Mémoire collective, nouvelle panacée historique !
Tours de passe-passe entre histoire et mémoire collective, entre histoire coloniale, immigration et mémoire collective, avec en prime les fameux stéréotypes et un inconscient collectif colonial.
L’histoire apprise dans un petit collège de l’Est de la France
Pourquoi ne pas commencer mon analyse en évoquant un souvenir personnel de mes études dans un petit collège de l’Est de la France ?
Mon professeur d’histoire avait le défaut d’un peu trop aimer la dive bouteille, mais son enseignement était digne de beaucoup d’éloges, tant sa culture historique était à la fois étendue et sensée. Ce cher professeur avait la fâcheuse tendance de reprendre le propos d’un de ses élèves, lorsque ce dernier osait avancer un « on ».
Il répliquait aussitôt : « On » est un CON !
Et je vous avouerai que chaque fois que j’entends un historien ou une historienne avancer le sésame « mémoire collective », j’éprouve le même type de réaction, car l’expression en tant que telle, n’a aucun sens, tant qu’elle ne repose pas sur une démonstration statistique sérieuse et aujourd’hui possible.
Alors qu’il pleut, chaque jour que Dieu fait, des sondages comme des balles à Gravelotte, au cours de la guerre franco – prussienne en 1870.
Et le grand Lao Tseu!
Et j’ajouterai, pour faire bonne mesure, et appeler en renfort le célèbre philosophe taoïste Lao Tseu, que la mémoire collective pourrait s’inscrire aussi dans « le vide presque parfait. », de même que « l’inconscient collectif ».
Dans l’article qui suit, et ceux qui seront publiés successivement sur ce blog, je vais m’attacher :
1- à définir ce qu’est la mémoire collective selon les critères d’Halbwachs, son véritable initiateur, ci-après (contribution 1) :
2- à proposer au lecteur trois analyses concrètes de textes ou de situations évoquées par des historiens ou d’autres intellectuels, « La guerre des mémoires » de l’historien Stora, d’une part (contribution 2), et le colloque de la Mairie de Paris du 12/03/09 sous le titre « Décolonisons les imaginaires », d’autre part (contribution 3), le colloque de la Ville de Paris intitulé « Décolonisons les imaginaires » (mars 2009) (contribution 4).
Les contributions 2, 3 et 4, seront proposés à la réflexion du lecteur dans les semaines qui suivent.
1- Histoire ou mémoire collective ?
Contribution 1
A lire articles ou livres de chercheurs, sociologues ou historiens, notre mémoire collective jouerait un rôle primordial dans l’approche et la compréhension de notre histoire coloniale.
Une mémoire collective investie d’un rôle clé, quelques exemples :
Premier exemple, le livre « La guerre des mémoires ».
Citons des échantillons des textes dans lesquels il est fait référence à ce concept.
« La guerre des mémoires n’a jamais cessé » (p.18), « la fracture coloniale, c’est une réalité » (p.33), le « refoulement de la question coloniale » (p.32), « Pourtant la France a conservé dans sa mémoire collective jusqu’à aujourd’hui une culture d’empire qu’elle ne veut pas assumer (p.32), « les enfants d’immigrés sont porteurs de la mémoire anticoloniale très puissante de leurs pères » (p.40).
Deuxième exemple, le livre « L’Europe face à son passé colonial »
A la page 144, un historien note « une explosion mondiale des mémoires », et un autre écrit à la page 219 : « La mémoire coloniale constitue depuis plusieurs années un sujet primordial dans le débat public français. »
Troisième exemple, le livre « Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy ».
Un historien illustre à plusieurs reprises le concept : « une vision largement partagée par nos concitoyens (p.113) », « ces stéréotypes », « cette façon de voir les Africains est bien présente dans la mentalité française (p.116) », « combien le discours de Dakar « colle » à une opinion majoritaire en France » (p.122), « au service de l’anéantissement de ces clichés et stéréotypes si profondément ancrés dans une certaine vision de l’Afrique. » (p.123)
Quatrième exemple, le livre « Mémoire année zéro ».
Brillant essai d’un auteur habile à manier les concepts de mémoire, d’histoire, et d’identité nationale, à donner le vertige intellectuel au lecteur, j’écrirais volontiers d’une excellente facture « ENA ».
Dans cet essai riche en citations, références, jugements et perspectives, l’auteur écrit : « A côté de l’histoire, la mémoire était un instrument commode et populaire. La mémoire est collective (1). Les souvenirs sont individuels. (p.24) » La note (1) de la page 39 renvoie au livre « La mémoire collective » de Maurice Halbwachs, sans autre plus de précision.
A la même page 39, l’auteur écrit : « On le voit : notre mémoire collective est en crise… »
L’auteur nous entraîne dans un exercice de haute voltige intellectuelle autour du concept de mémoire, sans attacher, semble-t-il, une grande importance à la définition stricte des concepts manipulés, notamment sans asseoir ses raisonnements sur la définition rigoureuse de la mémoire collective qu’en a proposée Halbwachs.
A partir de quelle définition et quelle mesure, ces appréciations et assertions sont-elles formulées, donc sur quel fondement ? Telle est la question!
A force de lire articles et livres portant sur l’histoire coloniale, sur le passé colonial de la France, je me suis posé la question de savoir ce qu’était cette fameuse mémoire collective, nouvelle panacée de certains intellectuels, comme nous l’avons vu.
J’ai donc été à la rencontre de l’inventeur, sauf erreur, de la théorie de la mémoire collective, c’est-à-dire Maurice Halbwachs, et donc de son livre fondateur, comme certains disent de nos jours.
Rien ne vaut en effet, même pour un historien amateur, d’aller à la source.
Qu’est-ce que nous dit cet auteur ? Dans un ouvrage austère, mais très bien écrit, Halbwachs analyse tous les aspects de la mémoire collective et en décrit les conditions de base, c’est-à-dire : une mémoire collective qui ne peut être définie que par rapport à :
un espace (lequel ?),
un groupe déterminé (lequel ?),
un temps historique (lequel ?).
Le sociologue ne manque pas de préciser qu’une mémoire collective a une durée de vie limitée (laquelle ?).
Les héritiers du grand sociologue ont été inévitablement confrontés à la mesure de cette fameuse mémoire collective, en proposant méthodes, et outils de mesure quantitative, au moyen d’enquêtes statistiques fiables.
Le constat : dans les textes des livres cités, nous n’avons trouvé ni définition du concept, ni indication de sources d’enquêtes statistiques, qui pourraient accréditer le discours de ces chercheurs.
Je conclurai donc en faisant appel à la sagesse du bon vieux Descartes, comment ne pas douter, en tout cas pour l’instant, du fondement de ces affirmations, tant qu’elles ne s’appuieront pas sur des démonstrations conceptuelles et statistiques ?
Pourquoi ne pas se demander entre autres si la fameuse mémoire collective française n’est pas plutôt branchée sur l’Europe, allemande, anglaise ou italienne, plutôt que coloniale ? A démontrer !
Quelques citations éclairantes pour finir :
« C’est à l’intérieur de ces sociétés que se développent autant de mémoires collectives originales qui entretiennent pour quelque temps le souvenir événements qui n’ont d’importance que pour elles, mais qui intéressent d’autant plus leurs membres qu’ils sont peu nombreux. » (page 129)
« La mémoire collective, au contraire, c’est le groupe vu du dedans, et pendant une période qui ne dépasse pas la durée moyenne de la vie humaine, qui lui est, le plus souvent, bien inférieure. » ( p,140)
« Chaque groupe défini localement a sa mémoire propre, et une représentation du temps qui n’est qu’à lui. » (p, 163)
La mémoire collective– Maurice Hallbwachs- (Albin Michel -1997)
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