet ?). D’autant que « l’entreprise est aujourd’hui confrontée à une évolution majeure : il n’existe plus de consommateurs prédéterminés mais des individus en quête de sens, à la recherche de nouveaux repères »

         Petit jeu : remplacer dans les citations ci-dessus les mots « entreprise » et « individus » par ceux de « France » et de « citoyens – voir la réponse en note 51. Le paradigme blanchardien est posé : 1- nos sociétés/ entreprises sont en manque de repère ; 2- les citoyens(ne)s employé(e)s sont privé(e)s de repères identitaires ; 3- le travail de mémoire permet de redonner une place légitime à leur quête. Donc, dans l’ordre : 1- cibler les populations les plus en quête de sens » ; 2- trouver un slogan mobilisateur ; 3 déterminer les canaux de diffusion du nouveau produit. » (p,186)

       Mais attention, notre histoire n’ignore pas que, pour faire illusion dans le champ intellectuel en défense de la veuve et de l’orphelin mieux vaut être précédé d’un minimum de titres académiques plutôt que d’être paré d’une casquette de chef d’entreprise. Entaché par son appartenance au monde universitaire, Pascal Blanchard a donc dû se trouver des liens de légitimation. L’Achac comble une partie du vide… De plus, le CNRS étant vraisemblablement enclin à délivrer des certificats d’hébergement, que ce laboratoire soit hébergé par l’unité mixte de recherche « UMR Adaptabilité biologique et culturelle du corps » à la faculté de Médecine de Marseille et que notre researcher free lance n’y soit pas référencé comme membre officiel, ne doit pas nous étonner : ici le CNRS n’est qu’une amulette qui préserve des pairs malveillants. Ce dernier et l’ACHAC (à première vue dénuée de tout soupçon mercantile) vont fournir à Pascal Blanchard une caution académiquement suffisante pour le lancer sur la scène médiatique des sports en histoire coloniale et en sauvetage des minorités stigmatisées »(p,187)

       « En vingt ans, les activités de l’ACHAC ont crû exponentiellement, avec une pointe en 2000, lorsqu’est lancé le produit « zoos humains » (note 53), qui fait émerger dans le champ de l’histoire la question des stéréotypes coloniaux ; entretenus par les regards métropolitains sur les indigènes, ces stéréotypes auraient donné naissance à l’ « imaginaire colonial » ». Une comparaison rapide avec les discours racistes contemporains permet d’expliquer une bonne part des discriminations d’aujourd’hui par un continuum de l’indigène à l’immigré… seule nous intéresse ici la connivence entre les activités de l’ACHAC et celle des Bâtisseurs de mémoire. Il nous semble en effet que la « méthode Blanchard » tient notamment à la structuration monocéphale de deux officines aux vocations fort éloignées. » (p,187)

       « Mariage de préoccupations commerciales et citoyennes, définition d’une population cible, et analyse de l’ensemble des représentations, application des conclusions à la circonscription d’un nouveau bassin de consommation… Ne serait-ce pas là l’exacte définition du marketing ethnique ? La méthode Blanchard relève de l’extension du marché : « On estime à environ 12 à 14 millions de personnes les communautés ethniques en France, soit plus de 20 % de la population… « 

      Mais il serait injuste que notre dévoilement de cette facette occulte la dimension d’authentique homme de gauche de notre free lance businessethnic historien…

       Pascal Blanchard est conseiller scientifique de la Fondation Thuram…Mais surtout il a le courage de siéger parmi les 21 membres désignés dans ce unième guichet d’ « ouverture politique » de la présidence de Nicolas Sarkozy : la commission « Médias et diversité » instaurée par Yazid Sabeg, le commissaire à la Diversité et à l’Egalité des chances. Une bien belle consécration. On en remercierait le temps béni des colonies. » (p,194)

       Vous avouerais-je, mais les lecteurs n’en seront pas surpris, que j’ai beaucoup apprécié cette analyse à la fois vraie et mordante, à l’image d’interventions souvent agressives du même  free lance business ethnichistorien, et j’en passe.

       Question : « déport », « transfert culturel », ou en définitive acculturation du concept ethnique par l’ACHAC ?

        A relire la thèse défendue par Jean-Loup Amselle et Elikia M’Bokolo dans leur livre « Au cœur de l’ethnie », et notamment la « Préface à la deuxième édition  Au cœur de l’ethnie revisité », pourquoi ne pas se poser la question de cette acculturation du concept ?

         Est-ce que le « marketing ethnique » de ces nouveaux bâtisseurs de mémoire, ne constitue pas une façon détournée  et monnayée de parvenir par la voie du « marché » à une forme de recensement ethnique ?

Fin du troisième mouvement du chemin intellectuel consacré aux trois sources universitaires.

        Extraits et commentaires  Jean Pierre Renaud

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? L’ACHAC/BDM

L’ACHAC/BDM, fausse ou vraie sirène postcoloniale ?

Le moteur d’une subversion postcoloniale.

            A l’occasion de mes recherches historiques sur la thèse pseudo-historique que défendait le collectif de l’Achac, sous la baguette du chef d’orchestre Pascal Blanchard, sur une « culture coloniale » dans laquelle la France métropolitaine aurait « baigné » sous la Troisième, puis Quatrième République, j’avais trouvé que le monde universitaire avait fait preuve d’une grande prudence, ou de discrétion sur le sujet, en ne proposant pas d’analyse entre le vrai et le faux de ce discours : à la lecture des extraits de trois sources de critique historique d’origine universitaire, le lecteur constatera qu’il n’en fut heureusement pas toujours ainsi, sans doute par ignorance de ma part..

            Sont cités :

           – un article de Laurence de Cock, sur « Le rôle de l’Achac »,

           – un article de Vincent Chambarlhac dans Cairn Info « Fragments du jeu académique postcolonial. (A propos d’un collectif, l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine).

         – un article de Camille Trabendi (pseudonyme) dans la Revue Agone n°41/42- 2009 « Sur la fonction de deuxième ou de troisième couteau (de poche) » (p,165 à 194).

          Comme annoncé sur ce blog, le 4 avril 2018, il s’agit du troisième mouvement du chemin intellectuel de réflexion proposé.

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Le rôle de l’Achac/BDM dans le fonctionnement et le développement du modèle de propagande Blanchard and Co

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Source : « La production officielle des différences culturelles » (automne 2017)

« L’Achac et la transmission du passé colonial : stratégies entrepreneuriales et culturalisation de la question immigrée dans la mémoire nationale » (p,105 à 121)

Par Laurence De Cock

ACHAC ou ACHAC/BDM ?

Le 23 janvier dernier, j’avais annoncé sur ce blog mon projet de publication de l’analyse de cette contribution, compte tenu de son intérêt pour comprendre ce que fut la création de cette association pseudo-mémorielle ou pseudo-historique, ce qu’elle est devenue, comment elle fonctionne : une nouvelle entreprise, un nouveau marché, une nouvelle forme de propagande postcoloniale.

            A cette occasion, le lecteur pourra se rendre compte, qu’avec l’ACHAC/BDM, l’histoire postcoloniale était alors entrée dans un monde de falsification et de manipulation, en partant d’une interprétation tendancieuse des sources d’images disponibles au Colloque savant « Images et Colonies » de janvier 1993, dans un but à la fois médiatique, commercial, et politique, puis dans le livre « Images et Colonies ».

            Beaucoup de lecteurs diront sans doute, et à juste titre, ça n’est pas la première fois dans l’histoire des histoires, en France ou ailleurs !

            Je rappellerai plus loin l’essentiel des critiques de fond que j’ai portées en 2008, dans le livre « Supercherie coloniale » sur la thèse idéologique qu’ils défendent et font prospérer.

            « … L’Achac a réussi à se bâtir une position d’incontournable pivot à la fois dans la détermination du diagnostic et de la prestation de services en direction de différentes institutions et collectivités territoriales… (p,105)

            La transmission de l’histoire coloniale est au cœur de sa démarche. Ce faisant, l’Achac nourrit la corrélation entre la connaissance du passé colonial et le traitement du « problème » de l’immigration dans la société. L’angle proposé par l’Achac relève d’une sorte de thérapie mémorielle et repose sur l’idée qu’une meilleure transmission du passé colonial apaiserait la société en retraçant l’origine du racisme et en contribuant à une politique de la reconnaissance des populations héritières de l’immigration coloniale et postcoloniale. Leur propos est fondé sur le postulat de la mise en place d’une « culture coloniale » uniquement définie par le prisme des représentations des colonisés par les colonisateurs qu’ils  appréhendent par l’inventaire et l’analyse des sources de propagande dont se dégage une multitude de stéréotypes coloniaux…

            En ce sens, la stratégie de l’Achac participe d’une culturalisation de la question immigrée avec ceci de particulier que, par sa configuration, les acteurs qui y sont impliqués, ainsi que les actions mises en place, elle ajoute une dimension entrepreneuriale tendant à faire du passé colonial un véritable marché. C’est cet aspect que nous nous proposons d’interroger ici en retraçant la trajectoire de l’un de ses fondateurs, Pascal Blanchard, aujourd’hui responsable de l’Achac, ainsi que la stratégie de l’association, s’apparentant à un marketing du passé pour lequel la catégorisation culturelle constitue un argument-clé. Ainsi, la démarche de l’Achac introduit une nouvelle coordonnée dans les usages sociaux du passé et de la mémoire qui jusque-là privilégiaient les circuits associatifs, familiaux ou politiques sans que n’intervienne de façon si ostensible la question de la rentabilité. « (p,105,106)

Commentaire :j’ai souligné les quelques mots qui suffiraient déjà à caractériser cette entreprise bâtie sur une mémoire ou une histoire tronquée et fictive, animée par un business mémoriel de nature  idéologique.

          Fictive parce qu’elle n’est pas fondée sur le passé colonial, pas plus que sur une mémoire coloniale jamais mesurée, fictive étant donné la carence qui a affecté le dénombrement des vecteurs d’une culture coloniale qui aurait pu exister dans la population française et de ses effets dans leur contexte historique.

          Au Colloque savant « Images et Colonies » de 1993, il ne s’agissait pas du passé colonial de la France, mais d’une collection d’images des mondes coloniaux, c’est-à-dire d’une certaine image métropolitaine de ces mondes coloniaux.

          Ajoutons pour l’instant qu’à ce Colloque, la sémiologie fut étrangement aux abonnés absents !

            Les extraits ci-dessus suffiraient déjà à circonscrire les enjeux historiques des « entreprises » de l’Achac, mais pourquoi ne pas aller plus loin dans cette analyse fort instructive ?

&

« A l’origine de l’Achac, un entrepreneur bâtisseur : Pascal Blanchard » (p,106)

            Le 15 janvier 2010, l’auteure a eu un entretien de 2 heures 30 avec l’entrepreneur bâtisseur, « Pascal Blanchard est un bâtisseur, du moins c’est ainsi qu’il se présente ».

            « Pascal Blanchard fait des études d’histoire à la Sorbonne où il se lance dans une thèse (que j’ai consultée) sous la direction de l’historien africaniste Jean Devisse. Il y rencontre plusieurs étudiants également inscrits avec ce directeur de thèse, dont Nicolas Bancel. Jean Devisse prévient ses doctorants qu’ils auront à batailler dur pour se faire accepter dans un champ académique peu ouvert aux recherches sur la colonisation. La thèse de Pascal Blanchard étudie les mutations du colonialisme dans le discours de la droite nationaliste des années 1930 au régime de Vichy en analysant la presse de l’époque. (centrée sur celle du Sud Est, avec un sondage énigmatique).Entre temps, lui et ses amis étudiants fondent une association en parallèle du travail conventionnel des séminaires et laboratoires de recherche :

            « Voilà c’était un raisonnement qu’était très simple, c’est-à-dire soit on continue à pleurer comme font tous les africanistes le cul posé sur leurs chaises en disant « personne nous lit, personne ne s’intéresse à nos travaux, soit on fait l’inverse : comment on peut amener les gens à nos travaux » (p,107)

            …c’est l’imaginaire avec ce passé colonial qui dominait et qui faisait blocage… La narration de la genèse de l’association et de ses premiers travaux épouse une rhétorique de management : « Il fallait travailler l’opinion », nous indique-t-il. » (p,108)

            Une équipe se constitue avec Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Sandrine Lemaire et Emmanuelle Collignon. Elles ne figuraient ni  l’une, ni l’autre pas dans la liste des participants au Colloque de 1993.

          «  Le travail de l’équipe s’effectue dans plusieurs lieux et selon plusieurs modalités qu’il convient de décrire pour comprendre les formes et l’ampleur de la conquête du marché. » (p,108)

Commentaire

           Accordons notre attention aux deux phrases qui paraissent bien poser les termes de la problématique postcoloniale proposée : « c’est l’imaginaire avec ce passé colonial qui dominait et faisait blocage… Il fallait travailler l’opinion…).

        Le collectif en question n’a jamais apporté aucune preuve du premier constat, et en a tiré la conclusion qu’il fallait aller sur le « marché » médiatique, auquel j’ajouterais les qualificatifs de politique et d’électoral, compte tenu des poussées d’immigration qui ont modifié notre démographie depuis une quarantaine d’années, et de leur incidence électorale.

         Je proposerais volontiers quelques sujets de thèse de doctorat d’histoire, de sociologie, de sémiologie, ou de statistiques, tels que : analyse du thème colonial dans la presse  métropolitaine pendant toute la période coloniale, une analyse statistique qui n’a jamais été effectuée – analyse sémiologique et statistique des images qui ont servi à bâtir la « source historique » du collectif –  état comparé des forces universitaires métropolitaines dédiées à l’histoire ou à la sociologie coloniale et des forces universitaires dédiées à l’histoire ou la sociologie de France ou d’Europe, avec les effectifs comparés des normaliens concernés par période et par discipline : une des questions que pose l’étude de Sophie Dulucq pour l’écriture de l’histoire coloniale.

Pourquoi ne pas constater à nouveau que les colonies n’intéressaient pas les Français, pas plus que le monde universitaire, et que le succès de ce collectif s’est nourri des épisodes migratoires que notre pays a connu ?

          Jean Pierre Renaud

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? L’ACHAC/BDM

« Multipositionnalité de l’Achac » (p,109)

         « De fait, l’Achac a immédiatement orienté ses travaux vers des activités variées, savantes et profanes : séminaires, colloques, expositions, débats et publications. Très rapidement, les tribunes médiatiques font partie de la stratégie de visibilité, de même que les publications demi-savantes et les rencontres débats qui regroupent experts et citoyens, sorte de « forums hybrides » c’est-à-dire des lieux destinés à accueillir des débats et à distribuer la parole entre spécialistes et non-spécialistes afin de démocratiser les savoirs et surtout sortir de situations de crise. »

        L’auteure propose alors une description du réseau médiatique constitué par l’Achac.

       « … A partir de 2007-2008, l’association s’oriente à nouveau davantage vers l’organisation d’expositions. Un très long cycle est consacré à l’histoire régionale des immigrations…

           « Cette diversification des activités relève d’une stratégie consciente. Il en est de même d’une autre activité de Pascal Blanchard, plus vertement commentée celle-là, dans le cadre d’une entreprise dont il devient en 1996 l’un des codirigeants : les Bâtisseurs de mémoire (BDM). Cette agence propose aux entreprises d’organiser des expositions sur leur mémoire. » (p,110)

       L’auteure note :

      « Une visite du site web de l’agence montre quelques analogies conceptuelles avec l’Achac. On lit par exemple la volonté de cheminer de l’«histoire » à la « mémoire » à la culture de l’entreprise. Les accointances de Pascal Blanchard, que Camille Trabendi qualifie de « free lance researcher », avec le monde du marketing agacent parfois ou interrogent pour le moins, car elles soulèvent la question de la rentabilité des opérations lancées par l’Achac, de ses partenariats et, de manière sous-jacente questionnent le caractère désintéressé et neutre de ses productions savantes. Sur le blog des éditions Agone, on trouve une critique très vive de son « postcolonial business ». Pascal Blanchard y est accusé de marchandiser le passé colonial afin de placer ses produits, et au détriment d’une certaine déontologie. L’agencement Achac-BDM place en effet le travail de l’association dans le champ économique et confère une autre dimension à son caractère entrepreneurial. La stratégie du « marketing ethnique » est d’ailleurs assumée et plébiscitée par Pascal Blanchard qui la vante dans quelques revues de marketing. Cette dimension entrepreneuriale se retrouve aussi dans l’une des activités de l’association qui s’est donnée une base de données de plusieurs milliers d’images dont il explique l’origine ici lors d’une conférence à Paris « celui qui maîtrise les images, maîtrise tout », ajoutant, lors de notre  entretien :

         « Notre dernière idée de l’Achac, la meilleure idée qu’on ait eue, qui nous a donné une totale indépendance (…) 99% du patrimoine était éparse. On est parti de l’idée qu’il fallait qu’on constitue notre propre patrimoine…. Aujourd’hui on doit avoir 20 000 ou 30 000 originaux et peut-être 100 000, 90 000 documents »  (p,110,)

         « La médiatisation est également l’un des terrains d’action les plus importants. Dans les seules archives audiovisuelles, on compte quatorze passages entre 2005 et 2006. Cette présence agace beaucoup d’historiens du champ académique français. Pascal Blanchard évoque les lettres reçues par les rédactions des télévisions :

         «  Et là, le sommet que j’ai eu c’est un copain d’Arte qui m’a sorti toutes les lettres d’universitaires dénonçant qu’on passait trop à la télé. Et là tu lis avec grand plaisir, et je fais encore des sourires à tous ces gens-là que je connais très bien. »

        Vraie ou pas, l’anecdote témoigne d’un positionnement décalé mais assumé vis-à-vis du monde universitaire. Pascal Blanchard sait du reste reconnaître une faiblesse, le défaut de reconnaissance académique, en force : le positionnement économique et institutionnel. »  (p,111)

       Commentaire :

       Il est dommage que ce type de témoignage d’une historienne n’ait pas été connu en 2010, car il situe parfaitement la configuration du modèle de propagande Blanchard and Co. Il aurait permis de mieux prendre au sérieux les dérives d’une histoire postcoloniale qui en définitive, n’en est pas une,  ce que je pense et que j’ai exprimé en détail en 2008.

        L’auteure m’excusera sans doute d’avoir cité de longs passages de son analyse, mais ils apportent maintes preuves de l’action tout à fait ambiguë de l’association Achac.

        N’est-il pas surprenant pour ne pas dire illégal que l’on puisse faire partie d’un laboratoire du CNRS UP 3255, (un affichage périmé ?),  diriger une association qui reçoit des fonds publics, et en même temps codiriger une agence de communication privée, sur le même terrain ?

       Ce mélange des genres appellerait incontestablement transparence et contrôle des comptes associatifs et privés!

      Je ne retiendrai qu’une seule expression citée par Pascal Blanchard lui-même », le « marketing ethnique » pour caractériser une démarche qui n’appartient décidément pas à l’univers académique.

« Les partenariats institutionnels » (p,111)

       « L’ampleur de cette présence médiatique vaut enfin à l’Achac une reconnaissance institutionnelle importante. Des partenariats noués avec les collectivités territoriales permettent de financer les recherches et d’organiser des expositions. A titre d’exemple, en 2006, l’Achac passe un accord avec la mairie du 12°arrondissement pour un programme commun de manifestations sur l’exposition de 1931 et y organise un grand débat-conférence où les piliers du groupe sont présents. De façon plus régulière, le Fonds d’aide et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (FASIDL) devenu l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSE) en 2006 a cofinancé également des enquêtes et rapports. Cet appui institutionnel est un autre élément-clé du succès de l’Achac qui produit (et vend) des ressources (films, expositions, conférences) accessibles au grand public. Oe, depuis les années 1990, les collectivités territoriales se lancent dans des projets de valorisation patrimoniale dans lesquels l’immigration tient une place de choix. C’est le cas de la région Midi-Pyrénées qui, en 2003, commande à l’Achac une enquête financée par la Division interministérielle de la ville (DIV) dans le cadre du programme « Mémoire, ville, intégration et lutte contre les discriminations ».
       L’enquête dure six mois. Elle est menée par Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire et Emmanuelle Collignon. Une synthèse des résultats est publiée sur le site du ministère de la Ville en janvier 2005, ainsi que dans le livre 
LaFracture coloniale… le rapport insiste sur la méconnaissance de l’histoire coloniale par les populations immigrées comme élément constitutif du malaise et du ressentiment éprouvé…

         Plus récemment, le Comité interministériel des villes a décidé le 18 février 2013, une nouvelle enquête sur la mémoire collective dans les quartiers populaires… Le rapport est publié cette fois dans son intégralité en octobre 2013… Il y est rappelé le poids de l’héritage colonial, à plusieurs reprises.

       « Aujourd’hui, on le constate, l’histoire d’inégalités issues du passé se prolonge sous des formes multiples dans le temps postcolonial » (p,58 du rapport)

     «  En confiant ce rapport à Pascal Blanchard, les autorités, nationales, cette fois, franchissent un cap dans la reconnaissance de la mémoire coloniale comme ressource patrimoniale et révèlent la place acquise par l’Achac dans le dispositif institutionnel de lutte contre les discriminations. »  (p,113)

Commentaire : il peut paraître surprenant que pour procéder à l’enquête de Toulouse, l’administration  ait fait appel à une association dont la statistique  n’était pas vraiment la spécialité, d’autant plus que son travail d’interprétation des images de la France coloniale en métropole n’avait pas fait l’objet d’une analyse statistique qui l’aurait éclairée.

     Pour le reste, la double face publique et privée de cette association, le mélange des genres qu’elle semble pratiquer, a sans doute appelé des contrôles juridiques et financiers dont il n’est pas fait état, alors que l’Achac semble prospérer dans le « business » postcolonial.

     « L’usage de la culture coloniale et du continuum comme instruments de catégorisation culturelle. (p,113)

      Commentaire : pourquoi ne pas être surpris par la mise en scène du concept savant de « continuum », difficile à définir dans le cas présent, et qui n’a fait l’objet d’aucune mesure scientifique, ne serait-ce précisément que par sondage ?

      « Le continuum colonial est le fil rouge des travaux de l’Achac dès sa création. Il complète et explique la notion de culture coloniale fondée sur l’idée –inspirée des postcolonial studies – de la fabrication d’un imaginaire raciste par la situation coloniale (colonisation, moment colonial, décolonisation) qui perdure après la décolonisation et qui imprègne encore les sociétés contemporaines. L’expression  continuum colonial soutient l’hypothèse que l’un des facteurs des discriminations au présent réside dans la relégation du passé colonial, voire sa non-prise en compte dans le récit national. Cette interprétation développe l’idée qu’une meilleure appréhension du passé colonial faciliterait l’intégration des populations héritières de l’immigration soucieuses de verser leurs héritages dans le pot commun historique.

     Tous les travaux de l’association vont donc tourner autour de l’identification de cet imaginaire, à travers des sources quasi exclusivement de propagande (affiches de propagande, cartes postales coloniales, objets coloniaux), et la pise en avant (voire l’exposition) de la poursuite ininterrompue de ces représentations racialisées depuis la première colonisation du XVIème siècle. »

       Commentaire : l’auteure évoque ensuite l’exposition consacrée aux « zoos humains » lancée en 2000 ? Un seul commentaire : l’Achac a complètement caricaturé un sujet qui méritait plus d’objectivité et de sérieux.

      De 1877 à 1931, 32 expositions de peuples « exotiques » ont eu lieu au Jardin d’Acclimatation, dont 11 organisées par la troupe allemande Hagenbeck, et sur le total, on trouvait une grande variété d’origines, Lapons, Eskimo, Peaux-rouges, dont 11 venues d’Afrique.

         « L’idée de continuum  est donc posée comme une ressource pour penser politique. (p,114)

           Le moment le plus abouti de l’implantation de l’Achac dans le champ de l’histoire et de la mémoire coloniale est la publication en 2005 de La Fracture coloniale. Pascal Blanchard nous a relaté la genèse de cet ouvrage dont l’écho est considérable… Il est évidemment placé sous le prisme du continuum colonial puisque certains articles traitent des banlieues et de l’immigration quand d’autres sont focalisés sur le passé colonial. »

         Cette enquête a été financée par la Délégation interministérielle à la ville.

        «Dans le livre, l’article de Sandrine Lemaire est consacré à l’enseignement du fait colonial considéré comme partiel, lacunaire et n’opérant aucun lien avec la question de l’immigration. Cet article est le produit d’un long travail de fond à destination des curricula d’histoire. » (p,115)

         « Le marché de l’histoire scolaire (p,115)

         Très tôt, les historiens de l’Achac ont sollicité l’école, rouage essentiel de la démocratisation de leurs travaux… Lors de notre entretien, Pascal Blanchard évoque à plusieurs reprises son souci de toucher les enseignants. Sandrine Lemaire, enseignante dans le secondaire, est décrite comme assurant ce rôle d’interface.

        « moi je suis pas très compétent là-dessus : ça a jamais été mon territoire ; moi j’avais qu’un seul truc qui m’intéressait c’est la partie illustrative des manuels parce que je pense que les manuels (inaudible) maintenant ça a un peu changé mais l’image coloniale c’était une  catastrophe, c’est à dire qu’ils n’expliquaient pas que c’était une image de propagande, disaient pas, c’était illustratif. »

       « La stratégie a donc été, d’après lui, de développer un rapport de force avec les éditeurs…. La problématique scolaire intéresse très peu Pascal Blanchard lui-même, qui, n’a d’ailleurs jamais enseigné, mais l’Education nationale est un marché….

…  l’article de Sandrine Lemaire dans La Fracture coloniale est en quelque sorte l’aboutissement de cette conquête de marché. » (p,116) (J’ai souligné)

  • L’auteure évoque alors assez longuement l’enquête de Toulouse de   2003,     trente-quatre personnes seulement interrogées,  les enquêteurs s’étant rendus sur place avec une mallette pédagogique pour soixante-huit participants, la mallette proposée par l’Achac…

        « Les résultats de l’enquête sont détaillés dans le rapport in extenso que nous avons pu nous procurer. L’enquête prétend avoir choisi une ville neutre sur le plan de la mémoire coloniale. (note 28) L’analyse des questionnaires (aux questions fermées) montre une « défaillance des programmes scolaires qui accordent la portion congrue à cette page de l’histoire » (p,10)

         « … Fortes interférences entre la mémoire familiale…. Forte demande sociale « formulée explicitement vis-à-vis de l’histoire coloniale ». Enfin, ils signalent que les principaux schèmes coloniaux élaborés au temps de la colonisation ont conservé une certaine vitalité (p,17), affirmant même que :

       « Il ne fait guère de doute que la spectacularisation actuelle du débat sur l’insécurité et les banlieues – sans même parler du mot « jeune » qui opportunément remplace celui de l’esclave, de sauvage, d’indigène, d’immigré ou de sauvageon – constitue une reformulation de ce que l’on pourrait appeler une fracture raciale. » (p,18)

       « …  Beaucoup de jeunes sont encore plus dans une logique d’humiliation vis-à-vis de cette histoire, disent-ils, il y a donc un gros travail pédagogique à effectuer. » (p,117)

         Commentaire :  1- il est évident que Toulouse n’était pas une ville neutre comme le souligne la note 28 (p,117) : « C’est une affirmation très contestable du point de vue de l’histoire et de la réalité sociologique de la région Midi-Pyrénées et de la ville de Toulouse. »

       2 – la représentativité statistique de cette enquête ? 34 questionnés, et l’on en tire des enseignements qui permettent d’affirmer « Il ne fait guère de doute » ? L’éditeur a-t-il pu en juger ?

      3 –  je n’irai pas plus loin dans mon commentaire, sauf à dire que les propagandistes coloniaux n’ont jamais eu l’occasion de tenir et de diffuser leurs images et leur discours comme le font ces nouveaux propagandistes  postcoloniaux : seuls les historiens sérieux ont l’occasion de mesurer si les deux propagandes se font à armes égales, étant précisé que la propagande, s’il s’agissait de cela, dans les livres scolaires de la Troisième République, ne représentait que quelques pages de ces livres. En est-il de même pour les œuvres de Sandrine Lemaire ?

       L’Achac a obtenu le concours des  institutions publiques : « note 30, p,118, Ces documents ont un caractère semi-officiel, élaborés par des chargés de mission mais signés par l’Inspection générale. Publiés par le CNDP, et visés par l’IGEN, ils sont porteurs d’une vision  prescriptive même douce. »

Note 31 Au lycée, le manuel Hatier 1ère L,ES,S consacre une double- page aux « représentations de l’indigène », p, 74. Chez Bréal, le manuel de terminale consacre une double-page à « Comment les colonies sont-elles perçues par les Français entre les deux guerres ? »( p,144)

      Jean Pierre Renaud

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? L’ACHAC/BDM -Extraits Laurence de Cock – fin

« Essentialisation et déhistoricisation de la question immigrée (p,120)

   « Les manuels rendent compte sans critique distanciée du fameux continuum, ce qui n’est pas sans poser problème. Sous couvert de « remettre l’indigène » dans le récit scolaire, les supports documentaires de propagande, publicités coloniales) proposent un discours focalisé sur les stéréotypes coloniaux. Certes spectaculaires, ces documents ne permettent pas d’interroger les conditions de réception de l’époque, ni même d’ajuster les variables historiques de l’édification de cette « culture coloniale ».  La démarche conduit à une forme d’essentialisation de la figure de l’indigène, au mépris des travaux universitaires qui insistent sur les phénomènes d’interactions, de rencontres, d’accommodements, de résistances, de métissage, etc. Le colonisé est enfermé dans son rôle de victimeune « histoire de fantômes délicieusement fascinante » (Note 32) Ce faisant, le risque existe de fabriquer des cadres d’intelligibilité rapides et artificiels des relégations actuelles qui ne sont vues que sous un angle culturaliste. Pour des adolescents en construction identitaire, cela peut nourrir une forme d’ethnicisation des rapports sociaux. C’est aussi ce que lui reproche le politiste Jean-François Bayart dans son ouvrage au titre évocateur Les Etudes postcoloniales, un carnaval académique ou dans quelques débats médiatisés… Il y a là le risque de substituer à une nécessaire réflexion sur la domination, une pensée réductrice et vidée de sa dimension sociale au profit d’une dimension purement culturelle.

Les expositions proposées par l’Achac reprennent aussi ce prisme

    Comment expliquer le succès de l’Achac ? L’Achac/BDM forme un conglomérat pénétré de la culture entrepreneuriale, militante et académique. Forte de ces trois propriétés, l’enrôlement de la sphère académique a été très réussi en prenant appui sur les ouvrages collectifs associant des universitaires et en cumulant les capitaux symboliques des auteurs français et étrangers, et de l’éditeur (forte renommée de la Découverte) a su faire valoir l’opportunité d’entrer dans son réseau ; viabilité des travaux et valorisation d’une science engagée qui expliquent la constellation d’auteurs impliqués à ses côtés sans être toujours d’accord avec ses orientations. Par ailleurs, la connaissance du fonctionnement du « marché » et des modalités  de communication, explique l’occupation du terrain médiatique ainsi que les multiples partenariats à vocation  « événementielle »… cette emprise multisectorielle de l’Achac nourrit encore aujourd’hui la culturalisation de la question de l’immigration et contribue à minimiser le facteur social de la relégation comme le montrent les diverses expertises sollicitées par la politique de la ville. » (p,121)

     Commentaire –  Cet article explique clairement comment fonctionne le moteur économique, médiatique et politique de ce modèle de propagande postcoloniale.

      Au-delà de la critique intrinsèque qui peut être faite sur la nature pseudo-scientifique du discours de l’Achac/BDM, pourquoi ne pas relever que le « conglomérat » en question surfe, sans le dire, sur les flux importants d’immigration régulière ou irrégulière qui depuis trente ou quarante ans nourrissent sa clientèle idéologique ?

Extraits de l’analyse Laurence de Cock avec quelques commentaires de

Jean Pierre Renaud

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale: le livre « Images et Colonies (1993)

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ?

 Le livre « Images et Colonies » (1993)

Avec l’aide d’un petit carnet de notes rapides d’un non-enseignant !

          Après avoir publié un résumé de lecture décryptée de la première source savante, les Actes du Colloque de janvier 1993, je propose un résumé de lecture décryptée de la deuxième source savante, le livre en question.

         Il s’agit de la deuxième partie du deuxième mouvement de réflexion annoncé sur les caractéristiques de ce modèle de propagande postcoloniale.

       Seront ensuite publiés, au titre du troisième mouvement de réflexion critique,  trois extraits de textes d’origine universitaire, puis le résumé du quatrième mouvement de réflexion critique sur la propagande postcoloniale de ce collectif de chercheurs à partir des livres qu’ils ont publiés sur la Culture coloniale et impériale, sur la Fracture coloniale, et sur la République coloniale, ou encore sur l’Illusion coloniale.

Cadrage historique de l’ouvrage

       Les images et commentaires de ce livre concernent avant tout l’Afrique noire française, et leur présentation est effectuée dans une chronologie qu’il convient de rappeler – 1880-1914 – 1914-1919 – 1919-1939 – 1939-1945 – 1945- 1962 -, car elle constitue en elle-même une contrainte d’interprétation historique du sujet.

      Précisons que dans leurs livres « Culture coloniale » et « Culture impériale », le collectif de chercheurs Blanchard-Lemaire-Bancel a opté pour un autre découpage chronologique.

         En 1914, la Côte d’Ivoire, nouvel état créé en 1893, était à peine pacifiée, et mis à part le Sénégal, un cas tout à fait particulier, la paix civile était loin d’être instaurée dans la plupart des autres colonies, pas plus que la nouvelle organisation administrative coloniale. La Fédération de l’AOF fut créée en 1895 : elle était alors constituée de colonies très récentes dont les structures administratives étaient encore dans les limbes. Certaines parties de leur territoire se trouvaient en état d’insécurité ou d’inconnu, avec une absence quasi-complète de voies de communications.

        Rappelons également que le Togo et le Cameroun étaient des colonies allemandes.

         En ce qui concerne la période 1914-1918 Il convient de rappeler également que, sans l’intervention et les initiatives du député sénégalais Diagne, la France aurait eu beaucoup de peine à enrôler des tirailleurs africains, alors que des révoltes éclataient dans le bassin du Niger.

        Nous verrons par ailleurs ce qu’il convient de penser quant à la représentativité historique de cette période pour le sujet ici traité.

          La seule période au cours de laquelle la France coloniale eut à peu près le contrôle de la situation se situa entre 1919 et 1939, une courte durée de vingt années (l’après 14-18, la dévaluation Poincaré de 80% du franc en 1928, la crise de 1929, l’Allemagne d’Hitler…) qu’il convient d’avoir en tête lorsqu’on parle de la colonisation française en Afrique noire.

          A partir de 1939, avec la guerre, puis la guerre froide, et les révolutions de toute nature qu’elles provoquèrent sur la planète, plus rien n’était comme avant.

      Enfin, au-delà des questions qui ont déjà été posées sur la nature scientifique de l’échantillon que propose cet ouvrage, je crois pouvoir indiquer que tous les récits et images, venant du « terrain », ceux des « acteurs » des « situations coloniales concrètes » que j’ai consultés sur la période coloniale sont loin de démontrer la pertinence de l’interprétation qu’en donnent les animateurs de l’Achac.

     Rappelons que l’objet de ce livre est de démontrer que les images coloniales qui avaient pour cible la métropole, choisies et publiées par le couple Achac-BDIC ont marqué profondément  les mentalités françaises de leur époque, jusqu’à nos jours

&

       Cet ouvrage de 304 pages, richement illustré, a été en effet publié sous l’égide de l’association ACHAC, Association pour la connaissance de l’Afrique contemporaine, et de la BDIC Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine (elle vient de changer de nom).

Cadrage de l’ouvrage en signatures

       Le livre ne contient pas toutes les signatures des communications du Colloque : sont absentes celles de Catherine Coquery-Vidrovitch, d’Annie Rey-Goldzinger, de Daniel Rivet, et de Marcel Oms, soit quatre sur douze.

        Il convient de noter en revanche qu‘y figure une longue communication de Charles Robert-Ageron, qui ne participait pas au Colloque, et qu’au total, dix-sept des participants à ce Colloque sur 39 y ont signé une contribution, soit à peu près la moitié du total.

Cadrage d’interprétation historique

        Afin de  tenter d’éclairer le sens de l’ensemble des contributions publiées, j’ai pris l’initiative de procéder à une sorte d’exercice d’évaluation en leur attribuant un code d’interprétation de ces communications de la façon suivante : Intérêt : oui –non – Exotisme : oui – non – Propagande : oui – non – ?

       Il s’agit du carnet de notes d’un non-enseignant annoncé dans le sous-titre.

      Chaque lecteur de ce livre est bien entendu en mesure de tenter d’interpréter ces communications de la façon proposée, ou d’une autre, afin de pouvoir avoir une opinion sur  le sens historique des contributions publiées, notamment sur la propagande coloniale, cœur de cible historique de ce collectif.

       D’après ces pointages, le thème de la propagande coloniale n’a  imprimé sa marque sur les situations décrites en métropole que de façon marginale, et plus de la moitié d’entre elles soulèvent plus d’interrogations que de réponses sur la réalité de cette propagande.

       Toutes les lectures et interprétations des images et messages de cette période posent, en tout cas pour l’instant, de redoutables problèmes d’évaluation, de méthode historique et statistique, quant à la représentativité des analyses proposées, avec une question lancinante qui revient dans un tel débat : s’agit-il d’une histoire des idées ou d’une histoire quantitative ?

        Nous y reviendrons dans notre conclusion.

        Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale; le livre « Images et Colonies » – II

II – Propagande postcoloniale contre propagande coloniale : le livre « Images et Colonies

Les contenus

      Une première question se pose évidemment quant à l’objet de cette publication, alors qu’à lire celui de l’association Achac son objet est différent, « L’Afrique contemporaine », et qu’il s’agit ici de la métropole, et  non de l’Afrique.

         Sous la signature de Pascal Blanchard, ce dernier fait état d’un chiffre  de plus d’un million d’images qui auraient été analysées, et la BDIC indique qu’elle a mobilisé plus de 20 000 images de presse et d’images de propagande.

       Nous reviendrons sur les chiffres du postulat de l’échantillon «supposé », car il s’agit d’un postulat postcolonial qui n’a pas été démontré, ni au Colloque, ni dans cet ouvrage, alors qu’il s’agit d’une des sources majeures du débat.

     L’ouvrage contient un ensemble de contributions souvent intéressantes sur le thème choisi, rédigées par de nombreux chercheurs connus ou moins connus, sinon, inconnus, mais peu de dénombrements d’images par thème et par chronologie.

       Sauf exception, les auteurs ont simplement donné quelques chiffres des images et des illustrations d’images qu’ils ont choisies, avec une numérotation.

         Il est important de proposer une synthèse de ces contributions, d’en préciser les enjeux et les limites, étant donné la place que ces travaux de recherche historique  a occupée dans la préparation du Colloque de janvier 1993.

        La lecture des Actes du Colloque, de même que celle de ce livre, fait apparaître de nombreux écarts d’interprétation entre leurs contenus et les présentations qui en sont faites par les animateurs de l’Achac, et encore plus avec le contenu des thèses du modèle de propagande postcoloniale Blanchard and Co développées plus tard dans leurs livres.

       Ces écarts de méthode historique, sémiologique, et statistique, pour ne pas dire biais ou détournements, méritent d’être relevés et contestés sur le plan scientifique.

       Cet important travail de documentation effectué par l’Achac et la BDIC, mais pose en effet de multiples questions de méthode, compte tenu du ou des postulats de recherche posés et de leur interprétation historique, notamment celle proposée par les animateurs de l’Achac.

Résumons ces questions de méthode :

Le postulat implicite retenu : ces images « coloniales » seraient représentatives des situations de culture coloniale ou impériale des Français et des Françaises de métropole entre 1880 et 1962, date des indépendances des colonies, des situations historiques crées par la propagande coloniale, selon le déroulement chronologique ci-après :

     I –  Exploration Conquête Exotisme (1880- 1914) (p,15 à 72)

     II – Quand les Africains combattaient en France (1914-1918) (p,72 à 96)

     III – L’Apogée coloniale (1919-1939) (p, 96 à 184)

     IV – L’enjeu impérial (1940-1944) (p,184 à 218)

      V – Propagande économique Décolonisation (1945-1962) (p, 218 à 264)

      VI –  Autres regards (p, 266 à 288)

Un échantillon représentatif des situations historiques ?

S’agit-il d’un échantillon représentatif des situations culturelles décrites ? Première question clé, et si oui pourquoi ne pas avoir indiqué comment cet échantillon a été déterminé ?

       Quelle est la cohérence statistique de cet échantillon ? Les corpus d’images présentés sont- ils représentatifs des réalités historiques décrites dans leur contexte chronologique des années 1880-1914, 1914-1918, 1919-1939, 1940-1944, 1945-1962 ?

       Faute d’explications par les auteurs de cette documentation, nous avons considéré que l’ensemble des images constituait aux yeux des chercheurs qui ont piloté la sélection l’échantillon représentatif en question, et c’est donc cet échantillon qui va faire l’objet de notre examen.

      Il s’agit d’une imprécision méthodologique qui ébranle sérieusement les leçons de cette histoire postcoloniale supposée quantitative.

        La pointe d’un iceberg : cet échantillon propose une image paradoxale du domaine colonial, car les « coloniaux » en séjour ou de passage, et quelle que soit leur catégorie sociale ont laissé un héritage très important d’images et de mémoires, dont le dénombrement n’a rien à voir avec ce type de sélection centrée sur la métropole.

       Un effet de loupe, d’autant plus que beaucoup des discours historiques proposés sont souvent très indigents en ce qui concerne le dénombrement des vecteurs de culture examinés, leur « tirage », leur diffusion, et encore moins en ce qui concerne leurs effets dans l’opinion publique. Au Colloque, Mme Hugon avait évoqué ce type d’effet.

       En d’autres termes, leur thèse est hypothéquée par un effet de loupe que de jeunes statisticiens pourraient mettre en évidence assez facilement.

       Quel impact ? Que dire de la mesure des effets de ces images sur la culture des Français et des Françaises que cette documentation ne permet aucunement d’éclairer, avec le trou béant de la presse ?

      En quoi, l’échantillon supposé représentatif des images coloniales de l’époque permet-il de répondre aux questions posées ? Dans quelques cas seulement !

        L’ignorance de la sémiologie : à supposer que les corpus proposés soient considérés comme des éléments d’un échantillon sui generis, il est également tout à fait surprenant que les chercheurs-auteurs des contributions se soient lancés dans toutes sortes d’interprétations, sans faire appel à des sémiologues.

       L’histoire des images pourrait se passer de cette nouvelle discipline, de l’héritage d’un Barthes sur les signes ?

        Le champ géographique de la thèse historique proposée : à lire l’ensemble de ces contributions, s’agit-il de la métropole, de l’Europe, ou encore de l’Occident ? Ou tout simplement de la France métropolitaine ?

         Dans la présentation générale de l’ouvrage figure par exemple cette phrase en forme d’une conclusion qui ne manque pas d’ambition : « Les découvrir aujourd’hui, permet de réfléchir sur les rapports complexes que l’Occident entretient avec ce continent. »

      Nous mettrons en évidence les écarts d’interprétation entre le commentaire de présentation qui est fait par les chercheurs de l’Achac et le contenu de la plupart des contributions qui figurent dans cet ouvrage important, alors que  certaines d’entre elles nuancent très sérieusement leur discours ou même le contredisent clairement.

        Il en a été de même, comme nous l’avons déjà vu, entre la présentation Blanchard-Chatelier du Colloque de 1993 et le contenu des Actes du Colloque eux-mêmes.

       Nous allons revenir rapidement sur les chiffres, l’interprétation, les écarts de lecture historique entre les commentaires de présentation de type Achac et le contenu des contributions.

     En premier lieu, les chiffres de l’ « échantillon » ou le comment ? :

      Alors que ces données sont capitales pour interpréter les corpus des images proposées, la lecture des deux sources citées ne permet pas de connaître la méthode choisie pour sélectionner les images, les critères retenus, période par période, pour chaque champ géographique, et pour chacun des thèmes.

      Dans leur introduction aux Actes du Colloque, Pascal Blanchard et Armelle Chatelier écrivaient : « L’étude du thème colonial dans la production iconographique du XXème siècle révèle un volume d’images très important dont l’estimation reste à faire… Nous nous attacherons ici à ne présenter que des images dont on peut évaluer la diffusion et qui, par conséquent, ont été vues par les Français…. Cette multiplication d’images coloniales et la variété de leurs supports, évoquent un véritable bain colonial. » (pages 13,14)

        J’ai souligné les mots qui font question !

        De la prudence donc quant à « l’estimation », la même année que la publication de cet ouvrage, alors qu’à la page 8, Pascal Blanchard écrit :

       « … Son groupe de recherche (Achac) a  recensé plus d’un million d’images qui ont été analysées au sein de son séminaire… » ) 

        Dans leur introduction, Nicolas Bancel et Laurent Gervereau écrivent :

     « Douze mille images sélectionnées ont permis une clarification méthodique des thèmes et des supports, étape indispensable pour dresser une histoire des représentations coloniales. » (p,10)

     Question : les images reproduites dans l’ouvrage pour chacune des périodes et pour chaque thème analysé correspondraient à un échantillon représentatif, au moins par période chronologique ?

      L’ouvrage compte, sauf erreur, 671 reproductions d’images, 167 pour la première période, 56 pour la deuxième, 215 pour la troisième, 66 pour la quatrième, 108 pour la cinquième, et 59 pour la sixième.

     Les deux animateurs de la production proposent, à eux deux, hors leurs textes de présentation ou de conclusion, plus du quart des textes et des images : 76 pages de texte (soit 27% du total) et 168 images (soit 25% du total).

     Dans sa contribution, Pascal Blanchard propose une analyse de la propagande coloniale au temps de l’occupation allemande et ne consacre qu’une seule page à la presse de cette époque. Nicolas Bancel tente de décrire la propagande économique pour la période 1945-1962, mais en faisant une assez large impasse sur les chiffres, le cadre tout à fait nouveau du FIDES, et le fait que l’outre-mer avait basculé dans un monde nouveau.

     Pourquoi ne pas noter que dans la liste des exercices de démonstration d’une propagande coloniale qui aurait immergé la France dans un véritable « bain colonial », Sandrine Lemaire, historienne et propagandiste postcoloniale de la propagande coloniale dans les livres ensuite publiés est aux abonnés absents ? Elle ne figurait d’ailleurs pas dans la liste des participants au Colloque.

     Le thème de propagande coloniale ayant été au cœur de la démarche, il convient de noter d’ores et déjà que les contributions de deux historiens sérieux, Charles-Robert Ageron et Gilbert Meynier, tempèrent sérieusement le discours Blanchard-Bancel, pour ne pas dire le contredisent.

      Le rôle que le livre scolaire a pu jouer dans l’éducation coloniale des enfants a fait l’objet de contributions d’autant plus intéressantes qu’à la différence des autres contributions, elles sont riches en chiffres, lesquelles ne concluent pas à un effet propagande.

      Est-ce que les nombreuses pages de Pascal Blanchard sur « L’enjeu impérial », c’est-à-dire la période de Vichy de trente mois, puis l’Occupation Allemande complète du territoire, ne vient pas, historiquement, démontrer le contraire de ce que l’auteur a voulu démontrer : est-il possible de raisonner comme s’il y avait eu une continuité entre la Troisième République et Vichy, entre une propagande républicaine « anémique » et une propagande dictatoriale fasciste et allemande ?

    L’analyse de la presse pendant la période coloniale n’a quasiment fait l’objet d’aucune contribution chiffrée et argumentée, alors que le vecteur en question était un des rares à pouvoir faire l’objet d’une évaluation des effets d’une propagande coloniale supposée, dans la presse nationale et provinciale, avec leur nombre d’articles par période chronologique, en colonnes et en surfaces, en contenus, etc…

      Il s’agit à mes yeux, et comme je l’ai relevé à maintes reprises, d’une des grandes lacunes de l’histoire coloniale et postcoloniale qui s’est cantonnée le plus souvent dans l’histoire des idées ou des faits, sans aborder l’histoire quantitative.

     Indiquons enfin que l’ouvrage contient deux contributions au contenu fort intéressant sur la sculpture et la peinture illustrée de belles images que n’importe quel expert aurait sans doute de la peine à classer dans la catégorie de la propagande coloniale.

     Comme nous l’avons indiqué, nous proposons un tour d’horizon de classement rapide et synthétique des pages de l’ouvrage, en mentionnant à chaque fois, si leur contenu est intéressant : Intérêt – i = oui-non – marqué par l’exotisme – ex = oui-non – marqué par la propagande – Prop. = oui-non – ? –

     Le lecteur pourra constater que la mention Prop.=oui  est plutôt rare, alors qu’il s’agit d’une des pièces maîtresses de leur thèse.

      Question : histoire méthodique ou manipulation idéologique ?

        Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés