« Le choc des décolonisations » Pierre Vemeren Troisième partie – Suite

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Tous droits réservés

Troisième Partie

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

Suite

       A mes yeux, la mise en lumière de ce courant de pensée très influent, trop influent, pour ne pas dire de propagande repentante et auto-flagellante, de nature idéologique, le plus souvent amarrée à la gauche, une gauche héritière de la gauche des conquêtes coloniales et de l’échec meurtrier de la guerre d’Algérie.

      « La nouvelle guerre des mémoires après 2000 » (p,233)

       L’auteur donne à nouveau la parole à M.Stora, mais c’est l’évocation de la deuxième guerre civile d’Algérie, celle des années 1990, « Cette terrible guerre sans visage, qui fait 200 000 morts, réactive, dix ans après la guerre civile libanaise (1975-1990), la mémoire des violences et des clivages idéologiques du temps colonial », une guerre encore plus « sans nom » que la première, et cette fois complètement masquée, qui est éclairante, sans partager l’avis de M.Stora sur les élections présidentielles de 2002, avec la surprise Le Pen : « Sans aller jusqu’à estimer, comme Benjamin Stora, que cette situation emprunte directement à la guerre d’Algérie, on ne peut faire l’économie de cette réflexion. » (p,234)

       Une réflexion du mémorialiste Stora que je ne partage pas du tout, car une fois de plus, l’historien en question ne fait état d’aucune enquête sérieuse d’opinion sur la question.

      L’auteur souligne à nouveau le rôle des intellectuels issus de la « matrice » algérienne : « Les intellectuels anticolonialistes venus d’Algérie sont très en pointe sur ces débats, notamment au sein des colonnes du Monde. Des activistes comme les Indigènes de la République vont même jusqu’à abolir la distance historique entre la période coloniale et l’actualité française du début du XXIème siècle…. La nouvelle guerre des mémoires est inséparable d’une histoire coloniale dans laquelle les héritiers, voire les témoins  de l’Algérie française, sont les principaux acteurs. » (p,235)

       Toujours le même constat, la quintessence historique de l’Algérie en lieu et place de toutes les autres colonies !

        L’auteur note à juste titre « Des formations politiques durablement marquées, oui, mais toujours par la guerre d’Algérie » (p,235) :

        « Pour les socialistes français, la guerre d’Algérie est le naufrage  qui a emporté la vieille SFIO…avec la réapparition de Mitterrand :

       Le paradoxe est qu’il est porté au pouvoir par la génération d’après-guerre, qui, ignorant son passé, soutient un ancien partisan de l’Algérie Française. La responsabilité de la guerre est pourtant imputable à la classe politique de la IVème République dont il est issu. » (p,236)

       J’ajouterai, dont il a été un des acteurs les plus remuants et les plus influents dans les changements fréquents de gouvernement.

      J’élargirai mon propos en indiquant que ce fut la gauche républicaine qui se lança dans les grandes conquêtes coloniales des années 1880-1900, que la gauche du Front Populaire dans les années 1935-1936 a été incapable d’orienter une politique de décolonisation pourtant nécessaire, et qu’elle récidiva dans son action  « réactionnaire » avec la guerre d’Indochine, la répression de Madagascar (1947, avec Moutet), et enfin avec le désastre de la guerre d’Algérie.

    La gauche du Programme Commun (1981-1995) nous a laissé en héritage une Françafrique pour le moins ambigüe, le néocolonialisme, et une histoire de France de la repentance et de l’autoflagellation nationale.

     Le chapitre XIV « Les élites postcoloniales en métropole : entre revanche sociale, utopie et corruption » (p,239)

     L’auteur a tout à fait raison d’appeler notre attention sur le rôle des élites rapatriées dans la vie nationale, et cette évocation est très éclairante sur l’évolution française :

     « La réussite et l’influence des élites rapatriées sont rarement abordées, comme si elles étaient un non-objet d’histoire…. Mais rien n’a presque été écrit sur la réussite et la réinsertion des élites pieds noirs et coloniales en métropole. Faut-il parler d’élites postcoloniales, d’héritiers ou de descendants des colonisateurs, et comment délimiter cette population ? Le risque d’arbitraire existe. Il revient à l’historien de proposer des termes justes.

    On peut chiffrer les personnes de retour de l’empire, les classer, définir des groupes de pieds noirs, fonctionnaires, militaires… Faut-il incorporer leurs descendants ? En 1991, (toujours Stora !) Benjamin Stora estime que 7 millions de métropolitains vivants ont été personnellement touchés par la guerre d’Algérie (2 millions de militaires, 2 millions de pieds noirs et leurs enfants, 3 millions d’algériens immigrés et harkis) un chiffre repris par l’ambassadeur de France à Alger…

     Quelle est l’influence de ce groupe sur « l’idéologie française », au sens où Bernard Henry-Lévy l’a définie ? Ce groupe a-t-il pesé sur la scène politique et intellectuelle, sur les milieux d’affaires, sur la représentation du monde des Français métropolitains ? » (p,240)

      L’auteur montre bien l’influence de ce groupe de pression, mais une fois de plus, il s’agissait plus de la matrice algérienne que de l’impériale au sens large, comme l’indique d’ailleurs la liste des membres de ce groupe qui figure dans la paragraphe : « Dispersion et importance de la scène artistique-médiatique » (p,245)

          Mais plus intéressantes sont encore les pages consacrées à :

     « Les trois temps d’une prise du pouvoir idéologique et intellectuel en France » (p,246)

      Le passage de ce livre éclaire tout à fait cette « prise de pouvoir idéologique et intellectuel en France », une situation le plus souvent ou trop souvent ignorée.

      Comment ne pas attribuer à ce nouveau « pouvoir », non issu du suffrage universel, une grande partie des dérives de victimisation, de repentance, ou d’auto-flagellation de notre histoire de la France ?

     Les pages 246,247, et 248 en donnent la liste.

     L’auteur cite d’abord Camus : « Figure tutélaire des intellectuels antitotalitaires et libertaires avant la lettre, il subit le magistère anticolonialiste de Jean Paul Sartre qui exerce avec brutalité son ascendant sur la gauche marxiste et indépendantiste…. Lors de la remise de son prix Nobel à Stockholm, il a prévenu : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. » Savait-il que la déconstruction était à l’œuvre ?

Les intellectuels nés, passés par, ou venus d’Algérie, occupent des positions clés dans les années 1960 et 1970 au sein de l’intelligentsia française et de ses grandes institutions. » (p,246)   

Jean Pierre Renaud