Avant Propos
Je n’ai véritablement repris contact avec l’histoire coloniale, hors guerre d’Algérie, et hors relations familiales, qu’au moment de ma retraite, et surtout lorsque j’ai commencé à lire et à annoter les différents ouvrages qui avaient la prétention de donner aux Français une lecture de l’histoire coloniale qui ne me paraissait pas du tout correspondre à ma propre culture « coloniale », qui n’était d’ailleurs pas celle d’un « colonialiste ».
Comment était-il possible de disserter savamment sur le sujet sans faire preuve de la plus grande rigueur méthodologique, d’autant plus qu’en racontant n’importe quoi les auteurs des ouvrages analysés, diffusaient un message d’histoire coloniale idéologique qui n’était pas de nature à examiner sereinement notre passé colonial, alors que chacun sait qu’une immigration africaine non négligeable existe d’ores et déjà dans notre pays, et que beaucoup de Français découvrent peut être notre histoire coloniale au travers de l’immigration.
C’est la raison pour laquelle j’ai publié un livre intitulé « Supercherie Coloniale » dont l’ambition était de démontrer la carence méthodologique des auteurs d’une thèse soi-disant historique, d’après laquelle la France aurait eu une culture coloniale et impériale à l’époque coloniale.
Le lecteur trouvera ci-après un résumé des conclusions qui figurent dans cet ouvrage, à partir de l’examen critique des vecteurs réels ou supposés d’une culture coloniale qui aurait « imprégné » le peuple français, laquelle, par je ne sais quelle voie mystérieuse de son « inconscient collectif », – « maraboutique ? » – conduirait le peuple français à considérer certains autres Français ou étrangers comme des « Indigènes de la République »..
Dans le livre « Supercherie Coloniale », j’ai procédé à un examen critique des vecteurs de culture coloniale retenus pour accréditer cette thèse : les livres scolaires, la presse, les cartes postales, le cinéma colonial, les affiches, la propagande coloniale.
La parabole du riz
La jolie image du riz dans les assiettes pourrait être la parabole de cette thèse :
Mme Lemaire a sous-titré une des ses analyses « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits » (page 82-Culture Impériale).
Or, à cette époque, 95% du riz indochinois allait dans les poulaillers et non sur les assiettes.
Le blog Etudes Coloniales a publié, le 27 octobre 2007, en l’illustrant de façon remarquable, le chapitre « Propagande coloniale »
Nous proposons donc aux lecteurs intéressés un résumé des conclusions de ce livre, et après les vacances, nous publierons deux textes, l’un sur les « affiches coloniales », et l’autre sur le « ça colonial ».
Les citations sont référencées par la première lettre de l’ouvrage.
Le résumé des conclusions :
Supercherie coloniale ou rêve exotique ?
& « Second médecin
A Dieu ne plaise, Monsieur, qu’il me tombe en pensée d’ajouter rien à ce que vous venez de dire ! Vous avez si bien discouru sur tous les signes, les symptômes et les causes de la maladie de Monsieur ; le raisonnement que vous en avez fait est si docte et si beau, qu’il est impossible qu’il ne soit pas fou, et mélancolique hypocondriaque ; et quand il ne le serait pas, il faudrait qu’il le devint, pour la beauté des choses que vous avez dites, et la justesse du raisonnement que vous avez fait.
Molière, Monsieur de Pourceaugnac, Acte I, Scène VIII »
Cher lecteur, je ne suis pas sûr qu’au fil des chapitres, vous ayez pu apprécier la même beauté des choses, mais j’espère que vous avez pu vous faire une juste opinion sur le raisonnement de ces nouveaux médecins de l’histoire coloniale.
J’avouerai que lire et annoter les livres qui contiennent le discours incriminé fut un vrai purgatoire, et jamais un exercice de plaisir. Et pour cette raison, mériterais-je déjà, et à ce titre, les indulgences plénières de l’Eglise.
Une écriture souvent boursouflée dans la forme et dans le fond, quelquefois purement et simplement extravagante, et à titre exceptionnel, franchement hilarante, comme celle dissertant sur l’effet corporel du scoutisme sur les stéréotypes coloniaux, ou sur d’autres, de la même espèce, logés dans un corps.
Alors, au lieu de la fréquentation de cette littérature historique, d’une littérature qui ne craint pas, presque à chaque page, de montrer son bout de l’oreille idéologique, je conseillerais vivement au lecteur de s’adonner à d’autres lectures de littérature historique, plus distrayantes, et aussi plus rafraîchissantes, la saga des paysans de Claude Michelet, celle des Messieurs de Saint Malo de Bernard Simiot, qui a du reste un rapport avec notre histoire coloniale, ou sûrement plus dépaysante, celle du Clan des Otori de Lian Hearn.
Résumons succinctement le discours mémoriel de cette école de chercheurs, flot incantatoire de mots, d’affirmations sans preuves et d’approximations, de jugements définitifs assénés en miroir des uns et des autres : une culture coloniale populaire aurait existé en France, entre 1871 et 1931, puis une culture impériale, entre 1931 et 1962, lesquelles auraient ancré dans l’inconscient des Français d’aujourd’hui, les stéréotypes de la fracture coloniale, principalement le racisme et le mépris de l’Autre.
Ne revenons pas sur les mots et expressions hypertrophiés qui visaient à nous convaincre que la France avait été immergée dans un bain colonial dont elle ne serait sortie qu’imprégnée profondément par son passé colonial.
Une méthode historique étrange : les écrits de ces chercheurs sont en complet décalage avec leurs sources :
Les travaux en question sont en complet décalage avec ceux du Colloque de janvier 1993 et ceux du livre Images et Colonies, publié la même année. Entre 1993 et 2003, aucun progrès dans la méthode et dans les résultats ! Alors que le Colloque avait soulevé d’importantes questions préalables de méthode, sur lesquelles nous reviendrons, et auxquelles ces chercheurs n’ont pas répondu, mais aussi, avec beaucoup moins de bonheur, ouvert la boite de Pandore du ça colonial.
A lire leurs écrits et à les comparer à ceux des contributions historiques qui leur ont servi sans doute de sources, il existe une distance intellectuelle incontestable entre les analyses des historiens Ageron et Meynier, notamment sur la propagande coloniale, et leur propre analyse, et nous avons démontré les graves insuffisances de l’analyse Lemaire sur la propagande coloniale.
Les introductions des Actes du Colloque et du livre Images et Colonies ne traduisent pas fidèlement le contenu des contributions qui y figurent, et pour parler clair, elles semblent orientées, en posant des postulats non démontrés, ni par les communications du Colloque, ni par le contenu des contributions de ce livre.
Au dire et au témoignage d’autres chercheurs, les responsables de ces travaux prendraient incontestablement des libertés avec les textes qui leur sont soumis pour être publiés ou les contenus des communications verbales qui sont faites à l’occasion des colloques.
Deux exemples concrets m’ont été donnés : celui d’une contribution écrite sur les cartes postales que devait contenir le livre Images et Colonies, et celui de l’exploitation des communications et débats du Colloque très médiatisé, organisé à Marseille, les 8 et 9 juin 2001, colloque dit des « Zoos humains ».
Ces témoignages sont instructifs : ils éclairent les méthodes de travail des chercheurs dont nous contestons le discours mémoriel et médiatique, plus qu’historique. En 1993, la même équipe avait dirigé la publication du livre Images et Colonies, dans le sillage du Colloque de janvier 1993, sans même faire mention de son existence.
Les carences de méthode
Pour utiliser un adjectif fétiche de nos chercheurs, il n’est pas superflu de revenir sur le contenu d’un article fondateur de l’historien Ageron qui, dès 1990, dans la Revue Française d’Histoire d’Outre Mer posait les bonnes questions méthodologiques de base que soulevait l’étude des colonies devant l’opinion publique française entre 1919 et 1939.
Il y notait que les techniques de sondages étaient encore à peine connues en France, et que seuls quelques sondages, fort imparfaits et tardifs, en 1938 et 1939, étaient à la disposition des historiens. Ce point a été évoqué dans le chapitre Sondages.
« Mais l’historien de la période contemporaine ne peut renoncer pour autant à tenter de connaître, par des méthodes plus empiriques, cette opinion publique, à condition de bien mesurer les limites de son entreprise. Qui s’intéresse à cette « préhistoire de l’opinion », celle qui précède l’ère des sondages, doit être parfaitement conscient du champ de sa recherche…
Pour qui ne veut pas s’en tenir à l’étude de l’idéologie coloniale et à sa diffusion appréciée intuitivement à travers la seule littérature politique, il importe de rassembler tous les éléments d’information épars qui permettront, par approche, indirecte, de se faire une idée plus précise du sentiment public français vis-à-vis de son empire colonial. Lorsque nous pourrons développer cette recherche, celle-ci exigera sans doute des méthodes appropriées pour le traitement, par étude du contenu, de la presse d’information et d’opinion, des revues de culture générale et des revues coloniales, des ouvrages scolaires et des manuels d’enseignement supérieur. S’agissant d’opinion contemporaine, elle devra porter aussi, tout naturellement, sur le volume et le contenu des informations et des images diffusées par les radios, le cinéma et la presse filmée hebdomadaire, voire par les manifestations et expositions coloniales diverses parisiennes et provinciales. Peut-être devra-t-on tenter aussi de recourir à quelques sondages rétrospectifs auprès d’échantillons représentatifs des générations anciennes. Mais il ne peut s’agir là que d’une tâche de longue haleine et d’un travail d’équipe. »
L’historien avait alors presque tout dit des préalables qu’il convenait de lever avant de pouvoir donner une lecture crédible de cet objet de recherche, mais il ne semble pas que cette leçon de méthode ait eu beaucoup de succès. En tout cas, ce collectif de chercheurs ne nous pas aidé à dépasser le stade de la préhistoire.