« HISTOIRE COLONIALE, DEVELOPPEMENT ET INEGALITES DANS L’ANCIENNE AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCAISE »
Thèse de Mme Elise Huillery
Sous la direction de Denis Cogneau et de Thomas Piketty
27 novembre 2008
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
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Annonce de lecture critique pour l’automne
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Appel à la transparence de la délibération du jury de thèse en vue d’accréditer la « scientificité » des thèses d’histoire coloniale !
Appel aux jeunes chercheurs en histoire économique en vue de contribuer à la lecture critique de cette thèse !
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Les raisons de ma curiosité historique, financière et économique
Dans le journal Libération du 2 décembre 2008 Mme Esther Duflo avait publié une tribune intitulée :
« Le fardeau de l’homme blanc »
Dans son texte, Mme Duflo tentait de démontrer que l’expression ne correspondait pas à une réalité historique, contrairement aux thèses que certains défendent quant au bilan positif de la colonisation, dans le fil du discours Sarkozy de Dakar (2007) qui a nourri une grande polémique.
A l’appui de son propos et de sa démonstration, Mme Duflo renvoyait au contenu de la thèse défendue avec succès par Mme Huillery sur le sujet, sous la direction de MM. Denis Cogneau et de Thomas Piketty, qu’elle a eu le loisir d’examiner en sa qualité de membre du jury.
L’expression « Le fardeau de l’homme blanc » fait allusion à celle devenue célèbre utilisée par Rudyard Kipling, chantre de l’impérialisme britannique, dans un de ses poèmes paru en 1899, mais dans un contexte colonial qui n’était pas celui de l’Empire des Indes, mais celui de l’impérialisme américain dans les îles Philippines.
Chacune de ses strophes débutait par « Take up the White Man’s Burden,… », et cette expression fit florès en même temps qu’elle faisait évidemment l’objet de toutes sortes d’interprétations.
A la suite de cette tribune, j’étais entré en contact avec Mme Duflo afin de pouvoir accéder au texte de cette thèse, ce qu’elle fit de façon fort aimable le 3 janvier 2009.
J’ai donc analysé très longuement ce document bilingue qui comporte quatre chapitres intitulés, les chapitres 3 et 4 étant rédigés en anglais :
Chapitre 1 Mythes et réalités du bilan économique de la colonisation française
Chapitre 2 Le coût de la colonisation pour les contribuables français et les investissements publics en Afrique Occidentale Française
Chapitre 3 History matters : the long-term impact of colonial investments in French West Africa
Chapitre 4 The impact of European Settlement in within French West Africa – Did pre-colonial prosperous areas fall behind?
La thèse en question est accessible sur le site de l’EHESS, et elle est donc de nature à susciter la curiosité et la lecture des jeunes chercheurs en histoire économique en général, et coloniale en particulier.
Le contenu de cette thèse m’intéressait d’autant plus que mes recherches actuelles portent sur l’histoire coloniale et postcoloniale, notamment telle que certains chercheurs la racontent de nos jours.
J’ai souvent noté en effet que beaucoup de travaux n’étaient pas fondés sur l’évaluation des phénomènes décrits en termes de grandeurs statistiques mesurables et mesurées en fonction des situations coloniales rencontrées et de leur moment colonial.
Cette thèse semblait donc répondre à une de mes préoccupations majeures.
L’analyse de la thèse Huillery a suscité maintes questions de ma part, un nombre non calculable d’interrogations, sinon d’objections, que je vais tenter de récapituler, car j’avais archivé ce dossier depuis 2009, lorsque j’ai découvert que Mme Huillery venait de recevoir un prix du Cercle des Economistes pour l’ensemble de ses travaux, dont la thèse en question.
Le journal Le Monde du 27 mai 2014 titrait une interview de l’intéressée :
« La France a été le fardeau de l’homme noir, et non l’inverse »
Avec la question :
Quel a été le sujet de votre thèse ?
« Vouée au bilan économique de la colonisation française en Afrique de l’Ouest, elle bat en brèche la thèse de Jacques Marseille, publiée en 1984, selon laquelle la colonisation a été un sacrifice pour la France. Car l’examen des budgets coloniaux et métropolitains montre le contraire. Seulement 0,29% des recettes fiscales de la métropole ont été affectées aux colonies, dont les quatre cinquièmes sont en réalité le coût de la conquête militaire. L’investissement dans les biens publics ne représente qu’un coût équivalent à 0,005% des dépenses fiscales métropolitaines et n’a couvert que 2% du coût des investissements publics locaux : les chemins de fer, les routes, les écoles ou les hôpitaux ont été financés à 98% par les taxes locales. De plus jusqu’à la réforme de 1956, les hauts cadres coloniaux, les 8 gouverneurs et les 120 administrateurs de cercle (circonscription coloniale) absorbaient à eux seuls 13% des budgets locaux ! La France a été le fardeau de l’homme noir et non l’inverse »
Mon intention n’est pas d’entrer dans le détail du débat qu’ouvre Mme Huillery sur la thèse de Jacques Marseille qui absorbe un grande partie de l’analyse du chapitre 1, mais d’examiner s’il est possible de fonder le constat qu’elle propose, un constat qui s’inscrit dans un contexte volontairement polémique, à partir d’une analyse économique et financière qu’elle récapitule dans les trois autres chapitres.
Les deux questions de fond qui se posent sont celles de savoir :
1 – si l’analyse proposée pour la colonisation française en Afrique de l’ouest permet d’affirmer que cette analyse est représentative de sa propre histoire économique ?
2 – si cette analyse est susceptible d’être représentative de l’histoire de la colonisation française en général résumée par le slogan « La France a été le fardeau de l’homme noir et non l’inverse » ?
Je formulerais volontiers ces deux questions sous le titre « Miroir ou prisme » colonial, ou postcolonial ? », car la formule sur le fardeau de l’homme noir claque au vent comme un slogan politique !
Ou encore sous le titre du « fardeau » de l’anachronisme postcolonial ?
Nous examinerons successivement le contenu des quatre chapitres et nous tenterons en conclusion de poser les questions de base avec les réponses correspondantes qui seraient susceptibles d’emporter ou non une sorte d’adhésion.
Le jury était composé ainsi : Jean-Marie Baland, Denis Cogneau, Esther Duflo, Pierre Jacquet, Thomas Piketty, Gilles Postel-Vinay
Compte tenu de l’audience, du crédit, pour ne pas dire de l’influence, des membres de ce jury, dont certains animent la nouvelle Ecole d’Economie de Paris, il serait naturellement très intéressant qu’ils acceptent de publier le rapport du ou des rapporteurs, les éléments essentiels de leur délibération, ainsi que les résultats du vote, s’il y a eu vote, afin de contribuer à la fois à la bonne réputation de cette nouvelle école économique et à la transparence des décisions des jurys de thèse, c’est-à-dire à la scientificité des thèses.
Les textes relatifs à la délivrance des thèses par les jurys n’imposent en effet pas, sur le plan juridique, des formalités de publicité des décisions prises par les jurys, se limitant à la formule de « soutenance publique ».
Sur ce blog, notamment le 11 juin 2010, j’ai proposé mon analyse du système actuel qui est loin d’être satisfaisant et fait quelques propositions de nature à accréditer la scientificité des thèses, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
En gros, je notais que les arrêtés de 1992 et 2006 définissaient la procédure universitaire utilisée en faisant appel au concept de « scientifique » dans le cadre d’« une soutenance publique » qui ne laisse aucune trace du rapport, de la délibération et du vote du jury.
A l’époque, j’avais déjà évoqué le cas de la thèse Huillery et conclu :
« Et j’ai donc tout lieu de penser que, pour assurer son crédit scientifique, la toute jeune Ecole d’Economie de Paris a eu à cœur d’innover en matière de transparence scientifique, et donc d’accréditation scientifique des travaux qu’elle dirige. »
Cette innovation dans la transparence aurait répondu à l’une des résolutions écrites de cette thèse en ce qui concerne les recherches effectuées sur « Quarante années d’écriture du bilan économique de la colonisation » … « Nous allons donc prendre connaissance des recherches effectuées et sonder le type de socle scientifique. » (p,26)
Un effort de transparence scientifique d’autant plus nécessaire que cette thèse, comme nous allons le démontrer, ne parait pas pouvoir accréditer le slogan : en AOF, « la France a été le fardeau de l’homme noir ».
Avec deux énigmes historiques à résoudre :
La première : Avec ou sans « concession » ?
La deuxième : Avec quelles « corrélations » ?
Jean Pierre Renaud