Carnets Buron – 8 – 1962 – Evian

Carnets Buron – 8 – 1962 – Evian

Troisième Partie

LES ROUSSES ET EVIAN (p,163)

I

La négociation définitive se prépare

Janvier-Février 1962

21 janvier 1962

        « La situation est préoccupante.

        Alger et Oran redeviennent des capitales de violences et de folie. Dans les quinze premiers jours de l’année, cent dix européens et cent quarante musulmans ont été assassinés pour le compte de l’OAS.

      A Paris comme à Toulouse et à Nice, des dizaines de lycéens encadrés par des représentants de commerce et quelques ouvriers sans emplois, eux-mêmes aux ordres d’officiers déserteurs, multiplient les plastiquages de « semonce » ou de « sanction ».

       Les réactions de l’Exécutif  sont bien molles ; et celles de la Justice inexistantes…(p,175)

      Venant de Marseille, j’ai reçu une condamnation à mort signée OAS bien précise et sans bavure…(p,176)

     30 janvier (dans la Caravelle qui me ramène de Paris)

       Quatre jours dans le Sud Oranais : Oran, Saïda, Aïn Sefra, Gery ville, Aflou, Tiaret, Djelfa, la Reghaïa…(p,178)

        Lundi 5 février

       « Les pourparlers secrets sont en effet bien avancés. Dès mon retour, mardi dernier, Michel Debré m’a appelé : « Joxe a-t-il pu te joindre ? Non ! je lui laisse le soin de te faire la surprise. Téléphones lui dès demain et reprends contact avec moi. »

    Mercredi matin, Louis Joxe m’explique ce que je pressentais. Le Président de la République, constatant l’avancement des négociations secrètes, pense le moment venu de prendre des décisions fermes… »(p,183)

      Robert Buron est alors désigné avec Jean de Broglie pour accompagner Louis Joxe dans la négociation avec le FLN.

      « Vendredi 9 février

       Lundi dernier, ultime séance de travail chez Joxe.

      Le Président de la République, assisté de Michel Debré, nous a reçu tous trois mardi puis de nouveau tout à l’heure, car c’est demain que nous devons gagner le lieu de rencontre – encore secret pour moi.

      Le général de Gaulle nous a donné ses dernières consignes dans le style qui lui est propre :

    « Réussissez ou échouez mais surtout ne laissez pas la négociation se prolonger indéfiniment… D’ailleurs ne vous attachez pas au détail. Il y a le possible et l’impossible…

      Pour la nationalité n’insistez pas trop pour que les européens soient algériens de droit… Quant au Sahara, ne compliquez pas les choses… Il n’est pas possible d’aboutir autrement qu’en laissant l’Algérie décider de son sort politiquement.
     Sur le plan économique, tâchez de préserver l’essentiel et sur le plan militaire aussi… Enfin… faites pour le mieux. »  (p,187)

II

« L’entrevue secrète des Rousses (p,190)

11-19 février 1962

Lundi 12 février, Chalon (le matin à la sous-préfecture)…

     Dimanche, premier jour de la négociation  secrète…. Il est environ 13 heures passées, quand après avoir traversé le village des Rousses, nous nous arrêtons brusquement derrière un grand chalet aux volets fermés, situé au bord de la route qui mène vers la frontière suisse.

      C’est le Yeti, le chalet des Ponts et Chaussées…(p,194)

      13 h 35… Venant de la Suisse trois voitures virent avant d’arriver au Yéti.

      Voici nos « vis-à-vis «  ( Comme s’exprime le Canard Enchaîné)

      Nous nous retirons et fermons les volets dans la grande pièce du fond où auront lieu les pourparlers…Le Préfet Aubert nous apprend que les délégués du GPRA sont au nombre de sept…

       Robert Buron tire le portrait en couleurs des sept négociateurs algériens (p,195,196)

       … A 15h 25, abandonnant les échanges de points de vue généraux, les deux délégations décident de passer à l’examen des textes qui vaudront décision législative pour l’Algérie par le seul fait du référendum d’autodétermination, si celui-ci conclut à l’indépendance assortie de la coopération avec la France…

      Lundi 12 février (suite)

      (Notes prises au cours de la séance de Challain)…

      Ce n’est qu’à 14h 30, après une odyssée assez étonnante… et épuisante, à en croire les inspecteurs helvétiques qui accompagnent les algériens, que ceux-ci arrivent enfin, ayant roulé près de cinq heures dans la neige depuis l’hôtel suisse qui les abrite…. (p,202)

     Les deux délégations continuent à examiner les bases d’un accord… La situation est préoccupante pour la délégation française. Nos interlocuteurs paraissent décidés à discuter des moindres détails. Il faut absolument les obliger à montrer leurs cartes. Jusqu’alors, ils n’ont fait aucune proposition pratique et se contentent de discuter âprement et mot par mot nos propres projets. Cela ne peut mener à rien. Nous devons renvoyer la balle et leur passer la parole.

     A 18h40 le Général (de Camas) et Ben Tobbal ayant terminé leur aparté se déclarent prêts à faire rapport…

      La négociation s’enlise et après une mise au point :

      Finalement le calme revient. Rendez-vous pris pour les Rousses d’un abord plus facile pour les algériens et au plus tard à 14 heures. Il faut en finir avec les questions militaires, approuver les conventions de coopération qui ne posent pas de graves problèmes et aborder si on le peut les deux grandes questions : la protection des minorités européennes sur le rapport de Malek et de Leusse et la composition de l’Exécutif provisoire qui aura avec le Haut-Commissaire la responsabilité de diriger l’Algérie pendant la période transitoire… Nous allons devoir nous mettre d’accord sur neuf noms…

    A 21h 5 la séance est levée…

    L’écoute de la radio reste toujours aussi étonnante. On nous cherche partout… sauf où nous sommes. (p,206)

     Mardi 13 février (aux Rousses)…

     Dès la reprise nous proposerons donc de ne délibérer qu’à sept : les trois ministres français et les quatre membres du GPRA…

     Nous déjeunons … La neige tombe encore mais rien ne vient du côté suisse. C’est à 15h30 seulement qu’arrivent les algériens… Le climat est meilleur que la veille…A vingt heures nous entamons ce que nous espérons pouvoir être la vraie négociation, le package deal comme diraient les Américains. Chaque concession devra être payée d’une concession  équivalente…

      Les algériens se retirent à 22h30… Nous passerons la nuit sur place…

     Mercredi 14 février (les Algériens ont rencontré beaucoup de difficultés pour venir sur des routes enneigées)

    A 17h30 nous reprenons contact dans la salle habituelle devenue la chambre de Jean de Broglie la nuit…

       Les discussions reprennent  jusqu’après 20 h 30, terme qui avait été fixé pour la fin de la séance de travail.

    … Il nous faut arrêter clairement les points sur lesquels nous serons intransigeants :

     Acquisition de la nationalité,

    Droit des minorités d’origine française en Algérie pendant la période probatoire,

    Garanties accordées aux citoyens français en Algérie à l’expiration de celle-ci,

    Durée de la concession de Mers el Kébir,

     Délai d’usage des bases sahariennes,

         Détermination flexible de l’aide financière, quitte, pour obtenir satisfaction dans ces domaines à consentir des concessions supplémentaires sur les autres. «  (p,216)