Courbet, Péguy, et l’orientalisme intellectuel de l’époque. Mode superficielle ou vraie culture orientaliste?

2ème Partie

Courbet, Péguy, et l’orientalisme intellectuel de l’époque ? Mode superficielle ou vraie culture orientaliste ?

Un discours qui révèle une France profonde qui n’avait rien de coloniale.

Un Courbet bien loin des Ferry, Freycinet, Rouvier, Hanotaux, Lebon, ou Etienne !

&

Et pourquoi ne pas vous avouer que j’éprouve une certaine faiblesse pour ce grand peintre de mon « pays » ?

            Dans l’œuvre « Clio », Péguy cite un épisode tout à fait intéressant de la vie de Courbet à l’occasion de la visite que lui rend un jeune peintre ravi de pouvoir lui montrer ses œuvres.

Courbet, peintre d’origine franc-comtoise, attaché à sa terre natale de la vallée d’Ornans, a alors 58 ans.

Péguy fait s’entretenir Clio et Courbet :

« Nous nous quitterons sur des mots, dit-elle. C’est plus court. Et c’est plus mélancolique, parce que c’est gai. Et rien n’est aussi profond que l’incision d’un mot.

Le premier mot, dit-elle, est un mot admirable de Courbet. Pas l’amiral, (qui fut un admirable homme de guerre), le peintre. Enfin, oui, celui d’Ornans, l’enterrement, la Commune, la colonne. Vous tenez ce mot de Vuillaume, qui vous le dit hier à déjeuner. Il ne faut pas le laisser refroidir à demain. Vuillaume avait bien raison d’y voir un grand mot. C’est un mot qui porte sur tout.

Courbet donc était déjà célèbre, un jeune homme vint le voir, un jeune homme qui faisait aussi de la peinture. Il lui montra ce qu’il avait fait. – C’est bien, disait Courbet, c’est bien.

Les maîtres trouvent toujours que c’est bien, ce que l’on fait. (Il n’y a qu’un maître en peinture qui dit la vérité, et ce n’est pas Courbet) Le maître regarde. Mais ce qu’il se demande, ce n’est pas si ce qu’on lui apporte est bon, si ce morceau qu’on lui montre c’est bon. Le maître regarde en dedans et se demande anxieusement si ce qu’il a en train, lui le maître ; si ce morceau qu’il veut faire aujourd’hui, lui le maître, sera bon. Et plus le maître est vieux et plus le maître est grand, plus il a derrière lui de chefs d’œuvres accumulés, plus il se demande avec anxiété si ce n’est pas aujourd’hui qu’il fera faillite. Ce matin même, tout à l’heure.

La cérémonie faite, l’autre rempliait ses papiers. Le vieux Courbet lui disait par politesse (quand je dis vieux, dit-elle, il n’avait toujours pas plus de cinquante- huit ans, puisque c’est à cinquante-huit ans que l’on dit qu’il est mort), le vieux lui demandait, comme on demande toujours : Eh bien, qu’est-ce que vous allez faire à présent ? L’autre lui répondit, comme on répond toujours : Eh bien j’ai un peu d’argent devant moi. J’ai fait des économies. J’ai un peu de temps. Je vais aller en Orient.

A ce mot d’Orient, le vieux peintre se réveille, tout d’un coup, on ne sait pas pourquoi. C’était une brute, vous le savez, un homme sans aucune culture, il ne savait rien de rien (On dit seulement qu’il savait peindre). A ce mot d’Orient tout à coup il se réveilla, il redevint présent. Il était là lui Courbet, oubliant la politesse, oubliant l’indifférence ; il vit ce petit jeune homme ; il ouvrit un œil tout rond, un  œil de peintre, et de son gros accent franc-comtois : Ah ! (dit-il comme revenant de très loin) Ah ! Vous allez dans les Orients, (il disait les Orients, il était tout peuple, il disait les Orients comme on disait les îles, les Indes ; il parlait comme dans Manon Lescaut, et il avait tellement raison de dire les Orients). – Ah, vous allez dans les Orients, dit-il. Vous n’avez donc pas de pays.

Il faut entendre ce mot, dit-elle, comme il a été dit. Nullement comme un mot. Il en était à cent lieues. Nullement pour avoir de la portée. Encore moins pour faire de l’effet. Il faut le prendre comme un mot innocent, dit-elle, et c’est ce qui lui donne une portée incalculable.

Nous tous, mes enfants, dit-elle, nous modernes ; nous tous nous allons dans les Orients ; et nous tous sommes ceux qui n’ont point de pays. Et doublement nous allons dans les Orients. Et doublement nous n’avons pas de pays. Car il n’y a pas seulement les pays locaux, il y aussi les pays temporels. Il n’y a pas seulement les pays géographiques, il y aussi les pays historiques. Et il y a peut- être même plus encore les pays historiques, les zones historiques, les climats historiques. Quand je vois ces jeunes gens partir vers les Orients de l’archéologie, je suis comme l’autre, j’ai toujours envie de leur dire, à présent : Vous n’avez donc pas de pays ?

C’est-à-dire vous n’avez donc pas un endroit dans le temps, (De quel endroit que tu es, disaient les anciens aux conscrits), un lieu dans le temps pour ainsi dire, un temps où vous situer, un temps où vous soyez homme, citoyen, soldat, père, électeur, contribuable, auteur, toutes les inévitables, toutes les irréparables, toutes les sacrées sottises. » (page 222)

Les caractères gras sont de ma responsabilité.

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique : une gouvernance Hollande un peu trop glissante !

 Les observateurs du monde politique se sont sans doute interrogés sur deux phases de sa vie politique, la première quant à son long maintien dans son mandat de secrétaire général du parti Socialiste, alors qu’il aurait pu devenir  ministre de Jospin, une expérience gouvernementale qui lui manque aujourd’hui, la deuxième quant à la candidature de Ségolène Royal, son épouse à la ville, aux élections présidentielles de 2007, alors qu’il était le candidat naturel du Parti Socialiste.

            Peur d’une prise de risque ? Goût prononcé pour les compromis et les arrangements qui faisaient sa force au sein de son parti ?

            Sa manière de gouverner, sans cap clair, ses allers et retours dans les annonces politiques, un flottement incontestable, toujours la recherche du compromis, s’inscrivent dans la continuité du personnage, mais les Français ont de plus en plus de mal à comprendre sa politique.

Dans le journal Les Echos du 25 février 2013, page3, et à propos  du président, le directeur du centre de recherches politiques de Sciences Po caractérisait bien sa situation :

«  Le chef de l’Etat va devoir se résoudre à choisir entre deux gauches et à sortir d’ « un instinct des combinaisons » qui le prive de toute la lisibilité nécessaire aux temps de crise. »

Et sortir d’un personnage un peu trop glissant ! Il est vrai que la saison n’y est pas vraiment favorable!

France 2 Envoyé spécial du 7 mars 2013: « Les Branches esseulées: trafic de femmes vietnamiennes en Chine »

France 2 Envoyé spécial du 7 mars 2013 : le reportage intitulé «  Les Branches esseulées : trafic de femmes vietnamiennes en Chine »

Entre Chine et Vietnam, entre 1894 et 2013, la condition des femmes a-t-elle vraiment changé ? Dans le contexte historique de deux Etats Communistes ?

Avec le témoignage du colonel Gallieni, à l’occasion de son deuxième voyage en Chine à Long Tchéou (15-22 juin 1894)

            Après avoir évoqué  le souvenir que Gallieni avait conservé de la condition des femmes d’Indochine lors de son séjour au Tonkin, nous ferons quelques commentaires sur le reportage tout  à fait intéressant de l’émission « Envoyé Spécial » dont le titre a été rappelé plus haut.

            Le colonel Gallieni exerçait alors le commandement des Hautes Régions du Tonkin, à la frontière de l’Empire de Chine, où il s’efforçait tout à la fois d’éliminer les bandes de pirates annamites ou chinois qui troublaient gravement la paix publique de ces régions, et d’obtenir à cette fin la coopération des autorités impériales chinoises, gouverneur militaire, préfet et maire, notamment celle du gouverneur militaire du Quang-Si, le maréchal Sou.

            Il se rendait alors à Long Tchéou pour y rencontrer le maréchal Sou et clore le dossier du tracé des frontières sino-annamites.

            Dans son livre « Gallieni au Tonkin », le colonel racontait son expérience politique et militaire, et en ce qui concerne le voyage évoqué, il décrivait dans le détail le voyage en question.

            Retenons de ce récit uniquement les observations qui avaient trait à la situation des femmes vietnamiennes dans cette province frontalière de la Chine.

Gallieni voulait vérifier par lui- même tout ce qui lui avait été rapporté sur les relations des bandes pirates avec la Chine :

            « Les chefs des bandes les plus importantes… se trouvaient à la tête d’une vaste association, en quelque sorte commerciale, qui avait ses profits et ses pertes. De leurs repaires…. Ils dirigeaient leurs incursions dans toute la haute région, ramassant surtout des buffles, indispensables aux indigènes pour leurs cultures, et des femmes.

Les femmes sont rares dans le Quang-Si… de plus les femmes annamites étant particulièrement recherchées pour leurs qualités d’activité, de travail, d’économie et leurs aptitudes au négoce, les marchands chinois étaient très désireux d’en acquérir pour se faire aider dans leur commerce. Notre consul me fit remarquer plusieurs fois, dans mes visites aux boutiques de Long-Tchéou, la présence de femmes qui, malgré leur costume chinois et leur chignon caractéristique, étaient annamites et avaient été ainsi importées du Tonkin. Beaucoup me disait-il, en général bien traitées, suivant les habitudes chinoises et  se rendant par ailleurs très utiles à leurs maîtres, s’étaient adaptées à leur nouveau genre de vie et ne cherchaient pas à retourner au Tonkin. Mais d’autres regrettaient leur pays et s’adressaient quelquefois à lui pour demander leur rapatriement. C’est ainsi que, en ce moment même, deux femmes annamites s’étaient réfugiées au Consulat, et que, en dépit des réclamations du maire et du Tao-Taï (le préfet), M.Bonis d’Anty avait refusé de les rendre et devait les ramener avec lui, à son prochain voyage à Hanoï.

En échange des buffles et des femmes, les pirates rapportaient au Tonkin de l’opium, avidement recherché par les habitants de la haute Région, et même par les annamites….sous l’œil bienveillant des mandarins chinois. » (page 134)

Commentaire :

Le documentaire diffusé par France 2 sur le trafic de femmes vietnamiennes entre les deux Etats Communistes que sont actuellement le Vietnam et la Chine montre que ce type de dérive éthique persiste, même s’il prend les formes économiques les plus sophistiquées, au prix de 5 000 euros la « tête ».

L’existence même de ce trafic parait tolérée, puisqu’il a lieu dans des régimes politiques très encadrés, pour ne pas dire plus.

Un tel sujet est à replacer dans l’évolution de la condition féminine à travers les âges et les continents,  étant donné que dans la plupart des civilisations et des cultures, la femme n’a presque jamais été traitée comme l’égale de l’homme, et le  plus souvent comme une marchandise.

Dans notre histoire la plus récente, un certain nombre de mariages étaient des mariages de convenance d’intérêt, avec une marchandisation qui ne disait pas son nom.

Les femmes d’Afrique noire ont longtemps été sous le joug d’un régime dotal qui apparentait les mariages à un troc entre une femme et une dot en argent ou en nature.

Il semble que de nos jours, et pour des raisons d’émigration légale, certaines unions entre un citoyen français ou une citoyenne française et un ou une partenaire étrangère, soient aussi des échanges monétaires déguisés.

Les femmes du monde entier auront encore fort à faire pour se voir reconnaître leur dignité pleine et entière, et c’est sans doute l’intérêt de ce documentaire, avec deux clins d’œil ambigus, le titre même du reportage, « les Branches esseulées », et l’aveu fait par des candidats chinois à l’achat d’épouses vietnamiennes, quant à une corrélation qui existerait entre la chaleur de leur pays et la poussée précoce de leurs seins…

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique: un ancien avocat de la Cour de Cassation à la rescousse d’une apparatchik socialiste de Marseille

Humeur Tique : un ancien avocat à la Cour de Cassation à la rescousse, sans hélicoptère, d’une apparatchik socialiste de Marseille accusée de détournement de fonds !

            A lire dans le Monde du 5 mars 2013, page 8 : « Laurent Davenas : du parquet à la communication de crise

            Sylvie Andrieux a fait appel pour sa défense au cabinet de consultants Footprint, qui s’est adjoint Laurent Davenas, magistrat en retraite…. »

            Il est vrai qu’on pouvait peut-être s’attendre à tout de la part d’un ancien parquetier de Paris que son Garde des Sceaux de l’époque, et quels sceaux ! tenta de faire récupérer par hélicoptère dans le massif de l’Himalaya, afin d’éviter qu’un de ses collègues, en service, ne mène à bien une information judiciaire à l’encontre de l’épouse de l’ancien maire de Paris, qui fut aussi magistrat de la République.

            Un haut magistrat à la retraite dépourvu à ce point de menue monnaie ?

            Il est vrai qu’il est plus facile dans le cas d’espèce de tendre sa sébile ! Plus besoin d’hélicoptère ! Et de la droite à la gauche, même combat !

Les sociétés coloniales avec un brin d’impertinence historique – Coolies, engagistes et domestiques indonésiennes en Arabie saoudite- Exercice de citation et de discussion

Les sociétés coloniales avec un brin d’impertinence historique !

Coolies, engagistes (1850-1950) et domestiques indonésiennes en Arabie saoudite (2013)

Exercice de citations et de discussion : critère colonial, postcolonial, ou multiséculaire ? Les chimères de l’histoire coloniale ?

            Nous avons déjà commenté le livre qui a été consacré à la préparation du CAPES et de l’agrégation d’histoire.

            L’ouvrage consacre une contribution fouillée à l’histoire des sociétés coloniales au travail 1850-1950 Esclavages, engagistes et coolies.

            Quelques propositions de citations du texte : tout d’abord sur l’esprit de la réflexion et ensuite sur le contenu de la réflexion :

            L’esprit de la réflexion

            Introduction

« De tout temps, en tous lieux, la colonisation est décrite comme violente, militairement, éthiquement, politiquement, culturellement, parfois même physiquement. L’action de coloniser sous toutes les formes qui en découlent, introduit des déséquilibres sociaux profonds, d’hybridations dont sont porteuses les sociétés coloniales. N’en déplaise à ses thuriféraires, les sociétés qui en sont issues sont toutes porteuses du déséquilibre primal qu’introduit cette transaction hégémonique qui accouche violemment d’un système complexe à dimensions multiples, influant sur les sociétés des colonisés comme sur celles des colonisateurs et qui agit encore au-delà sur des indépendances sur les colonies et les métropoles par effet de réverbération. » (page 163)

L’auteur décrit les mouvements internationaux de population sous l’angle historique des sociétés coloniales :

«  Ainsi, dès le XIXème siècle, les migrations de travailleurs liées à l’engagisme – numériquement plutôt sino-indien – constituent un mouvement migratoire d’une importance considérable pour l’histoire mondiale et celle des sociétés coloniales. Elles sont au moins aussi importantes que les vastes mouvements de populations  européennes du XIXème siècle s’installant dans ce que l’on appelle alors des « colonies de peuplement » comme l’Afrique du sud britannique, le Südwestafrika allemand ou l’Algérie française… » (page 164)

Dans ce texte, il manque peut-être une définition des sociétés coloniales qui sont les cibles choisies par l’auteur pour décrire les phénomènes historiques, tout en notant l’expression tout à fait curieuse utilisée par un historien pour apprécier, je dirais objectivement, techniquement, ce type d’histoires : « N’en déplaise  à ses thuriféraires… »

Le contenu de la réflexion

            Quelques chiffres et dates de la description historique, avec la conclusion  proposée :

                A la Jamaïque, « 254 000 esclaves vers 1830 » (page 167)

            De 1841 à 1867, « ce furent près de 35 000 Africains libres engagés sous contrats qui entrèrent dans les colonies britanniques…. » (page 169)

            Avec le coolie trade, 120 000 coolies  viennent à Cuba. (page 171)

            Les migrations chinoises : 7 millions de Chinois entrent en Malaisie entre 1840 et 1940. (page 179)

            « Quel bilan chiffré peut-on tirer de ces migrations à l’échelle du globe, résultat des chocs impériaux ? Si près de 15 millions de coolies chinois quittèrent leur pays pour travailler dans le monde entier (Canada, Australie, Etats Unis aussi,  qui mirent tous en place des politiques de quotas et en limitèrent la venue par crainte de perdre leur identité blanche), ce fut principalement en Asie du Sud Est que la diaspora chinoise fut la plus marquante. .. » (page 179)

            Discussion et questionnement sur le colonial et le postcolonial

            L’auteur place son analyse dans le champ des sociétés coloniales et des « chocs impériaux » qui seraient la cause des migrations du travail décrites.

            Questions :

            Est-il possible d’interpréter ces migrations comme étant celles d’un rapport de domination coloniale, de « transaction hégémonique » ?

1 – sans comparer l’ensemble des mouvements migratoires européens, indiens ou chinois, car, et comme indiqué, les migrations « blanches » furent également importantes au cours de la même période.

2 – sans s’interroger sur les causes de ces mouvements, c’est-à-dire l’histoire des pays d’émigration, et pas uniquement sur celle des pays de colonisation, à titre d’exemple pour l’Europe, les famines de l’Irlande, et pour la Chine, la répétition de famines tout au long de la période examinée, dont les causes ne furent pas nécessairement liées aux initiatives impériales des puissances européennes : des dizaines de millions de morts au cours des famines des années 1850 (la révolte des Taiping), puis 1876-1879,etc… ?

N’est-il pas possible de comparer certaines de ces migrations du travail avec celles des femmes indonésiennes en Arabie Saoudite ? Coloniales ou  postcoloniales, dans le champ d’un rapport de domination coloniale ?

A lire un article du journal La Croix intitulé « Le dur destin des domestiques indonésiennes en Arabie saoudite » (28/06/2012)

« Parmi 1,2 million de travailleurs domestiques indonésiens dans le royaume, nombreux ceux qui dénoncent des mauvais traitements… comme de l’esclavage moderne… »

            Jean Pierre Renaud

Humeur Tique : Bienvenue à la nouvelle directrice du journal Le Monde ! Le 14ème tournant ?

    Le 30 décembre 2012,  ce blog a très chaleureusement salué la nouvelle déontologie de notre grand journal de référence qui livrait sa philosophie d’un monde qui marcherait en 2013  sur une route dont il avait fléché treize « tournants mondiaux » majeurs, le treizième étant intitulé « L’élan du féminisme pornographique »

            Gageons que la nouvelle responsable du journal aura à cœur de faire prendre rapidement un quatorzième tournant au grand quotidien, celui d’un féminisme enfin reconnu et responsable !

            Sinon, gare à une embardée dans le treizième virage !

            En tout cas, bon vent !

« L’histoire » ou « les histoires » selon Péguy – « Clio » I- L »histoire en fabrication

« L’histoire » ou « les histoires » selon Péguy

Morceaux choisis

« CLIO »

« Dialogue de l’histoire et de l’âme païenne »

(Gallimard 1932)

1ère partie : L’histoire en fabrication

2ème partie : Courbet contre l’orientalisme ?

&

1ère partie

L’histoire en fabrication : après le manque de documents, l’abondance et la surabondance de documents, le règne des historiens historiographes.

Qui était Péguy (1873-1914)?

       Je ne suis pas sûr que la vie et les œuvres de Charles Péguy attirent encore de nos jours beaucoup de lecteurs.

            Et pourtant Péguy fut, en son temps, un homme de lettres talentueux, célèbre et célébré, fort attachant, fauché dans la fleur de l’âge, sur le front, en septembre 1914, tout au début de la première guerre mondiale 1914-1918.

            Grand lettré, Péguy fut également un homme de grandes convictions, anticlérical, mais tout autant catholique pratiquant, pacifiste, tout autant que grand patriote, d’où son engagement, en qualité de lieutenant de réserve, dans le premier conflit mondial, mais avant tout attaché au passé et aux valeurs de sa terre de France.

            Notre propos sera consacré aux réflexions, souvent dérangeantes, sur l’histoire, qui sont contenues dans le livre bien nommé « CLIO », des réflexions qui s’adressaient sans doute et d’abord à ses anciens condisciples de l’Ecole Normale Supérieure.

            La lecture de ce livre en vaut la peine, car elle nous aide à remettre les pendules à l’heure sur le métier d’historien, et je serais tenté de penser que les leçons de Péguy sont encore d’actualité.

            Une lecture un peu difficile, compte tenu du caractère répétitif et scandé de sa prose lyrique, du nombre des œuvres citées qui ne nous sont pas familières, et de la richesse de la pensée de l’auteur.

            Péguy met en cause la théorie du progrès :

« Elle est au centre du monde moderne, de la philosophie et de la politique et de la pédagogie du monde moderne. Elle est au centre de la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne ; elle est au centre de ma domination à moi, l’histoire, tant ils me connaissent mal, tant ils ignorent mon mal et mon creux et secrète faiblesse ; elle est au centre de la situation faite, de la domination faite à l’histoire et à la sociologie dans les temps, dans le monde moderne. C’est une théorie (parfaitement) logique, malheureusement, c’est une théorie (d’autant) (par conséquent ?) inorganique, non organique. Antéorganique … Car cette théorie du progrès revient essentiellement à  être une théorie de caisse d’épargne ; elle suppose, elle crée une petite caisse d’épargne intellectuelle particulière automatique pour chacun de nous, automatique en ce sens que nous y mettons toujours et que nous n’en retirons jamais… » (page 48)          

Péguy  s’interroge sur le sens du tribunal de l’histoire : 

« Aussi on m’en fait dire. Tout celui qui a perdu la bataille en appelle au tribunal de l’histoire, au jugement de l’histoire. C’est encore une laïcisation. D’autres peuples, d’autres hommes en appelaient au jugement de Dieu et nos anciens en appelaient quelquefois à la justice de Zeus. Aujourd’hui, ils en appellent au jugement de l’histoire. C’est l’appel moderne. C’est le jugement moderne. Pauvres amis. Pauvre tribunal, pauvre jugement. Ils me prennent pour un magistrat, et ne suis qu’un (petit) fonctionnaire. Ils me prennent pour le Juge, et je ne suis que la demoiselle de l’enregistrement. » (page 153):

Péguy éclaire les défis lancés à l’historien, entre histoire ancienne et histoire moderne :

« Sous mon nom de Clio, je n’ai jamais assez de fiches pour faire de l’histoire. Sous mon nom de l’histoire, je n’ai jamais assez peu de fiches pour faire de l’histoire. J’en ai toujours de trop. Quand il s’agit d’histoire ancienne, on ne peut pas faire d’histoire, parce qu’on manque de références. Quand il s’agit d’histoire moderne on ne peut pas faire d’histoire parce qu’on regorge de références. Voilà ils m’ont mis, avec leur méthode de l’épuisement indéfini du détail, et leur idée de faire un infini, à force de prendre un sac, et d’y bourrer de l’indéfini. » (page 194)

« Au sens qu’ils ont donné à ce mot de science quand ils veulent que je sois une science, au sens où ils entendent ce mot et comme ils veulent, et alors je ne peux pas même commencer le commencement de mon commencement, ou bien je trahis, fût-ce d’un atome, d’être une science, une science leur, et comme ils m’ont rendue incapable d’être un art, je ne suis plus rien du tout. Melpomène, Erato, je ne sais qui, Terpsichore même passe avant moi. Je suis toujours prise dans des dilemmes. Clio, je manque de fiches, histoire, j’en ai trop. Tant qu’il s’agit des peuples anciens, je manque de documents. Dès qu’il s’agit des peuples modernes, j’en ai trop» (page 195)

« Pour le monde antique je manque de fiches. Pour le monde antique, je ne puis jamais rassembler mon monde… Mais pour le monde moderne vous voyez que nous allons être forcés de nous séparer avant d’avoir commencé. Avant le rassemblement. Pour le monde antique l’histoire se fait parce qu’on n’a pas de document. Pour le monde moderne, elle ne se fait pas, parce qu’on en a. » ( page 197)

« Voyons Péguy, vous savez très bien  comment ça se passait à l’Ecole Normale et comment on y formait un bon historien du monde antique, je veux dire un bon historien de l’Antiquité. Enfin vous vous rappelez Bloch. Ou Block. On l’appelait le gros Bloch. Il était gros en effet, mais à une condition. C’est que son histoire ne fût pas grosse. Eh bien rappelez-vous le gros Bloch. On profitait de ce qu’on n’avait pas de documents. On profitait de ce qu’on manquait de documents pour faire l’histoire. » (page 197)

Et au sujet de la mémoire et de l’histoire :

« La mémoire et l’histoire forment un angle droit.

L’histoire est parallèle à l’événement, la mémoire lui est centrale et axiale.

L’histoire glisse pour ainsi dire sur une rainure longitudinale le long de l’événement ; l’histoire glisse parallèle à l’événement. La mémoire est perpendiculaire. La mémoire s’enfonce et plonge et sonde l’événement.

L’histoire c’est ce général brillamment chamarré, légèrement impotent, qui passe en revue des troupes en grande tenue de service sur le champ de manœuvre dans quelque ville de garnison. Et l’inscription c’est quelque sergent-major qui suit le capitaine, ou quelque adjudant de garnison qui suit le général, et qui met sur son calepin quand il manque une bretelle de suspension. Mais la mémoire, le vieillissement, dit-elle, c’est le général sur le champ de bataille, non plus passant le long des lignes, mais (perpendiculairement) en dedans de ses lignes, lançant, poussant ses lignes, qui alors sont horizontales, qui sont transversales devant lui. Et derrière un mamelon la garde était massée….

 En somme, dit-elle, l’histoire est toujours des grandes manœuvres, la mémoire est toujours de la guerre.

L’histoire est toujours un amateur, la mémoire, le vieillissement est toujours un professionnel.

L’histoire s’occupe de l’événement mais elle n’est jamais dedans. La mémoire, le vieillissement ne s’occupent pas toujours de l’événement mais il est toujours dedans. » (page 231)

« ll ne faut pas dire qu’il y a deux classes d’historiens, qui seraient les bons et les mauvais. Il n’y a qu’une classe d’historiens qui sont les historiens.

Quand ils mettent du sujet dans leur histoire, ce n’est pas le sujet : et quand ils y mettent de l’objet, ce n’est pas davantage l’objet.

Il n’y a pas deux classes d’historiens, qui seraient les purs et les impurs. On ne leur a point fait la grâce, dit-elle d’être pur ou impur.

S’ils n’entendaient à rien, dit-elle, ils ne seraient pas historiens. Allez voir si Hugo ou Napoléon se sont mis historiens !

Il ne faut pas dire aussi que Michelet est le plus grand des historiens dit-elle. C’est un chroniqueur et un mémorialiste. » (pages 236, 237)

« L’histoire n’est pas objective ou subjective, elle est longitudinale. Elle n’est pas pure ou impure, elle est latérale. C’est dire qu’elle passe à côté. » (page 237)

Et Péguy d’épingler les « faux historiens », les historiens déguisés », comme les « faux mémorialistes », et d’esquisser une théorie des durées de l’histoire et de la mémoire.

A l’occasion d’une publication ultérieure, nous proposerons aux lecteurs l’évocation que Péguy fait du grand peintre franc-comtois Courbet, avec sa réaction tout à fait intéressante et éclairante sur la vision qu’un grand artiste comme lui pouvait avoir de l’étranger, du fameux Orient dont la fréquentation et la recherche titillaient alors maints intellectuels alors à la mode.

Une réaction, et un témoignage sur l’attrait qu’on pouvait avoir alors pour l’étranger colonial ou non !

Jean Pierre Renaud