Le livre « Les empires coloniaux »
Sous la direction de Pierre Singaravélou
Lecture critique 4
Le 17 mars 2015, lecture 3
Chapitre 6 « Un Prométhée colonial » Claire Fredj et Marie-Albane de Suremain
Le sujet est difficile, et le titre choisi, un peu trop pompeux, appartient lui aussi plus au « mythe » qu’aux réalités du vécu colonial.
Pensez-vous vraiment que les puissances coloniales aient eu cette ambition prométhéenne ? Qu’elles s’en soient donné les moyens ?
Le sujet appelle en effet une première question capitale : qui avait en effet la volonté de financer les œuvres de ce Prométhée, alors que dans les deux métropoles anglaise et française, les gouvernements avaient pris soin d’annoncer que le développement, c’est-à-dire les œuvres de ce Prométhée, devaient être uniquement financées par les colonies elles-mêmes ?
A l’exemple d’une l’Afrique noire française encore dans les limbes étatiques et budgétaires ? Alors qu’une fois les colonies établies dans leurs superstructures, elles ne disposaient pas des ressources nécessaires pour financer cet effort supposé prométhéen ?
Le « Prométhée » anglais n’aurait d’ailleurs pas eu l’ambition du « Prométhée » français, étant donné que son objectif principal était le « business », et par surcroit, le souhait que les peuples colonisés imitent un genre de vie anglais qu’il estimait en tous points un modèle supérieur à tous les autres.
Il ne s’agissait donc que d’utopies coloniales à l’ombre desquelles prospéraient les intérêts européens ou indigènes des territoires qui disposaient de ressources nécessaires pour se développer.
Les analyses qui sont proposées sur le rôle de l’école :
« Quels que soient les empires, l’éducation des autochtones a moins pour objectif de les transformer en un ensemble de citoyens éduqués et émancipés que de leur assigner une certaine place au sein de la société coloniale ou d’en faire des auxiliaires de colonisation efficaces » (p,266)
Ou sur le rôle de la santé :
« Les équipements et la politique sanitaire constituent un moyen d’encadrement social… » (p,274)
paraissent singulièrement « déconnectées » des réalités coloniales, de même que les observations sur la colonie « laboratoire » :
« Si le colonialisme a bien introduit de nouvelles conditions de vie, de nouvelles normes comportementales, l’idée que les colonies seraient « un laboratoire grandeur nature où expérimenter librement les formules de la modernité sociale » doit être considérablement nuancée. » (p,287)
Une seule remarque au sujet des politiques de santé des colonisateurs, même si elles ne furent pas toujours à la mesure des besoins, il est tout de même difficile de nier que ces politiques ont eu au moins pour résultat de faire quasiment disparaître les grandes épidémies qui frappaient régulièrement ces territoires, et d’expliquer en partie leur expansion démographique.
Cette analyse manque des démonstrations qui pourraient en accréditer le fondement, d’autant plus qu’elle s’inscrit hardiment dans la panoplie générale de situations coloniales qui appartiennent à tous les temps coloniaux qui vont de la conquête à la décolonisation.
Chapitre 7 « Un bilan économique de la colonisation » Bouda Etemad
Ce chapitre a déjà fait l’objet de quelques remarques dans les pages que nous avons consacrées à l’introduction, mais pourquoi l’auteur ne s’est-il pas plus inspiré, si son intention était de rester sur le terrain historiographique, des analyses très documentées en chiffres et séries statistiques de l’historien économiste Bairoch, notamment dans le livre « Mythes et paradoxes de l’histoire économique » ?
Rappelons l’intitulé des grands titres de cet ouvrage :
« I – Les grands mythes concernant le monde développé
2 – Les grands mythes sur le rôle du tiers monde dans le développement occidental
3 -Les grands mythes concernant le tiers monde
4 – Mythes « secondaires » et tournants historiques inaperçus »
Le livre en question proposait une lecture décapante de la colonisation, et pour l’illustrer, un seul extrait tiré des conclusions de l’auteur :
« Le bilan économique du colonialisme est difficile à établir.
« Au-delà des principaux mythes ayant trait aux grands problèmes des politiques commerciales que nous avons vu plus haut, il existe beaucoup d’autres mythes de plus ou moins grande portée parmi les plus importants, citons celui du rôle joué par la colonisation, ou plus généralement le tiers monde, dans le développement du monde occidental. S’il ne fait aucun doute que, grâce à son statut de fournisseur de matières premières et d’énergie à bon marché, le tiers monde contribua à la forte croissance des économies occidentales entre 1955 et 1973, la situation était très différente au XIX° siècle et pendant la première moitié du XX°, période au cours de laquelle le monde développé exportait même de l’énergie vers le tiers monde et était presque totalement autosuffisant en matières premières. Autres temps, autres situations.
Les deux autres mythes importants dans ce domaine concernent la place du tiers monde en tant que débouché pour les industries du monde développé et le rôle de la colonisation dans le déclenchement de la révolution industrielle. Commençons par le second point. Comme nous l’avons vu au chapitre 7, il semble que ces événements majeurs ne soient pas liés. Non seulement la Grande Bretagne n’était pas une grande puissance coloniale avant la révolution industrielle ni pendant les premières phases de son développement, mais les marchés extérieurs à l’Europe jouèrent un rôle mineur au cours des premières décennies de la révolution industrielle. Si, effectivement, les marchés du tiers monde prirent de plus en plus d’importance au fil de l’histoire du développement moderne, cela ne signifie pas que ceux-ci aient été vitaux. Rappelons ici trois pourcentages tout à fait impressionnants. Pendant la période 1800-1938, seuls 17% de l’ensemble des exportations du monde développé furent dirigés vers le tiers monde et ces exportations représentaient moins de 2% du volume de production des pays développés. La part de la production industrielle exportée vers le tiers monde était plus grande, mais inférieure à 10%. » (p,235)
Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés