« Le 19 mars 1962 », le livre de Guy Pervillé – Suite et fin

« 19 mars 1962 » ?

Le livre de Guy Pervillé

« Les événements fondateurs »

« Les accords d’Evian (1962) »

« Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne (1954-2012)

&

Autres réflexions

           Première réflexion sur la date des Accords d’Evian, le 19 mars 1962 : cette date est depuis l’origine un sujet de controverse, et il est évident que pour l’immense majorité des hommes du contingent, cette date clôturait cette guerre, une guerre qui n’a jamais été conclue en effet par un accord de paix.

       Le livre explique bien pourquoi cette guerre n’était pas finie.

         Deuxième réflexion, le livre en montre bien les raisons, notamment les graves carences du nouveau pouvoir algérien qui n’a jamais honoré sa signature, tout autant que le sabotage de tout accord par l’OAS.

        Troisième réflexion : le gouvernement du Général de Gaulle, et le Général lui-même, n’ont pas été à la hauteur pour maîtriser la mise en application respectée de ces accords, sur le terrain, pour au moins cinq raisons que l’on voit bien dans l’ouvrage, et une sixième que j’évoquerai :

  1. Le refus d’accueillir en France les harkis et moghaznis qui avaient rejoint notre cause pendant cette guerre, ainsi que leurs familles.
  2. La désignation d’un ambassadeur, M. Jeanneney, que son expérience professionnelle et politique ne désignait pas spécialement pour faire appliquer vigoureusement ces accords par le nouveau pouvoir FLN, entre les mains de la mouvance extérieure du GPRA.
  3. L’objectif principal du Général, qui fut de tout faire, pour ne pas dire tout accepter, afin de préserver jusqu’à la fin de l’année 1966, la possibilité pour la France de poursuivre  ses essais nucléaires au Sahara, et accessoirement, y exploiter le pétrole, avec pour corollaire, continuer à transfuser l’Algérie indépendante avec nos francs et à faire bénéficier ce nouvel Etat de dérogations exceptionnelles, pour ne pas dire laxistes, dans le domaine de l’immigration.

Ces dérogations continuent encore sous une forme atténuée, si je ne m’abuse.

La lecture des pages 175 et 176, avec le compte-rendu de la rencontre du 13 mars 1964 entre le Général et le nouveau Président Ben Bella en est une des illustrations.

  1. Réconciliation ou relation internationale entre deux Etats ? Je vous avouerai que je n’ai jamais compris la politique française après l’indépendance de l’Algérie. Les Algériens avaient choisi leur destin. Rapidement, le régime algérien fut celui d’une dictature du FLN.

Pourquoi De Gaulle n’a-t-il pas choisi le type de relations internationales qui était celui de la France avec l’URSS ou la Chine ? Sauf à dire que son objectif numéro 1 avait toujours été celui de la préservation, le plus longtemps possible des sites nucléaires du Sahara, en fermant les yeux sur le ratage complet de la mise en application des Accords d’Evian ?

Je me suis déjà exprimé à de multiples reprises sur un tel sujet, en affirmant que je n’ai jamais vu pourquoi nous, anciens soldats appelés, pas plus que les citoyens français, nous devrions faire repentance.

  1. La cinquième est celle de l’imbroglio dans lequel était plongée une armée française en pleine crise, avec, à Alger, la question du qui était qui ou quoi, entre les « loyalistes », les révoltés, ceux de l’OAS, et ceux qui ne savaient plus quoi penser, avec le souci du général d’y mettre fin le plus vite possible, sauf nouvelle crise nationale majeure à venir, c’est à dire en clair : il fallait « dégager » au  plus vite !

Comme la plupart de mes collègues, nous étions favorables à une évolution politique majeure de l’Algérie, mais pas à celle qui s’est produite sous la conduite d’un FLN venu de l’étranger, avec son armée des frontières, incapable de faire régner la paix civile dans ce territoire, et de respecter les Accords d’Evian, sans que notre pays ait fait ce qu’il fallait pour l’obliger à le faire.

6 – Plus de cinquante ans après ces accords, j’ai eu la mauvaise curiosité d’aller consulter dans les Archives militaires de Vincennes les Journaux de Marches et d’Opérations du 28ème Bataillon de Chasseurs Alpins qui ont suivi mon retour en France, dans les années 1961 et 1962, et je vous avouerai que leur lecture m’a démoralisé.

      Une armée française qui avait ramené la paix civile dans cette région de la Petite Kabylie, à laquelle on donne l’ordre de se replier successivement vers la côte pour s’y embarquer, laquelle exécute loyalement les accords diplomatiques en question, sans que le gouvernement gaulliste fasse ce qu’il fallait pour obliger le FLN à les appliquer. Au fur et à mesure du retrait, le FLN n’avait qu’à lever le petit doigt pour inciter les soldats français d’origine musulmane encore en service dans les postes militaires à se soulever et à les faire tomber aux mains du FLN, les uns après les autres.

          La vallée de la Soummam, comme beaucoup d’autres régions d’Algérie, fut alors un lieu de tortures et de massacres des harkis et des moghaznis qui avaient rejoint l’armée française après 1954, jusqu’en 1962.

        Le rapport du sous-préfet d’Akbou Robert en a récapitulé à l’époque une partie dans la vallée de la Soummam.

       L’armée française a obéi au gouvernement du Général et donc appliqué les accords d’Evian, ce qui n’a pas été le cas du FLN.

      Ce livre montre bien le processus de désagrégation qui a suivi les accords d’Evian, l’impuissance du gouvernement algérien, en même temps que celle du gouvernement français, avec la mise en place d’une dictature politique et militaire servie par l’armée des frontières.

         Je terminerai en évoquant tout d’abord un des points les plus sensibles de ces accords, celui des crimes de guerre, car effectivement ces accords avaient par avance amnistié tous les crimes de guerre commis par les deux parties, et il est évident qu’il y en a eu, comme dans toute guerre de type révolutionnaire ou non, et c’est cette amnistie injustifiable qui a permis à trop de chercheurs ou de mémorialistes français de laisser croire que la France, en Algérie, n’a été que saloperie.

        Le fait qu’une chape de plomb pèse en Algérie sur toute cette histoire n’est pas de nature à apaiser les mémoires, souvent frelatées, d’autant moins qu’on trouve beaucoup moins de belles âmes pour exalter violences, crimes ou tortures de la deuxième guerre civile qui a ensanglanté l’Algérie dans le années 1992-2000, et la mise en place d’un régime policier de type dictatorial.

        Je voudrais dire enfin que je n’ai jamais compris cette volonté de réconciliation, d’une repentance qui ne dit pas son nom, toujours affirmée par qui ? Le plus souvent par le groupe des intellectuels sortis de la « matrice » algérienne, ou par ceux qui flattent une histoire française de l’autoflagellation, ceux que j’ai appelés « les fossoyeurs » de l’histoire de la France

    Pour avoir beaucoup travaillé sur l’histoire coloniale et la décolonisation, je fais partie de ceux qui mettent en cause tout au long de ce processus la ou les gauches françaises, responsables des conquêtes coloniales de la Troisième République, tout autant que du « fiasco des décolonisations », selon l’expression de l’historien Vermeren.

                     Le cas de l’Algérie en est une des caricatures les plus funestes avec le tournant de guerre que le gouvernement Mollet Mitterrand  a fait prendre à la France, avant le retour du Général au pouvoir, en 1958.

            Alors tout ça pour cela ! Nous avons servi la France et souvent l’Algérie, nous y avons exposé nos vies, certains de  nos camarades y ont laissé la leur, et nous entendons à longueur d’année et depuis des années un discours sur la torture – tous nous aurions donc torturé -, – nous aurions été les seuls à exercer la violence dans un contexte de guerre -, nous devrions faire repentance -, mais en même temps, –  prôner une réconciliation – ?

            Avec qui devrions-nous nous réconcilier, nous, anciens soldats appelés du contingent ?

            Avec qui nos gouvernements devraient-ils se réconcilier ? Les gouvernements  d’une dictature FLN  qui continue ?

         Jamais jusqu’à nos jours, c’est-à-dire plus de soixante après les faits, et à ma connaissance, l’Algérie du FLN n’a donné l’occasion à une quelconque personnalité algérienne, respectée, intègre, capable d’incarner le partenariat  légitime d’une réconciliation entre les deux Etats.

            Jean Pierre Renaud   –  Tous droits réservés

(1) Il est bien dommage que le texte des Accords d’Evian n’aient pas été joints. Oserais-je dire que c’est la première source que j’y ai recherché.