« Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren – Lecture critique : deuxième partie

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

II

Deuxième partie (pages 103 à 223)

« Les anciens colonisés sous l’empire de leurs élites » (p,103)

« Des violences de la décolonisation à un tiers-mondisme sans scrupule. »

            Une partie très riche en contenu, peut-être trop riche.

        L’auteur a déjà abordé le sujet, mais est-ce que les mots utilisés, les appréciations,  pour décrire les situations coloniales des années 1960, les mots « élites », le titre du chapitre VI « Désintégration des espérances du « décolonisé (p,11), les « illusions perdues » (p,113) la tonalité générale de ce chapitre, traduisent bien les situations concrètes de ces territoires, compte tenu de tout un ensemble religieux, culturel, et politique qui structurait alors ces territoires, avec des élites plutôt maigres et des « citoyens » qui dans leur immense majorité ne savaient pas ce qu’était un Etat national ou une démocratie.

        Après cinquante ans d’indépendance, une première conclusion est proposée par l’auteur :

        « Un demi-siècle d’indépendance ne suffit pas à réaliser quatre objectifs concomitants : une scolarisation généralisée ; le maintien d’un niveau d’enseignement suffisant ; la formation efficace et en nombre d’une élite de cadres ; la formation professionnelle de techniciens et d’ouvriers spécialisés. La crise de l’enseignement et le chômage des diplômés, devenu depuis les années 1980 un véritable drame social au Maghreb, occulte le fait que les secteurs intermédiaires de la formation sont encore plus mal lotis que les filières supérieures. » (p,119)

       L’auteur en tire la conclusion concrète :

     « Du nationalisme à l’émigration ou comment « voter avec ses pieds » (p,119)

       Il serait intéressant de connaître les nouveaux Etats qui se fixèrent ces quatre objectifs.

        Le chapitre VII montre la complexité de toute analyse avec un « Etat bien patrimonial », la corruption, que Jean-François Bayart analyse en termes d’allégeance et de soumission, lequel « va jusqu’à affirmer qu’il n’y a pas de « corruption », puisqu’elle fait partie du système d’allégeance et de rétribution privative. Cette analyse est tout aussi pertinente au nord de l’Afrique. » (p123)

      L’auteur intitule son chapitre VIII : « Permanence et domination des sujétions personnelles » (p,137)

      Ce chapitre donne un bon exemple de l’immense écart, sauf sur la côte et dans leurs nouvelles cités, entre ces nouvelles élites et leurs peuples, celles que l’auteur appelle « les nouveaux colons ».

       Le chapitre est introduit par l’évocation du rôle de Fanon, mais il serait intéressant de pouvoir mesurer quelle fut alors son audience, aussi bien en France qu’en Afrique, laquelle fut, à mon avis, plutôt limitée.

      Combien a-t-il vendu de livres avant les indépendances ? Quelle place a-t-il occupé dans la presse française ?

     La description qui est faite du monde africain après les indépendances en relève à la fois les particularités et les difficultés rencontrées pour entrer dans ce que nous appelons le monde moderne : « confusion latente entre les figures de l’autorité religieuse, paternelle, étatique et policière », les « figures anciennes de la soumission », « le patriarcat », « la suspicion de clanisme, voire d’ethnicisme en politique est forte » (p, 148), etc…

        Dans le chapitre IX « Des indépendances aux « nouveaux colons », les pièges de l’acculturation » (p,153), l’auteur donne quelques exemples de la griserie qui saisit ces élites une fois au pouvoir, pris dans les turbulences, les lumières, et les ombres d’une nouvelle société internationale qu’ils découvraient, entre autres, la jetset.

        « Chausser les habits et investir le palais du colonisateur » (p,158), « Frayer avec les fonctionnaires et les élites gouvernementales internationales » (p,161), « La tentation de la jetset de Paris à Marbella »

         J’ai retenu évidemment la citation qui est faite de la relation Bouteflika- Jean Seberg… (p,163), l’attraction du monde de Marrakech avec le tandem Bergé-Saint Laurent…mais plus intéressante me semble être l’évocation du rôle du Ministère de la Coopération dans cette évolution :

       « Pour les Africains, les capitales et les modes de vie occidentaux représentent un saut qualitatif et culturel encore plus grand que pour les Méditerranéens. Mais en période de guerre froide, les représentants du tiers monde sont choyés par leurs alliés. La rue Monsieur, siège du ministère de la Coopération, installe un  système de clientélisme avéré. De mauvaises habitudes se prennent, à tel point que sous Giscard ou Mitterrand, nombre d’ambassadeurs de pays africains pauvres se font payer des extras, voire leur salaire et leur train de vie par la coopération ou le gouvernement français. » (p,162)

       L’auteur conclut ce chapitre en posant la question : « Une seconde indépendance, le tournant arabiste des années 1970 ? » et vingt années plus tard en écrivant :

      « La guerre civile algérienne des années 1990, djihadistes contre « nouveaux colons » (p168)

      La « décennie noire »… une guerre à huis clos. Les images de cette guerre de 200.000 morts publiées dans les médias internationaux sont rares…. Les journalistes étrangers étaient interdits d’accès au pays. (p,168)

       Un seul commentaire sur le black-out complet de cette deuxième guerre civile, sans comparaison avec celle des années 1954-1962, que certains auteurs ont appelé la guerre sans nom.

       Il ne semble pas que le chiffre des algériens qui se réfugièrent en France ait jamais été publié, alors qu’il fut important.

      Jean Pierre Renaud