Avant de donner quelques impressions sur ce film, de faire part de mes réactions de cinéphile amateur de films de dépaysement, je voudrais dire que je suis toujours surpris par l’écriture des quelques critiques de cinéma dont j’ai l’habitude de lire les textes, des textes le plus souvent fort bien écrits, léchés, toujours sophistiqués, dans lesquels j’ai quelquefois la plus grande peine à loger mes propres impressions , ma lecture personnelle du film.
J’ai sans doute le tort de ne pas faire partie du petit cénacle de cinéphiles professionnels.
J’ai donc été voir ce film dans une salle d’art et d’essai, un film auréolé des critiques les plus élogieuses, de la part du cénacle en question, mais ma vision n’a pas du tout été celle des professionnels.
Pour parler de ce film, un critique a proposé l’adjectif « radical », et je serais tenté de dire que ma critique sera tout aussi radicale.
L’histoire d’un taliban qui ne dit pas son nom, poursuivi et arrêté, après avoir tué plusieurs soldats américains dans un très beau désert de cinéma à canyons profonds et brûlés de soleil, qui ne dit pas non plus son nom, – assez différent des paysages d’’Afghanistan dont les images passent en boucle, au fil des années, sur toutes les chaînes de télévision, –transféré en secret dans un pays du nord qui ne dit pas non plus son nom. A nouveau en fuite, à nouveau poursuivi, dans une forêt profonde, enneigée, peuplée d’arbres magnifiques, courant, courant, pourchassé, toujours pourchassé, sans boire, ni manger, des jours et des nuits qu’on ne compte plus…
Un ballet d’hélicoptères avec ce fameux bruit toujours entêtant des pales que connaissent les familiers d’Apocalypse Now (ou ceux des djebels de Kabylie), un flot continu de très belles images de paysages et de forêts enneigés, et du héros, caméra sur l’épaule, de très belles images, mais jusqu’à plus soif ! Le héros a d’ailleurs soif !
Il est difficile de croire à cette histoire ténue et d’adhérer à une esthétique qui écrase, un pur exercice d’esthétique, les deux « one man show » du réalisateur et d’un acteur qui a d’ailleurs, plus que parfaitement, fait son métier.
Avant de terminer, je serais tenté de dire : est-ce qu’il ne s’agit pas d’un exercice subliminal de cinéma à la gloire des talibans ? Une chasse à l’homme, avec un héros magnifique et magnifié dans sa fuite, un nouveau martyre, lequel dans ses quelques moments d’hallucination, voit passer en rêve le texte de quelques sourates du Coran.
Mais si vous allez voir ce film, vous n’êtes naturellement pas obligé d’adhérer à ces propos, et trouverez peut-être qu’au moins deux moments de ce film sont extraordinaires : la scène au cours de laquelle le fuyard, mort de faim et de soif, se jette sur une femme qui donne le sein à son bébé, au bord d’un chemin, pour s’allaiter lui-même à son sein, et celle de sa fuite sur un beau cheval blanc ; gravement blessé par une tronçonneuse au cours d’une lutte avec un bûcheron, il pisse un sang rouge qui inonde l’encolure blanche de son beau cheval blanc. Dans une anthologie kitsch du cinéma?
Jean Pierre Renaud