La Question Post-coloniale-Yves Lacoste – Pour conclure cette lecture critique

« La question post-coloniale »

« Une analyse géopolitique »

Yves Lacoste

&

Pour conclure cette lecture

 L’auteur ne concluant pas, je me risquerai à le faire après une lecture critique approfondie, en concluant sur un questionnement de synthèse.

Après avoir lu et relu ce livre, il s’agit donc de savoir si l’analyse géopolitique proposée est pertinente, dans le cadre de la définition fixée par l’auteur lui-même selon le triptyque « représentations » « pouvoir » et « territoire », à la fois dans l’analyse de la Question Post-Coloniale proprement dite, et en ce qui concerne le chemin d’analyse suivi, c’est-à-dire, la Question elle-même, puis les Luttes pour les indépendances, et enfin Les Conquêtes coloniales.

            Une première question s’impose, compte tenu de la place qu’occupent l’Algérie (une centaine de pages sur près de quatre cents) et le Maghreb dans les trois parties de l’ouvrage, est celle de savoir, comme je l’ai déjà noté s’il ne s’agirait pas plutôt de la question post-coloniale algérienne, pour ne pas dire maghrébine.

            Une deuxième question domine cette analyse, celle des représentations, pourquoi ne pas dire les « images coloniales », c’est-à-dire une des sources principales qui a donné la possibilité au groupe d’historiens auteurs d’une série d’ouvrages d’exploiter les travaux du Colloque Savant de 1993, animés par une palette d’historiens renommés, une source qui valait d’être citée par Yves Lacoste, notamment dans sa critique du contenu du livre « La Fracture coloniale » : une impasse qui parait surprenante dans ce milieu d’universitaires renommés où tout le monde se connait.

            Il est possible de s’interroger aussi sur la logique géopolitique qui a conduit l’auteur à analyser successivement, la question, les luttes, et enfin les conquêtes coloniales elles mêmes.

            Notre questionnement portera :

            1) sur l’analyse géopolitique « question » (première partie),

2) et sur la pertinence des analyses proposées en ce qui concerne les conquêtes coloniales dans le cadre méthodologique fixé par cette analyse géopolitique.

            Notre attention ne portera donc pas sur l’analyse des luttes pour l’indépendance elles-mêmes (p,123 à 217), sauf à proposer ci-après quelques réflexions sur le sujet .

            Question : à partir de 1947, la Guerre Froide entre l’Est et l’Ouest n’a-t-elle pas été un des grands facteurs de la géopolitique mondiale, Afrique et Asie y compris, avec l’aide que l’URSS assistée des partis communistes occidentaux a apportée aux mouvements d’indépendance du Tiers Monde ?

            Comme ce fut le cas en Indochine avec le soutien de plus en plus actif de la Chine communiste au Vietminh, et le jeu on ne peut plus trouble du Parti Communiste Français au cours de cet épisode de décolonisation violente    .

Question : en parallèle de cette poussée révolutionnaire, le colonialisme  n’avait-il pas  fait son temps, avec le début d’organisation du Tiers Monde, d’autant plus qu’en 1945, l’Europe de l’Ouest, divisée entre l’Est et l’Ouest,  avait été mise à terre, et qu’elle était bien incapable de faire face à d’autres conflits en Afrique ou en Extrême Orient ? Sans l’aide des Américains !

            L’Europe de l’Ouest était alors confrontée à la puissance militaire soviétique sous le parapluie de protection de l’OTAN, et ce fut sans doute un des facteurs géopolitiques majeurs qui conduisit de Gaulle à « larguer » l’Algérie, en donnant la priorité au théâtre d’opérations européen et à l’arme atomique.

            Aux yeux des meilleurs connaisseurs de ce monde africain, le système colonial avait déjà très largement fait son temps, même si les groupes de pression continuaient à s’activer à Paris ou au siège des différentes colonies, en tentant d’imposer leur vision coloniale.

Le cadre géopolitique fixé par Yves Lacoste à travers l’analyse proposée dans l’avant propos et dans les chapitres 1 et 2 :

 « Avant-propos général… qui mène à un paradoxe » « La question post-coloniale en France. (p, 7 à 123)

 Dans son avant propos, à la page 8, l’auteur esquisse une première définition :

« Il y a cinquante ans, le terme de géopolitique n’était pas utilisé, mais chacune de ces indépendances, qu’elle ait été obtenue à l’amiable ou arrachée par la guerre, était en vérité un grand changement géopolitique. Et plus encore, les luttes pour l’indépendance de chacun de ces peuples, luttes complexes en vérité et plus ou moins anciennes, furent évidemment géopolitiques. En effet la la géopolitique – telle que je l’entends – analyse toute rivalité de pouvoirs sur du territoire, que celui-ci soit de grandes ou de petites dimensions (notamment au sein des villes) et qu’il s’agisse de conflits entre des Etats ou de luttes au sein d’un même pays, ces conflits pouvant se répercuter à plus ou moins longue distance. Les différentes conquêtes coloniales et la colonisation qui imposa son organisation des territoires conquis furent fondamentalement des phénomènes géopolitiques. Aussi ne peut-on comprendre ce qu’on appelle la « question post-coloniale » qu’en tenant compte des catégories de lieux où elle se pose de la façon la plus grave, mais aussi des différences qu’elle présente selon les pays, et en analysant rétrospectivement les rivalités géopolitiques qui ont opposés différentes sortes de forces politiques : pas seulement le conflit colonial classique Européens/indigènes, mais aussi des conflits plus ou moins anciens qui ont opposé des forces autochtones entre elles. »

Le champ de cette définition est donc très vaste et porte son attention sur deux éléments du triptyque, le « pouvoir » et le « territoire », auxquels il conviendra d’ajouter les « représentations » traitées dans les deux chapitres de la première partie.

D’entrée de jeu, Indiquons qu’à l’époque des conquêtes coloniales, il était assez redoutable de vouloir et de pouvoir identifier les pouvoirs et les territoires les concernant, tellement ils étaient à la fois variés, complexes et changeants, géographiques, religieux, culturels, démographiques, sociaux, économiques, alors qu’on ignorait presque tout de l’Afrique noire…

En Afrique noire, les limites territoriales des nouvelles colonies ne respectaient pas, et ne pouvaient pas respecter, les « frontières », donc le « territoire » de nombreux peuples, tellement ils étaient de taille différente, nombreux, et difficiles à délimiter, pour autant que les peuples eux-mêmes aient pu les identifier, ce qui fut le cas par exemple sur la côte au Dahomey, et les défendre, ce que les roitelets locaux avaient bien de la peine à faire, par exemple face à Béhanzin, à la fin du dix-neuvième siècle.

Telles furent les situations coloniales de la période des conquêtes en Afrique noire, ce qui ne fut pas le cas en Indochine ou à Madagascar où il existait un pouvoir et un territoire.

Dans son analyse, l’auteur fait un sort à la problématique des « grands ensembles », mais il parait tout de même difficile de les faire entrer, compte tenu de leur taille et de leur histoire, dans un champ comparatif avec les autres territoires examinés par l’auteur.

Le chapitre premier (p,23 à 63) « Les paradoxes de la question post-coloniale » part en effet de l’hypothèse qu’elle est née dans « Les grands ensembles » donc un territoire très limité de métropole à la fois en superficie et en nombre d’habitants.

Pour éclairer la nature et les dimensions de ces rivalités de pouvoir, il aurait sans doute été intéressant de mettre en annexe des  statistiques démographiques de poids, de composition, et d’origine, de même que les études sans doute réalisées sur l’écho qu’ont eu les événements décrits par l’auteur dans l’opinion publique française ou étrangère ?

De même, comment traiter de ce sujet sans éclairer le lecteur sur la culture et la religion des immigrés, sur l’importance des flux de migrants liés à l’explosion démographique enregistrée en Afrique, sur une relation de pouvoirs on ne peut plus ambigüe entre la France et l’Algérie principalement, dont les gouvernements issus du FLN ont toujours été en quête de diminution de la pression politique, c’est-à-dire d’émigration, notamment de la part des jeunes en quête d’une meilleure destinée.

Evidemment dans le but de la démonstration proposée et dans le cadre scientifique fixé par l’auteur.

Après avoir étudié pendant des longues années les cultures africaines et en avoir eu l’expérience très concrète, j’estime que la confrontation des cultures et des religions constitue un des facteurs majeurs de la géopolitique, comme l’auteur de ce livre a pu le constater lui-même.

Il existe d’ailleurs un ouvrage intéressant à ce sujet « Le choc des cultures ».

Enfin, il parait difficile de procéder à ce type d’analyse sans s’attacher à la relation exigeante qu’elle ne peut manquer d’avoir avec la vérité historique, tout au moins dans sa recherche ?

Dans le chapitre 2, l’auteur s’intéresse à l’une trois composantes, les « représentations géopolitiques » : telles que l’auteur les identifie, en fait un répertoire de « représentations » classées et hiérarchisées, il parait difficile d’aller plus loin qu’une lecture de caractère général du sujet.

Chapitre 2 (p,63 à 119) – L’importance des représentations géopolitiques dans la question post-coloniale 

Il s’agit d’un des facteurs importants de la géopolitique proposée, en plus des deux autres, le pouvoir et le territoire.

L’auteur commence son analyse en partant à nouveau de l’exemple des grands ensembles en affirmant :

« Elle est ensuite devenue une donnée géopolitique majeure dans la question post-coloniale, dans la mesure où s’y déroulent de plus en plus souvent des affrontements entre la police et des « groupes de jeunes ». (p,63)

Je ne sais pas si tel était le cas, étant donné que l’auteur ne propose aucune enquête statistique d’opinion pour le justifier, alors que plus loin il utilise le qualificatif de « mesurable ».

« Dans tout raisonnement géopolitique, il ne faut pas seulement y tenir le plus grand compte des caractéristiques objectives, et mesurables des populations qui vivent sur le territoire où se livre une rivalité de pouvoirs. Il faut aussi tenir compte des idées, des représentations que chacun des groupes antagonistes (avec ses leaders) se fait, à tort ou à raison, de la réalité : de ses droits sur ce territoire comme de ce qui lui parait important dans tout ce qui l’entoure, y compris au niveau mondial. Ces représentations plus ou moins subjectives sont presque toujours « produites » par ce que l’on peut appeler au sens le plus large des intellectuels, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui réfléchissent, qui discourent, bref qui produisent des idées nouvelles et en reproduisent d’autres dont ils ne connaissent pas précisément l’histoire. » (p,64)

Puis-je faire remarquer que dans les années 1950-1960 le ou les pouvoirs, en métropole ou dans les colonies, n’avaient pas la chance de disposer de chiffres fiables sur la démographie des territoires coloniaux ?

Dans les pages qui suivent, l’auteur donne une liste de représentations sous le titre « La diffusion de représentations accusatrices du colonialisme » :

« Il est bien évident que l’Appel des indigènes de la République de janvier 2005 n’est pas la cause première de la propagation des émeutes dix mois plus tard… Pour schématiser, on peut dire que, malgré les effets de l’«absentéisme scolaire », un certain nombre de ces jeunes vont au collège et qu’ils s’intéressent particulièrement, même de façon brouillonne et agressive, à ce que disent les professeurs d’histoire-géographie sur la colonisation et la traite des esclaves. En effet depuis une dizaine d’années, les programmes scolaires prescrivent qu’un certain nombre d’heures soient consacrées à ces « problèmes » qui sont aussi de plus en plus présents dans les manuels. Les enseignants en font d’autant plus état que cela les intéresse personnellement et passionne les élèves. Il n’en reste pas moins que dans ces quartiers ou à proximité, la tâche des professeurs – qui sont désormais de plus en plus des femmes –est encor plus difficile qu’ailleurs. » (p,66)

L’auteur met donc l’accent sur le rôle des professeurs d’histoire géographie et sur les programmes et énumère ensuite un certain nombre de vecteurs des représentions qu’il vise :

 « Un consensus de rejet de la colonisation depuis qu’elle a disparu » (p,66) : un rejet  non démontré, en tout cas dans cette analyse,

         « d’où le succès d’un certain nombre de livres … « le Livre noir du colonialisme XVI° – XXI° siècle », ouvrage collectif dirigé par Marc Ferro… Par ailleurs, une guerre des mémoires oppose à présent les intellectuels… un livre d’Hannah Arendt, en lui faisant dire (comme le fait Marc Ferro…) que le communisme, le nazisme et le colonialisme sont la même chose, ce qui est pour le moins expéditif et contraire au raisonnement même d’Hannah Arendt… (p,68)      

Peut-on penser que des idées du genre nazisme = communisme = colonialisme ou colonialisme = génocide passent progressivement vers une partie des « jeunes » des « grands ensembles » ? Oui, si l’on tient compte du rôle des maisons des jeunes et de la culture où nombre d’animateurs sociaux, pour un bonne part nés dans ces quartiers, ont en charge, avec « Bac + », des associations et proposent diverses activités culturelles. Il faut tenir compte du rôle des enseignants « issus de l’immigration… (p,69)

« La fracture coloniale » Des historiens de gauche, Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Sandrine Lemaire ont publié en 2005 « La Fracture coloniale ». La société au prisme de l’héritage colonial. Et ce livre a trouvé une large audience, et pas seulement parmi les professeurs d’histoire géographie particulièrement intéressés par le courant d’idées qu’impulsent Blanchard et Bancel…(p,70)

Dans les collèges et les lycées, nombre d’enseignants d’histoire géographie (et pas seulement des petits enfants d’immigrés reprennent devant leurs élèves ce thème de la persistance du colonialisme en France et de la « fracture coloniale », et surtout si leurs classes comptent beaucoup de jeunes « issus de l’immigration ». (p,72)

Commentaire : l’auteur souligne le rôle important des professeurs d’histoire géographie dans la diffusion de ce qu’il dénomme les représentations.

L’auteur met le projecteur sur les publications de Pascal Blanchard et de ses collègues, mais en faisant l’impasse sur une catégorie  de représentations mises en lumière et exploitées par les trois historiens, les images coloniales,  qu’un Colloque Savant avec la participation d’éminents historiens et spécialistes, souvent d’ailleurs issus de la matrice coloniale,avait analysées en 1993 : les Actes du Colloque résumaient les conclusions très nuancées des examens effectués, quant à leur représentativité scientifique et à l’interprétation historique qu’il était possible d’accorder aux panels d’images coloniales diffusées en métropole et non dans les colonies.

Les trois historiens ont exploité ces travaux pour en faire un instrument de propagande postcoloniale autrement plus efficace, grâce aux associations, aux professeurs, et à l’effet immigration, que la propagande coloniale de la Troisième République, comme je l’ai démontré, chiffres en mains dans livre « Supercherie coloniale ».

Je me souviens d’un des propos tenus (archives) par l’un des thuriféraires de la colonisation regrettant le peu d’engagement du corps professoral à ce sujet, sous la Troisième République.

A lire le livre en question, comme des autres, « Culture coloniale », et « Culture impériale », il est difficile de ne pas être frappé par ses formules emphatiques, et presqu’évangéliques.

Ne conviendrait-t-il pas de rappeler :

1) si besoin était, que les conquêtes coloniales ont été très largement initiées par la gauche de la Troisième République,

 2) que cette gauche républicaine n’a jamais su trouver parmi ses défenseurs et pour diffuser sa propagande coloniale les cohortes de professeurs ou d’animateurs de toute catégorie qui paraissent disponibles aujourd’hui, pour diffuser les représentations de propagande post-coloniale passée et actuelle.

L’auteur accrédite le succès des auteurs cités, mais pourquoi ne pas avoir publié les chiffres de diffusion de ces ouvrages dans le circuit universitaire et hors circuit, car il s’agit d’une des grandes carences qui pèse sur ce type d’affirmation ou de constat, celle de l’histoire quantitative ?

Ces chiffres seraient d’autant plus intéressants que les publications de sciences humaines ne rencontrent pas un grand succès.

Il s’agit de la critique capitale qui doit être faite à l’endroit des travaux des trois historiens Blanchard-Bancel- Lemaire sur les images coloniales : l’auteur n’évoque pas la source principale de leurs publications, les Actes du Colloque savant de 1993 et le livre qui en a été tiré à l’initiative de Pascal Blanchard, intitulé « Images et Colonies ».

Ces deux ouvrages au contenu fort instructif ne permettent pas de conclure dans le sens des trois historiens, c’est le moins que l’on puisse dire.

Dans la suite des pages consacrées à cette thématique, et à partir de la page 84, l’auteur se livre à un exercice intellectuel difficile entre histoire et politique, en partant toujours des « grands ensembles » qu’il conviendrait donc de considérer comme représentatifs de la réalité des représentations  énoncées, en mettant à nouveau l’accent sur le rôle des professeurs d’histoire géographie.

3) et enfin, que la gauche de la Quatrième République, puissante de 1945 à 1958, a été dans l’incapacité de mettre en œuvre une décolonisation pacifique : l’auteur était bien placé pour en porter témoignage.

En résumé, le troisième pilier du triptyque géopolitique d’Yves Lacoste, les représentations aurait mérité d’être beaucoup mieux identifié par nature, par catégorie, et quantifié, en mettant en exergue les catégories de religion et de culture, et d’être dénommées sous l’appellation de  propagande post-colonlale, d’autant plus qu’il avait à sa disposition la collecte d’images colon iales effectuée en 1993 par le Colloque savant déjà évoqué.

Les conquêtes coloniales

La troisième partie est consacrée aux conquêtes coloniales (page 217 à 399) soit près de la moitié de l’ouvrage.

L’auteur propose un résumé historique relativement intéressant de cette phase qui se déroula en Afrique du Nord et en Afrique Noire, en privilégiant l’Algérie et le Maroc : s’agit-il de géopolitique ou d’histoire ?

Il n’est pas facile d’y retrouver la trace des trois éléments du triptyque proposé par l’auteur au début de l’ouvrage ?

En Algérie et au Maroc, l’auteur met en lumière, et c’est intéressant, le rôle souvent méconnu, en termes de pouvoir et de territoire, des tribus en marquant bien la différence de situation coloniale entre les deux pays, l’absence d’une forme d’Etat en Algérie.

En Afrique noire, l’auteur privilégie comme clé d’explication géopolitique l’esclavage, mais comme nous l’avons vu, c’est beaucoup moins évident.

Cette troisième partie soulève beaucoup de questions, ne serait-ce que la première relative à la mesure historique des temps coloniaux, courts ou longs, en respectant cette distinction chère aux historiens.

Un tel critère fait ressortir la distinction qu’il est nécessaire de faire entre deux sortes de colonies, l’Algérie, le Sénégal, la Cochinchine et l’Afrique noire en général.

En Indochine, Pierre Brocheux utilisait l’expression du « moment colonial », une expression qui vaudrait pour l’Afrique noire et Madagascar.

La colonisation a en définitive été courte, de l’ordre de 50 ans.

La Côte d’Ivoire n’a été crée qu’en 1895.

Les conquêtes coloniales ont balisé une période d’explorations et de découvertes, car l’Afrique noire constituait un continent ignoré.

Dans le cas français, à la différence de l’anglais ou du belge, il est possible de s’interroger sur les processus de pouvoir qui aboutirent à conquérir des pays pauvres en ressources économiques.

L’explosion des technologies, vapeur, câble et télégraphe, plus fusils à tir rapide et canons a évidemment facilité toutes ces conquêtes, comme l’a bien démontré l’historien Headricks.

Dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large », j’ai eu l’occasion de décrire les processus politiques et militaires de décision de la Troisième République, lesquels avaient pour résultat de laisser la main et la décision aux exécutants.

La France partait à la conquête coloniale par esprit de puissance, de gloire, et de rivalité avec les Anglais, comme ce fut le cas à Fachoda, ou entrainée à le faire par sa marine qui contrôla longtemps la politique coloniale.

Tel ne fut pas le cas de l’Indochine dont on connaissait les richesses et le potentiel avec son voisin chinois, et tel ne fut pas le cas aussi de l’Algérie et du Maghreb, proche de nos côtes, mieux connus compte tenu de l’histoire commune de la Méditerranée.

L’analyse de l’auteur ne me parait pas mettre assez l’accent sur le facteur « pouvoir » : le cas du Maroc constituerait un bon exemple du type de pouvoir qui prenait la décision en France, c’est-à-dire le gouvernement ou l’un de ses membres, de même que le cas de l’Algérie où un petit groupe d’élus et de colons français d’Algérie y firent longtemps la pluie et le beau temps, d’autant plus qu’ils servaient souvent d’appoint parlementaire aux majorités changeantes de la Quatrième République.

L’auteur fait un sort à Samory, un cas longuement examiné, avec le projecteur mis sur le rôle de l’esclavage. Comme je l’ai expliqué, cette géopolitique de l’esclavage constitue une des explications géopolitiques, mais elle n’apparait pas devoir être la principale.

Il me parait difficile de tirer des leçons géopolitiques sans les inscrire dans des cadres chronologiques et géographiques comparables : comment mettre sur le même pied de l’analyse une Afrique noire encore largement inconnue en 1880, fermée sur elle-même, faute de communications, et une Indochine déjà très largement ouverte sur le monde extérieur, sauf à dire que les enjeux de communications changèrent fondamentalement avec le canal de Suez, en 1969 ? Sauf à noter qu’un sérieux handicap de distance entre la France et l’Indochine existait encore, comme avec Madagascar.

Comment mettre sur le même pied de comparaison un territoire de la Mare Nostrum et tout autre situé dans des mers lointaines ?

Comment mettre sur le même pied de comparaison des territoires à conquérir devenus d’importants enjeux de politique étrangère tels que l’Indochine, l’Egypte ou le Maroc, avec les territoires encore inconnus du Bassin du Niger, sans cartes ni voies de communication ?

Enfin et pour conclure, un des trois thèmes retenus par l’auteur, le pouvoir, aurait mérité de faire l’objet d’une comparaison entre les différentes puissances coloniales, en s’attachant à décrire les processus de décision politique de conquête existant dans chacune des puissances concernées.

Dans le cas français que nous avons longuement examiné, il apparait bien que sauf dans les cas de l’Indochine, du Maroc, ou de Fachoda, le « fait accompli » était largement à la source des décisions politiques de conquête, tout autant qu’une grande ignorance de la géographie et des enjeux de pays concernés, tout autant que l’aveuglement et les illusions de puissance des gouvernements de l’époque.

Il aurait été particulièrement intéressant que l’auteur, grand connaisseur du dossier algérien, nous ait éclairé sur le qui était responsable dans le processus de décision de la politique algérienne de la France, notamment après 1945.

Le cas d’un homme politique radical-socialiste comme René Mayer, grand élu de l’Algérie Française, dans la période qui a précédé la guerre d’Algérie, membre d’une communauté influente en Algérie, avant même la conquête de l’Algérie, mériterait d’être analysé en détail afin de mieux  comprendre le processus décisionnel du pouvoir, l’une des trois composantes de la géopolitique de l’auteur au cours de cet épisode historique, qui continue à alimenter les polémiques.

René Mayer avait une stature politique nationale et internationale, notamment sur le plan européen.

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Notre questionnement final

  1. L’auteur a préféré ne pas conclure, compte tenu sans doute de la variété et de la complexité des sujets traités, mais il nous aurait permis de mieux comprendre ce qu’il entendait dans sa géopolitique du triptyque « Territoires, Pouvoir, Représentations », et dans sa mise œuvre sur le chemin choisi de la 1) Question-post-coloniale, 2) des Luttes, 3) des Représentations.
  2. Dans ses analyses, l’auteur a accordé une très large place au Maghreb, et principalement au Maroc, où il est né et en Algérie où il a vécu, et cette préférence donne évidement une couleur très maghrébine à sa « Question post-coloniale ».
  3. Dans son analyse des « représentations », l’auteur a fait un sort au livre « La Fracture coloniale », mais en faisant l’impasse sur la source historique de ce courant de représentations coloniales, le Colloque savant de 1993, animé par d’’éminents historiens qu’il n’a pu manqué de rencontrer au cours de sa carrière.
  4. L’auteur fait un sort aux « grands ensembles » où il a vécu, mais sans faire la démonstration de leur représentativité dans l’évolution décrite.
  5. L’auteur analyse longuement le cas et le rôle de Samory à l’époque des conquêtes de l’Afrique de l’Ouest, mais en s’appuyant sur des sources qui font question, par rapport aux nombreuses sources que j’ai moi-même consultées.

En résumé, la géopolitique telle qu’exposée dans l’ouvrage ne manque-t-elle pas à la fois de rigueur et de clarté, d’autant plus que le chemin d’analyse choisi par Yves Lacoste était beaucoup trop semé d’embûches.

Jean Pierre Renaud   –  Tous droits réservés