Taubira entre « francité » et « ethnicisation » de la France ?
Dans le journal Le Monde du 15 mai 2014, M.Jean-Loup Amselle, anthropologue, a publié une tribune intitulée :
« Christiane Taubira face à la droite et l’extrême droite
Honteux procès en francité »
Le premier paragraphe du texte situe les faits :
« Les reproches faits récemment par la droite et l’extrême droite à Christiane Taubira, garde des sceaux, de ne pas avoir chanté La Marseillaise lors de la commémoration de l’abolition de l’esclavage le 10 mai, renvoient à un vieux débat sur le récit national.
A la lumière de cette controverse, il apparait que ce qui est reproché à notre garde des sceaux, c’est à la fois d’avoir fracturé le récit national en ayant œuvré en faveur de l’édiction d’une loi mémorielle sur l’esclavage, et donc d’avoir mis en exergue l’existence d’un sous-groupe de descendants d’esclaves au sein de la République française. Celle-ci conçue comme une et indivisible, n’admet en son sein que des citoyens vus comme des individus identiques. La ministre a en outre aggravé son cas en omettant d’entonner l’hymne national, en assimilant cette pratique à du « karaoké d’estrade » et en avouant qu’elle n’en connaissait pas toutes les paroles. »
M.Amselle a raison de protester contre la campagne politique souvent haineuse qui est faite à l’encontre Mme Taubira, même s’il est possible de s’interroger sur la pertinence de la démonstration intellectuelle que propose l’auteur.
L’anthropologue ne mettrait-il pas trop d’emphase, sinon d’exagération, dans la critique qu’il propose sur le sujet de la « francité », en y voyant tout à la fois, une « suspicion de nationalité », un renvoi « à une citoyenneté à deux vitesses », une République française qui « perd son attribut d’universalité », etc…
Il est possible en effet de se poser la question de savoir si le vocable « francité » ne couvre pas une nouvelle ethnie postcoloniale, pure invention de la nouvelle ethnologie postcoloniale : une sorte de juste retour des choses.
Est-ce que le véritable débat ne devrait pas plutôt porter sur son propos relatif au « karaoké d’estrade » ?
L’auteur met sur le même plan la garde des sceaux et les footballeurs de l’équipe de France, une ministre de la république française et des footballeurs.
Une telle « assimilation », cette fausse égalité que l’auteur leur confère, reviendrait à dire qu’un ministre de la République française investi de responsabilités publiques nationales a le droit de se moquer d’un des grands symboles de la République, une « infraction » politique d’autant plus grave de la part d’une garde des sceaux.
Quant à la défense anthropologique de l’auteur, je suis sûr que les deux équipes qui viennent de disputer la finale de la Coupe de France au Stade de France, Rennes et Guingamp ont été de nature à rassurer l’auteur : issues toutes les deux d’une très ancienne colonie du royaume de France, elles semblent avoir bien accueilli la présence et le concours de footballeurs issus de l’outre-mer qui les a aidé à disputer le titre, et pour la plus petite à l’emporter.
Je renvoie le lecteur au petit mot que m’adressa en 2003, avant sa mort, un ami, issu d’une « ethnie » bretonne, ancien ingénieur général de l’armement, artisan de la mise au point des premières fusées nucléaires de nos sous-marins, au dos d’une carte postale de vacances à Crozon, en écrivant :
« Cette carte est destinée à illustrer votre prochain ouvrage sur les colonies, à la rubrique « Bretagne ». La France lui a imposé sa langue, mis en place des gouverneurs étrangers et traité sa population comme si elle appartenait aux races inférieures. »
Jean Pierre Renaud