« Sus aux élites » Frappat, la Croix des 19 et 20/11/16 – Ou je vote Juppé ! Pour son Prisunic !

Chronique de la « France d’en bas » et de « la France d’en haut »

« Sus aux élites » : La chronique de Bruno Frappat dans la Croix des 19 et 20 novembre 2016

Ou je vote Juppé ! Pour son Prisunic !

Questions d’un « plumitif » d’aventure à un « plumitif » professionnel ?

            Je réagis à nouveau sur une prise de position qui ne dit pas son nom pour au moins deux raisons essentielles : la première, comprendre comment  l’indirect politique fonctionne. Pour avoir beaucoup travaillé il y a longtemps sur l’indirect, les stratégies indirectes, celles qui cachent leurs jeux, quel que soit le domaine d’application, y compris politique ou médiatique, dans le sillage du célèbre stratège Sun Tzu ; la deuxième, mon expérience personnelle de la Chiraquie corrompue, à la Mairie de Paris, celle que j’ai tenté de décrire dans un de mes bouquins, « La méthode Chirac » – 1997) avec des intitulés de contenus qui éclairaient mes appréciations, le « système Chirac », (Chapitre 6) ou « La parole biaisée » de la Deuxième partie.

            Il est évident que le contenu des chroniques que je critique pourrait servir de nouveaux cas d’école de la manipulation médiatico-politique en faveur d’un des sept candidats de la primaire du dimanche 20 novembre.

         Je rappelle que le 12 novembre, à propos de la primaire de la droite, j’avais déjà jugé que la chronique de Monsieur Frappat n’était pas sérieuse, étant donné qu’à la suite d’un raisonnement spécieux, elle consistait  à se prononcer pour le candidat Juppé.

       Dans le journal la Croix des 19 et 20 novembre 2016, à la veille des primaires, le même ancien journaliste et directeur du Monde et ancien directeur de la Croix, deux journaux qui firent partie du « système » médiatico-politique »  de la chiraquie, a troussé une nouvelle chronique toujours aussi bien rédigée, intitulée  « Sus aux élites », et en remet une couche en faveur de son candidat préféré, avec une rubrique intitulée « Prisunic »

     «  Haro sur les premiers de la classe »… On ne va tout de même pas passer son temps à raconter sa vie et à protester du fait que pour être plumitif, on n’est pas moins homme, susceptible d’hospitalisation et de divers ennuis comme Juppé est susceptible de faire ses courses dans un supermarché innommable. »

      Question : une fois de plus, est-ce que Monsieur Frappat vote Juppé ? Oui, sans conteste, et je voudrais rappeler à ce sujet que pendant tout le règne de la Chiraquie corrompue, les deux journaux du Monde et de la Croix n’ont pas trop brillé, ni pris trop de risques, pour dénoncer les dérives du « système chiraquien ».

       Souhaitons que les Français et les Françaises aient la possibilité  de faire la distinction dans nos élites, entre celles qui mélangent les genres, les rôles, les fonctions, et celles qui continuent à penser que la France contient encore des élites qui méritent leur nom.

      En tout cas, et dans le même numéro, j’ai bien sûr préféré la lecture des deux pages consacrées à « Don Ernest Simoni, cardinal rouge sang »,… « ce prêtre inclassable qui a enduré pendant trente ans le régime de terreur communiste en Albanie… »

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Chronique de la France d’en bas Les journaux du dernier week-end- La Croix Le Monde : Sérieux Pas Sérieux

Chronique de la « France d’en bas »

Lu dans la presse du dernier week-end : sérieux ou pas sérieux ?

            Dans le journal La Croix des 5 et 6 novembre, deux types d’informations : la ligne présidentielle du journal et « au cœur de l’ethnie » américaine

            Pas sérieux !

         La première, dans « La chronique  de Bruno Frappat » la chronique hebdomadaire de l’ancien directeur du Monde et de La Croix, sous le titre « Vie de couples » et dans le sous-titre « Echéances »  la compétition entre « Donald et Hillary », mais également la primaire de la droite ;

        « Autre couple, autres mœurs quand même : la primaire de la droite et du centre devrait opposer –verdict le 27 novembre – deux hommes aussi dissemblables qu’on peut l’être…  Il nous reste donc trois semaines à attendre pour savoir qui des deux sera le prochain favori de l’élection présidentielle qui suivra. »

       Il s’agit évidemment de Juppé et de Sarkozy !

      Il n’y a donc que deux candidats ? Et qui plus est, l’élu sera le favori de la prochaine élection présidentielle ? Où s’arrête l’intoxication ?

      Résultat, comme dans un bureau de vote, pour les Français qui vont voter, l’expression : « A voté », signé Bruno Frappat et La Croix.

      Très sérieux !

       Dans le même journal, les ethnies, à propos aussi des élections américaines, une autre information sur la composition de la population américaine, page 4 :

       Un beau diagramme en couleur avec en pourcentage la composition de la population américaine :

       En % par âge et par ethnie, en 2010

       7 tranches d’âge de 0 à 75 et +, avec sept couleurs pour les Blancs, Noirs, Asiatiques, Latinos, 2 ethnies, Autres

      Il serait intéressant de connaître l’opinion des intellectuels français qui refusent tout comptage ethnique sous le fallacieux prétexte que ce type de comptage fleure bon le racisme et la discrimination.

      Le journal La Croix serait donc à compter dans le camp  des racistes ?

      La République française aurait peur de la vérité, alors que les interdictions actuelles nourrissent tous les phantasmes ?

       Pas sérieux !

      Dans le journal Le Monde des 5 et 6 novembre, page 10, sous le titre :

      « Notre-Dame-des-Landes : le futur aéroport à l’arrêt ?

        « Le rapporteur public de la cour administrative d’appel de Nantes va demander l’annulation des arrêtés préfectoraux autorisant les travaux »

      Les lecteurs de ce journal savent que leur quotidien ne rechigne pas beaucoup pour ouvrir ses colonnes à des tribunes de tout acabit, d’ailleurs souvent de nature idéologique, ou mieux à solliciter les avis d’experts, et dieu sait s’il y en a de nombreux, et disponibles.

       Ne trouvez-vous pas curieux que sur un sujet aussi sensible, notre journal dit de référence n’ait pu indiquer si ce type d’avis s’inscrivait dans le cours normal du droit ?

Jean Pierre Renaud

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq & Synthèse critique

Synthèse critique

Première partie

            Après avoir lu et relu cet ouvrage, l’avoir annoté, je dois convenir qu’il s’agit d’un important travail d’analyse, mais qui pose de nombreuses questions : n’était-il pas trop ambitieux ?

         J’ai listé six questions qui font problème, à savoir, le champ de cette étude (I), sa chronologie (II), écriture de l’histoire à l’époque coloniale ou historiographie (III), une comparaison pertinente (IV), le type d’histoire, servile ou méthodique , entre pouvoir et savoir (V), la place de l’histoire du terrain (VI).

        I – Le champ de l’étude : l’Afrique, quelle Afrique ? Le titre même de l’ouvrage recèle une ambiguïté, étant donné qu’à lire l’ouvrage, il s’agit avant tout de l’Afrique occidentale, une Afrique qui en tant que telle n’était déjà pas facile à déchiffrer.

       II – La chronologie ? L’auteure a choisi un découpage chronologique qui, à mes yeux, ne correspond pas à l’évolution de la colonisation sur le terrain de l’A.O.F, ni à celle de la France de la fin du dix-neuvième siècle et du début du siècle suivant.

      Cette chronologie est différente de celle que propose l’historien Sudhir Hazareesingh, pour l’historiographie française au cours de la période retenue par Sophie Dulucq, dans son livre « Ce pays qui aime les idées ».

      Sophie Dulucq retient les dates clés suivantes pour ses chapitres, « 1900 » pour le premier, « 1890-1930 » pour les quatre chapitres suivants, « 1930-1950 » pour le cinquième, et « 1950-1960 » pour le septième.

      Si j’ai bien interprété la chronologie  retenue par Sudhir Hazaeesingh,  elle serait la suivante : « 1897 » (p,325) : une période de chasse gardée des professionnels, « 1929 » (p,326) : une rupture historiographique initiée par Marc Bloch et Lucien Febvre, « après 1945 », (p,328), une phase d’histoire idéologique, s’enchainant avec une phase d’histoire-mémoire.

     Ce découpage historique me parait mieux traduire les caractéristiques d’une historiographie métropolitaine très éloignée du terrain colonial.

      En 1890, l’A.O.F n’était pas encore partout pacifiée, et l’administration était encore très largement entre les mains des militaires. La nouvelle Fédération de l’A.O.F n’existait pas. Elle fut créée en 1895.

       En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, la Mauritanie, le Sahel en général, le Niger, le Dahomey, la paix civile n’y existait pas et les structures administratives étaient encore et très largement dans les limbes.

       Que dire alors de l’histoire en gestation ?

     La formule utilisée par l’auteure à la page 58 : « Mais le moment colonial marque une rupture dans une tradition savante déjà ancienne.» mériterait d’être incontestablement expliquée. Etait-ce exact en 1900 ?

     Le découpage chronologique factuel le moins contestable aurait dû marquer les ruptures de la première guerre mondiale, avec une Afrique de l’Ouest à peu près pacifiée en 1920,  et la deuxième guerre mondiale, avec la naissance d’un monde nouveau.

     Ce découpage manque de pertinence, tout autant qu’un autre découpage en trois phases, retenu par le collectif de chercheurs Blanchard and Co, dans leur livre « Culture coloniale » : « 1871-1914 »,  « après 1914 »,  « 1925-1931 ».

     En ce qui concerne la première période intitulée « Imprégnation d’une culture »,  (1871-1914) coloniale bien sûr, je recommanderais aux chercheurs de lire l’excellent ouvrage d’Eugen Weber,  « La fin des terroirs », afin de prendre la mesure du fait que la France de la fin du siècle ressemblait encore dans un certain nombre de ses provinces au monde colonial, et que les concepts liés au « colonial » leur étaient complètement étrangers.

      Pour les lecteurs intéressés, je publierai dans les prochains mois ma lecture critique de cet ouvrage fort intéressant.

      La date de 1931, constitue à mes yeux une fausse fracture chronologique, de nature idéologique.

     III – Ecrire ? S’agit-il de l’écriture de l’histoire ou de celle de l’historiographie ?

      Première main ou deuxième main ? Historiographie des premiers « violons », les Delafosse, Hardy, Rousseau…, ou des musiciens amateurs, les « historiens » du terrain ?

      Dans l’introduction du livre « Les empires coloniaux », Pierre Singaravélou précise à juste titre, et dans le titre lui-même de quoi il s’agit :

     « Situations coloniales et formations impériales : approches historiographiques » (p,9) 

     La question est difficile, mais elle n’est pas sans intérêt, compte tenu du postulat posé par l’auteur, c’est-à-dire « Ecrire l’histoire… »

      Les sources citées : si l’on fait le compte des sources citées qui permettent de cerner le problème, 36 sources françaises ou étrangères ont été exploitées pour l’histoire de la colonisation française (dont 6 pour Hardy, et 5 pour Brunschwig), avec une seule source de terrain.

    En ce qui concerne l’histoire « indigène », 36 sources ont été exploitées, dont 18 du terrain colonial.

    En ce qui concerne les sources bibliographiques, 169 sources ont été exploitées, dont 127 françaises, 34, étrangères, et seulement 7 du terrain colonial.

    Est-ce que ce type de problématique et de pertinence historique ne justifierait pas des analyses au cas par cas, situation coloniale par situation coloniale, et avec une chronologie comparable, en partant d’un  récit de base, en le comparant à ce qu’en a retenu l’historiographie, et à celui produit par des historiens, notamment issus de l’ancien monde colonisé ?

      Trois exemples pourraient être proposés, si cette analyse n’a pas déjà été faite : sur le Niger, l’histoire comparée de Samory (années 1880-1900), entre celle d’Yves Person, celle des « historiens » du terrain, les officiers, celle des autres traditions que la tradition « dyula », par exemple bambara, et celle des historiens africains modernes.

       Au Tonkin, les récits comparés des historiens mémorialistes, souvent des amateurs, officiers de la conquête ou non, concernant la vie du Dé-Tham, grand rebelle devant l’Eternel, à la fin du dix-neuvième siècle, avec celle des historiens professionnels français, s’il y en a eu, et les historiens du Viet Nam.

      Comme je l’ai écrit après un voyage au Tonkin, mon épouse et moi avons eu la plus grande peine à se faire ouvrir un musée consacré au Dé-Tham, un musée qui paraissait abandonné.

     A Madagascar, la vision historique qu’avaient les premiers visiteurs, puis conquérants de ce pays, au moment de la conquête française  en 1895, avec celle que défendent les historiens malgaches d’aujourd’hui.

      IV – Une comparaison pertinente sur le plan historique, en termes de moyens ?

     Tout au long des pages, court en effet la question de savoir si la comparaison qui, en définitive, est faite ou proposée, ne souffre pas d’une carence d’évaluation des moyens consacrés à l’écriture de l’histoire, en fonction des situations respectives entre métropole et colonies, avec notamment, les effectifs d’historiens en compétition, pour autant que cette dernière existât.

      Au fil des lignes, on en retire évidemment la conclusion que l’histoire coloniale n’attirait pas beaucoup les universitaires français, une différence d’échelle qui expliquerait naturellement les jugements péjoratifs très souvent rapportés par l’auteure.

     Combien l’A.O.F, puisqu’il s’agit essentiellement d’elle dans l’ouvrage, comptait d’agrégés en 1920, en 1939, puis en 1945 ? Où allaient les meilleurs d’entre eux ? Combien de la rue d’Ulm ?

       Est-ce que par hasard, cette inégalité entre les moyens n’illustrait pas à sa façon le désintérêt de la métropole pour les mondes d’outre- mer, avec un bémol pour le Maghreb et l’Indochine ?

      Comment est-il possible de comparer de façon pertinente les produits de l’histoire coloniale auxquels l’auteure fait référence, entre ceux de la métropole et ceux des colonies, compte tenu tout à la fois des problèmes d’échelle, de moyens, et de situations historiques à la fois changeantes et souvent opposées,  selon leur chronologie et leur localisation.

     Pour résumer le propos, comment poser les mêmes exigences de méthode, pour autant qu’elles existèrent en France, entre la métropole et l’Afrique noire, celle que vise l’auteure, sans Etat, et sans argent ?

      Sans distinguer le monde écrit et le monde oral, la multiplicité des croyances (islam, animisme et fétichisme) et des langues et dialectes, les modes de vie, entre les zones côtières et l’hinterland, les grandes zones climatiques, etc… ?  (voir Richard-Molard)

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq – 7

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

7

Chaînes de transmission et points de rupture

La charnière des indépendances

           A lire le contenu de ce chapitre, comme souvent à la lecture des chapitres précédents, le lecteur se pose la question de savoir, et c’est assez souvent le cas chez les chercheurs qui se recommandent aussi de l’histoire «méthodique », si leur discours n’est pas également entaché d’un parti pris politique, ou peut-être idéologique qui ne dit pas son nom.

            Il est tout de même difficile d’analyser tout le pan de l’histoire coloniale en l’accusant d’avoir été au service de l’impérialisme, d’être donc intellectuellement « soumise » et de prétendre au contraire que l’histoire coloniale et postcoloniale, postindépendances, n’aurait aucune racine idéologique ou politique. Les exemples cités par l’auteure en manifestent tout à fait l’existence après la deuxième guerre mondiale.

                   Je dirais volontiers qu’au-delà, ou en-deçà de ce type d’analyse, pourquoi ne pas dire qu’il y a eu un avant 1939 et un après 1945, avec un monde nouveau aussi bien en Asie, en Afrique, ou en Europe, et naturellement en France, avec des « situations coloniales ou métropolitaines » complètement différentes.

          A situations historiques nouvelles, histoires et historiens nouveaux !

           Un de mes vieux amis me répète souvent que dans le domaine de l’histoire,  les nouveaux ont besoin de s’opposer aux anciens pour se faire connaître et exister, courants nouveaux contre courants anciens, et dans le cas de l’histoire coloniale, leur travail n’ a pas été trop difficile, compte tenu de l’inégalité de moyens qui existaient dans les deux mondes ancien, et nouveau, de la nouvelle configuration politique née de la Résistance, composée d’un mélange de christianisme et de marxisme.

          L’auteure donne l’exemple du mépris que le « mandarin » Renouvin, « grand maître de la Sorbonne en histoire contemporaine » manifestait à l’égard du monde colonial :

         «  Ce témoignage est emblématique de la piètre estime dans laquelle certains mandarins tiennent, à la veille des indépendances les recherches historiques touchant au monde colonial »

         Hubert Deschamps, ancien administrateur colonial, et exemple d’une conversion universitaire réussie lequel « … incarne pourtant plus que tout autre la continuité, se sent lui-même obligé d’écrire en 1970 : « (Avant 1960), l’histoire coloniale était hagiographique, héroïque (d’un seul côté), patriotique, uniformément bienfaisante et civilisatrice. » (p,258)

        Une simple remarque à ce sujet, Deschamps n’avait pas manifesté une très grande continuité dans ses orientations politiques.

         L’auteure note toutefois :

         « Au- delà du petit jeu un peu vain des « permanences et ruptures » – on se doute bien que l’on trouvera au final des héritages mais aussi des solutions de continuité -, l’enjeu est surtout de s’interroger sur la nature de ce qui change à la charnière des indépendances. » (p, 359)

       Le dernier chapitre «… ce dernier chapitre, plus court que les précédents qui constituent le cœur de cette recherche, a l’ambition de suggérer des questions et des pistes, de proposer des interprétations, plutôt que d’apporter de fermes conclusions. S’adressant notamment à des historiens qui ont vécu l’émergence de l’histoire africaniste postcoloniale, on peut souhaiter qu’il soit matière à discussion, voire à controverse. » «  (p,259)

      « Ce qui n’était pas le cas des chapitres précédents ?

      « Institutionnalisation de l’histoire de l’Afrique et développement de nouvelles logiques scientifiques : le temps des « aires culturelles » (p,259)

     « L’on assiste en France, au début des années 1960 à une distinction grandissante entre « histoire de l’Afrique » et « histoire coloniale », à une reconnaissance institutionnelle de la première et à une disqualification de la seconde.

         S’agissait-il d’une véritable « conversion » des historiens ou de la concrétisation d’un monde nouveau sur le plan politique, financier, et intellectuel, avec la création du FIDES, de l’ORSTOM, le poids nouveau du Parti Communiste en France et du marxisme en général ?

           La série d’exemples cités par l’auteure n’en constituerait-t-elle pas la démonstration ? Deschamps, Julien, Dresch, Suret-Canal, Person… ?

          L’auteure écrit :

         « Le contexte politique des indépendances joue indubitablement son rôle dans l’institutionnalisation de l’histoire de l’Afrique en France… Hubert Deschamps obtient la chaire d’« histoire moderne et contemporaine  de l’Afrique » et Raymond Mauny celle d’« histoire ancienne de l’Afrique…(p,260)

         Les deux chaires viennent d’être créées à la Sorbonne ! Une petite révolution !

       « … C’est aussi la logique qui prévaut à la VI° section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, créée en 1947 et dirigée d’abord par Lucien Febvre, puis à partir de 1956, par Fernand Braudel. La nouvelle section, officiellement fléchée « Sciences économiques et sociales », est surtout centrée sur les sciences sociales, mais devient vite le bastion de la conception histoire défendue par les Annales : celle d’une discipline carrefour des sciences sociales… (p260)

          « … Ces diverses formes de reconnaissance universitaire sont des victoires sur ce que Jan Vansina considère rétrospectivement comme la forteresse quasi imprenable de l’Université française : il insiste en effet sur le caractère centralisé et mandarinal de l’Alma Mater d’avant 1968, qui rejette les historiens de l’Afrique aux marges de l’histoire et, ce qui est plus grave d’un point de vue purement stratégique, aux marges de l’Université. Mais Marc Michel nuance cette vision et considère au contraire que l’institutionnalisation des années 1960 entérine « un mouvement de fond ». » (p, 260)

      C’est également mon opinion, un mouvement que la seconde guerre mondiale a précipité, avec l’élection de députés et de conseillers de la République venus de l’outre-mer dans nos assemblées, l’esprit nouveau des gens de la Résistance, l’influence des courants politiques de gauche, et peut-être un intérêt nouveau pour l’agitation qui commençait à se développer dans les outre-mer, facilitée par la naissance de mouvements nationalistes nouveaux qui s’épanouissaient grâce au soutien des Etats Unis, de l’URSS, et des nouvelles nations du Tiers Monde, l’Inde, l’Indonésie, l’Egypte, avec l’évolution politique qui se profilait en Afrique, avec le Ghana.

         Pour ne pas parler de la guerre d’Algérie dont Stora fait l’alpha et l’oméga de notre histoire coloniale, pour ne pas dire nationale, sauf à indiquer que les nationalistes d’Algérie eurent en définitive peu de soutien de la part des nouveaux dirigeants d’Afrique.

        « Passeurs, filiations, mutations » (p,263)

        « La décolonisation assure donc l’entrée à l’Université de personnalités qui ont été partie prenante de l’Empire : Deschamps, ou Mauny sont d’anciens fonctionnaires coloniaux. Brunschwig a enseigné à l’ENFOM… Ce faisant, ils ont constitué un chaînon important entre l’histoire d’avant les indépendances et celle qui démarre après. » (p,263)

         L’auteure explique alors que tout n’était pas à jeter dans ce passé, contrairement à ce qu’écrivait Jan Vansina  « lequel propose de faire démarrer la « véritable «  histoire de l’Afrique en France à l’élection d’Yves Person à la Sorbonne en 1971, et à celle de Catherine Coquery-Vidrovitch, la même  année, dans la nouvelle université de Paris 7°. Cette vision est excessive, mais elle a le mérite d’être sensible à la continuité qu’incarnent les nouveaux promus des années 1960. Il est certainement plus juste de voir Brunschwig, Deschamps et Mauny comme des passeurs, comme des historiens de la mutation, un pied dans l’histoire coloniale, l’autre dans la nouvelle aventure historiographique, et eux-mêmes sujets à une évolution scientifique personnelle. » (p,266)

         Deux observations, la première relative à Brunschwig : je ne suis pas sûr que cet historien confirmé, élevé au lait de Marc Bloch, ait eu besoin d’une «  évolution scientifique personnelle ».

          La deuxième concerne Yves Person : l’intéressé fut également un produit de l’ENFOM, d’abord administrateur colonial, qui se convertit, comme Deschamps, dans l’histoire coloniale qu’on n’appelait plus « coloniale »

        Yves Person était un homme de gauche, ce qui veut dire, qu’il n’était pas complètement à l’écart du courant politique universitaire dominant de l’époque.

        Il se trouve qu’à l’occasion de mes recherches personnelles sur le colonel Péroz, et notamment à l’occasion de son séjour dans le bassin du Niger, et notamment de ses contacts et relations personnelles avec Samory, j’ai lu la thèse, c’est-à-dire la somme que cet historien a consacré au personnage, une somme très fouillée de plus de mille ou deux mille pages, faite du recueil de milliers de témoignages oraux, les fameuses « traditions orales », confrontées à sa propre lecture, côté français, de l’histoire de Samory. Cette thèse était intitulée « Samori, ou la révolution  Dyula ».

          A la lecture de ce document, et comparé à ce que je pouvais moi-même interpréter de cette période de conquête française, j’en avais recueilli la conclusion que son auteur manifestait beaucoup de compréhension historique pour le personnage, pour ne pas dire de compassion, et beaucoup moins pour ceux qu’il baptisait les « traineurs de sabre ».

          Assez souvent, par exemple il met en cause le témoignage de Péroz, alors capitaine, lequel à son époque était une rareté, étant donné qu’il parlait au moins deux dialectes du Soudan de l’époque, et qu’il avait incontestablement su gagner la confiance de Samory.

          Péroz faisait œuvre d’historien amateur, comme beaucoup de ses collègues, puis administrateurs, en pleine découverte de ce nouveau continent, et j’avouerai bien volontiers que leurs successeurs, artisans ou non, devraient être bien contents de pouvoir consulter, encore de nos jours,  ce type de source historique, et quoiqu’on en dise.

         A ma connaissance, mais sans aller plus loin, sa lecture n’a pas rencontré tout le soutien qu’il pouvait escompter auprès d’une partie des intellectuels africains.

      « Une nouvelle génération intellectuelle » (p,269)

       Ou une nouvelle génération politique ? Car beaucoup des noms cités par l’auteure étaient affiliés à la gauche marxiste ou communiste, pour ne pas citer aussi l’héritage de ceux qui ont milité contre la guerre d’Algérie.

       Est-ce que Mme Coquery-Vidrovitch n’a pas alors partagé ce type de communauté idéologique ?

       Comment ne pas faire remarquer que deux professeurs spécialistes d’histoire économique, celle des chiffres et non des idées, qui avaient viré leur cuti en travaillant avec une méthode digne de celle des Annales, Jacques Marseille et Daniel Lefeuvre, avaient conclu que, contrairement à ce qu’ils croyaient, les thèses marxistes sur le rôle de l’impérialisme dans les colonies, la dépouille, manquaient de pertinence scientifique.

           Ne s’agirait-il pas de la problématique qui sépare les historiens des idées et ceux des faits, de leurs effets, aussi précisément évalués que possible, la première des deux problématiques étant de nature à encourager toutes les dérives possibles des interprétations historiques.

          Dans une thèse récente, Mme Huillery a développé l’idée à coup sûr, séduisante, pour tous ceux qui soutiennent la thèse de notre autoflagellation nationale, mais mal fondée dans ses instruments choisis de pertinence scientifique, l’idée d’après laquelle, ce n’était pas l’AOF qui était le fardeau de l’homme blanc, mais le contraire, en retournant l’axiome bien connu de l’histoire coloniale.

          Il convient d’ailleurs de noter que dans cette thèse, madame Huillery met évidemment en cause, mais de façon très insuffisante les travaux de Jacques Marseille et même de Catherine Coquery-Vidrovitch.

          Je m’en suis expliqué longuement sur mon blog.

        L’auteure donne l’exemple de Suret-Canale en notant :

         « L’engagement militant de Jean Suret-Canale, qui travaille dans la jeune Guinée indépendante de 1959 à 1963, se double d’une approche historique inséparable de sa vision critique marxiste. Il travaille en franc-tireur à partir de 1956, avec l’appui et les conseils du géographe communiste Jean Dresch… (p,272)

         « …Par ailleurs, l’internationalisation de la recherche en histoire de l’Afrique a une part également non négligeable dans l’évolution des idées, des pratiques et des problématiques, et mériterait une étude en soi. » (p,273)

       L’auteure note le rôle de la maison de presse et d’édition Présence Africaine, mais son siège est à Paris, au cœur du Quartier Latin, pourquoi ?

      « Alors, y-a-t-il eu disparition corps et bien de l’«histoire coloniale » dans la période 1955-1965 ? Oui, bien sûr, si l’on considère l’histoire coloniale dans sa stricte acception, c’est à dire comme l’histoire écrite en situation coloniale. Avec les indépendances, le contexte de production change profondément, les conditions de l’instrumentalisation par les colonisateurs disparaissent et l’insertion dans le récit triomphaliste européen  n’est plus concevable. Mais les raisons de cet effacement ne sont peut-être pas à rechercher exclusivement dans les propositions méthodologiques et épistémologiques des jeunes historiens de l’Afrique. Toute une conjoncture politique, intellectuelle, constitutionnelle et générationnelle incite à minimiser les continuités, à exalter les ruptures. » (p,277)

         Question : 1955-1965, ne s’agit-il pas d’une période d’observation un peu courte, compte tenu des bouleversements de toute nature qui ont agité le terrain de « jeu » des historiens, avec le retentissement majeur qu’a eu la guerre d’Algérie sur beaucoup de ces historiens ?

       « Instrumentalisation » ? Je fais incontestablement partie de ceux qui estiment que l’histoire postcoloniale a quelquefois autant de mal que toutes les histoires de France ou d’ailleurs à y échapper.

       En revanche, j’adhère au propos de la fin :

      « Dans cette mesure, on ne peut pas suivre totalement Yves Person lorsqu’il affirme en 1979 :

       « Les années soixante sont celles de l’histoire africaine, longtemps niée par les historiens comme excentrique et impossible, et méprisée par les anthropologues marqués par le fonctionnalisme et le structuralisme, qui la qualifiaient de pseudoscience conjoncturelle, a réussi à s’imposer. »  (p280)

        Propos d’historien détaché de tout engagement politique ? Et tout autant détaché de situations coloniales non expérimentées ?

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq – Conclusion (p,281)

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

Conclusion (p,281)

             Ainsi que je l’ai indiqué dans la présentation de ces textes, le lecteur trouvera d’ici quelques jours mes conclusions générales, c’est-à-dire le résumé de toutes les questions capitales que pose l’ouvrage sur le plan méthodologique

            Arrivé au terme de ma lecture et de mon analyse, je vous avouerai que je n’ai pas toujours eu l’impression de suivre le raisonnement historique de l’auteure, balançant à mes yeux entre les deux pôles d’une histoire coloniale justement dénigrée et celui d’une histoire « légitime », celle qu’elle  qualifie de méthodique, et qui serait apparue, comme par hasard après la décolonisation, dans le courant des gauches françaises.

            Le contenu de la conclusion en est encore, et à mon avis, une bonne illustration.

            « Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque de l’impérialisme français ? Démêler ce qu’il y a de « vraiment coloniale » dans cette histoire-là ? Distinguer les impasses ou les réussites d’une historiographie naissante, ce qui relève du contexte de production et ce qui relève de l’échec épistémologique ? Ou, pour le dire à la manière d’un sociologue, se demander « en quoi un discours scientifique est dépendant des individus et des conditions dans lesquelles il a été élaboré et en quoi au contraire, en tant que science, il possède une épaisseur qui l’autonomise toujours par rapport à ses conditions de production » (dixit Thomas Brisson « Les intellectuels arabes en France »)?)

          Au terme de ce travail, un certain nombre de pistes se sont dégagées qui, espérons-le, permettent de répondre au moins partiellement à ces questions centrales. L’une de ces pistes a consisté dans l’étude des modalités selon lesquelles les historiens de l’époque coloniale ont été amenés à produire des connaissances sur le passé de l’Afrique et des Africains. Façonnée par des réseaux et des milieux spécifiques, articulée à des logiques de gestion de populations sur le terrain impérial, adossée à une vision consensuelle de la colonisation, l’historiographie de cette période a été dans le même mouvement bornée et aiguillonnée par ses conditions particulières de production. » (p,281)

         Comment ne pas souscrire entièrement aux observations de Thomas Brisson, mais à la condition de ne pas généraliser un discours historique détaché des situations coloniales et des moments coloniaux, très différents dans une Afrique hétérogène à tous points de vue ?

           De quoi et de qui parlons-nous, et de quelle histoire en particulier ? Celle des premiers témoignages d’explorateurs, d’officiers, d’administrateurs,  naturellement des amateurs, cette histoire du terrain, de la ou des découvertes, des affrontements militaires, celle qualifiée des « batailles », et en même temps de la consignation des descriptions géographiques, religieuses, culturelles, économiques, politiques, ou ethniques qu’ils consignaient souvent très « religieusement » sur leurs carnets de route ?

               Et non l’histoire coloniale des amateurs et des premiers professionnels qui tentèrent, une fois la colonisation à peu près dans ses meubles, c’est-à-dire après 1920, de généraliser la portée de ces témoignages en proposant  des constructions historiques qui, sous le prétexte qu’elles étaient instrumentalisées plus ou moins par les autorités coloniales, ce qui reste à démontrer, méritent tous les opprobres, tels que ceux énumérés à la page 282, en laissant croire que la critique postcoloniale fondée avant tout sur une historiographie, et non pas sur des sources de première main, postérieure à 1945, ne porterait pas non plus quelques lunettes anachroniques ou partisanes ?

            « C’est ce qui explique sans doute qu’au moment où la discipline historique dans son ensemble privilégiait le document écrit, l’événement et le « fait », certains producteurs d’histoire coloniale ont ressenti la nécessité d’innover en jonglant, même maladroitement, avec les sources orales, de s’interroger sur le religieux, croisant le questionnaire ethnographique ou juridique et l’’enquête historique, « bricolant » des méthodologies susceptibles de répondre aux questions qu’ils se posaient.

            On peut comparer les critiques essuyées par l’histoire coloniale et celles adressées à l’orientalisme. Une condamnation sans appel de ce dernier, au nom de ses accointances avec la domination  impériale, ou à l’inverse, une étude de son contenu scientifique sans prise en compte de cet environnement, ne permettent pas d’envisager l’ambiguïté intrinsèque d’un savoir produit en situation coloniale… « (p,282)

       Question : est-il possible de mettre sur le même plan orientalisme et histoire coloniale, dans le cas de l’Afrique noire ? Je ne le pense pas.

           Il est bien  dommage que l’auteure n’ait pas cité les chercheurs qu’elle visait ? Des chercheurs de première main ou des chercheurs qui ont nourri l’historiographie ?

          L’auteure fait ensuite la part des choses en notant :

« Il est en effet illusoire de penser que les décolonisations ont automatiquement conduit à une production scientifique lavée de ses impuretés coloniales et dégagée de toute considération « extrascientifique » – si tant est que cette expression ait un sens, dans la mesure où toute science incorpore son époque… «  (p,285)

          Mais alors l’histoire postcoloniale également ? Comme je le pense ?

       Tout discours de fausse simplification dans un domaine qui prétend à la scientificité suscite de la méfiance et le propos de Fanny Colonna est tout à fait pertinent :

       « Il n’est pas possible d’écrire une histoire «  toute nue », pas plus aujourd’hui que dans les années 1960, et pas plus alors qu’à la période coloniale. Comme le dit ironiquement Fanny Colonna à propos de la situation des sciences sociales après les indépendances :

       « Il n’y a pas de position sans intérêt, donc pas de science pure – en particulier il n’y a pas une science absoute de péché après la décolonisation, ou sous certaines réserves de rapport à l’objet (idéologique ou pratique), et ceci vaut aussi bien pour les chercheurs nationaux que pour les autres. En particulier il n’y a pas une reconquête de la connaissance de soi par la société libérée : il y a encore des groupes qui ont intérêt à certaines vérités et à pas d’autres. » (p,286)

           Pour choisir un bon exemple de cette science « pure », « toute nue », « absoute sans péché », des adjectifs qui fleurent bon les religions, comment ne pas se poser la question de la scientificité d’ouvrages tels que « Culture coloniale », ou « Culture impériale », ou encore de « République coloniale », rédigée par des auteurs qui n’ont pas fondé leur thèse sur une évaluation scientifique des vecteurs de culture cités et de leurs effets, en particulier de la presse nationale et locale des époques coloniales examinées ?

               Où se trouvaient donc les « intérêts » ?

            Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq – 6

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

6

De l’essoufflement au renouveau (p,209)

(années 1930-1950)

           Il est tout de même curieux, et pour dire la vérité, tout à fait contradictoire de parler d’ « essoufflement » dans le titre,  et quelques lignes plus loin d’écrire :

         « Si les années 1930 sont bel et bien celles de l’apogée d’une propagande tous azimuts pour la plus grande France et celles de l’épanouissement d’une « culture impériale », les historiens coloniaux paraissent ne pas avoir su tirer leur épingle du jeu d’une situation manifestement favorable. En métropole, en effet, leur position semble souvent bien défensive face aux attaques de leurs détracteurs, tandis que les courants dominants de l’historiographie française – de la Revue historique à la revue des Annales – n’accordent qu’une place marginale à une spécialité jugée en grande partie obsolète, dans ses objets comme dans sa méthodologie. » (p,210)

      Décortiquons, si vous le voulez bien, ce passage qui révèle toutes les ambiguïtés de ce type d’analyse postcoloniale, c’est-à-dire quelques-unes de ses clés :

      « …l’apogée d’une propagande tous azimuts… » ? C’est la thèse défendue par le collectif Blanchard and Co d’ailleurs cité en note 4, mais, il s’agit d’un constat tout à fait superficiel comme je l’ai démontré dans le livre « Supercherie coloniale », et c’est entre autres une des raisons pour lesquelles les historiens coloniaux étaient bien incapables de « tirer leur épingle du jeu  d’une situation  manifestement favorable ».

       Le succès de la fameuse Exposition coloniale de 1931 ne fut qu’un feu de paille, comme l’a d’ailleurs reconnu son organisateur Lyautey, car contrairement à ce que raconte ce collectif, les Français n’avaient pas plus la fibre coloniale qu’auparavant.

       Curieusement toujours, et plus loin, l’auteure pose un point d’interrogation sur le sous-titre «  Au rendez-vous de l’Exposition coloniale : l’apogée des années 1930 » ? (p210)

      « Entre autosatisfaction et pessimisme » (p,210)

      Alors apogée ou non ? Comme le note Johannès Trammond :

     « L’histoire coloniale reste une spécialité sans communications suffisantes avec l’ensemble du mouvement historique en France et dans le monde entier » (p,211)

        Ces historiens connaissaient beaucoup mieux leur situation que le collectif en question, et tout au long de l’analyse des chapitres de Sophie Dulucq, on voit bien qu’il existait bien d’autres raisons de cette situation « coloniale ».

       Parmi ces dernières, l’’auteure cite l’émergence des courants dominants de l’historiographie française issue de l’école des Annales, qui reconnaissait la « place marginale » à cette spécialité jugée en grande partie « obsolète, » etc…

      Il est dommage que l’auteure n’ait pas cité la période au cours de laquelle cette école historique a ouvert son nouveau chemin méthodologique.

         Question : combien d’historiens et d’historiennes sortis de l’Ecole Normale Supérieure ont eu l’idée ou le courage, avant et sans doute après 1945, de s’intéresser à l’histoire coloniale ?

       En ce qui concerne Hardy, grand promoteur de ce type d’histoire, et alors, et sauf erreur seul  enseignant issu de cette grande école :

       « Le bilan dressé par Georges Hardy pour l’A.O.F est plus désenchanté, sans  doute parce qu’il est dressé par un historien professionnel. » (p,212)

          Il n’est guère envisageable de confier ces recherches aux militaires et aux fonctionnaires de l’administration coloniale (ce qui fut très souvent le cas) déjà écrasés de besognes administratives. En l’absence d’enseignants du supérieur en A.O .F (pourquoi ?), seuls quelques maîtres du secondaire et du primaire, eux aussi accaparés par leur métier… «  (p,214)

      Nous sommes alors en 1931 dans un pays qui a été plongé dans un « bain colonial »,  dixit le collectif Blanchard and Co, et dans une A.O.F, privée de moyens financiers à consacrer à ce que l’on pourrait appeler la danseuse qui avait pour nom « histoire coloniale » aux yeux de la « gentry » de Norma-Sup.

    « Une institutionnalisation en panne ? » (p,214)

      Ou plutôt en échec, et en écho de celui d’une propagande coloniale qui n’a jamais eu l’efficacité que certains proclament à tort et à travers de nos jours, faute d’évaluation sérieuse de ses vecteurs et de ses résultats ?

     « Or, dans les années 1930, l’institutionnalisation de la spécialité demeure fragile. Depuis une décennie, la Sorbonne a renoncé à l’histoire coloniale dans ses programmes et les spécialistes du domaine ont perdu tout espoir de s’y faire une place. »

      La Sorbonne, le Saint des Saints ?

      Et au Collège de France, le résultat n’est pas non plus très concluant.

      « En 1937, le renouvellement de la chaire d’Alfred Martineau au Collège de France, (une chaire qui avait été « conquise » en 1921, après un long combat institutionnel), est l’occasion de constater une fois encore que l’histoire coloniale n’est pas solidement installée dans le paysage…L’affaire traîne durant l’année 1936, période de grands bouleversements politiques. Au début de 1937, le nouveau ministre du Front Populaire, Marius Moutet, acquiesce finalement au maintien de la chaire d’histoire coloniale, qu’il souhaite néanmoins voir baptisée « chaire d’histoire de la colonisation française et étrangère. »

      En juin 1937, Edmond Chassigneux est élu :

     « Bref, c’est un candidat qui s’inscrit bien dans le profil des historiens coloniaux alors légitimés…. »

    Pourquoi ne pas noter que son parcours s’était signalé par ses travaux sur l’Indochine, le « joyau » de l’Empire, et non sur l’Afrique, et dans le cadre de l’Ecole française d’Extrême Orient ?

     Pourquoi ne pas rappeler aussi que Moutet s’inscrivait dans la lignée de la gauche républicaine qui avait été le moteur des conquêtes coloniales, sous le drapeau fantasmagorique de la civilisation française et de l’assimilation promise ?

      Pourquoi ne pas rappeler aussi, que dans le cas de Madagascar dont l’histoire a paru attirer l’intérêt de l’auteure, les « évolués » malgaches avaient cru à ses promesses de citoyenneté, et que l’arrivée du Front Populaire n’avait rien changé à ce sujet ? Le poète et homme politique Rabemananjara en fit l’amère expérience après le magnifique succès populaire de la manifestation qu’il organisa au stade Mahamasina sur la foi d’un nouveau projet de citoyenneté que la République française entendait mettre en œuvre.

      Pourquoi ne pas rappeler aussi que les politiques qui avaient la charge généralement peu convoitée des colonies, puis de l’outre-mer, étaient remplis de contradictions : l’exemple de Moutet est assez intéressant, car il engagea la France dans la répression de la révolte malgache de 1947 ?

    A lire ces analyses très fouillées de l’auteure, il parait difficile d’adhérer à sa conclusion :

     «  On le voit, les années 1930-1940 sont marquées, en métropole comme dans les territoires colonisés, par un renforcement des dispositifs institutionnels propres à assurer l’essor ders disciplines spécialisées dans le domaine colonial » «  (p,221)

     Vraiment ? et un peu contradictoire avec la notation : « Dans ce contexte, la perte de la chaire en Sorbonne est un handicap certain pour le rayonnement de l’histoire coloniale… (p,222)

      Que dire à nouveau sur le constat d’ « une propagande massive », laquelle ne l’a jamais été, et sur le constat final :

      « Sans doute l’apogée de l’histoire coloniale a-t-il déjà eu lieu » (p,221), qui n’aurait été qu’un feu de paille, à l’exemple du succès populaire de l’Exposition coloniale de 1931 ?

      « La diffusion de l’histoire coloniale : expansion ou tassement ? » (p, 222)

      « Pourtant dans le domaine scolaire, les efforts continus des milieux coloniaux ont conduit à une intégration de nombreux éléments d’histoire coloniale dans les programmes d’enseignement…Dans une mesure appréciable, ce discours scolaire est l’un des échos directs de la production de l’histoire coloniale « savante », tout comme les manuels de Lavisse sont le reflet de l’histoire méthodique professée en Sorbonne. .. » (p,222)

    En Sorbonne ?

     Quant au leitmotiv que véhiculent certains chercheurs sur le manuel Lavisse, je propose aux lecteurs de lire, en annexe, la petite documentation et évaluation du corpus colonial en question dans plusieurs de ces manuels.

     Même type de remarque sur les observations ci-après :

     « L’exposition continue des jeunes enfants aux images positives de la colonisation, via l’école et la propagande extrascolaire, peut expliquer en partie le consensus des années 1920-1930 autour de l’idée impériale. »  (p,223)

     Une exposition « continue » … ? Vraiment ?

      Le « consensus des années 1920-1930… » ? Sans qu’aucune évaluation de ce consensus n’ait été effectuée, et alors que la France sortait à peine de la boucherie de la guerre 1914 et qu’elle venait d’entrer en 1929 dans la grave dépression économique que chacun connait ?

     Et l’auteur de nous expliquer ensuite que les candidats à l’enseignement supérieur n’étaient  pas spécialement attirés par cette discipline, alors qu’  « En Grande Bretagne, les chaires d’imperial history jouissent d’un prestige certain entre les deux guerres… à Oxford, … Londres… ou Cambridge… » (p,224)

     Est-ce que la clé de cette situation n’est pas à trouver précisément dans des situations coloniales très différentes, un empire britannique prospère, riche en perles coloniales, animé par des élites fières de leur empire, dotées d’un esprit solide de libre entreprise, de conquête de marchés, grâce à la suprématie de la flotte anglaise sur toutes les mers du globe, et la mise en place patiente de la fameuse ligne de communication portuaire stratégique,  vers l’Egypte, l’Inde et la Chine, au lieu d’un empire français construit à la petite semaine, pauvre, et de petite échelle par rapport à l’anglais.

     En France rien de semblable, ni dans les élites, ni dans les universités !

   J’ai publié sur ce blog un ensemble de pages qui avaient pour but d’esquisser une comparaison entre les deux empires coloniaux de Grande Bretagne et de France. Ces textes ont été beaucoup consultés, et le sont encore. Ils permettent, je crois, de mieux comprendre le grand écart qui séparait les situations dans les deux empires.

      « En France, donc, l’histoire coloniale trouve finalement son audience sous une forme essentiellement vulgarisée auprès d’un public plutôt populaire, celui des écoles, celui des lecteurs d’une certaine presse coloniale, des amateurs de chansons, mais aussi des visiteurs des expositions et des musées….» (p,225)

     Une « audience » jamais évaluée, ni dans les écoles, voir la supercherie du fameux Lavisse ! (lire notre petite annexe a) sur le Lavisse) Des « lecteurs d’une certaine presse coloniale » encore moins évaluée dans l’ensemble de la presse française, mais en tout état de cause en nombre limité ! Des « visiteurs » en quête d’exotisme plutôt que de colonies !

    Et effectivement :

     « Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que les historiens « coloniaux » aient pu ressentir quelque frustration à ne pas réussir à toucher les milieux savants de l’époque avec la même réussite que leurs collègues spécialistes de Byzance ou de la Gaule romaine. Seuls ceux d’entre eux dont les travaux peuvent se rattacher aux champs de l’histoire – reconnus particulièrement les spécialistes de l’Afrique du Nord romaine ou dans une moindre mesure, ceux des civilisations orientales et extrême-orientales – ont pu être intégrés de façon réussie dans les arcanes du monde universitaire. Les autres, arc-boutés à des problématiques ou à des territoires du savoir moins reconnues – la colonisation française à travers les âges, l’Afrique subsaharienne et ses peuples réputés sans écriture… se sont retrouvés sur des positions de plus en plus défensives vis-à-vis de l’historiographie dominante. » (p,226)

       Une fois de plus, il semble qu’on découvre la situation réelle de l’histoire coloniale par rapport à celle « dominante » de la métropole, qui, avant 1945, n’attirait pas obligatoirement une partie des meilleurs historiens pour les raisons politiques, marxistes, ou autres, qui sont apparues après la guerre, et pourquoi ne pas se poser de nos jours le même type de question incongrue sur l’histoire postcoloniale ?

      En ce qui concerne le domaine colonial, est-ce qu’il existe une thèse scientifiquement fondée, comparant effectifs et formation des historiens dits coloniaux et des autres historiens reconnus pour l’être en métropole dans l’enseignement secondaire et supérieur, étant donné que les « coloniaux »  constituèrent longtemps une cohorte d’amateurs ?

     « L’histoire coloniale sur la sellette ? » (p,226)

      « Dans un contexte de dynamique institutionnelle modeste (c’est le cas de le dire !), les faiblesses épistémologiques inhérentes à cette histoire coloniale sont l’objet de contestation de la part des avant-gardes historiographiques. La dimension idéologico- politique qui sous-tend explicitement ou implicitement la démarche de maints historiens coloniaux continue également de les placer dans une position délicate par rapport au monde universitaire. Henri Brunschwig fait remarquer qu’après 1945, les Annales d’histoire économique et sociale de Lucien Febvre et Marc Bloch aussi bien que la Revue de Synthèse historique d’Henri Berr ont superbement ignoré l’Afrique et le monde colonial en général : c’est plus vrai encore dans l’entre-deux guerres, pour des raisons qui tiennent essentiellement au mépris dans lequel ces revues d’avant-garde tiennent la vielle histoire coloniale. » (p,226)

      Question : « La dimension idéologico-politique qui sous-tend explicitement ou implicitement la démarche… » ?

      Est-ce que cela n’a pas toujours été le cas ? Comme avant et après 1945, l’histoire a-t-elle vraiment réussi à être indépendante d’un des courants forts dominants, le marxisme, et de nos jours, dans l’histoire postcoloniale, d’un autre courant fort lié à une sorte d’humanitarisme, de repentance qui ne dit pas son nom, pour ne pas dire d’autoflagellation ?

    A l’époque considérée, des historiens comme Julien ou Deschamps, étaient  membres du parti socialiste, comme aujourd’hui Stora, après avoir été trotskyste. 

     L’auteure note d’ailleurs que Deschamps comme Hardy furent des « Collaborateurs » du Régime de Vichy.

     L’auteure cite l’exemple d’une des chaires que le groupe de pression colonial, soi-disant puissant, avait réussi à imposer au Collège de France, une chaire entre 1921 et 1935, laquelle vacante, créa un vrai problème quant à la désignation du successeur, et au nom de baptême de la chaire elle-même..

      « Au tournant de la Seconde Guerre mondiale : des ferments de renouveau

      Un nouveau contexte politique et institutionnel » (p,237)

      L’auteure écrit :

      « Dès les années 1930 pour les plus précoces, de manière plus perceptible à partir de la fin des années 1940, on note dans maints textes de chercheurs, dans maintes déclarations de principe, un décalage grandissant du discours savant avec les finalités coloniales. Ces « fissures » dans les sciences coloniales, presqu’impalpables, ont des causes variées.

      D’abord le consensus autour de l’idée impériale commence à se lézarder après 1945, George Balandier évoque dans deux textes autobiographiques le climat intellectuel et politique qui règne en Afrique après la guerre… « L’Afrique d’après-guerre ne supportait plus la clôture coloniale, elle s’en échappait et entrait dans une autre période de son histoire, tôt orienté  vers la réalisation des indépendances. » (p,238)

     « impalpables » ? Un adjectif historique ? Les « fissures » dataient quasiment des premières années de la colonisation, et c’est la deuxième guerre mondiale qui a été le véritable facteur de l’écroulement de la « clôture », car le monde était entré dans un autre monde.

     J’ai cité ailleurs (blog du 3/11/2015- intitulé « Le témoignage Delafosse : les « humanistes » et la bombe d’Indochine ») le passage de son livre « Broussard » (1922) qui relatait une conversation rapportant l’information d’après laquelle un attentat avait été commis au Tonkin :

      «  Les humanistes entrent en scène (p,114)… « une bombe » en Indochine… « à la terrasse d’un café… Ce n’est pas dans votre Afrique, dis-je à mon ami Broussard, que de paisibles consommateurs… auraient à redouter l’explosion d’une bombe intempestive.

      Assurément non, me répondit-il, ou du moins l’instant n’est pas encore venu d’appréhender de tels faits divers ; mais ce n’est qu’une question de temps. » (p,112)

     L’auteure note le rôle de Suret-Canal, mais il s’inscrivait aussi dans un courant d’historiens marxistes qui prit de l’ampleur après 1945.

      «… vers la réalisation des indépendances » ? Une lecture très différente de celle de Frederick Cooper.

      Comme le note l’auteure, l’Institut Français d’Afrique noire, créé pendant le gouvernement du Front Populaire, en 1936,  a joué un rôle moteur dans cette diversification des courants :

     « Le bulletin de l’Institut français d’Afrique noire est emblématique des « contradictions entre deux pôles du savoir », mais aussi de leur dépassement dans les années 1950 : il cristallise les tensions entre une science « coloniale » – et singulièrement une histoire « coloniale » – et un  projet scientifique qui s’affranchit du contexte impérial, voire le critique… Si minime soit-elle encore, la professionnalisation relative de l’histoire en A.O.F conduit aussi, comme l’analyse Marie-Albane de Suremain… «  (p,242,243)

      Notons simplement que cet  institut ne disposa pratiquement d’aucun moyen avant 1945.

      Il aurait été intéressant de connaître l’évolution postérieure des moyens financiers mis à la disposition de l’IFAN avec la création du FIDES, un régime de subvention associé à des prêts à très faible taux d’intérêt, qui constitua une, petite révolution dans les relations financières entre la France et l’A.O.F, étant donné qu’auparavant, le principe de ces relations était fondé sur  la maxime « aides- toi toi-même »

      « Un monde de nouveauté dans le monde des historiens métropolitains

       Les bouleversements intellectuels, politiques, et institutionnels qui affectent l’Afrique des années 1950 contribuent peu ou prou à infléchir le cours de l’historiographie. «  (p,243)

     L’auteure cite les exemples de Charles-André Julien qui occupa en 1948 une chaire à la Sorbonne, de Robert Montagne au Collège de France, mais comment ne pas noter que ces deux scientifiques étaient des spécialistes de l’Afrique du Nord, et que le premier des deux était très marqué à gauche ?

     Les observations qu’elle consacre à cette dernière situation mérite d’être citée parce qu’elle caractérise toute son ambiguïté :

      «  Robert Montagne  est élu sans coup férir : c’est d’ailleurs le seul candidat à la chaire, son outsider, Jean Lecerf, n’ayant été sollicité que pour souscrire au règlement du Collège de France qui interdit théoriquement les candidatures uniques. Le poids du contexte politique de l’époque – la montée des revendications nationalistes dans les colonies – ainsi que l’orientation de Lucien Febvre vers une histoire « science sociale » contribuent donc à l’élection a priori paradoxale d’un sociologue à une chaire d’histoire. Ce faisant, cette élection sanctionne la double disqualification de l’histoire coloniale classique, tant politique qu’épistémologique

      Avec la nouvelle maison Les Editions Sociales  «  une contre-histoire coloniale est donc en train d’établir ses bases : elle va s’épanouir  quelques années plus tard. «  (p247)

     Question : est-ce que l’auteure est véritablement convaincue que ce nouveau cours de l’histoire est étranger au cours de l’histoire du monde et de France, et à la situation politique internationale et française, avec la présence de l’empire soviétique, l’URSS, et du PCF, son affilié, pour ne pas dire son inféodé.

     L’auteure cite l’exemple d’Henri Brunschwig, lequel « investit le champ de l’histoire africaine avec rigueur et ténacité », et c’est à mes yeux un bon exemple d’historien resté à l’écart des modes et des influences politiques de l’époque.

      « La prise de parole des chercheurs africains (p,250)

     … ils ont désormais accès à un espace éditorial spécifique, celui de Présence Africaine. L’intellectuel sénégalais Alioune Diop a en effet créé la revue en novembre 1947 et la maison d’édition en 1949. Son mot d’ordre est de lutter contre l’assimilation politique et culturelle et de donner aux écrivains noirs les moyens de s’exprimer et de se forger une identité propre… »

     Plus loin, l’auteure cite Cheikh Anta Diop :

     « Si Cheikh Anta Diop, au milieu des années 1950, ne parvient pas à ébranler sérieusement cette vison dominante (l’occidentalo-centrisme de la discipline), il se pose en pionnier d’une histoire émancipatrice : il prend à rebrousse-poil une historiographie coloniale forte de ses certitudes tout en proposant aux Africains un autre rapport à leur passé, fait de fierté et de dignité. Son influence va être déterminante à bien  des égards à partir des années 1960, parfois jusqu’au fourvoiement de certains de ses disciples qui pousseront les logiques afro centristes jusqu’à la caricature.

     Ce n’est pas cette stratégie de rupture qu’adopte Abdoulaye Ly, alors même que son travail d’historien recèle aussi, dans le contexte du milieu des années 1950, un fort potentiel de renouvellement de l’historiographie dominante. »  (p,253)

      Je rappelle qu’en 1956, fut appliquée la réforme Defferre, et qu’en 1960, le mouvement des indépendances était arrivé presque à son terme.

      « Mais au-delà de ces apparences, l’analyse de la colonisation en Afrique de l’Ouest entre, avec Aboulaye Ly, dans une nouvelle dimension : elle est étroitement articulée aux phénomènes mondiaux, et particulièrement au basculement du centre de gravité de l’économie monde vers la sphère atlantique à l’époque moderne. L’histoire coloniale anecdotique, penchée sur les moindres faits et gestes de tel ou tel obscur  administrateur ou tel audacieux voyageur, a vécu…. » (p,255)

       Ne s’agit-il pas du résumé un peu trop caricatural de l’histoire coloniale, qui, après tout, et faute de moyens, faute pour les historiens de métropole qui venaient de découvrir la richesse du travail des Annales, d’avoir eu le courage d’investir dans une autre histoire que celle chère aux universitaires d’alors, l’Antiquité, le Moyen Âge, les rois de France, les Révolutions, les Empires ou les République, en était réduite à la portion congrue ?

      « Les années 1930-1950, loin de consacrer le triomphe de l’histoire coloniale en France, sont au contraire celles de l’essoufflement et de la marginalisation, non seulement par rapport à une historiographie dominante imprégnée de l’histoire méthodique, mais également vis-à-vis de l’avant-garde historiographique du temps. Alors que la discipline s’est professionnalisée, constituant une communauté formée dans les mêmes moules universitaires et en position idéale de coupure avec le monde civil, censée placer l’historien au-dessus des débats partisans de son temps, l’ancrage de l’histoire coloniale dans le monde politique et dans celui des affaires lui donne une image d’amateurisme et d’engagement militant. Globalement, ses liens consubstantiels avec le projet impérial lui valent la suspicion des milieux universitaires et l’empêchent  d’affermir ses positions institutionnelles en métropole.. dans les territoires colonisés, malgré des moyens de recherche améliorés, le nombre des historiens reste limité et leur marge de manœuvre réduite… » (p,255)

      Question : ne s’agit-il pas d’une lecture par trop autoflagellante, compte tenu de l’écart gigantesque qui existait entre les deux mondes universitaires, pour autant qu’il ait été possible de comparer les deux, une comparaison qui aurait mérité  d’être mieux justifiée et mesurée?

     Essoufflement et marginalisation ? Est-ce que cela n’a pas toujours été le cas ?

    Engagement militant ? N’était-ce pas aussi le cas de Suret Canal et de Julien ? Et parallèlement des autres collègues marxistes de l’époque, en dépit ou à cause, et très rapidement, en 1947,  de la guerre froide et de la propagande de l’Union Soviétique et du Parti Communiste ?

       Le chapitre 6 contient un ensemble d’analyses souvent pleines d’intérêt, mais empreintes d’une certaine ambiguïté, tant il est difficile de naviguer dans le dédale de l’histoire et des histoires, avec des situations coloniales diverses et changeantes,celle de la situation métropolitaine, également changeante, et leur chronologie.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Annexe a : Le Lavisse et l’enseignement

Annexe a : Le Lavisse et l’enseignement

L’enseignement de l’histoire coloniale en métropole et en Afrique : la pertinence historique des exemples cités par Sophie Dulucq dans son livre « Ecrire l’histoire coloniale de l’Afrique à l’époque coloniale »

            L’auteure aborde ce sujet au moins à deux reprises en examinant rapidement le cas de la métropole, et plus longuement celui de l’A.O.F

            Dans le premier cas, celui de la métropole, et sans citer le livre d’histoire Lavisse auquel l’historienne Coquery-Vidrovitch a fait un sort, de même, et plus largement encore, le collectif de chercheurs Blanchard, mais non démontré, comme je l’ai moi-même démontré dans mon livre « Supercherie coloniale », l’auteure s’inscrit dans le courant des chercheurs qui accréditent l’idée, et non le fait mesuré, que la France était sous l’influence de la propagande coloniale :

            « Si les années 1930 sont bel et bien celles de l’apogée d’une propagande tous azimuts pour la Plus grande France et celles de l’épanouissement d’une culture « impériale… » (page 209,210, note de source Blanchard et Lemaire)

            Elle note plus loin, mais de façon plus nuancée :

 « Une fois encore se pose la question délicate, en histoire de l’éducation, du décalage entre les instructions officielles, le contenu des manuels, les pratiques des enseignants et la réception des enseignements par les élèves. L’exposition continue des jeunes enfants aux images positives de la colonisation, via l’école et la propagande extrascolaire, peut expliquer en partie le consensus des années 1920-1930 autour de l’idée impériale » (p,223) (Note de renvoi Bancel)

           Pourquoi ne pas rassurer l’auteure, car le nombre de pages consacrées à « la Plus grande France » était très limité dans les petits livres d’histoire de Monsieur Lavisse ?

        Histoire de France Lavisse Cours Elémentaire 1930 10 et 9° : 182 pages, 24 chapitres, et dans le chapitre 22 « Les conquêtes de la France », 7 pages de la page 162 à 169

       Histoire de France Lavisse Cours Supérieur 1937, 408 pages, et dans le livre VI « L’époque contemporaine », une page et demie, pages 371 et 372

        Histoire de France Lavisse Cours moyen 2ème année (7°) certificat d’études, 1935, 343 pages, 35 chapitres, Chapitre XXXIII La Troisième République, page 318, page 319, deux photos, temple d’Angkor et campement de nomades dans le sud algérien, page 320 avec une carte de l’empire, plus 5 lignes à la page 321.

        Un test qu’il s’agirait naturellement d’effectuer de façon exhaustive.

      Quant à l’exposition continue des enfants aux images coloniales, il est possible d’en douter, alors que la France sortait à peine de la boucherie de la première guerre mondiale, et que toutes les familles du pays comptaient leurs morts ou blessés.

       Dans le cas de l’Afrique, l’auteure propose une analyse plus détaillée, mais qui concerne avant tout l’A.O.F :

     « Enseigner l’histoire dans les écoles africaines » (p,193)

      L’auteure relève: « C’est un aspect encore peu étudié par les historiens, qui mériterait des recherches plus approfondies. » (p,193)

    « Nos ancêtres les Africains » (p,193) (le lecteur aura sans doute été rassuré de ne pas trouver le cliché éculé de « nos ancêtres les Gaulois »)

     Sont alors décrits les efforts de l’administration coloniale pour développer l’enseignement de l’histoire, dès l’année 1903.

     « Il s’agit donc moins de familiariser les élèves avec l’histoire de France qu’avec l’histoire de la présence française en Afrique. Dès le rapport de Camille Guy en 1903, une idée est martelée par les pédagogues coloniaux : l’histoire de France n’est à envisager que du point de vue des « relations avec les différents pays de l’Afrique de l’Ouest », afin  de faire aimer la métropole et les Français et de faire comprendre les motivations des colonisateurs ».

    L’enseignement de l’histoire en 1903 dans une AOF créée de toute pièce huit ans plus tôt , non pacifiée ? Imaginez un peu ?

   Comment ne pas faire un petit rapprochement avec le travail des instituteurs de la Troisième République, et de leurs livres, dont l’ambition et aussi la réussite furent celles d’avoir aidé à la construction d’une nation qui n’existait pas encore à la fin du dix-neuvième siècle ?

     Plus loin, l’auteure évoque la publication « Le Tour de l’A.O.F par deux enfants », une initiative qui  ressemble étrangement à celle de Bruno avec son Tour de la France par deux enfants, deux initiatives parallèles qui connurent le succès.

     Cela dit, et quelques soient les interprétations historiques données à la scolarisation, il est évident que les effectifs des enfants scolarisés étaient faibles, qu’ils ne concernaient le plus souvent que les cités de la côte ou des chefs- lieux de l’hinterland, étant donné que la France, comme l’Angleterre, avaient décidé que le développement des colonies, et donc de l’A.O.F, et donc aussi de l’enseignement, devait être financé par les colonies elles-mêmes.

       Les choses changèrent complètement après 1945, avec la création du FIDES, mais en 1950, les taux de scolarisation étaient encore faibles : en Afrique occidentale, et pour une population scolarisable de 20% de la population, soit 3 millions d’enfants, 138 000 d’entre eux étaient scolarisés, soit 4,6%, dont 1,15% au titre de l’enseignement privé.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés