Gallieni et Lyautey, ces inconnus! Madagascar 1897 La reddition de Rabezavana

Gallieni et Lyautey, ces inconnus !

Eclats de vie coloniale

Morceaux choisis

Madagascar

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1897, Madagascar, avec Lyautey, commandant du territoire du Nord-Est, lac Alaotra, forêt et vallée de la Mahajamba

Le reddition du chef rebelle Rabezavana

            Si le lecteur a pris la peine de lire les chapitres précédents, il aura pu prendre la mesure des hésitations qui étaient celles de Lyautey entre la mise en valeur de l’Indochine, le «  joyau des colonies » et l’aventure malgache.

Mais ses relations de confiance et d’amitié étaient telles qu’il n’hésita pas à  rejoindre le général Gallieni à Madagascar, afin de le seconder dans son grand commandement.

A peine débarqué à Tamatave, le 7 mars 1897, le général Gallieni le pressait déjà de le rejoindre dans la capitale :

A mon frère,

«…Logé, hébergé, nourri chez lui, l’accueil d’un grand frère… bref s’il me faisait monter « maoulen » (vite en annamite), c’est que mon vieux camarade de promotion, le colonel Gonard, commandant le cercle de Babay, ne tenait plus debout, rentrait en France, et que c’était moi qui le remplaçait.

«  Le plateau central de Madagascar, seule partie de l’intérieur encore effectivement occupée, était à ce moment divisé en deux territoires militaires : le premier, au Nord-Est, colonel Combes, lac Alaotra, la forêt et la vallée de la Mahajamba ; – la deuxième, au Sud-Ouest, colonel Borbal-Combret. – La région côtière jusqu’au plateau est territoire civil. Entre les deux territoires militaires, un cercle indépendant, ne relevant que du général, celui de Babay, à cheval sur le débouché Ouest de Tananarive, par la route de Majunga, allant au Sud jusqu’à un jour de marche de Tananarive, limité à l’Est à la Betsiboka, à l’Ouest à l’Ikopa, au Nord à Andriba, et au-delà les terres à conquérir. Grosse responsabilité à cause de la route à refaire et à protéger (celle de Tananarive à Majunga), ce qui, en tout pays d’insurrection, est un des plus sales problèmes à résoudre. Ce terrain était d’ailleurs entièrement pacifié, sauf un coin aux sources de la Betsiboka encore occupé par les chefs Rabezavana et Rabozaka contre lesquels opérait mon voisin de droite, le colonel Combes, l’homme du Soudan….

            Le colonel Combes, malade, demande à rentrer, et le Général veut me donner le premier territoire plus mon cercle, c’est-à-dire le tiers du Madagascar militaire occupé. Il me passe un petit frisson dans le dos à l’idée de succéder d’emblée dans ce vaste commandement, moi, chétif, tombant du Tonkin avec mes quatre galons, à ce légendaire colonel Combes, la terreur du Soudan, commandeur de la légion d’honneur, un des chefs les plus autoritaires et les plus éprouvés de l’Infanterie de Marine. Je ne me voyais pas, si récent colonial, m’imposant à ces troupes et surtout à leurs chefs de même grade que moi. Je me défends en invoquant ces motifs : le Général finit par reconnaître qu’il y a intérêt à me graduer la tâche, et, coupant le territoire en deux, ajoute simplement à mon cercle la rive droite de la Betsiboka, jusqu’à la Mahajamnba, en me donnant autorité sur le cercle voisin, Ambatondrazaka, commandant B…, pour assurer l’unité d’action…

            Puis je pars seul, sans un officier, n’en n’ayant pas un disponible, avec seulement quelques hommes d’escorte pour me mettre à la recherche du colonel Combes et de sa colonne. Je le trouve, après six jours de marche, le 18 avril, bivouaquant à Vohilena, en pleine opération contre Rabezavana.

            J’avoue que je n’arrivais pas très tranquille. La brusquerie et l’accueil de sanglier du colonel Combes sont légendaires. On le disait de fort méchante humeur, aigri, mécontent du Général, dont, imbu d’autres méthodes de guerre, il ne partageait pas la doctrine, et demandant à partir beaucoup plus par suite de ses divergences de vue que par raison de santé. Je m’apprêtais donc à être fort mal reçu. Il n’en fut rien. Il était réellement malade, en avait assez et m’attendit avec impatience pour me passer le commandement. Il n’avait qu’un regret que je discernais vite, celui de ne pas achever l’opération commencée contre Rabezavana qu’il comptait atteindre à Antsatrana, à quatre journées plus loin, position fortifiée où il pensait le trouver retranché et le réduire par la force.

J’insiste vivement pour qu’il continuât jusque-là, invoquant l’inconvénient, réel d’ailleurs, de changer  le commandement en pleine marche, en lui offrant de lui servir de major de colonne. …

Le lendemain, faisant appel à tous mes souvenirs d’état-major de brousse du Tonkin, je fis le contrôle le plus sévère du convoi et de l’approvisionnement des sacs de riz et gagnai ainsi la confiance du Colonel qui cessa de me regarder comme unnovice. Nous devînmes une paire d’amis et, malgré quelques bourrades sérieuses, nous le restâmes. »

La méthode de pacification Combes

« J’eus le même jour, un aperçu de la façon dont il entendait la pacification ? Le général Gallieni m’avait annoncé que je trouverais à la colonne deux émissaires de premier choix, qu’il avait envoyés pour servir d’intermédiaires avec les insurgés : un magistrat malgache, personnage considérable, et un jeune interprète. Tous deux étaient venus dans le costume européen dont ils sont affublés, l’un d’eux même en chapeau haut de forme ; et comme je m’en enquérais auprès du Colonel pour les interroger : « Ces deux civils ? me répondit-il, je n’aime pas ces gens- là, je ne les ai même pas regardés, je les ai fourrés dans un silo ; mais faites-en ce que vous voudrez, ça vous regarde. »

Je ne me le fis pas dire deux fois : je les fis remonter, ahuris et un peu défraichis, du fond de leur puits, et ce me furent, dans la suite, des agents incomparables.

Le 21 avril, nous piquions avec 400 fusils et 2 canons sur Antsatrana, qui était en effet, l’ancien siège de Rabezavana, lorsqu’il était gouverneur royal, où il avait son rova (sa citadelle), ses réserves, ses ressources…. Le 28 avril, nous arrivons devant Antsatrana ; mais nous y entrons sans combat, Rabezavana a déménagé….

Ce mécompte exaspère le colonel Combes ; du coup, il déclare qu’il part le lendemain et me remet le commandement. »

La méthode Gallieni

« Libre de mon action, j’en reviens sans délai aux méthodes que m’avait apprises Gallieni, et avant tout, renonçant à la colonne linéaire poussant droit devant elle, j’en reviens à la méthode des colonnes convergentes, la seule qu’on m’ait appris à regarder comme efficace….

Le 2 mai, sur un renseignement, je me rejette au Sud, où Rabezavana m’est signalé ; je ne le pince pas parce qu’il me file sous le nez, mais c’est à deux heures près que je tombe sur le village inconnu de Marotsipoy, bien caché dans une vallée latérale, où aucun européen n’avait pénétré. J’y pince cette fois d’énormes approvisionnements, les silos pleins de riz, combien de poulets ! des fusils, des cartouches. J’y prends aussi ses instruments de musique : une trentaine de grosses caisses, de tambours, de violons, et une malle où étaient ses uniformes officiels de Gouverneur royal, un habit rouge brodé et un chapeau de général à plumes blanches. Mais ce que je trouve avec le plus de joie, c’est un centre de rizières en pleine récolte… » (LTM/p,533)

Les opérations continuent :

« Le premier point à occuper ensuite, c’est Ambohimanjaka, que je sais être un ancien et important centre, nœud de communications, à mi-chemin entre moi et le cercle d’Ambatondrazaka, avec qui il faut me relier. Je veux y aller, mais je n’ai plus de fusils disponibles ; échange de télégrammes optiques, d’ultimatums avec Tananarive. Enfin, on m’envoie le 14 mai 250 tirailleurs de renfort et, le lendemain 15, je pars avec 400 fusils et 2 canons.- Là, ç’a été une jolie opération… tout cela me ramenait au centre 250 prisonniers, dont la mère de Rabezavana, 50 fusils et 3 000 boeufs, sans pertes de notre côté, avec 11 tués chez eux…. Ce beau coup de filet met de plus en plus la troupe en confiance…… Pour la première fois, on sort du vide ; on se sent sur un terrain qui commence à se solidifier, et le dîner, pour spartiate qu’il soit encore, est joyeux. A la nuit, je vais contrôler un de mes postes optiques ; je me fais stupidement éclairer par mon photophore qui nous repère, et la balle d’un guetteur voisin me tape en plein dans la lunette de l’objectif. Le petit télégraphiste, un gamin de Paris, qui en avait retiré son œil une seconde avant, en est tout bleu…

Le résultat de la razzia, qui atteignait notre adversaire dans ses ressources vives, ne s’est pas fait attendre. Depuis avant-hier, Rabezavana me fait des offres de soumission. » (LTM/p,535)

Le commandant Lyautey disposait alors de forces relativement importantes,  un effectif de 1 700 hommes, soit de l’ordre de deux bataillons, avec 3 canons.

« Antsatrana, 24 mai,

Je rouvre ma lettre pour la terminer sur une nouvelle sensationnelle : Rabezavana s’est rendu ce matin.

Le 22, je recevais un mot du capitaine Raymond me disant que, d’après tous ses renseignements, Rabezavana était sur ses fins, que la capture de ses troupeaux, de ses réserves lui avait porté le dernier coup, qu’il ne trouvait plus à vivre dans un pays désolé, que ses partisans le lâchaient par groupes, que le fruit était mûr, et qu’il ne fallait plus pour le cueillir, qu’une rapide et opportune démonstration de forces. Je suis parti à marche forcée avant-hier, avant le jour, avec la colonne et je suis arrivé hier soir. Dès l’aube, un billet de Raymond m’annonçait que le Monsieur se présentait aux avant-postes et serait ici dans deux heures. Personne au monde ne s’en doutait : j’avais gardé pour moi le secret absolu, de crainte que cela ne ratât. Comme il n’y avait plus de doute, je me mis à dicter un télégramme pour le Général, à tenir tout prêt à lancer par l’optique dès que la chose serait consommée. Au premier mot, la plume tomba des mains de mon interprète-secrétaire, le fidèle Jean-Baptiste Rahajarisafy, élève des jésuites de Tananarive, parlant français comme toi et moi, et l’écrivant, certes, mieux que moi : « C’est bien Rabezavana que vous dites, mon Commandant ? – Parfaitement. – Mais alors, l’insurrection est finie ? – Parfaitement….

Précédé de Raymond, Rabezavana arriva à cheval, suivi de 500 guerriers, dernier contingent de ses fidèles, tous armés de fusils à tir rapide, et qui nous eussent certes donné bien du fil à retordre, s’ils avaient eu encore de quoi manger. Sa troupe défila entre les deux rangs de la colonne. Entré dans la cour du rova, il mit le pied à terre, ses hommes jetèrent leurs fusils en un tas et tous se prosternèrent, tandis que leur chef, à mes pieds, malgré mes instances pour le relever, me récitait un discours de soumission qu’on me traduisait à mesure. Pour terminer, il tira de son doigt une bague, cabochon de corail monté en or, en me disant : « Ceci est mon anneau de commandement ; je ne commande plus. Prends-le pour que tous voient que désormais c’est toi qui commandes. »

Je le passai à mon doigt et ce fut le signal d’une grande acclamation. Si Dieu me prête vie, vous le verrez un jour en breloque à ma chaine de montre, car je ne compte plus m’en séparer.

Je n’avais garanti à Rabezavana que la vie sauve. Il s’attendait pour le moins à la déportation et, dans sa lassitude, c’est tout ce qu’il osait espérer. Après avoir tâté le bonhomme et causé avec les émissaires, j’ai pris un grand parti : c’est de le laisser libre, de le réintégrer ici même dans son ancien commandement et de lui confier la restauration de cette région, où tous le connaissent et le respectent, et l’œuvre de réconciliation qu’il est temps de commencer. Je le lui ai annoncé. Il se Tâte encore pour voir s’il ne rêve pas. Il vient de dîner avec nous. Nous avons trouvé au fond de nos caisses une bouteille de champagne et il y a fait honneur, retrouvant ses habitudes de haut fonctionnaire hova civilisé, accoutumé à fréquenter le « meilleur monde », comme il apparaissait dans sa tenue à table.

Sa femme, qu’il a tirée de ses bagages, est venue nous rejoindre au café et l’entente est scellée.

Demain, je commence avec lui une tournée où j’aurai son anneau au doigt, mais où il me servira d’ad latus et d’intermédiaire pour ramener à leurs foyers ces malheureuses populations et restaurer ce pays dévasté. Et je verrai bien si je me suis trompé.

Et, sans aucune exagération, c’est vraiment une bonne journée, pleine de choses et de lendemains. Et vive la méthode Gallieni ! La voici ayant fait une fois de plus ses preuves ; et c’est bien la vraie méthode coloniale. » (LTM/p,539)

Commentaire :

Le premier a trait au comportement hova face à l’envahisseur qu’étaient les troupes coloniales : certains commentateurs ont glosé sur la faible résistance de l’armée malgache lors de l’expédition de conquête, mais l’histoire a montré que cette résistance, mal commandée, avait pris d’autres formes, indirectes avec l’insurrection qui se développa dans l’île, une fois la capitale prise.

Car les forces en présence n’étaient pas négligeables : Rabezavana disposait de bandes qui comptaient des centaines de combattants, équipés d’armes modernes, c’est-à-dire des fusils à répétition.

Cet épisode montre que l’administration de la reine Ranavalona disposait de fonctionnaires de qualité, en tout cas sur les plateaux, tel l’ancien gouverneur Rabezavana.

Le même récit  fait état du système de communication militaire qui avait été mis en place par l’armée, c’est-à-dire un réseau de télégraphie optique, que viendra remplacer ultérieurement un réseau de télégraphie électrique.

Le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large » (editionsjpr.com) a décrit le rôle que les communications, techniques et politiques, ont joué au cours des conquêtes coloniales des années 1880-1914 au Soudan, au Tonkin,  à Madagascar, et à Fachoda.

Dans le même livre, un chapitre a été consacré à la campagne de Combes sur le Niger, en 1885, et à sa méthode militaire qui alluma « un grand incendie » sur le Niger.

Jean Pierre Renaud