Lettres d’un sous-lieutenant, vallée de la Soummam, suite et fin avec le témoignage du sous-lieutenant Durand, en sa mémoire !
A la suite du livre que j’avais publié sur la guerre d’Algérie, un de mes lecteurs dont j’ignorais l’existence, me fit parvenir, le 29 août 2004, un témoignage avec quelques photos.
Il s’agissait d’un camarade sous-lieutenant du 28ème Bataillon de Chasseurs Alpins qui avait servi, entre juin 1957 et mai 1958, avant mon arrivée à Vieux Marché, au poste de la Première Compagnie, à Tasga, qui abritait sous son ombrelle, la SAS du lieu.
L’officier en question, Georges Durand, avait suivi le même type de parcours que moi avant de venir en Algérie, mais lui venait de la rue d’Ulm, l’Ecole Normale Supérieure, et devint professeur d’histoire.
Quelques extraits de son message :
« Evidemment, en 1957-1958, ce « douar pourri » des Beni-Oughlis par l’insécurité ne permettait pas à l’officier SAS de circuler entre Vieux Marché et Sidi Aïch . La compagnie n’aventurait une section qu’à horizon du poste ; elle-même ne sortait que pour aller à Djennane et à Sidi Yahia et encore devait-elle avoir l’accord du bataillon qui mettait sa section d’appui en alerte. Au-delà, l’Ighzer Amokrane supposait des soutiens plus sérieux…
Les récits de Marçot en apprendront plus sur le quotidien dans cette guerre de capitaines et de sous-lieutenants que bien des témoignages moins distanciés ou de grandes fictions, trop orientées. Merci d’avoir conçu votre relation avec tant d’intelligence et de sensibilité…
Quelques réserves : un peu sévère pour les officiers et sous-officiers des unités combattantes. J’ai eu un capitaine, RM, d’une humanité, d’un sens des populations, d’une intelligence du type de guerre qui m’a permis de passer là-bas quinze mois sans avoir à me poser le problème de la page 10 « A quel stade refuserait-il de faire une saloperie ? »
Hélas d’autres compagnies du 28ème BCA ne furent pas protégées de ces dérives. Par contre sur le terrain, je n’ai guère été interrogé par des « états d’âme » – vos colonels sont caricaturaux. Le colonel H, commandant la demi-brigade (sous-secteur d’El Kseur) était en opération avec nous sur la ligne de feu. Je suis même une nuit tombé en embuscade avec lui au col qui sépare les Béni-Oughlis de l’Ikedjane au-dessus de Tibane. Nous étions en « chasse » d’Amirouche qui devait passer la nuit à Taourirt. Le chouf qui contrôlait le djebel Duk nous a plaqué au sol, sa harka et ma section et c’est dans cette incommode posture que le colonel m’a livré la formule de « l’ ’optimisme militaire que je vous transmets. D, il ne faut jamais désespérer : il n’y a pas de situation militaire qui soit restée sans issue. »
Georges Durand a fait au moins deux communications écrites sur son expérience de la guerre d’Algérie à l’Université de Lyon II :
– l’une de caractère militaire, intitulée, « Quadrillage, bouclage, ratissage – Aspects opérationnels de la guerre d’Algérie »
– l’autre intitulée, « Hommes et femmes de Kabylie dans la guerre d’Algérie -Témoignage d’un sous-lieutenant » dans laquelle il expose très clairement la problématique du comportement de la population entre le marteau et l’enclume, dans le climat de violence de l’insurrection, et je voudrais citer simplement ses mots de conclusion :
« Quel dommage que la violence ait gâché notre présence, notre départ et notre absence ! La paix ne refleurira-t-elle jamais dans les oueds envahis par les lauriers roses s’éveillant sous la caresse des doigts de l’aurore, pareils à ceux d’où nous revenions au petit matin, soulagés d’une nuit d’embuscade…Vaine ? »
Est-ce que l’ancien sous-lieutenant Georges Durand aurait dû vraiment faire repentance ?
Jean Pierre Renaud
Post Scriptum: le camarade Durand m’avait adressé un petit dossier illustré de photos prises lors de son séjour, en vue d’une possible troisième édition à compte d’auteur.